lundi 23 mai 2016

Quand Aymeric Caron défend les animaux, mais pas les femmes

Quand Aymeric Caron défend les animaux, mais pas les femmes

Samedi, Aymeric Caron était l'invité du Tube de Canal Plus. L'ancien chroniqueur d'On n'est pas couché, qui a quitté l'émission à la rentrée dernière, végétalien, a défendu sa vision de la cause des animaux. Mais pour une question sur la question du voile, il a défendu une position surprenante.



Le port du voile est-il acceptable en France ?

Pour lui, « tout nous pousse à arrêter de manger des animaux (…) cesser toute forme d'exploitation animale (…) on est qu'au début du combat (…) un jour l'humanité sera végétarienne, cela fera partie d'une étape supplémentaire de la progression morale de l'humanité ». Mais la journaliste a évoqué le fait que l'émission à laquelle il va participer a été gagnée en Grande-Bretagne par une femme voilée, devenue une star et qui a fait le gâteau d'anniversaire de la reine, sans aucune polémique. Pour lui, cela ne serait pas possible chez nous et ce serait dommage « car le sujet du voile prend beaucoup trop d'importance par rapport à ce qu'il est vraiment. En France, il y a une forme d'obsession de sujet ». Visiblement, pour lui, le port du voile ne semble pas entraver la progression morale de l'humanité…

Pourtant, il ne devrait pas lui échapper que, contrairement à la Grande-Bretagne, notre pays se revendique laïc, premier frein notoire au port du voile en public. Ensuite, le dernier siècle a vu une grande avancée vers l'égalité entre les hommes et les femmes, et on peut penser que ce voile est justement un marqueur fort de la différence de statut entre hommes et femmes. Enfin, comment ne pas voir que ce voile contrevient à la devise même de notre République : ni liberté (car bien des femmes ne le portent pas vraiment librement), ni égalité (entre hommes et femmes), ni fraternité, par la différence marquée avec la communauté nationale. Bref, il est non seulement cohérent, mais également sain, y compris dans une volonté de progression morale de l'humanité, de ne pas voir l'acceptation du voile comme un progrès.


Comment Aymeric Caron ne peut-il pas voir l'immense paradoxe qu'il y a à vouloir défendre les animaux de toute « exploitation », tout en ne voyant pas que l'acceptation du voile représente une forme d'exploitation et d'asservissement des femmes, une forme de retour en arrière moral de notre humanité ?

L’agro-écologie séduit de plus en plus les agriculteurs français

L'agro-écologie séduit de plus en plus les agriculteurs français

Une bonne nouvelle pour ce lundi matin, en provenance d'Odilon sur Seen This. Du reste, si vous ne connaissez pas le principe de l'agro-écologie, c'est juste la mise en pratique de « bonnes » méthodes de cultures, avec l'interaction de diverses plantes, qui évitent les produits chimiques. Bref, que du bon, aussi si vous voulez en savoir plus voici un reportage absolument pas « rébarbatif » , et qui vous en apprendra beaucoup. Il faut que les agriculteurs français comprennent que les gens veulent de la qualité, et des produits sains, quitte à les vendre en local aux particuliers dans un circuit « court », c'est une voie que beaucoup ont choisi, et c'est la SEULE viable à long terme… Aussi bien pour nous que pour la planète et pour les agriculteurs.

Update 23.05.2016 : 60 ans que l'agriculture a tout faux ! (News360x)

 

Selon un sondage BVA portant sur un échantillon de 800 exploitants agricoles et rendu public par le ministère de l'agriculture, le concept d'agro-écologie est de plus en plus connu et appliqué par les agriculteurs, avec 79 % d'entre eux qui en avaient entendu parler en 2015, contre 50 % en 2014.

Agro-écologie : un regard sur cette notion qui a évolué progressivement

Le premier résultat à retenir de ce sondage est donc l'évolution de la perception de ce concept dans le monde agricole. Tout d'abord appréhendé comme un terme réservé à l'agriculture biologique avec « l'application de l'écologie à l'agriculture », l'agro-écologie est maintenant compris comme « l'ensemble des pratiques fondées sur plusieurs principes : renouvellement de la biomasse, minimisation des pertes en énergie, diversification génétique, valorisation des interactions biologiques… », et de plus en plus mise en pratique dans des exploitations qui ne sont pas en agriculture biologique.(1)

Les agriculteurs appliquent déjà au moins trois démarches en lien avec l'agro-écologie

Au-delà de connaître le concept, 73 % des agriculteurs appliquent au moins trois démarches en lien avec l'agro-écologie en :
  • limitant les intrants chimiques (76 %) ;
  • améliorant la qualité des sols (72 %) ;
  • préservant la qualité de l'eau (61 %).

Les agriculteurs de moins de 40 ans sont majoritaires dans l'application de ces techniques (85 %). Les moyens les plus plébiscités pour connaître et se former en agro-écologie sont l'échange d'expériences et les démarches collectives, avec là encore, en grande majorité de jeunes agriculteurs (67 % des agriculteurs inscrits dans ce type de démarches ont moins de 40 ans).

De différentes raisons pour s'engager dans ces techniques

Les raisons qui amènent les agriculteurs à s'engager dans l'agro-écologie se recoupent dans trois grandes catégories avec : à 53 % la volonté de préserver l'environnement, à 46 % la volonté d'améliorer les performances économiques et à 40 % pour des raisons touchant à la santé pour soi et pour ses proches.

Des freins réglementaires à l'application de l'agro-écologie

Un autre point intéressant que révèle ce sondage est le frein principal à l'application des techniques agro-écologiques. En effet, les contraintes réglementaires sont le frein principal, avant même les contraintes économiques liées à l'activité, l'augmentation de la charge de travail ou les connaissances que cela exige.

Des outils encore trop méconnus

D'autant que les outils qui pourraient répondre à ces freins sont mal connus des agriculteurs. C'est tout particulièrement le cas du Groupement d'Intérêt Économique et Environnemental ou GIEE qui permet aux agriculteurs de se regrouper et ainsi de réduire leurs charges.

Le regroupement en GIEE permet en effet, « une reconnaissance par l'État de l'engagement collectif des agriculteurs dans la modification ou la consolidation de leur pratique en visant une performance économique, environnementale et sociale » et offre également la possibilité de recevoir des aides spécifiques. Or cet outil n'est connu que par 27 % des agriculteurs seulement.

Une forme d'agriculture prometteuse

L'agro-écologie entre donc de plus en plus dans les pratiques agricoles mais il reste encore des freins à débrayer et des outils à vulgariser pour qu'elle se développe pleinement.

 

Source(s) : Consoglobe.com via Odilon sur Seen This

Informations complémentaires :

Crashdebug.fr : J'ai pas voté... (Doc)
 

 

[Silence !] Quand le gouvernement français déportait 2 millions d’Algériens – entrainant la mort de 200 000 personnes…

[Silence !] Quand le gouvernement français déportait 2 millions d'Algériens – entrainant la mort de 200 000 personnes…

Puisqu’on semble s’intéresser beaucoup au triste sort des Tatars déportés par Staline, il me semble qu’il serait bien de s’intéresser aussi à nos propres déportations, que nous avons faites en Algérie.

Merci au contributeur qui l’a signalé hier en commentaire, car, bien que passionné d’Histoire, je n’en avait tout simplement jamais entendu parler… !!! Et vous ?

Bilan : plus de 2 000 000 de déplacés (10 fois plus que pour les Tatars) :

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Entrainant la mort de 200 000 personnes (au moins le double que pour les Tatars) :

Mon avis est qu’il était mort de faim 200 000 personnes, et en majorité des enfants. […] On est allé jusqu’à 2 millions de regroupés à la fin, ce qui représentait la moitié de la population musulmane rurale de l’Algérie.” [Michel Rocard, Une histoire Algérienne de Ben Salama, 23’36 – voir à la fin]

Une bonne idée de chanson pour l’Eurovision 2017…

P.S. oui, on n’oubliera pas non plus les nombreux crimes du FLN, mais sur ce blog, on s’intéressera comme d’habitude essentiellement aux crimes des gouvernements, et a fortiori du gouvernement français…

P.P.S. : en rappellera aussi que le coupable est bien le “gouvernement”, et non pas “La France”. La plupart des Français n’étaient pour rien dans ce système…

Les "camps de regroupement" de la guerre d'Algérie, par Anne Guérin-Castell

Source : LDH Toulon, Anne Guérin-Castell, 13-08-2012

En 1959, un Rapport sur les camps de regroupement de Michel Rocard révélait les conditions dramatiques du déplacement de masse des populations par l'armée française et son caractère inhumain. Mais il a fallu attendre 2003 pour que ce document soit publié sous le nom de son auteur et accompagné d'un éclairage historique complet.

Afin de briser le silence qui continue à peser sur un aspect de la guerre d'Algérie qui reste aujourd'hui encore l'une des tragédies les moins connues de ce conflit, Anne Guérin-Castell a ouvert une édition participative dans Mediapart, intitulée La vie dans un village algérien pendant la guerre de libération. En voici la déclaration d'intention : « Si, depuis quelques années, on parle plus ouvertement en France de certains aspects peu glorieux des huit années de guerre en Algérie, avec notamment la pratique de la torture, si le sort des habitants des villes est parfois évoqué lorsqu'il est question de la bataille d'Alger ou des actions de l'OAS, rien n'est dit de ce que fut au quotidien la vie dans les campagnes algériennes : trop souvent un enfer, en particulier dans les camps de regroupement. »

Nous en reprenons ci-dessous le premier texte publié le 28 juin 2012 – il est suivi de plusieurs récits d'Akli Gasmi qui a passé son adolescence dans le camp de regroupement d'Oulkhou où vivait également le jeune Tahar Djaout.

Hiver 1960, non loin de Ben S'Rour (©Albert Devaud)

Hiver 1960, non loin de Ben S'Rour (©Albert Devaud)

Un déshonneur de la République, par Anne Guérin-Castell

Bien que les premiers camps de regroupement aient été organisés dès 1955 dans les Aurès, ce n'est que le 12 mars 1959 que leur existence fut révélée par un article du Monde grâce à une fuite préméditée du rapport rédigé le mois précédent par Michel Rocard [1], alors jeune inspecteur des finances tout juste sorti de l'ENA.

Ce rapport concluait une enquête de plusieurs semaines menée en marge de ses obligations et sans ordre officiel de mission, pour laquelle il avait bénéficié de l'assistance de Jacques Bugnicourt, qui était à l'époque sous-lieutenant de SAS [2]. Dès son arrivée au port d'Alger en septembre 1958, Michel Rocard avait été alerté par son camarade sur ces déplacements de population effectués par l'armée « sans aucune espèce de précaution », si bien que les personnes déplacées perdaient leurs moyens d'existence.

L'article du Monde fut suivi d'autres articles, notamment d'un entretien avec Mgr Rodhain, secrétaire général du Secours catholique, paru le 11 avril dans La Croix et d'une publication partielle du rapport dans France Observateur et Le Monde les 16 et 17 avril, d'un débat à l'Assemblée nationale le 9 juin 1959 et d'une mise en cause de la France à l'ONU le 14 juillet. Mais cela pouvait-il arrêter les partisans de la « guerre révolutionnaire » [3] ? Paul Delouvrier, délégué général du gouvernement en Algérie, avait eu beau prescrire dans une circulaire datée du 31 mars qu' « aucun regroupement ne pourra être opéré sans son accord », les responsables de l'armée, encouragés par le décret du 17 mars 1956 et l'arrêté du 7 janvier 1957 autorisant le ministre résidant (à l'époque Robert Lacoste) à « instituer des zones où le séjour des personnes est réglementé » et confiant le maintien de l'ordre à l'autorité militaire, continuèrent d'agir à leur guise, si bien que le nombre de camps de regroupement ne cessa d'augmenter jusqu'à l'aube des négociations pour un cessez-le-feu.

Combien de personnes furent-elles ainsi déportées et enfermées dans leur propre pays ? Les estimations varient selon ce qui est retenu de la typologie des divers centres existant en Algérie, tous n'étant pas des camps de regroupement stricto sensu. Dans son rapport, Michel Rocard entre dans le détail des différentes appellations alors en vigueur et tente de distinguer la réalité qu'elles désignent, dans une gradation qui, fonction de la brutalité du traitement subi par la population, va des villages regroupés, c'est-à-dire « des villages nouveaux construits selon les normes de "l'amélioration de l'habitat rural" et occupés par des fellahsqui vivaient auparavant dans des mechtas isolées » jusqu'aux camps de regroupement proprement dits, en passant par les « recasements » et les « resserrements » [4]. Il évalue le nombre de personnes concernées à un million. Selon Charles-Robert Ageron, il y avait 936 centres au 1er janvier 1959. Pour Michel Cornaton [5], dont la thèse, postérieure à l'indépendance, porte précisément sur cette question [6], 1 750 000 personnes ont été enfermées dans des camps de regroupement. Ce qui, en estimant qu'à chaque « regroupé » correspondent un « resserré » et un « recasé », fait un total de 3 250 000 personnes. En ajoutant les prisons, les camps d'internement [7], les centres spéciaux et les assignations à résidence, on arrive à ce résultat accablant : 40 % de la population algérienne, enfants et vieillards compris, a été, d'une manière ou d'une autre, enfermée.

À l'origine, le constat que certaines zones rurales étaient des zones d'insécurité… pour l'armée… entraîna en divers lieux l'expulsion d'une population abandonnée sans logement ni ressources dans un territoire qui lui était étranger. Dès sa nomination dans les Aurès, le général Parlange fit en sorte que ces personnes soient prises en charge par l'armée, d'où la création des premiers camps de regroupement. Mais les zones d'insécurité augmentèrent en nombre et en superficie, devenant bientôt des zones interdites, et beaucoup d'officiers virent dans les camps de regroupement le meilleur moyen d'appliquer leur conception de la guerre révolutionnaire en privant les combattants de l'ALN de l'aide (abri, soins, nourriture) que pouvait leur apporter la population rurale. À partir de 1957, le nombre de camps fut multiplié sans même que soit mise en avant la nécessité de créer une zone interdite.

Si quelques camps photographiés à des fins de propagande donnent l'impression de villages modèles – il faudrait plutôt les appeler « villages de regroupés » –, de nombreux camps de regroupement furent entourés de barbelés, équipés de miradors ou installés près d'un camp militaire qui en possédait, tandis que leurs habitants, souvent privés par cette action de leurs troupeaux de chèvres ou de leurs volailles, durent construire eux-mêmes leurs maisons avec des matériaux de récupération. Les sorties autorisées et dûment surveillées dépendaient du bon vouloir des responsables du camp.

L'impossibilité de maintenir une hygiène minimale et la malnutrition causèrent des ravages. Il y avait chaque jour des morts, notamment parmi les enfants. Le rapport de Michel Rocard insiste particulièrement sur ce point :

« La situation sanitaire est généralement déplorable. Aucune statistique de mortalité n'est évidemment disponible. Toutefois, certaines constatations ont été faites. Dans un village où 900 enfants ont été recensés, il en meurt près d'un par jour (vallée de la Soummam). Un village de l'Ouarsenis rassemble 1100 personnes, dont près de 600 enfants. Il en est mort un (de deux ans) au passage précis de l'enquêteur : l'officier SAS argua que c'était le troisième en quatre jours. »

Quand il en vient à l'examen de la diminution des ressources du fait du regroupement, la situation sanitaire en étant la conséquence directe, Michel Rocard est attentif à l'humiliation que constitue pour un chef de famille le fait d'être mis dans l'incapacité de nourrir les siens : « Atteints dans leurs revenus, les fellahs le sont aussi dans leur dignité ; ils sont placés vis-à-vis du commandement et du chef de SAS dans un état de dépendance totale. » L'assistance alimentaire, de toute manière largement insuffisante, à laquelle ces personnes étaient réduites n'avait rien d'officiel. Elle dépendait « de la bonne volonté d'un fonctionnaire ou d'un officier » et pouvait cesser du jour au lendemain, tout comme l'assistance vestimentaire, sociale ou médicale.

À cette misère générée par les camps de regroupement, il faut ajouter celle des ruraux qui, fuyant la guerre, étaient venus se réfugier en ville et logeaient pour la plupart dans des bidonvilles que les tardives constructions de cités plus ou moins radieuses ne suffisaient pas à résorber. Enfermement de presque la moitié de ses habitants, destruction d'une organisation familiale et d'un tissu social, néantisation d'une économie fondée sur la connaissance du milieu naturel et l'observation des cycles climatiques… Comment ne pas penser que ce déracinement [8] a été lourd de conséquences dans l'Algérie indépendante ?

Anne Guérin-Castell
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Michel Rocard, Rapport sur les camps de regroupement et autres textes sur la guerre d'Algérie Paris, Mille et une nuits, 2003, 334 p.,16.60 euros. Edition critique établie sous la direction de Vincent Duclert et Pierre Encrevé, avec la collaboration de Claire Andrieu, Gilles Morin et Sylvie Thénault.

Michel Rocard, Rapport sur les camps de regroupement et autres textes sur la guerre d'Algérie 
Paris, Mille et une nuits, 2003, 334 p.,16.60 euros.
Edition critique établie sous la direction de Vincent Duclert et Pierre Encrevé, avec la collaboration de Claire Andrieu, Gilles Morin et Sylvie Thénault.

Révélations sur les “camps” de la guerre d'Algérie

par Tassadit Yacine,  Le Monde diplomatique, février 2004


Avec la publication de ce rapport s'ouvre le dossier brûlant des “camps” de regroupement de la guerre d'Algérie. Au moment où ce texte paraît dans les journaux, en 1959, en raison d'une fuite, il produit un grand choc. Car c'est la première fois qu'une enquête sur les regroupés voit le jour, et c'est de surcroît le fait d'un membre du Parti socialiste SFIO, de la minorité certes, qui s'appelle Michel Rocard. Ce jeune énarque, ancien militant aux Jeunesses socialistes, ne prend pas de gants lorsqu'il s'agit de rendre compte d'une politique inhumaine à l'encontre de civils, complètement ignorée par l'opinion publique, par les autorités politiques.

Fait d'une politique arbitraire de la seule armée, le regroupement affecte les paysans les plus démunis, et parmi eux des femmes et des enfants sous-alimentés, dont le nombre s'élève à plus d'un million de personnes, puisque les “parqués” sont, par définition, privés de tout moyen de production : “La situation alimentaire est donc préoccupante dans la quasi-totalité des centres de regroupement. Des moyens d'existence doivent être à tout prix fournis à ces populations pour éviter que l'expérience ne se termine en catastrophe.”

Destiné à alerter les responsables politiques sur ce “génocide” qui ne dit pas son nom, ce rapport situe le problème à un niveau autre que celui du conflit armée française/FLN, et pointe la responsabilité de la France face à la question des droits de l'homme jusque-là bafoués, car la répression et la torture sont dénoncées de façon claire. La radicalité politique de ce texte est manifeste, ce qui est alors franchement inattendu à la SFIO, “même dans la minorité”, dans la mesure où Michel Rocard est de ceux qui ont réellement revendiqué l'indépendance de l'Algérie dès 1954.

C'est en sens que l'on peut dire que ce rapport est révolutionnaire, car non seulement il décrit la situation désastreuse d'une population civile déracinée, humiliée (le nombre de ces déshérités s'est élevé jusqu'à deux millions vers la fin de la guerre), mais il attire l'attention des pouvoirs publics et de la communauté internationale sur la menace quotidienne qui pèse surtout sur les enfants, victimes de malnutrition, de manque d'hygiène et de soins : il en mourait plus de 500 par jour.

Modèle de courage politique et d'intégrité, le livre de Michel Rocard est d'un apport essentiel à la connaissance de la guerre d'Algérie telle qu'elle a été vécue par les populations les plus démunies, mais aussi à l'histoire d'une formation politique comme le PS. Rocard nous montre comment ce petit nombre appelé “la minorité” au sein même de la SFIO s'oppose à la politique de son premier secrétaire, devenu, en février 1956, président du conseil des ministres, et qui va, paradoxalement, faire la pire des politiques en embrassant la cause des ultras. On peut, dès lors, comprendre comment une probité intellectuelle et un courage politique sans nuance, qui ont de tout temps caractérisé la pensée et l'action de Rocard, peuvent effacer les meurtrissures des victimes de cette guerre et aider à renouer avec les politiques intègres d'une certaine gauche, vraiment de gauche, pour pasticher Bourdieu. La lecture de ce rapport y a largement contribué.

Tassadit Yacine
Directrice de la revue Awal, cahiers d'études berbères


P.-S.

Cette page initialement publiée le 17 juillet 2004, ne comportait alors que le compte-rendu par Tassadit Yacine du rapport de Michel Rocard. Elle a été reprise et complétée le 13 août 2012.

Notes

[1] Dans un entretien de 2002 publié en même temps que son rapport de 1959 (Rapport sur les camps de regroupements et autres textes sur la guerre d'Algérie, édition critique sous la direction de Vincent Duclert et Pierre Encrevé, Paris, Mille et une nuits, 2003), Michel Rocard revient sur les conditions dans lesquelles il a pu mener son enquête et les circonstances de cette fuite dont il fut à l'époque, à tort, soupçonné d'être l'auteur. Les citations non explicitement référencées de l'article, y compris dans les notes, proviennent de cet ouvrage, le titre de l'article étant directement emprunté à cet entretien (p. 183).

Dès février 1958, El Moudjahid avait dénoncé l'existence de ces camps. Mais peu de Français lisaient ce journal et l'information n'avait eu que de rares et maigres échos.

[2] Créées par Jacques Soustelle en 1955, les SAS (sections administratives spécialisées) étaient placées sous l'autorité du général Parlange. Il y en eut environ 700. Dirigées par un officier, elles avaient pour fonction officielle d'agir auprès de la population rurale sur le plan social, médical et éducatif, jouant ainsi un rôle important dans le volet psychologique de la guerre (la pacification). Cette couverture « humanitaire » était doublée d'une activité plus directement liée à la guerre : le renseignement.

[3] Cette doctrine, venue de l'observation par les officiers de l'armée française des méthodes de leurs adversaires vietnamiens, prend à revers le concept maoïste : puisque le « rebelle » vit dans la population comme un poisson dans l'eau, il suffit de retirer l'eau pour faire mourir le poisson.

[4] Pour Sylvie Thénault : « Le regroupement est un phénomène complexe à appréhender : né d'initiatives militaires locales, il s'est transformé au fil des années, et a échappé à toute enquête officielle, longue et approfondie.

Le choix sémantique consistant à parler de "centre" ou de "village", en outre, traduit une gêne certaine à utiliser le mot "camp", qui favoriserait un amalgame abusif avec les camps de concentration nazis. »

[5] Cf. Les camps de regroupement de la guerre d'Algérie, préface de Germaine Tillion, Paris, L'Harmattan, 2008 (première édition, Les Éditions ouvrières, 1967).

[6] Ses recherches en Algérie l'ont mis en présence de documents datant de l'époque de Jacques Soustelle et des années 61 et 62. Elles lui valurent d'être expulsé du jour au lendemain de l'Algérie indépendante (durant l'été 1965).

[7] Voir à ce sujet Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans l'Algérie coloniale, camps, internements, assignations à résidence, Paris, Odile Jacob, 2012.

[8] Cf. Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le déracinement, La crise de l'agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1964.

Source : LDH Toulon, Anne Guérin-Castell, 13-08-2012

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Issu d’une vidéo Youtube mise en ligne avec le commentaire excessif d’un Algérien, je n’ai pas eu le temps d’en changer le titre – mais la vidéo n’a pas ce ton…

Source : Youtube, 23-06-2007

Source : Youtube, 23-06-2007

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Les camps de regroupement en Algérie

Source : Le Grand Soir, Bernard Gensane, 21-03-2009

Bernard GENSANE

Je voudrais évoquer ici un problème qui n'a jamais suscité un vrai débat de fond en France, ni même en Algérie : les camps de regroupement pendant la guerre coloniale. Je m'aiderai de deux ouvrages : Le Déracinement, publié en 1964 par Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, et surtout Les Camps de regroupements de la guerre d'Algérie (Éditions ouvrières, préface de Germaine Tillon) de Michel Cornaton, sociologue, psychologue social et soldat, à son corps défendant bien sûr, en Algérie.

Les chiffres, effarants, parlent d'eux-mêmes. Il y eut près de 2000 centres de regroupement et, selon les estimations, entre 1600000 et 2500000 regroupés, soit 15 à 25% de la population, plus d'un rural sur trois. Dans la France d'aujourd'hui, cela signifierait entre 10 et 16 millions de personnes ! Sans parler du million d'Algériens qui se sont réfugiés en Tunisie et au Maroc. Ce regroupement a bouleversé la société rurale algérienne de manière irréversible.

Par delà les justifications moralisatrices et culturelles (la « mission civilisatrice », le « fardeau de l'homme blanc »), en Algérie ou ailleurs, la colonisation, qu'elle ait été de peuplement ou non, c'était bien : « ôte-toi de là que je m'y mette », ce que, dans les années trente, Orwell avait qualifié de ” racket ” . Comme il n'y avait pas de place pour tout le monde sous le beau soleil africain (ou indochinois ou autre), il fut décidé de pousser les indigènes pour prendre leur place, de les obliger à se resserrer, à occuper les cases noires de l'échiquier (les mauvaises terres) pour que les Européens occupent les blanches. En 1860, un officier avait froidement planifié le bouleversement nécessaire : « Nul doute, dans un siècle, l'élément indigène se sera transformé, et le but de la France sera atteint ; ou s'il est resté réfractaire, les transactions aidant, la case blanche aura absorbé la noire. Dans ce cas, aux yeux des nations, comme devant notre conscience, nous aurons agi avec équité, et nous pourrons dire : si l'élément indigène a disparu, c'est qu'il avait à disparaître. »

Michel Cornaton définit le regroupement comme « un déplacement effectué en masse, aboutissant à la création d'un nouveau centre, situé la plupart du temps à proximité de la zone évacuée. » En temps de guerre, de « pacification », le regroupement a, bien sûr, une fonction stratégique : Si le rebelle vit dans la population comme un poisson dans l'eau, on retire l'eau et le poisson meurt. On regroupera pour contrôler la population des mechtas éparses et le fellagha finira par déposer les armes. Dans le déni de son propre réel, la colonisation va se retrancher derrière un principe de précaution, quasiment humanitaire : comme il n'y avait pas de ” guerre ” en Algérie, il fallait libérer la population de la terreur des rebelles, la protéger efficacement, l'administrer, améliorer ses conditions de vie.

A partir de 1959, les regroupements définitifs, construits en dur, deviennent de nouveaux villages. Les populations sont durablement déracinées, la métropole ordonne une politique de terre brûlée.

Les procédés de regroupement sont divers. On installe parfois la population dans des bâtiments réquisitionnés. Dans tel village, 600 femmes et enfants vont se serrer à l'intérieur d'un grenier à un étage, dans des conditions concentrationnaires. Le plus souvent, après une opération militaire, la population est parquée en un endroit que l'on flanque d'un mirador et que l'on entoure de barbelés. Les regroupés couchent sous la tente ou, tout simplement, à la belle étoile. On construit aussi des gourbis en roseaux. Tout se passe, explique Cornaton, « comme si le colonisateur retrouve d'instinct la loi ethnologique qui veut que la réorganisation de l'habitat, projection symbolique des structures les plus fondamentales de la culture, entraîne une transformation généralisée du système culturel. » Lévi-Strauss avait, en son temps, observé que les Bororos s'étaient convertis au christianisme après qu'on eut transformé leur habitat. En 1964, Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad étudient, dans Le Déracinement, la brutalité des déplacements de population et le bouleversement de la pensée paysanne subséquente. Ils forgent le concept de paysans ” dépaysannés ” . Le plus souvent montagnards, les regroupés se sont retrouvés transplantés dans une plaine de piedmont. Le regroupement a accéléré le mouvement de dépaysannisation, là où l'agriculture traditionnelle déclinait, et il a amorcé ce mouvement dans les régions où l'agriculture traditionnelle se maintenait. D'où la tentation, l'obligation de l'émigration, synonyme de fuite de la terre et de l'agriculture alors qu'elle avait été précédemment l'occasion de l'acquisition de nouvelles terres.

Si tous les regroupés ne souffrent pas de la même déchéance matérielle, ils souffrent de la même misère morale. Ils ne peuvent plus se procurer le mouton rituel, ni pour l'enterrement, ni pour les fêtes de famille. Ils ne sont plus maîtres de leur personne, de leur temps. Ils construisent, en toute conscience, avec leurs mains, leur propre prison.

Le regroupement des populations nomades commence dès 1957. Ceux qui s'y opposent peuvent être fusillés et enterrés dans des fosses communes. Alors que le regroupement des agriculteurs sédentaires ne change pas fondamentalement leurs conditions matérielles, le regroupement des nomades les conduit infailliblement à la ruine. On pense qu'ils ont perdu jusqu'à 90% de leurs troupeaux.

Après l'Indépendance, les autorités algériennes nient le problème.
En détruisant la société rurale, le regroupement a détruit les traditions communautaires qui furent dès lors remplacées par le salariat. Pour Bourdieu et Sayad, « en les privant des assurances et des sécurités que leur fournissait l'ordre économique et social d'autrefois, en les abandonnant à l'oisiveté et aux occupations de fortune, en les dépossédant entièrement de la responsabilité de leur propre destin, en les plaçant dans une situation d'assistés, on transforme les paysans en sous-prolétaires qui perdent le souvenir des anciens idéaux d'honneur et de dignité. »

Les regroupements de population ne sont pas un simple épisode de la guerre d'Algérie, même s'il s'est d'abord agi de couper l'ALN et le FLN de ses bases.
Selon Cornaton, le travail de deuil ne s'est jamais accompli, ce qui a fait du pays, pour toutes ces populations, un non-lieu.

Avec ce processus bien souvent inhumain, la France coloniale a fait subir à ce pays une forme de barbarie au nom d'une civilisation ” universaliste ” qu'elle prétendait apporter.

Source : Le Grand Soir, Bernard Gensane, 21-03-2009

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Bonus : Les viols pendant la guerre d’Algérie. Attention scènes choquantes

Source : Youtube, 14-12-2014

Une Histoire algérienne, précédemment cité, avec Michel Rocard :

Des liens pour aller plus loin: 

Salaire des patrons : l’appel des 40 au CAC 40

Salaire des patrons : l'appel des 40 au CAC 40

Excellent appel, auquel je m’associe totalement.

Je rappelle la vieille série PDG de 2011 à lire ici, une des premières réalisées sur le blog.

Et pour une fois, cet appel est intelligent, les auteurs n’ont pas cherché à mettre une limite à 20 ou 12 SMIC (c’est comme ça qu’une votation en Suisse a été bêtement perdue).

Le niveau est secondaire. Le 1er combat est de passer de “pas de limite” à “une limite”, même 150 ou 200 SMIC.

Plus c’est haut, mieux c’est, car il y aura de moins en moins d’opposants.

Quand ce sera en place et qu’un aura vu que tout s’est bien passé, on pourra discuter de passer à 90 ou 80, etc.

À mon avis, 1 million d’euros est une bonne limite.

Enfin, rappelons que pour moi, cela s’applique uniquement aux dirigeants salariés des grandes entreprises, pas aux autres professions – avocats, footballeurs, stars, là c’est à l’impôt de corriger.

Source : Libération19/05/2016

Appel des 40

Appel des 40

A l’initiative de «Libération», quarante personnalités demandent au gouvernement de légiférer pour qu’un patron ne perçoive pas plus de 100 Smic.

Parce que nous vivons une période ­inédite dans l'histoire du capitalisme contemporain. Alors que, dans les ­années 60, les rémunérations des PDG ­représentaient 40 fois le salaire moyen ­pratiqué dans les plus grandes entreprises améri­caines, cet écart a explosé pour at­teindre aujourd'hui plus de 200 au sein de ces dernières et 120 dans les sociétés ­françaises.

Parce que le gouvernement a fait en 2013 le pari de l'autorégulation et que celui-ci a échoué. Rien qu'en 2015, la rémunération ­totale des patrons du CAC 40 a augmenté ­entre 5 % et 11 % selon les évaluations, pour atteindre un montant moyen de 4,2 millions d'euros par an, soit 240 Smic.

Parce que le principal argument patronal pour justifier de telles pratiques – celui d'un marché mondial des très hauts dirigeants qui nécessiterait un alignement des salaires par le haut – n'est corroboré par aucune étude économique sérieuse et aucune réalité ­concrète.

Parce que plusieurs institutions internationales, comme l'OCDE et le FMI, s'alarment depuis plusieurs années du poids croissant des inégalités et de leurs conséquences négatives sur le potentiel de croissance de nos économies occidentales.

Parce qu'en se comportant de la sorte, notre élite économique entretient un sentiment de chacun pour soi délétère. Alors que la majorité des Français a dû consentir de gros efforts depuis la crise de 2008, ces pra­tiques patronales remettent en question ­notre pacte de solidarité, nourrissent la ­défiance vis-à-vis de nos institutions et ­alimentent le vote d'extrême droite.

Pour toutes ces ­raisons, nous demandons au gouvernement de légiférer pour que ­désormais, en France, un patron ne puisse pas être rémunéré plus de 100 Smic, soit 1,75 million d'euros par an.

On nous objectera qu'une telle loi est dif­ficile en France, car elle pourrait se heurter à une censure du Conseil constitu­tionnel.

On répondra que le gouvernement peut trouver les moyens de rendre compatible cette ­exigence d'un salaire plafond avec ­notre ­Constitution.

On nous objectera que la France sera alors le seul pays au monde à inscrire dans la loi un tel plafond.

On répondra que ce sera un motif de fierté nationale.

On nous objectera qu'à cause de cette loi, les investisseurs étrangers vont être découragés d'investir en France.

On répondra que ces derniers profiteront d'un vivier de dirigeants «bon marché».

On nous objectera que 100 Smic, c'est bien trop.

On répondra que c'est un début et que si cette loi est votée, elle obligera la quasi-totalité des patrons du CAC 40 (et donc une très grande partie de leur comité exécutif) à baisser leur rémunération d'au moins 58 %.

 Retrouvez et signez la pétition sur change.org

Et vous pouvez aussi interpeller votre parlementaire sur le sujet.

Les 40 premiers signataires:

Christophe Alévêque, humoriste et patron de PME
Claude Bartolone, président PS de l'Assemblée nationale
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT
Karine Berger, députée PS
Luc Bérille, secrétaire général de l’Unsa
Philippe Besson, écrivain
Jean-Marc Borello, président de Groupe SOS
Christophe Borgel, député PS
Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS
Patrick Chamoiseau, écrivain
Daniel Cohn-Bendit, cofondateur d'EE-LV
Carole Couvert, présidente de la CFE-CGC
Didier Daeninckx, écrivain
Cécile Duflot, députée EE-LV
Irène Frachon, pneumologue
Jean-Paul Fitoussi, économiste
Marcel Gauchet, historien
Raphaël Glucksman, écrivain et réalisateur
Benoît Hamon, député PS
Anne Hidalgo, maire PS de Paris
Nicolas Hulot, militant écologiste
Thierry Kuhn, président d’Emmaüs France
Pierre Larrouturou, coprésident de Nouvelle donne
Jean Lassalle, député centriste non inscrit
Claude Lévêque, artiste plasticien
Philippe Louis, président de la CFTC
Edouard Martin, eurodéputé PS
William Martinet, Unef
Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT
Dominique Méda, sociologue
Arnaud Montebourg, entrepreneur et ancien ministre de l'Economie
Serge Papin, PDG de Systeme U
Thomas Piketty, économiste
Eric Rheinardt, écrivain
Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du monde
Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point
Jean Rouaud, écrivain
Dominique Rousseau, professeur de droit public
Pierre Rosanvallon, historien
Henri Sterdinyak, cofondateur des économistes Atterrés
Michel Wieviorka, sociologue

 Pour nous écrire à propos de cette pétition ou proposer une contribution sur le sujet, écrivez à appel [at] libe.fr

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LIBERATION

Source : Libération19/05/2016

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Salaires des grands patrons : l’État dispose de leviers d’action pour les limiter

Source : Le Nouvel Obs, Philippe Villemus, 20-05-2016

LE PLUS. Faut-il limiter la rémunération des grands patrons ? Oui, répondent 40 personnalités dans “Libération”. “Nous demandons au gouvernement de légiférer pour que, désormais, un patron ne puisse pas être rémunéré plus de 100 Smic”, écrivent-ils. Une telle limite est-elle pertinente et possible ? Éclairage de Philippe Villemus, auteur de “Le patron, le football et le smicard”.

Édité par Sébastien Billard

Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, au salon de l'auto de Pékin, le 29 avril 2016 (F. DUFOUR/AFP).

Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, au salon de l’auto de Pékin, le 29 avril 2016 (F. DUFOUR/AFP).

La question de la rémunération des grands patrons est récurrente. Et pour cause : depuis le début des années 1990, celles-ci se sont envolées. À tel point que les patrons français sont aujourd'hui sans conteste les mieux payés du monde après les Américains…

Non seulement ces rémunérations ont augmenté à un rythme sans commune mesure avec l'évolution de la rémunération moyenne des Français, mais en plus, la situation s'aggrave encore, les écarts se creusent plus que jamais, et ce en dépit des polémiques.

Une singularité française

En matière de rémunération, il faut savoir qu'il existe bel et bien une singularité française. Si les rémunérations de “nos” patrons sont si élevées, c'est d'abord parce que cette élite est dans notre pays bien plus petite que dans d'autres.

On parle ici d'une élite d'à peu près 200 personnes, dont une bonne moitié est issue des grands corps d'État. Ils ont souvent été dans les mêmes lycées, fait les mêmes prépas, les mêmes écoles, travaillé dans les mêmes cabinets ministériels.

De par la structure du capitalisme à la française, il y a des relations très incestueuses entre ces individus, et une grande porosité entre Bercy et les conseils d'administration des grands groupes français. Conséquence : nos patrons sont des cumulards. Ils cumulent les mandats dans les conseils d'administration, et un système de renvoi d'ascenseur existe.

En France, les grands patrons sont pour la plupart d'anciens hauts fonctionnaires, là où, aux États-Unis, on note plus de concurrence, de diversité, de mouvement.

Le marché mondial des patrons ? Un mythe

Au regard de cette situation, limiter les rémunérations des grands patrons me semble à la fois souhaitable et possible.

Ceux qui refusent toute modération se cachent souvent derrière le mythe d'un marché international des PDG. Si on limite les rémunérations des patrons français, ces dernières iront travailler pour de grands groupes étrangers, disent-ils.

Ceci est pourtant un mythe dénué de toute réalité. C’est une farce inventée par l'establishment français pour justifier de gros salaires. Car à la différence du marché des footballeurs, ou du marché des cadres de haut niveau, il n'existe pas de marché mondial des patrons.

Aucun Français n'est à la tête d'une groupe du Dow Jones, aucun Français n'est à la tête d'un groupe du Nasdaq, aucun Français n'est à la tête d'un groupe du DAX. Tout juste trouve-t-on un demi PDG français au Nikkei si l'on compte Carlos Ghosn chez Nissan. Depuis 1986, date de création du CAC 40, aucun PDG français n'a même été débauché par un groupe étranger à un poste de PDG

Oui, l'État dispose de leviers d’action

L'existence d'un marché mondial des patrons étant une farce, on ne voit pas bien pourquoi l'État ne pourrait pas agir sur ce sujet. Il dispose d'ailleurs de plusieurs leviers pour le faire.

1. Augmenter la fiscalité

Si ce n'est pas à l'État de fixer le niveau des salaires dans des entreprises privées, il peut en revanche agir à travers le niveau d'imposition, en mettant en place une fiscalité dissuasive sur les très hauts salaires. Pourquoi, par exemple, ne pas imaginer un taux d'imposition de 80 ou 90% pour la part des salaires supérieures à 3 ou 5 millions d'euros ?

2. Intervenir dans les conseils d'administration

Dans les entreprises dans lesquelles il possède des participations, l'État peut aussi avoir son mot à dire dans les conseils d'administration et les comités de rémunération.

S'il ne le fait pas aujourd'hui, ou insuffisamment, c'est parce que les liens entre hauts fonctionnaires (et plus particulièrement Bercy) et grands patrons sont très forts en France, comme nous l'avons dit plus haut. Les rémunérations ne sont pas tant fonction de l'utilité ou du talent mais le résultat de l'arbitraire et de la cooptation.

3. Interdire les parachutes dorés

Derrière les rémunérations importantes des patrons français se cache un important “mille-feuille” dont le salaire n'est qu'une partie, parfois même “négligeable”. Parachutes dorés, retraites chapeau, bonus, actions s'ajoutent au salaire proprement dit. Ces dispositifs peuvent être interdits. Leur légitimité est d'autant plus posée qu'ils soulèvent un problème de responsabilité.

Les parachutes dorés, par exemple, ne sont pas autre chose qu'une incitation à l'échec. C'est bien la preuve que rémunération importante va rarement de pair avec responsabilité sociale. De même, les retraites chapeaux devraient être interdites : car pourquoi rémunérer la fonction quand on ne l’occupe plus au-delà des seuils normaux de retraite.

4. Mettre en place des contre-pouvoirs

Enfin, il est urgent de réformer la composition des conseils d'administration. Des administrateurs vraiment indépendants doivent y avoir une place et surtout, une plus grande transparence doit primer. Car le pouvoir absolu dont bénéficie les grands patrons français les a rendu jusqu'à maintenant absolument fous.

Propos recueillis par Sébastien Billard

Source : Libération19/05/2016

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Une raison de plus d’être pour :

salaires

Primo, j’attends de voir si le Conseil Constitutionnel oserait censurer ça, et sur quelle base (La déclaration de 1789 ? Ca aurait bien fait rire Danton ou Marat…).

S’il le fait, le référendum sera la bonne voie.

Il faudra en profiter pour changer la composition du Conseil Constitutionnel, qui prend de plus en plus de décisions politiques, pour qu’il ne soit plus composé que de hauts spécialistes de Droit Constitutionnel.

Secundo, Macron, ce n’est pas le ministre qui voulait plafonner… les dommages et intérêts alloués par les tribunaux en cas de licenciement ABUSIF ? Et qui pense donc qu'on ne peut pas limiter les salaires par la loi mais ne voit aucune anomalie à limiter les réparations accordées par les tribunaux à un montant inférieur au préjudice réellement subi ?

11-Septembre : le mystère saoudien, par Alain Frachon

11-Septembre : le mystère saoudien, par Alain Frachon

Suite de notre analyse de la couverture médiatique des 28 pages, suite à l’émission 60 Minutes du 10 avril 2016.

“Et le 25e jour, Le Monde s’éveilla…” (avec un bon article au demeurant, hélas bien isolé)

Source : Le Monde, Alain Frachon, 05-05-2016

le-monde

Le document est mince, 28 pages. Mais il pourrait bientôt déstabiliser l'une des relations les plus stratégiques du Moyen-Orient : l'alliance entre l'Arabie saoudite et les Etats-Unis. Ces pages reposent quelque part dans un sous-sol du Congrès, à Washington, au fond d'un coffre. On n'en connaît pas précisément le contenu, qui pourrait être rendu public dans quelques semaines. Et alourdir plus encore le climat déjà orageux entre Riyad et Washington.

Vieux ménage, la Maison Blanche et celle des Saoud sont en phase de désamour. Le mariage remonte à février 1945, quand Franklin Roosevelt et le roi Abdel Aziz Al-Saoud nouent une solide union « d'intérêts » : les Etats-Unis garantissent la sécurité du royaume, qui garantit leur approvisionnement pétrolier. Soixante-dix ans plus tard, rien ne va plus.

Par la grâce des schistes bitumineux, les Américains sont moins dépendants que jamais du pétrole du Golfe. Barack Obama adresse de langoureux clins d'œil à l'Iran – la puissance régionale rivale de l'Arabie saoudite. Riyad accuse : les Etats-Unis laissent la République islamique d'Iran étendre son influence sur le Moyen-Orient par l'intermédiaire de ses alliés arabes – régime de Bachar Al-Assad à Damas, Hezbollah libanais, pouvoir chiite à Bagdad, milices houthistes au Yémen.

Gros malaise malgré la venue d'Obama

La maison des Saoud se sent trahie. La dernière visite du président américain, fin avril à Riyad, n'a pas dissipé ce gros malaise. A vrai dire, il remonte à plus loin, bien avant le « traître » Obama. Il faut revenir à ce mercredi 12 septembre 2001, quand, au lendemain des attentats du « 9/11 », Washington annonce cette nouvelle : quinze des dix-neuf terroristes sont des Saoudiens. L'affaire des vingt-huit pages commence.

Peu après l'attaque la plus meurtrière jamais perpétrée sur le sol des Etats-Unis (près de 3 000 morts), le Congrès forme une commission d'enquête. Elle est chargée d'établir les responsabilités, intérieures et extérieures. Son rapport – 838 pages – est rendu public en juillet 2004. La commission confirme la « signature » d'Al-Qaida : l'organisation de Ben Laden, alors hébergée dans l'Afghanistan des talibans, est bien le maître d'œuvre des attentats. La commission absout l'Iran et l'Irak de toute responsabilité.
Mais l'Arabie saoudite ? Après tout, les quinze Saoudiens ont été biberonnés à la version saoudienne de l'islam. Dès la petite enfance, ils ont été nourris au wahhabisme : une école de haine de toutes les autres religions. Y a-t-il une responsabilité de Ryad ? La commission a conclu qu'il n'y avait « aucune preuve que le gouvernement saoudien, en tant qu'institution, ou que des responsables saoudiens de haut niveau, en tant qu'individus », aient financé ou appuyé l'attaque du 11 septembre 2001.
Soit. Et qu'en est-il d'une éventuelle responsabilité saoudienne de « bas niveau » ? On ne le saura pas. A la demande du président Bush, les 28 pages suivantes ont été censurées. Mais, aujourd'hui plus que jamais, les familles des victimes réclament la publication de ce chapitre. De son côté, le Congrès prépare une loi autorisant un citoyen américain à poursuivre en justice un gouvernement étranger. Fureur de Riyad, qui prend tout ça très mal. Prudent, Obama vient de faire savoir qu'il mettrait son veto à ce texte.
Un diplomate saoudien impliqué
Le 10 avril, l'émission phare de la chaîne CBS, « 60 minutes », a interrogé d'anciens membres de la commission d'enquête du Congrès qui, tous, bien sûr, connaissent le contenu des 28 pages. Ancien sénateur de Floride, Bob Graham était le vice-président de la commission. Il répond à Steve Kroft, l'un des journalistes de l'émission :
« Je pense qu'il est impensable de croire que dix-neuf personnes, qui pour la plupart ne parlaient pas anglais, n'avaient jamais été aux Etats-Unis avant et qui, pour beaucoup, n'avaient pas un niveau d'éducation élevé, ont pu mener une opération aussi compliquée [que les attaques du 11 septembre] sans disposer d'un minimum de soutien logistique aux Etats-Unis.
– Un soutien d'origine saoudienne ?
– Pour l'essentiel.
– Vous voulez dire des officiels, des gens riches, des fondations en Arabe saoudite ?
– Tout ça à la fois. »
A l'antenne, les autres témoignages recueillis par CBS vont dans le même sens. Tous pointent la possible implication d'un diplomate saoudien de bas niveau en poste à Los Angeles. Il aurait aidé les deux premiers terroristes arrivés aux Etats-Unis – Nawaf Al-Hazmi et Khalid Al-Mihdhar, des Saoudiens ne parlant qu'arabe, qui débarquent en Californie en janvier 2000. Il les aurait mis en contact avec d'autres Saoudiens – membres d'une cellule dormante d'Al-Qaida ? – qui leur procurèrent un logement dans la région de San Diego et les inscrivirent à des cours de pilotage (décollage seulement).
La fuite de la famille royale
L'émission « 60 minutes » corrobore une longue enquête publiée en août 2011 par le magazine Vanity Fair. Bob Graham y déclarait déjà sa conviction : « 9/11 n'a pas pu se produire sans l'existence d'une infrastructure de soutien préexistante aux Etats-Unis. » La non-publication des 28 pages aurait été décidée pour protéger la relation américano-saoudienne. Dans les jours qui ont suivi le 11-septembre, quelque 75 membres de la famille royale d'Arabie saoudite (et une vingtaine de membres de la famille Ben Laden) ont quitté les Etats-Unis.
Aujourd'hui, nombre d'élus réclament la déclassification des 28 pages. Certains officiels saoudiens ont dit qu'ils y seraient aussi favorables. Le président Obama ne serait pas contre. Il semble prêt à suivre l'avis du Congrès et celui des chefs des agences de renseignement. Ceux-là sont toujours réticents. Ils étudient la question. Ils ont promis une réponse pour juin. Le mystère des 28 pages pourrait être bientôt levé.
Alain Frachon
Journaliste au Monde

Source : Le Monde, Alain Frachon, 05-05-2016