samedi 4 août 2012
Douche écossaise des bourses : la zone euro est-elle toujours logique ?
Yo-yo du moral des marchés : la zone euro est-elle en train de sombrer dans l’irrationalité ?
Après avoir provoqué une douce euphorie au sein des marchés la semaine passée, la BCE a plongé ce jeudi les Bourses dans le rouge après les mesures annoncées par Mario Draghi. Un manque de mesure ?
Atlantico : Les marchés ont réagi négativement ce jeudi aux annonces de la BCE, qui accepte de racheter de la dette d’État sur les marchés, mais sous strictes conditions. Ils avaient particulièrement bien réagi aux propos de Mario Draghi la semaine dernière qui avait indiqué vouloir « tout faire pour sauver la zone euro ». Leur comportement est-il rationnel ou excessif ?
Paul Jorion : Les marchés ont mal interprété les propos tenus par Mario Draghi la semaine dernière. Ces erreurs d’interprétation se traduisent donc par des déceptions aussi grandes, ce qui permet d’expliquer les mauvais résultats des différentes places boursières hier suite à la conférence de la BCE.
Les marchés des capitaux réagissent aux propos de Mario Draghi. Pourquoi ? L’attitude d’un trader est très simple : il essaie de revendre plus cher qu’il a acheté. Il n’y a pas de véritable psychologie mais plutôt une règle. Ainsi, celui qui ne respecte pas ce principe perd. Dans le cas des marchés de capitaux, on prête de l’argent pour une certaine période et des montants importants. A la fin du prêt, on est censé recevoir l’argent qui a été prêté ainsi que les intérêts. Ce qui inquiète les intervenants sur le marché des capitaux est le risque d’un non retour de l’argent qui a été prêté. Une seule préoccupation domine : revoir l’argent qui a été prêté et les intérêts promis. Il ne s’agit pas d’une psychologie mais d’une contrainte.
La psychologie est un terme qui permet de personnaliser le comportement des marchés. En réalité, ce dernier est irrationnel lorsqu’il a des exigences qui sont contradictoires, par exemple lorsqu’il souhaite une austérité de la part des pays en difficultés tout en prônant de la relance pour y parvenir.
Ce phénomène est le simple résultat de la constatation que beaucoup de pays sont dans une impasse pour laquelle il n’y a pas de solutions.
Mathieu Mucherie : Par rapport à l’ampleur des annonces faites la semaine dernière par Mario Draghi, les marchés avaient pris des couleurs mais ne s’étaient pas enflammés. Suite à la conférence de jeudi, il y a une baisse puisque le président de la BCE est revenu à la même position qu’il y a deux semaines, une position restrictive. Il fait presque machine arrière.
Il y a sur les marchés des effets moutonniers ou de mimétisme. Mais les marchés ne sont pas irrationnels. Des phénomènes qui peuvent paraître irrationnels pour beaucoup peuvent en réalité s’expliquer. Par exemple, lorsque la Suisse a des taux obligataires négatifs, c’est-à-dire que les investisseurs les payent pour lui prêter de l’argent, ce phénomène peut s’expliquer par le fait que le franc suisse peut très bien s’apprécier de 20% dans les années à venir. De plus, il s’agit d’un actif sécurisé.
En outre, on attribue aux financiers une irrationalité que l’on n’oserait jamais exprimer pour n’importe quelle autre catégorie socio-professionnelle.
Autre élément, on pointe souvent les marchés pour leur « inefficience ». Mais si tel était le cas, il y aurait une martingale ce qui signifie que certaines personnes pourraient battre le marché de manière systématique. La réalité est différente. Warren Buffett et George Soros ne sont que des exceptions qui confirment la règle. Keynes lui-même disait que l’on ne peut pas battre le marché car c’est lui qui fixe le prix.
Les marchés ne sont pas parfaits non plus. De même, les marchés ne disent pas systématiquement la vérité, mais il donne leur vérité. Ils ne sont simplement pas forcément inefficients et irrationnels.
Si les marchés sont rationnels, quid des opinions publiques avec lesquelles doivent composer les dirigeants européens ?
Paul Jorion : Le problème est exactement le même. Les opinions publiques constatent que les pays sont dans l’impasse. Il s’agit d’une « impasse » car il existe des cas où les pays ne peuvent s’en sortir qu’en ne remboursant pas leur dette. Toutes les situations ne satisfont pas les marchés des capitaux car certains pays s’en sont sortis en faisant défaut sur leur dette. Parfois, c’est la seule solution.
Lorsqu’on dit que les marchés ne sont pas rassurés, il s’agit simplement d’une métaphore pour dire que les prêteurs sont convaincus que l’argent prêté ne sera pas remboursé.
Mathieu Mucherie : Il est difficile de savoir s’il est possible de gérer une crise avec différents niveaux de rationalités. Pour la plupart, être rationnel signifie que l’on a raison, que l’on voit juste. Mais en réalité, lorsque l’on dit que les marchés sont rationnels, cela ne signifie pas qu’ils ont raison. Cela n’aurait pas de sens. La rationalité consiste à prendre une décision après l’analyse de toutes les informations disponibles.
Pour cette raison, les dirigeants européens ne gèrent tout simplement pas la crise.Cela fait cinq ans qu’elle dure. Il n’y a qu’en Europe où l’on se pose cette question de crise. Les Etats-Unis ont une croissance bien plus forte et le marché des actions a une valorisation de 40% supérieure à celle du marché européen. Les Européens refusent de faire ce que toutes les autres banques centrales dans le monde ont fait (ndlr : rachat de titres du Trésor et injection de liquidités).
L’Europe aurait-elle finalement besoin plus de psychologues que d’économistes ?
Paul Jorion : La psychologie n’intervient pas à ce niveau-là. Il faudrait au contraire quelqu’un de froid, voire un physicien qui reconnaisse que seule la dévaluation et le non-remboursement d’une partie des montants prêtés représentent la solution. Il ne s’agit pas de psychologie, mais de chiffres.
Mathieu Mucherie : Pour gérer cette crise, il faudrait surtout un historien. Quelqu’un qui connaisse la crise monétaire des années 1930, la crise du Japon dans les années 1990, que l’on sait qu’une union monétaire a éclaté au 19e siècle…
C’est justement la grande force des Etats-Unis. Ben Bernanke, le président de la Fed, est un économiste qui pendant trente ans a publié des articles sur la crise des années 1930, sur l’étalon or et la crise japonaise des années 1990. Pour cette raison, le Dow Jones est 40% au-dessus de l’Eurostoxx et les taux américains sont à 1,5%. Les Américains sont obsédés par la crise des années 1930, et considèrent qu’il ne faut pas laisser faire. Ils ont donc mis en place des pare-feu.
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