mardi 10 mai 2016

La nouvelle abdication de la Grèce face à ses créanciers tortionnaires

La nouvelle abdication de la Grèce face à ses créanciers tortionnaires

Ce qui se passe en Grèce est absolument stupéfiant, même s'il était possible de l'anticiper. J'aurais préféré avoir tort et que le pays se libère du jougs financier, dont on voit bien, après six ans, qu'il ne fonctionne pas. Malheureusement, Tsipras poursuit et a fait voter un énième plan d'austérité, qui ne marchera pas.



Perseverare diabolicum est

Dimanche, le premier ministre qui avait fait campagne il y a plus d'un an pour mettre fin à l'austérité et la tutelle humiliante de son pays, a donc réussi à faire voter un nouveau plan d'austérité, après ceux passés l'an dernier. Sa majorité, qui craignait sans doute davantage de nouvelles élections que les contradictions avec ses promesses d'il y a 18 mois, a approuvé un nouveau plan d'austérité de l'ordre de 3% du PIB du pays. Les études du FMI montrent pourtant que cela va faire baisser le PIB du pays, et donc alourdir plus encore le poids de sa dette… Bien sûr, ce plan est plus équilibré, mais la grève générale indique bien qu'il va toucher presque tous les Grecs, notamment par la baisse du seuil d'exemption de l'impôt sur le revenu. L'idée est d'obtenir vite les sommes promises en 2015.

Derrière ces nouvelles exigences se trouve la volonté d'assurer un excédent primaire du budget de 3,5% du PIB (avant paiement des intérêts). Mais même si le FMI juge aujourd'hui que cet objectif n'est sans doute pas réaliste et semble ouvrir la porte à une renégociation de la dette Grecque, les pays européens n'y sont pas tout à fait prêts. En effet, comment espérer que le pays retrouve la croissance en prélevant tous les ans 3,5% du PIB de plus qu'il ne dépense ? Le pays risque de s'enfermer dans une récession dont le seul résultat sera de rendre la dette plus insoutenable encore. Dans cette construction totalement folle qu'est la monnaie unique, il est délicat pour les créanciers d'accorder une remise à Athènes. Mais si elle avait gardé sa monnaie, une relance à la Japonaise serait possible.

Mais s'il est possible de comprendre le point de vue de l'Eurogroupe, à savoir qu'une décote accordée à la Grèce pourrait alors provoquer des demandes, plus importantes, de l'Espagne ou de l'Italie, la question qui se pose depuis 6 ans, c'est de comprendre pourquoi les Grecs persévèrent eux aussi dans l'erreur, erreur difficilement contestable aujourd'hui après 6 années de plans inconclusifs et un risque de défaut toujours présent. Malheureusement, comme je l'avais pressenti dès 2010, il est très difficile pour la Grèce de dire « non » à la main qui l'a tellement aidé pendant trente ans, surtout étant donnée l'évolution de la Turquie. C'est sans doute aussi une conséquence de la complexité institutionnelle de l'UE, qui pousse ainsi nos dirigeants européens à prendre de si mauvaises décisions.

Derrière la routine apparente de ces plans qui passent aux forceps malgré l'opposition de la population, il ne faut pas oublier les souffrances colossales du peuple Grec depuis six ans, que ce nouveau plan ne corrigera pas, mais aggravera plus encore. Mais quelle folie s'est emparée des hommes qui nous dirigent pour mener de telles politiques, dont l'échec est pourtant aussi patent ? 

Dix questions pour tout comprendre de l’impact des taux négatifs sur les banques

Dix questions pour tout comprendre de l'impact des taux négatifs sur les banques

Un autre impact des taux négatifs qui est « survolé » dans cet article, c'est qu'en toute logique vous allez devoir rémunérer la banque en fonction du montant qui se trouve sur vos comptes… Comme en Suisse

Rappelez-vous : Pile tu pers, face je gagne....

f.

Dix questions pour tout comprendre de l'impact des taux négatifs sur les banques

Les taux bas et négatifs font plonger les géants de la finance dans une ère nouvelle et les oblige à transformer leur modèle.

Qu'est-ce qu'un taux ?

Il n'existe pas un, mais bien plusieurs taux d'intérêt. Celui qui donne le ton, le taux directeur, est le loyer de l'argent fixé par la banque centrale. Et le principal taux directeur est le taux auquel les banques se refinancent auprès de l'institution. C'est lui qui oriente la fixation des taux du marché interbancaire (entre banques) et celui des prêts accordés par les établissements de crédit aux clients particuliers et entreprises. Pour encourager le crédit et donc stimuler l'inflation, la banque centrale réduit son taux. On différencie par ailleurs le taux nominal – taux facial affiché dans un contrat ou une transaction – du taux réel. Ce dernier n'est autre que le taux nominal défalqué de l'inflation.

Pourquoi les taux sont-ils si bas  ?

La BCE cherche à réduire le coût du crédit et à réveiller l'inflation en inondant les banques de liquidités. Dès le déclenchement de la crise financière, la BCE agit énergiquement, ramenant son taux directeur de 4,25 % en octobre 2008 à 1 % en mai 2009, puis à 0 % en mars dernier. Autre décision radicale de la BCE : pénaliser les excédents de liquidités bancaires (voir question suivante). Le taux de dépôt au jour le jour a ainsi été diminué à sept reprises depuis 2011. Mais, pour renforcer son action, Mario Draghi, le président de la BCE, a aussi agi de façon plus indirecte, en dégainant en mars 2015 son fameux QE (pour « quantitative easing » ou assouplissement quantitatif). Le principe ? Racheter aux banques chaque mois pour 80 milliards d'euros de dettes de bonne qualité (emprunts d'Etat et d'entreprise considérés comme sûrs). Résultat  ? Les taux d'emprunt des Etats ont plongé, offrant un ballon d'oxygène aux finances publiques et mettant à disposition des banques de nouvelles liquidités. L'ensemble des emprunteurs, publics et privés, ont vu plonger les taux de crédit. Cerise sur le gâteau, la BCE accorde des prêts spéciaux aux banques (TLTRO), dont certains seront même octroyés à taux négatifs. Dans certains cas, la BCE les paiera donc pour emprunter.

Comment un taux peut-il être négatif pour un client  ?

Là encore, le rôle de la BCE est déterminant. En inondant les banques de liquidités, Francfort a fait plonger en dessous de zéro l'Euribor (jusqu'à douze mois), c'est-à-dire le taux auquel les banques se prêtent entre elles. Cela a permis à certains emprunteurs – au Danemark et en Belgique – qui avaient souscrit un crédit immobilier à taux variable (indexé sur l'Euribor) de voir leurs taux passer en territoire négatif. Dans ce cas de figure, c'est bien leur banque qui leur doit des intérêts et non l'inverse  ! Mais ces cas restent pour l'heure rares. «  Dans l'économie réelle, pour les emprunteurs particuliers et les entreprises moyennes, les taux ne sont pas négatifs, ils sont bas à moyen-long terme », tranche un grand patron de banque française.

Mais la BCE a aussi suscité le débat en abaissant en dessous de zéro son taux de dépôt appliqué aux liquidités que les établissements bancaires déposent auprès de la banque centrale. Le taux est devenu négatif en juin 2014 (–0,1 %), puis très négatif en mars dernier (–0,4 %). Pour les banques, il n'y a que deux portes de sortie pour éviter cette taxation : limiter leurs dépôts en prêtant toujours plus. Ou alors parvenir à leur tour à appliquer un taux négatif à leurs plus gros déposants. Une manœuvre forcément délicate sur le plan commercial.

Pourquoi la marge des banques est-elle attaquée  ?

Dans un contexte ordinaire – comprenez si le QE n'existait pas –, il existerait une forte différence de taux entre les prêts accordés sur une durée courte (considérés comme moins risqués) et ceux accordés sur des durées longues (par exemple, sur une dizaine d'années, comme un crédit immobilier), a priori plus risqués et donc plus chers. C'est en jouant sur cet écart entre le court et le long – la pente des taux – que les banques réalisent leurs marges  : elles transforment des ressources de court terme (et bon marché) en crédits de long terme accordés à un niveau de taux plus élevé. Mais cette courbe s'est « aplatie ». Le bazooka monétaire de Mario Draghi a été si efficace que l'écart de taux entre les prêts courts et longs s'est fortement resserré. Une bonne nouvelle pour les emprunteurs, mais un casse-tête pour les banquiers.

Quels sont les effets négatifs des taux très bas sur les banques­  ?

Le contexte de taux touche les banques dans leur métier cœur : le crédit. D'un côté, la marge nette d'intérêt est mise à mal en raison de l'aplatissement de la courbe des taux (question 4). De l'autre, les emprunteurs ont massivement renégocié leurs prêts ces dernières années, ce qui va à terme éroder le rendement moyen des encours, c'est-à-dire les intérêts produits par l'ensemble des prêts. L'atrophie des rendements sur l'ensemble des marchés met par ailleurs le modèle d'affaires des sociétés de gestion à rude épreuve. Pour conserver les mêmes niveaux de performance que par le passé, celles-ci sont obligées d'investir dans des actifs toujours plus risqués et d'échéance toujours plus éloignée. Les emprunts d'Etat pouvant désormais difficilement être considérés comme des actifs sans risque, elles ont également dû revoir le rôle des titres souverains dans la construction de leurs portefeuilles. Les performances délivrées aux investisseurs étant orientées à la baisse, les « asset managers » sont également contraints de reconsidérer leurs frais de gestion. Les filiales d'assurance-vie sont quant à elles en première ligne. Il devient en effet de moins en moins rentable de vendre de l'assurance-vie en euros, offrant la garantie du capital et, pour ce faire, investie essentiellement en obligations. Pour toutes ces raisons, la BCE commence à s'inquiéter d'un problème de rentabilité des banques. « Les grandes banques diversifiées sur plusieurs métiers et plusieurs géographies vont limiter les pertes de revenus et les risques, mais les banques de dépôt toutes simples, qui font du crédit immobilier et financent les PME, risquent de calancher les unes après les autres », analyse un grand banquier français.

Les taux bas sont-ils là pour longtemps  ?

Tous les spécialistes en conviennent  : les taux ne sont donc pas près de remonter . « Pour une remontée des taux longs, il faudrait soit une remontée de la croissance potentielle, soit une hausse de l'inflation [...], soit un important recours aux déficits budgétaires, soit un krach obligataire, soit une combinaison de ces facteurs », relève un rapport d'Amundi. En ce qui concerne la croissance, les moteurs traditionnels sont aujourd'hui trop peu puissants, au point que se développe la thèse d'une « stagnation séculaire ». Un changement rapide en matière d'inflation et de politique monétaire n'est pas plus probable. A la BCE, on est d'ailleurs loin de crier victoire sur le terrain de l'inflation, qui a peu de chances de redevenir positive avant l'automne. « Et, ensuite, il y a un risque de voir l'inflation se fixer autour de 1 %, ce qui justifiera de maintenir une politique accommodante », commente un proche de l'institution.

Quels sont les effets d'aubaine pour l'industrie bancaire  ?

Les banques pourraient potentiellement réaliser de jolies plus-values sur les obligations souveraines présentes à leur portefeuille, en les cédant à la BCE. Pour quelle raison  ? Les banques sont généralement gorgées d'emprunt d'Etat, avec une forte appétence pour la dette de leur pays d'origine. Or, si les Etats les plus sûrs de la zone euro (Allemagne, France…) s'endettent à très bon compte actuellement, cela n'a pas toujours été le cas. Par exemple, pour un emprunt à 10 ans souscrit en 2011, la France devait consentir un taux d'environ 3,5 %, un niveau de rendement très recherché aujourd'hui, qui renforce mécaniquement la valeur de ce titre. Depuis le début du QE (entre mars et décembre 2015) les banques de la zone euro auraient ainsi cédé pour 283 milliards d'euros nets d'obligations de long terme. Autre effet positif  : les taux très bas solvabilisent les emprunteurs, si bien que les banques profitent d'une véritable chute de leur coût du risque. Concrètement, elles réduisent les provisions sur les risques de non-remboursement de crédits. Cet effet puissant a permis à BNP Paribas et à Société Générale d'afficher des bénéfices en hausse au premier trimestre 2016.

Quelles ­conséquences ­sociales  ?

Pour faire face à l'érosion de leur marge structurelle provoquée par l'aplatissement de la courbe des taux, les banques françaises multiplient des plans d'économies. « Il faut s'attendre à ce que les banques réduisent leur nombre d'agences, indique le sous-gouverneur de la Banque de France, Robert Ophèle, dans une contribution pour l'Institut Messine sur les taux négatifs. Beaucoup d'emplois dans le secteur bancaire pourraient à terme être menacés, dans un secteur qui représente aujourd'hui tout de même près de 400.000 emplois directs en France. »

Comment les taux bas poussent les banques à faire évoluer leurs modèles  ?

Pour faire face, les banques doivent faire évoluer leur modèle commercial, en privilégiant les revenus de commissions (facturation d'un service) sur les revenus d'intérêts, fortement sous pression. Toutes y travaillent, notamment en remodelant leur grille tarifaire. Ce n'est pas un hasard si les grandes banques commerciales ont décidé de facturer la tenue de compte en 2016, à raison de plusieurs dizaines d'euros par an et par client. Pour les banques en ligne, fondées sur un modèle de rémunération exclusivement lié à la transformation d'épargne bancaire, le choc est encore plus rude. Si bien qu'ING Direct s'est mis à facturer certains comptes bancaires. Au-delà de l'arme tarifaire, les banques doivent faire preuve de créativité en inventant de nouveaux services pour leurs clients, sources de nouveaux revenus. Leurs filiales d'assurance-vie doivent elles aussi changer de paradigme, en réorientant davantage les épargnants vers les unités de compte (UC), des supports qui ne donnent pas la garantie du capital et qui reposent sur une partie d'actions. La vente d'UC a connu un frémissement en 2015, mais se heurte toujours à l'aversion au risque de la majorité des épargnants.

Quels sont les risques d'une sortie de cette politique de taux bas  ?

Les banques françaises prêtent actuellement à des taux particulièrement faibles, ce qui n'est pas sans risque pour l'avenir. Le cas du crédit immobilier est emblématique : les banques prêtent actuellement sans peine à 1,81 % en moyenne. Mais, à force de conditions extrêmement favorables aux clients, le rendement moyen de l'encours (les intérêts produits par l'ensemble des prêts accordés par la banque) s'érode et les revenus de la banque diminuent dangereusement. Si à l'avenir les taux remontaient, les banques seraient prises en tenaille : côté dépenses, des ressources onéreuses. Côté recettes, un portefeuille de crédits très peu rémunérateur.

Pour les assureurs-vie, une remontée des taux d'intérêt n'aura pas du tout les mêmes conséquences selon qu'elle se fera en douceur ou brutalement. Pour ces grands détenteurs d'obligations, l'idéal serait une hausse progressive et sans trop de volatilité. Alors qu'ils doivent acheter en permanence de nouveaux titres pour remplacer les obligations arrivant à maturité, cela leur permettrait de réinvestir au fil de l'eau sans subir trop de pertes. A contrario, ils redoutent une remontée trop abrupte des taux. Cela pourrait inciter certains opérateurs à ouvrir de nouveaux fonds plus rémunérateurs et tourner au scénario catastrophe, si un nombre important de clients décidait de fermer leurs vieux contrats pour profiter de cette aubaine. Un tel cas de figure pourrait causer de sérieux problèmes de liquidité à certains assureurs.

 

Source(s) : Les Echos.fr via la Revue de presse de notre Contributeur anonyme

Informations complémentaires :

 

[28 pages] 6e vidéo : La CIA balance tout sur l’équipe Bush !

[28 pages] 6e vidéo : La CIA balance tout sur l'équipe Bush !

Suite de notre grande série sur les 28 pages – rappel :

I. La 6e Vidéo

Cette vidéo a demandé un énorme travail, et elle contient d’incroyables extraits très peu connus, pour la première fois accessibles en français…

Il est même fascinant de voir qu’à peine 15 ans après les faits, on a les types de la CIA qui déballent – sinon tout, ne soyons pas naïfs  – au moins des choses extrêmement lourdes…

Même vidéo – version alternative si souci :

II. Le script de la vidéo

Voici le script de la vidéo

« Vieille défense de l'administration Bush… » (source : YouTube)

De 31'31 à 32'16

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Georges W. Bush, peu après les attentats du 11-Septembre

« Dick Cheney, Vice-Président de George Bush durant huit ans, 15 février 2016 » (source : YouTube)

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Dick Cheney sur Fox News, le 15 février 2016

De 0'12 à 1'51

Présentateur : « Parlons de l'information du jour : nous avons un candidat à la présidence qui vous a attaqué, vous et les décisions prises par votre gouvernement ; vous avez entendu Donald Trump accuser le président Bush et son équipe de mensonge – “ils ont menti, ils ont dit qu’il y avait des armes de destruction massive, il n’y en avait pas, ils savaient qu’il y en avait pas”. Quelle est votre réponse ? »

Dick Cheney : « Pour moi, Brett, il parle comme un Démocrate de gauche. Il a tort de diffuser délibérément ces points de vue sur la question des armes de destruction massive, qui a été soigneusement étudiée par la Commission Silverman. Ils n'ont trouvé aucune preuve de ceci. Sur l'accusation que le Président n’a pas agi avant le 11/9 pour l'empêcher, nous n'avons eu aucune information concrète à propos de ça. Il n’y avait rien que nous aurions pu faire et nous n'avons eu aucune information qui suggérait qu’il y avait une menace générale.

Mais, par exemple, si vous regardez ce que nous avons fait à la suite de 11/9, nous avons en réalité gardé la nation en sécurité durant sept ans et demi. Le Président [Bush] a mis en place d'importants programmes : programme de surveillance du terrorisme [NdT : Espionnage…], des techniques d’interrogatoire renforcées [NdT : Torture…]. Toutes ces choses nous ont procuré l’information dont nous avions besoin pour agir. Et nous avons eu l’énorme soutien de l’armée américaine. Ils ont fait un travail superbe. »

De 5'00 à 5'21

Dick Cheney : « Nous avons très bien réussi en Irak, en particulier avec un pic en 2007-2008. Puis quand Barack Obama a été élu, il a retiré notre présence dans cette partie du monde et Daesh a émergé ensuite. Vous devez raconter toute l’histoire si vous voulez vous intéresser à ces événements, et, bien sûr, M. Trump ne le fait jamais. »

De 1'51 à 4'01

Dick Cheney : « Donc quand M. Trump suggère ceci, dans mon esprit, il est loin de la réalité. Il ne comprend clairement pas ou il n’a pas cherché à connaitre les faits à propos de cette période. »

Présentateur : « M. le Vice-Président, cela ne concerne pas que le débat de samedi soir, qui était clairement enflammé. Aujourd’hui, lors d’une conférence de presse, il a plusieurs fois mis en question le fait de savoir si le Président Bush et son gouvernement ont rendu le pays plus sûr ? Écoutez… »

Donald Trump : « Mais qu’est-ce que cela veut dire que [Bush] a rendu le pays sûr après le 11/9 ? Nous avons subi cette catastrophe majeure et après… Mais qu’est-ce que cela veut dire “après” ? Mais et “pendant” le 11 Septembre ? J’y étais, j’ai perdu beaucoup d’amis qui ont été tués dans les tours. La pire attaque jamais survenue dans ce pays l'a été au cours de sa présidence ! Alors nous avons eu la pire attaque de l'Histoire, mais alors, après nous avons bien agi ? C'est comme dire, bon, ok, l'équipe de foot a pris 19 buts en première mi-temps, mais après cela, nous avons bien joué. Je ne le pense pas. »

Présentateur : « C'est le principal candidat à l’investiture républicaine. »

Dick Cheney : « Ouais, c'est difficile à croire parfois, non ? Il est clair que si vous souhaitez enquêter pour tenter de trouver un moyen de blâmer quelqu’un pour ce qui est arrivé le 11/9, il faudrait en premier lieu s'occuper de l'échec du renseignement, du gouvernement précédent – je crois que Bill Clinton a même suggéré ou il a été suggéré qu’il a eu l’occasion de prendre Ben Laden avant le 11/9 ou qu'il n’a pas réussi à le faire. Dès que nous avons été frappés le 11/9 – et je connais un peu ce sujet, j'étais dans le bunker de la Maison Blanche toute la journée – je n'y ai pas vu Donald Trump, je ne l’ai jamais vu impliqué dans quoi que ce soit qui me porte à croire qu’il a une expérience de première main ou pratique à ce sujet.

Franchement, je trouve décevant qu’il se comporte de cette façon. Je n'ai soutenu aucun candidat, je n'ai aucun intérêt dans cette campagne, mais je pense qu’il se trompe en faisant campagne sur cette base. »


« En 2012, le New-York Times indiquait dans un article titré “La surdité avant la tempête” »

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« Les dirigeants néo-conservateurs qui avaient récemment pris le pouvoir au Pentagone ont averti la Maison Blanche que le C.I.A. avait été bernée ; selon cette théorie, Ben Laden faisait simplement semblant de planifier une attaque pour détourner l'attention de l’administration de Saddam Hussein, que les néo-conservateurs considéraient comme une plus grande menace. Les responsables du renseignement ont protesté que l’idée que Ben Laden, un fondamentaliste islamique, conspire avec Saddam Hussein, un laïc irakien, était ridicule, mais les soupçons des néo-conservateurs l'ont néanmoins emporté. »


« Michael Hayden, directeur de la CIA entre 2006 et 2009, 23 février 2016 » (source : YouTube)

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Michael Hayden sur MSNBC, le 23 février 2016

De 0 à 0'19

Michael Hayden : « Les renseignements avant le 11 Septembre étaient suffisamment bons pour que nous sachions que quelque chose allait arriver. George Tenet disait “Tous les voyants sont au rouge”. Nous le savions tous. Nous n'avions pas une vision suffisante pour savoir qu’ils allaient frapper ici. C’est un jeu d’hypothèses. Ils n'avaient jamais commis une telle attaque auparavant. Nous pensions seulement qu'ils s'en prendraient à des intérêts américains. »


« Press for truth » (source : YouTube)

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De 37'20 à 38'17
De 41'49 à 43'38


« Bob Kerrey, a été gouverneur puis sénateur du Nebraska de 1983 à 2001, puis membre de la Commission d'enquête sur le 11 Septembre »

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Bob Kerrey

De 45'36 à 46'16

Bob Kerrey : « Nous avons fait serment de ne pas en parler pendant la campagne [présidentielle de 2004], je pense à raison, afin que le rapport de la Commission reçoive une meilleure écoute de la part du Congrès. Maintenant, la campagne est terminée, alors ma promesse est révolue.

M. Le Président, vous saviez ce qu'ils faisaient aux États-Unis ! Vous avez été averti par la CIA. Vous saviez en juillet qu'ils étaient là. Vous avez été de nouveau informé lors du briefing d'aout qu'il s'agissait d'une menace directe. Vous n'avez pas sécurisé nos frontières ni nos aéroports. Vous n'avez pas renforcé la police, vous n'avez pas réuni les services de l'immigration, pour arrêter ça. Et vous n'avez pas prévenu le peuple américain. Mais qu'avez-vous fait ? Rien, comme on a pu le constater ! »


“Spymasters – CIA in the Crosshairs”, Showtime, 17 novembre 2015

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De 17'50 à 19'53

Présentateur : « 7 aout 1998, Khartoum, des attentats-suicides à la voiture piégée frappent les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya en Afrique orientale, tuant 224 personnes dont 2 agents de la CIA. »

George Tenet : « Après ces attaques à la bombe en Afrique, je suis rentré chez moi et j'ai écrit avec fureur le mémo appelé “Nous sommes en guerre !”

J'ai dit qu'il fallait arrêter d'utiliser des tapettes à mouches. Qu'il fallait mettre un plan d'action mondial en place, avec lequel nous pourrions commencer à montrer que nous pouvons pénétrer cet adversaire, entrer dans son sanctuaire, pénétrer ses centres opérationnels, et leur tendre des pièges ! Afin de vraiment procurer aux décideurs politiques des informations solides à partir desquelles ils pourraient prendre des décisions. »

[NB : Georges Tenet a été directeur de la CIA de 1997 à 2004]

Présentateur : « Cofer Black est un agent légendaire de la CIA, qui a échappé à une tentative d'assassinat d'al-Qaïda quand il était en poste à Khartoum. »

Georges Tenet : « La première semaine où j'ai été nommé Directeur du centre de lutte contre le terrorisme [de la CIA en 1999], on m'a collé dans une salle de conférence, et tout le monde est venu m'informer sur leur zone d'activité. Je ne suis pas facilement choqué, mais là je fus stupéfié : il y avait une vague de menaces qui arrivait sur les États-Unis. Il n'y avait aucun doute dans mon esprit : les États-Unis allaient être frappés, et frappés durement, beaucoup d'Américains allaient mourir. »

Cofer Black : « Sandy Berger, le Conseiller à la Sécurité nationale à la fin de l'administration Clinton, nous a demandé de rédiger un document très important. Nous l'appelons le Document Bleu ciel. Il nous a dit : “Je veux que vous imaginiez que vous ayez toutes les autorisations et les ressources que vous souhaitez afin de détruire al-Qaïda. Que feriez-vous ?” Pénétrer le sanctuaire afghan, lancer une opération paramilitaire, nous savions exactement quoi faire. Nous étions prêts à le faire.

Le fait important est qu'aucune action ne fut décidée, rien ne fut fait. »

De 22'07 à 22'54

Georges Tenet : « Au printemps 2001, nous avons rencontré la nouvelle administration Bush et préconisé en premier lieu une opération paramilitaire [contre al-Qaïda en Afghanistan]. La réponse a été : “Nous ne sommes pas tout à fait prêts à envisager cela, nous ne voulons pas que le compte à rebours commence à tourner.” »

Journaliste : « Qu'est-ce que cela veut dire à votre avis ? »

Georges Tenet : « Que l'administration n'était pas tout à fait prête à considérer toutes les options dans la lutte contre le terrorisme »

Cofer Black : « Je pense qu'ils étaient mentalement restés bloqués à huit ans auparavant, quand ils étaient au pouvoir. Ils pensaient qu'ils connaissaient toujours les terroristes. “Mais vous êtes un gauchiste ! Calmez-vous, buvez du champagne, la nuit dormez tranquille – ils agissent le jour…” Il était très difficile de leur communiquer l'urgence de la situation. »

De 23'18 à 26'28

Journaliste : « La crise atteint un point critique le 10 juillet 2001. Richard Blee, à la tête de l’Unité anti-Ben Laden de la CIA, fait irruption dans le bureau de Black. »

Cofer Black : « Il arrive et déclare : “Chef, ça y est, la digue a cédé !” Les informations que nous avions compilées étaient absolument irréfutables. Elles venaient de plusieurs sources. C'était en quelque sorte la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Nous avons décroché le téléphone pour appeler la secrétaire : “Il me faut voir le Directeur, j'arrive avec Richard”. Elle m'a dit « Oh, désolé, il est en réunion avec le chef d'un service de renseignement étranger.” J'ai répondu : “Nous arrivons immédiatement, foutez le type dehors, on arrive tout de suite, il faut qu'il soit prêt.”

George Tenet est un type très intelligent. Il mâchait son cigare, se dandinait sur place, et ses yeux se sont éclairés : “Mais nous avons le film là !” Ça se voyait dans ses yeux qu'il avait compris. »

Georges Tenet : « Ce n'était pas des voyants rouges. Voyants rouges et alertes, sont des images commodes pour illustrer. C'étaient des complots qui apparaissaient. L'ambassade américaine à Sanaa allait être attaquée, des écoles britanniques et américaines à Djeddah allaient être attaquées, le monde était sur le point d'entrer en éruption.

Alors, ce qui s'est passé durant cette période, en juin et juillet 2001, montrait que la menace continuait d'augmenter. Les discours publics d'al-Qaïda étaient qu'il allait bientôt y avoir huit attaques majeures, et que le monde allait être stupéfié par ce qui allait bientôt arriver. Les terroristes étaient en train de disparaitre, les camps fermaient, les rapports signalant des menaces se multipliaient, et ceci montrait qu'on arrivait au point culminant de la menace. »

Cofer Black : « Nous avons décidé [avec Tenet] que l'étape suivante était de décrocher le téléphone blanc, d'appeler la Maison-Blanche et de dire que nous venions immédiatement. »

Georges Tenet : « J'ai dit “Condi, je dois venir te voir !” Ce fut l’une des rares fois dans mes sept ans en tant que Directeur de la CIA où j’ai dit “Je dois venir vous voir !”. “Nous arrivons sur le champ !” »

Présente à la réunion du 10 juillet à la Maison-Blanche : la Conseillère à la Sécurité nationale, Condoleezza Rice, une autre responsable de haut niveau.

Georges Tenet : « Richard [Blee] a alors commencé en disant : “Il y aura d'importantes attaques terroristes contre les États-Unis dans les semaines ou les mois à venir. Les attaques seront spectaculaires. Elles pourront être multiples. Le but d’al-Qaïda est la destruction des États-Unis ! »

Cofer Black : « J'ai dit : “Écoutez, il faut maintenant mettre le pays sur le pied de guerre IMMÉDIATEMENT !” Et j'ai tapé mon poing sur la table.

Après cette réunion, Richard Blee et moi nous sommes mutuellement félicités, parce que nous pensions que nous avions enfin réussi à convaincre ces gens, vous comprenez ? Nous avions accompli notre devoir. »

Journaliste : « Et qu'est-il arrivé ? »

Georges Tenet : « Oui, qu'arriva-t-il ? Oui, qu'est-il arrivé ? »

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Journaliste : « En gros, rien ne s'est passé ? »

Cofer Black : « … Oui, c’est vrai.. »

Condoleezza Rice écrira plus tard : “Mon souvenir de cette réunion n'est pas très net, car nous discutions de menaces tous les jours.”

“En remontant les niveaux d’alerte pour le personnel américain à l'étranger”, ajouta-t-elle, “j'ai pensé que nous avions fait ce qu’il fallait faire.”

De 27'24 à 29'06

Georges Tenet : « Si vous ne mettez pas un système de défense en place, si vous ne bouclez pas vos aéroports, ne bouclez pas vos bâtiments, ne modifiez pas vos politiques de visas, n'avez pas quelques idées de ce qui se passe aux États-Unis, ne créez pas un mécanisme avec un pivot rapide entre l'étranger et le domestique, alors on va vous faire du mal. »

Cofer Black : « Vous savez ce qui m'emmerde vraiment ? C'est quand ces types appellent ça un “échec des services de renseignement”. Nous savions qu'ils arrivaient ! Vous savez, “des intérêts américains vont être attaqués. Cela pourrait bien se passer aux États-Unis. C'est grave, c'est en train de se préparer.”

Parfois, quand je conduis ma voiture, j'y repense. Cela reste pour moi toujours incompréhensible. Comment est-ce possible ? Vous alertez de hauts responsables autant de fois, et rien ne se passe en fin de compte. Mais enfin, on est dans le remake de Twilight Zone ?! [La Quatrième Dimension] Il faut vraiment se pincer pour y croire. »

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Georges Tenet : « À la fin de juillet, nous étions assis dans ma salle de réunion, en train de réfléchir à tout ceci et de tenter de comprendre quelle forme pourrait prendre cette attaque. Et jusqu'à mon dernier souffle, je n'oublierai jamais Richard Blee regarder tout le monde et nous dire “Ils sont en train d'arriver chez nous.” Et le silence qui a suivi était tel que vous auriez pu entendre une mouche voler. “Ils sont en train d'arriver chez nous.”»

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« Dick Cheney, 15 février 2016 » (source : YouTube)

De 1'08 à 1'26

Dick Cheney : « Sur l'accusation que le Président n’a pas agi avant le 11 Septembre pour l'empêcher, nous n'avons eu aucune information concrète à propos de ça. Il n’y avait rien que nous aurions pu faire et nous n'avons eu aucune information qui suggérait qu’il y avait une menace générale. »

De 40'29 à 41'32

Journaliste : « Et maintenant, l'étoile de l'agence allait pâtir de son chapitre le plus noir. Parce que la Maison-Blanche avait une autre cible : l'Irak »

Dick Cheney : « Il n'y a aucun doute sur le fait que Saddam a maintenant des armes de destruction massive. Et il a établi des relations avec al-Qaïda. Il y a des relations entre al-Qaïda et l'Irak qui durent depuis 10 ans ! Ce n'est pas une hypothèse que j'avance, c'est le Directeur de la CIA qui nous le dit ! »

Georges Tenet : « Cette connexion n'a jamais existé ! Nous sommes intervenus à de multiples reprises pour le dire, tout le monde savait quel était notre point de vue.

Je me rappelle être allé voir le Président une fois en lui disant : Ceci doit cesser ! Nous ne pouvons pas soutenir de tels propos. »

Michael Morell (Directeur de la CIA de 2011 à 2013) : « Ni la CIA ni aucune agence gouvernementale n'a jamais trouvé le moindre indice que l'Irak ait joué le moindre rôle dans le 11 Septembre. «

John E. McLaughlin (Directeur de la CIA en 2004) « Nous n'avons jamais changé notre point de vue : Saddam n'avait joué aucun rôle dans le 11 Septembre. »


On se le refait :

Dick Cheney : « [Saddam] a établi des relations avec al-Qaïda. Il y a des relations entre al-Qaïda et l'Irak qui durent depuis 10 ans ! Ce n'est pas une hypothèse que j'avance, c'est le Directeur de la CIA qui nous le dit ! »

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En guise de conclusion…

Étonnant, non ? :)

Je souhaite conclure sur un point important que je développerai à la fin de la série – il y aura d’autres pièces importantes à venir qui le justifieront.

Il ressort assez clairement que la CIA a averti l’équipe Bush de l’imminence d’un grave danger, et qu’elle n’a presque rien fait.

Le danger est de vouloir en conclure – et c’est tentant – qu’ils ont “laissé faire” sciemment.

Pour ma part, connaissant bien ce type de mentalité néo-conservatrice que j’ai pu voir de très près à l’oeuvre tant de fois, et après avoir pas mal creusé le sujet, je n’en crois vraiment rien. Désolé, et jussqu’à PREUVE du contraire, pas de faux drapeau ici à mon avis – ce n’est pas la règle non plus…

Non, on a simplement de beaux spécimens de gros imbéciles, catégorie internationale, en l’espèce, qui se sont aveuglés eux-mêmes, et n’ont pas cru la CIA.

Réfléchissez-y, on a presque les mêmes chez nous, et on les a vu à l’oeuvre en Syrie par exemple, aveuglés par leur russophobie comme d’autres par l’irakophobie.

Le fait qu’ils aient été américains a encore accentué le phénomène (sentiment d’indéfectibilité, de fausse protection, etc.).

Il est même amusant de constater que des gens qui sont prêts à croire qu’on à affaire à des maniaques meurtriers de leur peuple ont apparemment de grosses difficultés à croire qu’ils sont juste très cons… Ce qui est quand même beaucoup plus fréquent…

Mais je concède volontiers que le fait qu’ils n’hésitent à pas à tuer des milliers d’Arabes et mentent comme des arracheurs de dents n’aide pas… C’est subtil, je reconnais. Mais notez que les mêmes n’ont même pas été fichus d’aller planquer quelques fûts d’armes de destruction massive dans le désert irakien pour justifier après coup leur invasion de l’Irak… (pas très futés comme comploteurs, hmmm…)

Bien sûr, à partir du 12 Septembre, ils ont menti et tout fait pour que leur stupidité n’apparaisse pas, et qu’on passe vite à autre chose… (“toute ressemblance avec…”)

Bref, c’est mon avis que je partage avec vous, vous pensez bien ce que vous voulez (y’a pas écrit France Inter !), mais c’est un débat qu’on n’ouvrira pas dans les commentaires (ne vous fatiguez pas, on les supprimera dans tous les cas) – ne soyez pas frustrés, les sites où vous pourrez le faire abondent… :)

“Les attaques seront spectaculaires”, par Chris Whipple

"Les attaques seront spectaculaires", par Chris Whipple

Source : Politico Magazine, le 12/11/2015

Un regard exclusif sur la manière dont l’administration Bush a ignoré les alertes de la CIA plusieurs mois avant le 11-Septembre, ainsi que d’autres qui s’avèrent bien plus détaillées que ce qui avait été dit.

Par CHRIS WHIPPLE, 12 novembre 2015

Getty

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“Ben Laden est déterminé à frapper les États-Unis.” Le fameux extrait du débriefing présidentiel quotidien par la CIA, présenté à George W. Bush le 6 août 2001, a toujours été la principale preuve dans cette affaire que son administration a balayé d’un revers de la main les mises en garde de possibles attaques d’al-Qaïda. Mais des mois plus tôt, à partir du printemps 2001, la CIA a commencé de façon répétée et pressante à alerter la Maison-Blanche qu’une attaque était sur le point de se produire.

En mai 2001, selon Cofer Black, alors chef du centre de contre-terrorisme de la CIA, “il était évident que nous allions être frappés, nous allions être frappés durement et beaucoup d’Américains allaient mourir.” “De vrais complots apparaissaient,” me dit George Tenet, ancien supérieur de Cofer, dans sa première interview en huit ans. “Le monde était comme au bord de l’éruption. Durant cette période de juin-juillet, la menace continuait à croitre. Les terroristes disparaissaient [comme s’ils se cachaient, se préparant à une attaque]. Les camps étaient fermés. Les signalements de menace augmentaient.” La crise arriva à son paroxysme le 10 juillet. La réunion de crise qui eut lieu ce jour-là a été rapportée pour la première fois par Bob Woodward en 2006. Tenet a également écrit sur le sujet en termes généraux dans ses mémoires publiées en 2007, At the center of the storm (“Au milieu de la tempête”).

Mais ni lui ni Black n’ont parlé de cela publiquement en détails avant aujourd’hui ; ils n’avaient pas non plus été aussi catégoriques sur le caractère précis et urgent des alertes. Durant les huit derniers mois, en plus d’une centaine d’heures d’interviews, mes collaborateurs Jules et Gedeo Naudet et moi-même nous sommes entretenus avec Tenet et les onze autres anciens directeurs encore en vie de la CIA pour The Spymasters, un documentaire diffusé ce mois-ci sur Showtime.

Le drame de l’échec des mises en garde a commencé lorsque Tenet et Black ont monté un plan, au printemps 2001, appelé “the Blue Sky paper”, à l’intention de la nouvelle équipe en charge de la sécurité nationale de Bush. Il appelait à une campagne militaire ainsi qu’à une action secrète de la CIA pour mettre fin à la menace d’al-Qaïda – “en entrant dans le sanctuaire afghan, en lançant une opération paramilitaire et en créant un pont avec l’Ouzbekistan.” “Et la note nous est revenue,” dit Tenet, “c’était ‘nous ne sommes pas encore prêts à considérer cette option. Nous ne voulons pas enclencher le compte à rebours.'” (Traduction : ils ne voulaient pas d’une trace écrite montrant qu’ils avaient été alertés.) Black, un ancien agent charismatique qui a aidé les Français à arrêter le terroriste Carlos surnommé le chacal, dit que l’équipe de Bush n’avait simplement pas compris la nouvelle menace : “Je pense qu’ils étaient mentalement bloqués huit ans en arrière. Ils étaient habitués aux terroristes européens de gauche – ils boivent du champagne le soir, font exploser des choses durant la journée, comment cela pourrait-il être grave ? Et il était dès lors très difficile de faire passer le caractère d’urgence sur le sujet.”

Ce matin du 10 juillet, la personne en charge de l’unité al-Qaïda de l’agence, Richard Blee, a fait irruption dans le bureau de Black. “Et il a dit, ‘Chef, ça y est. Le ciel nous tombe sur la tête’,” raconte Black. “Les informations que nous avions rassemblées étaient absolument incontestables. Elles avaient de multiples sources. C’était la dernière goutte d’eau.” Black et son adjoint se sont précipités dans le bureau du directeur pour avertir Tenet. Tous étaient d’accord, une réunion urgente à la Maison-Blanche s’imposait. Tenet appela la conseillère à la Sécurité nationale de Bush, Condoleezza Rice. “J’ai dit, ‘Condi, il faut que je vienne te voir’,” se souvient Tenet. “C’était une de ces rares fois durant mes sept ans en tant que directeur où j’ai dit ‘Il faut que je vienne te voir. Nous venons tout de suite. Nous arrivons.'”

Tenet se souvient très bien de la réunion à la Maison-Blanche avec Rice et son équipe. (Georges W. Bush était en voyage à Boston.) “Rich [Blee] a commencé en disant, ‘Il y aura d’importantes attaques terroristes aux États-Unis dans les semaines ou les mois à venir. Les attaques seront spectaculaires. Elles seront peut-être multiples. L’objectif d’al-Qaïda est la destruction des États-Unis’.” [Condi a répondu :] ‘Que pensez-vous que nous devrions faire ?’ Black a répondu en tapant du poing sur la table et a dit ‘Nous devons nous préparer à une guerre !'”

“Que s’est-il passé ?” ai-je demandé à Cofer Black. “Ouais. Que s’est-il passé ?” répondit-il. “Pour moi, cela reste encore aujourd’hui incompréhensible. Je veux dire, comment est-ce possible de mettre en garde de hauts responsables tant de fois et que rien ne se passe réellement ? C’est un peu comme une zone grise.” De manière étonnante, Condi Rice écrit dans ses mémoires au sujet des mises en garde du 10 juillet : “Mon souvenir de la réunion n’est pas très clair car nous parlions de la menace chaque jour.” Ayant élevé le niveau d’alerte pour le personnel américain à l’étranger, elle ajoute : “Je pensais que nous avions fait ce qu’il fallait.” (Lorsque je lui demandai si elle avait une réponse à donner quant aux commentaires que Tenet, Black et d’autres m’ont faits, son chef de cabinet a dit qu’elle s’en tenait à ce qui était écrit dans ses mémoires.) Inexplicablement, bien que Tenet ait fait référence à cette réunion dans son témoignage à huis-clos devant la commission sur le 11-Septembre, cela n’avait jamais été mentionné dans le rapport final du comité.

Et survint une autre alerte effrayante. A la fin de juillet, Tenet et ses adjoints se sont réunis dans la salle de conférences du siège de la CIA. “Nous pensions à tout cela et essayions de comprendre comment ces attaques pourraient se produire,” se rappelle-t-il. “Et je n’oublierai jamais cela jusqu’à ma mort. Rich Blee a regardé tout le monde et a dit : ‘Ils viennent ici’. Et le silence qui suivit fut assourdissant. Vous pouviez sentir l’oxygène sortir de la pièce. ‘Ils viennent ici.'”

Tenet, qui est peut-être le directeur de l’agence le plus critiqué, peut à peine se contenir lorsqu’il parle des mises en garde données à la Maison-Blanche et restées lettres mortes. Il me dit avec résignation, en tournant un cigare non allumé et en gesticulant dans son fauteuil dans notre studio du centre de Washington : “Je peux juste vous dire ce que nous avons dit et ce que nous avons fait.” Et lorsque questionné sur sa propre responsabilité quant aux attaques du 11-Septembre, il est visiblement bouleversé. “Il n’y a jamais un moment depuis tout ce temps où vous vous êtes senti coupable ?” lui ai-je demandé. Il se tourne dans son fauteuil. “Eh bien, regardez, il y a… Je fixe encore le plafond la nuit en m’interrogeant sur beaucoup de choses. Et je les garderai en moi pour toujours. Mais nous sommes tous des êtres humains.”

***

Seuls douze hommes, qui ont pris les décisions de vie ou de mort qui vont de pair avec la direction de la CIA, sont encore en vie.

Une fois par an, l’actuel et les anciens directeurs de la CIA – de George H. W. Bush, 91 ans, au directeur actuel, John Brennan, 60 ans – se rencontrent dans une salle de conférences du siège de la CIA à Langley, en Virginie. La raison affichée : recevoir un briefing confidentiel sur l’état du monde. (Robert Gates, qui déteste mettre un pied au-delà du périphérique, est un éternel absent.) “Ils nous disent principalement des trucs que nous savons déjà, et nous prétendons que nous apprenons quelque chose,” affirme Tenet, le directeur le plus longtemps en poste (durant sept ans, sous les présidents Clinton et Bush II). Mais le véritable objectif de ce pèlerinage annuel est de renouer les liens forgés dans les tranchées de la guerre contre le terrorisme – et de débattre de l’objectif de l’agence dans le monde.”

Et je n’oublierai jamais cela jusqu’à ma mort. Rich Blee a regardé l’assemblée et a dit ‘Ils viennent ici.’

Sur les questions brûlantes de l’actualité, les directeurs sont profondément divisés : sur la mission de la CIA, ses brutales méthodes d’interrogatoire après le 11-Septembre, et le changement des “règles de conduite” dans la bataille contre al-Qaïda et l’Etat Islamique. Qu’est-ce qui est juste ou non dans le combat contre le terrorisme : la torture ? La détention pour une durée indéfinie ? La mise en place de “sites clandestins” pour les interrogatoires dans des pays étrangers ? La CIA devrait-elle tuer des gens avec des drones téléguidés ? La CIA était-elle réellement à blâmer pour le 11-Septembre ? Ou la Maison-Blanche n’a-t-elle pas ignoré ses mises en garde répétées ?

Sur ça et d’autres questions, les directeurs étaient étonnamment francs durant les interviews qu’ils ont faites avec moi – même en s’aventurant sur le terrain du secret-défense. (Ils étaient souvent en désaccord sur le fait que ce soit réellement classifié ; c’est compliqué, comme Hillary l’a appris.) Un bon exemple de controverse : les frappes de drones. “Il ne peut parler publiquement de ça,” proteste le général David Petraeus lorsque je lui dis qu’un de ses homologues s’était ouvert à moi au sujet des “signature strikes”. (Ce sont des attaques mortelles contre des cibles non identifiées – une sorte de profilage par drone – que plusieurs directeurs ont trouvées très inquiétantes.) Il se peut que le général Petraeus ait eu de bonnes raisons d’être réticent ; seulement une semaine avant il avait accepté de passer un accord avec le procureur pour éviter la prison – pour avoir partagé des informations classifiées avec sa maitresse, Paula Broadwell.

Voici quelques-uns des secrets que nous avons appris de la part de ces hommes étonnamment francs qui ont dirigé la plus puissante des agences de renseignement.

Même les chefs de la CIA ne peuvent se mettre d’accord au sujet de la “torture”

“Durant la période juste après le 11-Septembre, nous avons fait certaines choses de la mauvaise façon,” a déclaré Obama. “Nous avons torturé des gens. Nous avons fait des choses qui étaient contraires à nos valeurs.” Jose Rodriguez, qui a supervisé le prétendu programme d’interrogatoire renforcé (EIT), a eu une réponse fort brève : “C’est des conneries.” Tenet en convient. “Les gens jettent le mot ‘torture’ – comme si nous étions des tortionnaires,” se plaint-il. “Eh bien, je n’accepterai jamais l’usage du mot ‘torture’ pour ce qui s’est passé ici.” De la privation de sommeil au waterboarding, Tenet et son lieutenant Rodriguez insistent sur le fait que les techniques étaient toutes approuvées – par tout le monde.

Le procureur général nous a dit que ces techniques étaient légales en droit américain,” affirme Tenet, “et ne violent en aucune façon les traités sur la torture que nous avons signés.” Contrairement aux affirmations du rapport majoritaire de la SSCI (Senate Select Committee on Intelligence – commission permanente du Sénat chargée de la surveillance du monde du renseignement), Tenet insiste : “Nous avons pleinement briefé les membres du Congrès sur ce que nous faisions à chaque moment. Il n’y a pas eu la moindre désapprobation.” Et Tenet dit que George W. Bush était très impliqué, “il lisait les mémos, regardait les techniques, et décidait qu’il allait retirer deux techniques.” Tenet affirme qu’il ne se souvient plus quelles EIT le président avait rejetées (Rodriguez pense que l’une d’elles était le “simulacre d’exécution”).

Tenet et ses successeurs post 11-Septembre – Porter Goss, Michael Hayden et le directeur intérimaire Michael Morell (parfois appelés les “directeurs de guerre”) – disent que ces techniques étaient un mal nécessaire, justifié par le contexte de l’époque. C’était un article de foi au sein de la CIA que les États-Unis étaient sur le point d’être frappés par une “deuxième vague” d’attaques. Et que les “détenus de grande valeur”, à commencer par le leader d’al-Qaïda Abou Zubaydah, en savaient plus qu’ils ne le disaient. “Chaque jour,” affirme Rodriguez, “le président demandait à George Tenet, ‘que dit Abou Zubaydah à propos de la deuxième vague d’attaques et au sujet de tous les autres complots ?’ Eh bien, il ne disait rien. Nous devions essayer quelque chose de différent.” Tenet dit qu’il avait des renseignements probants qui indiquaient qu’Oussama ben Laden avait rencontré des scientifiques pakistanais spécialisés dans le nucléaire – et cherchait à obtenir les plans de la bombe. Il y avait une information crédible, ajoute-t-il, qu’une bombe nucléaire avait déjà été posée à New York. “Les gens disent, ‘ne pensez-vous aux conséquences morales et éthiques de votre décision ?'” dit Tenet. “Oui, nous y avons pensé. Nous pensions qu’empêcher les futures pertes humaines américaines et protéger une société juste était tout aussi important.”

Les techniques ont-elles permis d’obtenir des renseignements qui ont interrompu les complots ou sauvé des vies ? L’étude du SSCI a analysé 20 cas et dit qu’aucune information utile n’a été obtenue. Tenet insiste, “ils ont tort pour les 20 cas. Le rapport a complètement tort sur tous les points, c’est tout, point final.” Mais les espions, dirigeants et camarades de Tenet sont vivement – même passionnément – divisés sur ces procédés. “Notre Constitution interdit un traitement ‘anormal et cruel’ et, s’il est cruel, nous ne devrions pas l’utiliser,” dit William Webster, 91 ans, considéré par ses camarades espions comme la voix de la raison (et le seul directeur qui a aussi servi en tant que directeur du FBI). “Vous franchissez une ligne, à un moment donné, dans votre recherche d’information lorsque vous empruntez cette route. Il doit y avoir des limitations et une surveillance, elles doivent être respectées. Notre pays représente quelque chose, qu’il perd lorsque nous ne le faisons pas.” Stansfield Turner, maintenant 91 ans – qui, en tant que directeur sous Jimmy Carter, a autorisé la tentative au destin tragique de sauvetage des otages américains à Téhéran – est d’accord : “Je pense simplement qu’un pays comme le nôtre ne devrait pas se rendre coupable d’actes de torture. Je pense juste que c’est en dessous de notre dignité.”

Les directeurs qui se sont opposés à la torture ne sont pas de simples cœurs tendres. “Personne n’a eu sous sa responsabilité plus de détenus que je n’en ai eu,” affirme le général Petraeus, qui était à la tête des forces multinationales en Irak. “Nous nous défendons contre nos ennemis, mais nous ne devrions pas les maltraiter, même s’ils ont fait des choses inqualifiables à nos soldats et aux civils. Cela ne justifie pas que nous le fassions avec eux. Vous payerez le prix de vos actions, et il sera largement plus grand que ce qui vous a poussé à cette action.” Et le directeur Brennan ne voit pas quelles circonstances justifieraient que la CIA torture à nouveau : “Si un président me demandait demain de pratiquer la technique du waterboard sur un terroriste, je dirais, ‘M. le président, désolé – mais je ne pense pas que ce soit dans le meilleur intérêt de notre pays.'” Hayden est encore plus catégorique. “Si un futur président décide d’utiliser le waterboarding,” dit-il, “il ferait mieux d’apporter son propre seau, car il devra le faire lui-même.”

C’est bien la CIA qui déclenche les frappes de drone mortelles.

Officiellement c’est un sujet tabou. La CIA n’a jamais reconnu publiquement l’usage de drones mortels. Mais l’ancien directeur Leon Panetta fait un récit fascinant du dilemme éthique auquel il a été confronté lorsque la CIA avait un terroriste d’al-Qaïda de premier plan dans la ligne de mire d’un drone au-dessus du Pakistan. (Les censeurs de la CIA l’ont forcé à tronquer l’histoire dans ses mémoires publiés en 2014.) La cible était le cerveau d’al-Qaïda à l’origine d’une attaque à la bombe qui a tué sept officiers dans l’antenne de la CIA de Khost, en Afghanistan, en décembre 2009. “Nous savions qui était l’individu,” affirme Panetta. “C’est un méchant. Et il était clairement un leader qui avait été impliqué pas uniquement en ce qui concerne nos officiers, mais en tuant des membres de nos propres forces en Afghanistan.”

Le dilemme de Panetta : “Malheureusement, l’individu avait une famille, une femme et des enfants autour de lui, donc une des questions difficiles était, que devrions-nous faire ? S’il y avait des femmes et des enfants dans la zone de tir, nous n’aurions normalement pas dû tirer.” Panetta a appelé la Maison-Blanche et parlé avec Brennan, le conseiller en contre-terrorisme d’Obama. “Qu’est-ce que Leon dit que j’ai dit ?” me demande Brennan, en levant un sourcil, lorsque je lui dis pour la description en dehors des clous de Panetta (qui avait essentiellement renvoyé la balle à Brennan). Brennan a un fin sourire qui semble dire, ‘Le revoilà encore.’

Le pieux catholique Panetta, autrefois enfant de chœur, a dû prendre la décision. “La Maison-Blanche a dit : ‘Ecoute, tu dois prendre une décision’,” se rappelle-t-il. “Donc j’ai su à ce moment-là que c’était à moi de décider. J’étais celui qui allait devoir dire le ‘Je vous salue Marie’. Brusquement, j’ai pris conscience que j’étais en train de prendre en tant que directeur des décisions de vie et de mort. Ce sont des choix qui ne sont jamais faciles, et franchement ils ne devraient pas l’être. Mais j’ai senti qu’il était très important dans ma position de faire ce que je pouvais pour protéger ce pays. Donc j’ai transmis le message. J’ai dit : ‘Si vous pouvez isoler l’individu et tirer sans toucher les femmes et enfants, alors faites-le. Mais si vous n’avez pas d’autre choix et qu’il apparait qu’il pourrait s’échapper, alors tirez.’ Et cela a bien entrainé des dommages collatéraux, mais nous l’avons eu.” A la fin, Panetta dit : “Ce que vous faites doit être fondé sur ce que vos tripes vous disent être juste. Vous devez être honnête avec vous-même – et espérer qu’au bout du compte Dieu sera de votre avis.”

Brennan, l’actuel directeur, concède qu’il est souvent appelé à prendre des décisions avec de forts enjeux. “Je suis forcé chaque jour de prendre des décisions qui impliquent des risques importants, et qui peuvent parfois entrainer des morts,” dit-il. “Vous essayez de vous assurer que vous avez envisagé tous les aspects. Vous prenez en compte toutes les informations, renseignements ou données qui sont à votre disposition. Vous pesez le pour et le contre. Et vous prenez alors la meilleure décision que vous pouvez.” A quel niveau se place la barre quand vous devez déclencher une frappe de drone mortelle ? “Il y a besoin d’être proche de la certitude de ce qui est appelé ‘l’absence de collatéral’,” affirme Brennan. “Pas de non-combattants qui seraient touchés.”

Mais le “proche de la certitude” ne s’applique pas toujours. En janvier dernier, une attaque de drone sur un camp d’al-Qaïda a tué par inadvertance un Américain et un otage italien, qui s’avéraient y être détenus. Le général Hayden, le troisième directeur de Bush, avertit : “Proche de la certitude : Qu’est-ce que c’est exactement ? Parce que, regardez, le président [Obama] était très franc après les récentes attaques pour lesquelles il a parlé du ‘brouillard de guerre’. Il y a un brouillard même lorsque vous pensez être ‘proche de la certitude’ et proche de la certitude n’est jamais la certitude.”

Et qu’en est-il lorsque la frappe vise délibérément un citoyen américain à l’étranger ? Le directeur de la CIA – ou le président, en l’occurrence – devrait-il avoir la permission de tuer ? Cela a été une question controversée depuis qu’Anwar al-Awlaki, l’activiste américain djihadiste et voix d’al-Qaïda, a été tué par un drone américain au Yémen en 2011. Les groupes de surveillance ont critiqué cette pratique. Il s’est avéré qu’ils avaient un improbable allié – dans l’ancien directeur Gates. “Je n’ai pas de problème moral avec cela,” affirme Gates, “mais je pense que le précédent d’un Président américain capable de tuer un citoyen américain dans ces circonstances, sur sa simple signature, est dangereux.”

Webster est également critique. “C’était un citoyen américain et il a finalement été supprimé, mais ce n’est pas quelque chose qui devrait être laissé à l’appréciation d’une seule personne, peu importe qui est cette personne,” insiste Webster. “Nous nuisons vraiment à notre pays, portons préjudice au président et à ceux qui exercent l’autorité légitime en ne laissant l’usage de ces instruments de destruction dépendre que d’un caprice.” Gates argumente que les frappes sur des Américains devraient nécessiter l’approbation d’experts extérieurs – peut-être d’un panel de juges : “Je pense simplement que l’idée d’une absence de points de vue externes au-delà de ceux des personnes nommées par le Président, et qui en quelque sorte sont ses sbires, capables d’évaluer si le président devrait ou non tuer un citoyen américain sans une procédure judiciaire, devrait être mise en question.”

Quoique les frappes de drones soient arrivées bien après la période où il était directeur (1976-1977), George H. W. Bush affirme qu’il peut s’accommoder de cette pratique : “S’il y a des méchants et qu’ils nous nuisent, je n’ai pas de problème avec ça.” Mais certains de ses pairs se demandent si la Maison-Blanche est satisfaite d’avoir à prendre la décision d’utiliser des armes hors du commun. “Lorsque vous pouvez fixer une cible sans cligner pendant des heures, si ce n’est des jours,” affirme le général Hayden, “et ensuite utiliser une arme avec une ogive de 7 kilos contre cette cible, avec une précision au centimètre près, cela rend en réalité la guerre plus précise.”

“C’est pour le mieux. Maintenant le point négatif : cela rend plus facile pour un décideur de prendre la décision d’y recourir.” En effet, la relative simplicité de la guerre par drones s’est révélée irrésistible à l’actuelle Maison-Blanche. Sous Barack Obama, les frappes de drones ont spectaculairement augmenté.

“Non M. Deutch, l’assassinat n’est pas interdit.”

Dans une guerre contre al-Qaïda et l’Etat islamique, quelles méthodes sont acceptables ? L’assassinat est-il équitable ? Porter Goss, qui a démissionné par énervement contre le deuxième directeur de George W. Bush, attend toujours une réponse : “Nous savons quelles sont les règles de conduite. Avons-nous affaire à des combattants ennemis ? Avons-nous affaire à des criminels ? Est-ce que la règle est de tirer en premier ? Ne tirons-nous que lorsque nous nous sommes fait tirer dessus ? Pouvons-nous poser des questions ? Devons-nous “mirandiser” les gens [les droits Miranda se manifestent par la prononciation d’un avertissement lors de l’arrestation d’un individu, NdT] ?

« Je me souviens que j’étais assis dans la salle de gestion des crises lors du premier mandat de Clinton, » l’ancien directeur de la CIA John Deutch réfléchit, « et, en discutant d’une question particulièrement sensible, j’avais dit : ‘Mais, bien sûr, nous ne pouvons pas envisager un assassinat parce qu’un décret présidentiel l’interdit.’ Et un des avocats du ministère de la Justice a dit : ‘Non, M. Deutch, on n’interdit que l’assassinat politique. Assassiner pour d’autres motifs n’est pas interdit.’ »

Quelle est donc la réponse ? L’assassinat, nettement interdit par le décret présidentiel 12333 du Président Gerald Ford, est-il toujours interdit ? Eh bien, oui et non. En 2008, après une chasse à l’homme de presque trente ans, un dirigeant historique du Hezbollah, qui avait orchestré d’innombrables attaques contre les États-Unis et Israël, a été tué par une opération secrète audacieuse à Damas, en Syrie. Une énorme charge explosive mortelle, placée dans un 4×4 garé, a été déclenchée par télécommande et l’a fait voler en mille morceaux. L’opération, censée être une mission commune de la CIA et du Mossad, est si sensible qu’à ce jour aucun des directeurs n’en a rien dit publiquement. Sauf, en insistant, l’actuel patron John Brennan. Je lui demande : « Y a-t-il quoi que ce soit que vous puissiez nous dire sur ce qui est arrivé à Imad Mughniyah ? » Brennan, qui, même dans ses moments de plus grande décontraction, a l’air lugubre d’un entrepreneur de pompes funèbres, marque un temps. Puis répond, « Il est mort rapidement. »

Quelle est la mission de la CIA ? Est-ce une agence d’espionnage ? Ou une armée secrète ? « Parfois je pense que nous entrons dans un délire – en croyant que l’assassinat est la seule réponse à un problème, » dit Tenet. « Et la vérité c’est que c’est faux. Ce n’est pas pour cela que nous avons été créés. » Quand Petraeus est devenu directeur de la CIA, son prédécesseur, Hayden, l’a pris à part. Jamais auparavant, avertit Hayden, l’agence ne s’était à ce point consacrée à des opérations militaires secrètes au détriment de la collecte de renseignements. « Beaucoup de ce qu’on appelle à présent l’analyse, dans la communauté américaine du renseignement, est en fait du ciblage, » dit Hayden. « Franchement, cela a été au détriment d’une vision plus large, plus globale. Nous sommes plus en sécurité grâce à cela, mais il y a un prix à payer. Certaines des choses que nous faisons pour nous sauvegarder pour le combat rapproché – par exemple, des meurtres ciblés – peuvent rendre plus difficile la résolution du combat de fond, le combat idéologique. Nous fournissons aux vidéos de recrutement des djihadistes l’argument que les Américains sont des tueurs impitoyables. »

Alors, qui a gagné ? La CIA, ou l’Islam radical ? “En prenant du recul,” dit Morell, qui a assuré à deux reprises l’intérim de la direction, “c’est une grande victoire pour nous, et une grande victoire pour eux. Notre victoire, ça a été la dégradation, la décimation et la presque défaite du cœur de cet al-Qaïda qui a amené la tragédie sur nos rives le 11-Septembre. La leur, ça a été de répandre leur idéologie sur une énorme zone géographique. Là où on n’a pas bien travaillé, c’est qu’on n’a pas empêché l’émergence de nouveaux terroristes. Tant qu’on n’a pas réussi là-dessus, la guerre va continuer.”

“On ne pourra pas s’en sortir en tuant,” dit Tenet. “Ce n’est pas viable. Le message à l’Islam lui-même, c’est qu’ils doivent créer des sociétés civiles prospères, qui fonctionnent, qui ouvrent des opportunités par l’éducation. Mais ils devront le faire eux-mêmes.” Panetta convient qu’il faut s’attaquer au terrorisme par la racine : “On doit prendre en compte ce qui produit cette frustration et cette colère. C’est presque Mission Impossible parce que, Nom de Dieu, on en est encore à se demander comment les Baltimore et les Détroit du monde entier peuvent se produire [En 2013, Détroit, l’ex site de l’industrie automobile US, a été la première grande ville américaine à demander une mise en faillite, Baltimore a un fort taux de criminalité et a subi un important déclin industriel et démographique, NdT] ; et comment c’est possible que des gens dans ce pays soient séduits par les gangs.” En attendant de comprendre ces phénomènes, conclut Panetta, “nous allons peut-être avoir à utiliser ce type d’armes, mais en fin de compte, je vais vous dire une chose : si on n’y arrive pas et que, à Dieu ne plaise, ce pays subit un autre 11-Septembre, vous savez qu’on va immédiatement nous demander : “Mais pourquoi avez-vous laissé ça arriver ? Mais pourquoi avez-vous laissé ça arriver ?”

Source : Politico Magazine, le 12/11/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.