Les nouvelles fractures politiques
La une de The Economist de cet étén'est pas passée inaperçue d'Emmanuel Macron, qui en a fait un de ses éléments de langage pour habiller la bulle politique qu'on appelle En Marche : au clivage traditionnel entre la gauche et la droite, s'ajoute, ou même se substitue, de plus en plus, un clivage entre les tenants de frontières ouvertes à tous les vents et ceux qui réclament plus de contrôle.
Jungle-dortoir collectif ou maisons familiales ?
Bien sûr, un ultralibéral comme The Economistprésente les termes de l'alternative comme un débat entre les partisans de l'ouverture et ceux de la fermeture. D'un côté, les méchants qui veulent construire des murs (Trump, Le Pen, Sanders, Farage ou Orban), qui rendraient le monde « plus pauvre et plus dangereux » et, de l'autre, les gentils, qui laissent passer les hommes, les biens et les capitaux. Le journal doit admettre que le terrorisme pousse logiquement les citoyens à questionner le laisser-passer. Il faut dire que la poussée des opposants à la disparition des frontières se constate partout. Outre-Atlantique, cela fait partie des éléments fondateurs du succès de Donald Trump et de Bernie Sanders, qui tenait aussi un discours protectionniste, au point que Paul Krugman y voyait « un moment protectionniste ».
L'Europe connaît le même phénomène. Des deux côtés du spectre politique, outre-Manche, le vent n'est plus aux ultralibéraux, Jérémy Corbyn effaçant l'héritage blairiste, quand la droite est bousculée par UKIP et la perspective du Brexit, au point que Theresa May met de l'eau interventionniste dans le broué thatchérien. L'Europe continentale de l'Ouest semble avoir du retard sur la question, les partis de gouvernement n'ayant remis en cause l'ouverture des frontières que sur la question des migrants, sans véritablement se soucier des mouvements de capitaux ou de biens, dans un signe patent de la victoire actuelle des identitaires sur les progressistes. Il en va de même en Europe de l'Est, où ce sont surtout les migrants qui cristallisent la remise en cause de l'ouverture, en Hongrie ou en Pologne notamment.
Mais finalement, ce clivage sur le laisser-passer traverse également les clivages traditionnels. En effet, d'un côté, les partis dits de centre-gauche achèvent leur mue libérale, et défendent l'abaissement des frontières, toutes les frontières. Une gauche plus radicale, un tant incarnée par Syriza et Podemos, aujourd'hui par un Bernie Sanders ou Jérémy Corbyn, se fait bien plus critique de la mondialisation. Mais si elle commence à remettre en cause le laisser-passer économique, elle bute sur le laisser-passer des personnes, affichant une compassion parfois sans limite pour les migrants, et elle peut, comme en Grèce, sacrifier le progrès social sur l'autel de l'internationalisme. La droite se scinde également en deux, entre libéraux classiques et ceux que les média bien-pensant appellent volontiers des populistes.
Mais au bout du compte, malgré la belle victoire du Brexit, qui pourrait amorcer la fin du monstre européen, comment ne pas voir que, pour l'instant, ce nouveau clivage ne porte pas ses fruits. Il n'y a qu'en Grèce que les alternatifs ont gagné, avant de capituler en rase campagne. Ailleurs, ces nouvelles fractures, même si elles permettent l'émergence de nouvelles forces, permettent pour l'instant aux partis qui ont échoué depuis si longtemps, de se maintenir. En France, la PME Le Pen est l'assurance-vie du PS et de LR depuis plus de trois décennies, comme l'ont démontré de manière éclatante les élections régionales. En Italie, cela n'a pas empêché Matteo Renzi d'aller toujours plus loin dans le reniement du progrès social. En Espagne, Podemos ne semble pas avoir réussi à renverser le duopole PPSOE.
Le plus effarant est que les médias, presque tous solidements ancrés dans le camp des gentils ouverts, ne facilitent pas la tâche de ceux qui veulent montrer que les pays asiatiques, les réussites économiques des dernières décennies, se sont presque tous développés d'une manière équilibrée, en profitant de l'ouverture des autres tout en sachant largement s'en protéger quand ils le jugeaient nécessaire.
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