Ce que dit Hillary Clinton à Wall Street quand personne n'écoute, par Timothée Vilars
Source : Le Nouvel Obs, Timothée Vilars, 09-10-2016
Une nouvelle salve d’e-mails publiée par le site WikiLeaks révèle le contenu secret des conférences de la prétendante démocrate à la Maison-Blanche devant des grandes banques, en 2013 et 2014.
C’est l’histoire d’un teasing raté. Le 4 octobre, à l’occasion d’un événement célébrant les 10 ans du site WikiLeaks, son fondateur Julian Assange avait beaucoup promis… et beaucoup déçu. Les amateurs de révélations croustillantes – les anti-Clinton en tête – en étaient restés pour leurs frais.
“Tous les documents relatifs aux élections américaines sortiront avant le 8 novembre”, jurait le cybermilitant australien.
L’inimitié entre Hillary Clinton et le reclus de l’ambassade d’Equateur est de notoriété publique. Fin juillet, WikiLeaksavait déjà publié 20.000 emails internes au Parti démocrate, révélant le traitement de faveur de ses responsables envers Hillary Clinton pendant les primaires. Alors quand WikiLeaks a publié, vendredi 7 octobre, une nouvelle série de documents intitulés les “Podesta Emails” – du nom du directeur de campagne de Hillary Clinton – l’effet de surprise était quelque peu éventé.
D’autant que ces révélations ont été immédiatement éclipsées par la tornade qui s’est abattue sur la campagne de Donald Trump – lâché par son propre camp après la publication d’une vidéo dans laquelle il tient des propos orduriers contre les femmes. Néanmoins, elles n’en restent pas moins potentiellement embarrassantes pour Hillary Clinton. “L’Obs” s’est plongé dans ces documents.
Double discours sur la finance
Tout au long de son mano a mano avec Bernie Sanders, Hillary Clinton a été critiquée pour sa proximité supposée avec Wall Street : entre 2013 et 2015, ses 12 conférences devant des grandes banques mondiales (notamment Goldman Sachs et Deutsche Bank) et des sociétés de gestion de capitaux lui ont rapporté 2,3 millions de dollars, mais elle a toujours refusé de rendre public le contenu de ses interventions. Or, l’ex-secrétaire d’Etat semble, à la lumière des “Podesta Emails”, y avoir tenu des positions qui tranchent drastiquement avec ses récentes déclarations de campagne.
- Elle pense que la crise de 2008 n’est pas imputable à 100% au secteur financier
Le 24 octobre 2013, devant Goldman Sachs, elle estime ainsi que la responsabilité de Wall Street dans la crise des subprimes a été exagérée pour des raisons de récupération politique.
“Lorsque j’ai commencé à voyager [en tant que secrétaire d’Etat, NDLR] en février 2009, les gens me criaient littéralement dessus, accusaient les Etats-Unis et notre système bancaire d’avoir provoqué ça partout. Nous savons certes que c’est très réducteur, mais c’était la sagesse populaire. Je pense qu’on aurait pu éviter ces incompréhensions, ces récupérations politiques, avec plus de transparence et d’ouverture de chaque côté, en expliquant ce qui s’était passé, comment c’était arrivé, et ce que nous avions fait pour l’empêcher.”
- Elle pense que le secteur financier peut et doit s’autoréguler
Le 24 octobre 2013 devant Goldman Sachs, elle déclare que la régulation de Wall Street doit être impulsée par Wall Street lui-même.
“La régulation n’est pas quelque chose de magique. Trop, c’est mal, trop peu, c’est mal. Alors comment trouver une solution qui fonctionne ? Les gens qui connaissent l’industrie mieux que quiconque sont ceux qui travaillent dans l’industrie.”
Dans un discours prononcé le 7 octobre 2014 devant la Deutsche Bank, Hillary Clinton renchérit et laisse entendre que la régulation du secteur financier doit “venir de l’industrie [financière] elle-même”.
“L’industrie elle-même peut et doit faire plus. Sur les leviers pour renforcer notre économie, créer plus d’emplois […]. Et je crois réellement que vous tous êtes qualifiés pour ce travail.”
- Elle admet avoir besoin de l’argent de Wall Street pour faire campagne
Le 24 octobre 2013 (encore) face à Goldman Sachs, elle explique qu’au vu des sommes d’argent qu’un candidat à la présidentielle américaine doit rassembler pour mener campagne, c’est le moment ou jamais de lui poser les bonnes questions sur sa future politique économique.
“Se présenter à la présidence nécessite beaucoup d’argent dans notre pays, et les candidats doivent lever les fonds eux-mêmes. New York est probablement le cœur des collectes de fonds pour les prétendants des deux camps. Et il y a beaucoup de gens ici qui feraient mieux de poser les questions qu’il faut avant de dilapider leurs contributions de campagne pour des gens qui jouent à se faire peur avec notre économie.”
En Floride, le 6 janvier 2014 face au groupe General Electric, Hillary Clinton se plaint à nouveau de la somme d’argent à amasser pour prétendre à la Maison-Blanche.
“J’aimerais que ce ne soit pas si cher. Je ne sais pas si ce serait possible. Pendant ma campagne [en 2008], j’ai perdu le compte mais… je pense que j’ai levé 250 millions de dollars ou quelque chose comme ça, et pour la dernière le président Obama a levé 1,1 milliard, et c’était avant les Super PACs et tout ces afflux d’argent, c’est si ridicule d’avoir ce chacun-pour-soi avec tous ces intérêts financiers en jeu, mais c’est la volonté de la Cour suprême. C’est le Far West. […] Si difficile que ça ait été quand je me suis présentée, je pense que c’est encore plus difficile maintenant.”
Selon le site Politifact, les banques et autres grandes sociétés financières ont pour l’heure apporté 64,3 millions de dollars à la campagne et aux Super PACs de Hillary Clinton, contre moins de 2 millions à celle de Donald Trump.
- Elle rappelle ses relations privilégiées avec Wall Street lorsqu’elle était sénatrice
Hillary Clinton a été sénatrice de l’Etat de New York de 2001 à 2009. Durant ce laps de temps, elle raconte avoir été amenée à travailler avec de nombreux professionnels de Wall Street et a “toujours tout fait pour qu’ils prospèrent” (conférence du 4 septembre 2014 devant le cabinet Robbins, Gellar, Rudman & Dowd).
“Quand j’étais sénatrice de New York, j’ai collaboré avec de nombreux gens de talents et de principe qui travaillaient dans la finance. Mais même en soutenant leurs intérêts et en m’assurant qu’ils puissent continuer à prospérer, […] j’ai alerté sur la crise des crédits immobiliers en 2006 et 2007, car je voyais très concrètement dans les rues de New York à quel point un système financier sain est essentiel.”
Face à Goldman Sachs en octobre 2013, elle dit son “respect” aux gens du métier.
“Je vous [Wall Street, NDLR] ai représentés pendant huit ans. J’ai eu d’excellentes relations avec vous et nous avons étroitement collaboré au moment de la reconstruction post-11 septembre. J’y ai gagné beaucoup de respect pour le travail que vous accomplissez et les personnes qui le font.”
- Elle rêve d’un traité de libre-échange transaméricain
Poussée sur sa gauche pendant les primaires démocrates, Hillary Clinton a récemment pris position contre le vaste traité de libre-échange commercial signé entre les Etats-Unis et onze pays de la région Pacifique. Mais dans un discours prononcé le 16 mai 2013 devant la banque brésilienne Itau, l’ex-secrétaire d’Etat affirme que son “rêve” est en réalité d’avoir un marché commun sur l’ensemble de l’hémisphère américain.
“Mon rêve est un marché commun hémisphérique, avec à terme du libre-échange et des frontières ouvertes, et une énergie aussi verte et durable que possible.”
Dans ce même discours, elle plaide plus généralement pour un renforcement du commerce sur le continent.
“On peut faire tellement plus, il y a tellement de fruits à récolter. […] Ce n’est pas aux gouvernements de le faire, mais ils peuvent rendre les chose plus faciles ou plus difficiles. Nous devons résister au protectionnisme et aux autres formes d’entraves à l’accès au marché.”
- Elle admet qu’elle est désormais bien loin de la classe moyenne
La candidate démocrate se pose aujourd’hui en championne de la classe moyenne. Mais dans une conférence face au leader mondial de la gestion d’actifs Blackrock, le 4 février 2014, elle reconnaît que la vie qu’elle mène l’en a éloignée.
“J’ai l’impression qu’il y a dans le pays un sentiment d’anxiété croissant, voire de colère, autour de l’impression que les dés sont pipés. C’est un sentiment que je n’ai jamais eu dans ma jeunesse. Je veux dire, bien sûr il y avait des gens riches […] mais nous avons eu une solide éducation de classe moyenne, des bonnes écoles publiques, des soins de santé accessibles. […] J’ai vécu ça. Et maintenant, évidemment, je m’en suis éloignée, par la vie que j’ai menée, par la fortune dont mon mari et moi jouissons désormais, même si je n’ai pas oublié.”
“Pas heureux d’être piraté par les Russes”
[…]
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