Les étranges conseils d'UBS à ses collaborateurs
La plus grande banque suisse explique à ses salariés comment démarcher de riches clients à l'étranger sans se faire prendre.
"Si vous voyagez avec un collègue, coordonnez votre histoire avant la douane" ou encore, si vous êtes interrogé et que votre ordinateur contient des données sensibles, "tapez trois fois un code PIN erroné pour en bloquer l'accès". Ces conseils ne sont pas prodigués à de futurs agents secrets, mais à des employés d'UBS allant prospecter des clients à l'étranger.
Le document en anglais de 9 pages, intitulé "Security Risk Governance", distribué en interne par la principale banque suisse, date de juin 2006. Il entend "sensibiliser les employés d'UBS aux possibles menaces au cours des voyages d'affaires". Quel genre de menaces ? Le 12 avril, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire concernant les activités en France d'UBS.
Des tracts et des affiches
Pour la justice, il existe un soupçon de "démarchage bancaire et financier par personne non habilitée et [de] blanchiment de fraude fiscale et de fonds obtenus à l'aide d'un démarchage illicite, commis en bande organisée". En clair, des salariés suisses d'UBS auraient, pendant une décennie, passé incognito la frontière pour aller démarcher des clients en France. Ce qui est strictement interdit. Et pas n'importe quels clients. De riches contribuables approchés à Roland Garros ou sur un terrain de golf.
Le document interne d'UBS conseille à ces commerciaux voyageant à l'étranger, au cas où ils seraient interrogés, "d'attirer l'attention sur le fait que vous organisez un événement UBS, comme un trophée de golf".
Pur hasard ? En mars, juste avant l'ouverture de cette information judiciaire, Antoine Peillon, grand reporter à La Croix, publiait Ces 600 milliards qui manquent à la France.
L'ouvrage, fort bien documenté, dénonce le système d'évasion fiscale mis en place par UBS dans l'Hexagone. Selon l'une de ses sources, à l'intérieur de la banque, "en 10 ans, ce sont environ 850 millions d'euros d'avoirs qui ont échappé à l'impôt, grâce à nos seuls services d'évasion fiscale". Pas moins de 120 chargés d'affaires suisses opéraient clandestinement en France...
Parallèlement, chaque année, UBS organisait une centaine de concerts, d'événements sportifs, de réunions mondaines afin de couvrir "le démarchage d'une clientèle riche et brillante à destination finale de l'ouverture ou de gestion de comptes non déclarés", assure l'ouvrage. En revanche, les salariés d'UBS en France gardaient les mains propres.
Pratiques identiques aux États-Unis
"UBS est considérée comme la Rolls-Royce des banques. Les salariés sont très fiers de travailler dans un tel établissement. Ils sont d'autant plus révoltés lorsqu'ils découvrent ces manipulations", raconte Antoine Peillon, de passage à Genève pour présenter son livre. De son côté, UBS "réfute vigoureusement" l'existence d'un système d'aide à l'évasion fiscale.
Toutefois, il faut rappeler que la banque suisse a déjà été prise la main dans le sac aux États-Unis en 2009. Les autorités fiscales américaines avaient déposé une plainte auprès du tribunal fédéral de Miami pour obliger UBS à fournir la liste de 52 000 de ses clients soupçonnés de fraude fiscale. Les États-Unis et la Suisse ont finalement trouvé un accord extrajudiciaire pour que la banque ne passe pas en justice pour incitation à l'évasion fiscale.
Derniers conseils donnés par "Security Risk Governance" lorsque les commerciaux d'UBS quittent un pays étranger avant de regagner la Suisse : "Détruisez toutes les données sensibles", "N'emportez pas de documents liés à un client", et "Préparez un baratin au cas où vous seriez questionné par les autorités". Difficile d'être plus clair...
Source: Le Point ; wikistrike ; dailymotion