jeudi 25 août 2016

Le rapport Chilcot sur la guerre en Irak offre une critique dévastatrice de Tony Blair, par Steven Erlanger et David E. Sanger

Le rapport Chilcot sur la guerre en Irak offre une critique dévastatrice de Tony Blair, par Steven Erlanger et David E. Sanger

Source : The New York Times, le 07/07/2016

M. Blair, ancien premier ministre de Grande-Bretagne, a fait une déclaration sur les conclusions du comité Chilcot, disant qu’il prenait « l’entière responsabilité » de la décision d’entrer en guerre avec l’Irak. Par THE ASSOCIATED PRESS publié le 6 juillet 2016.

LONDRES – Le 28 juillet 2002, environ huit mois avant l’invasion dirigée par les Américains de l’Irak, le premier ministre britannique Tony Blair a envoyé au président George W. Bush une note personnelle qui alarma un des meilleurs adjoints à la sécurité nationale de M. Blair – et qui fut accueillie avec soulagement par Washington.

« Je serai avec vous quoi qu’il arrive, » écrivait M. Blair, dans ce qui se révélait être une promesse de soutien britannique si les États-Unis entraient en guerre pour renverser le dirigeant iraquien Saddam Hussein. Se débarrasser de M. Hussein était « la bonne chose à faire », écrivait M. Blair, prédisant que « son départ libèrerait la région. »

Quatorze ans plus tard, la promesse de M. Blair fut révélée publiquement mercredi comme partie d’une volumineuse enquête officielle de sept ans sur le comment et le pourquoi de l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne en Irak.

Les principales conclusions du rapport du comité d’enquête indépendant sur l’Irak étaient connues : que la Grande-Bretagne, de la même manière que les États-Unis, a utilisé des renseignements biaisés pour justifier l’invasion, que l’Irak ne posait pas de menace immédiate pour la sécurité nationale, que les alliés sont intervenus militairement avant que toutes les options diplomatiques n’aient été épuisées et qu’il y avait un manque de planification sur ce qui surviendrait après le retrait de M. Hussein.

Le rapport a néanmoins eu une énorme résonance en Grande-Bretagne, en partie parce qu’il est arrivé au moment où les Britanniques sont engagés dans une débat sur la place de leur pays dans le monde, après leur vote le mois dernier pour quitter l’Union européenne.

Le rapport représente également un moment de brûlante responsabilisation vis-à-vis du public pour M. Blair, dont l’héritage a été défini en Grande-Bretagne quasiment entièrement, et en grande partie négativement, autour de sa décision d’aller en Irak aux côtés des États-Unis.

La note de M. Blair à M. Bush s’inscrivait dans une campagne de soutien aux États-Unis avant la guerre, et pour conduire la Maison-Blanche vers la mise en place d’un soutien diplomatique aux efforts pour répondre à la menace perçue venant d’Irak, comme montré par le rapport.

Les 2,6 millions de mots du rapport décrivent un premier ministre qui voulait une preuve plus convaincante du besoin d’une intervention militaire et d’un plan plus solide d’occupation de l’Irak et de reconstitution du gouvernement sur place. Au-delà de ce serment d’allégeance à M. Bush, la note du 28 juillet 2002 mettait largement en garde des risques de « conséquences inattendues » résultant d’une invasion, et prévoyait justement que les autres nations européennes seraient réticentes à soutenir la guerre.

Mais au moment où débute l’invasion, la plupart des mises en garde et conditions de M. Blair avaient été mises de côté, conclut le rapport. Le président du comité, John Chilcot, a dit mercredi matin que M. Blair avait été informé par ses diplomates et ministres de « l’inadéquation des plans américains » et de leur inquiétude « concernant l’inaptitude à exercer une influence significative sur l’organisation américaine. »

M. Blair a choisi de passer outre ces objections.

Dans les heures qui ont suivi la publication du rapport, M. Blair est apparu dans une conférence de presse d’environ deux heures durant laquelle il a admis les faux-pas et défaillances du renseignement, mais a défendu sa décision d’entrer en guerre. Aujourd’hui rejeté par son propre parti, le Labour, sa place dans l’histoire britannique définie par ces jours cruciaux de 2002 et 2003, il est apparu touché, même hanté, disant que pas un jour n’est passé sans qu’il pense aux décisions qu’il avait prises il y a de cela une décennie.

Le premier ministre Tony Blair, à gauche, à la Maison-Blanche avec le président George W. Bush, en janvier 2003. Doug Mills/The New York Times

Le premier ministre Tony Blair, à gauche, à la Maison-Blanche avec le président George W. Bush, en janvier 2003. Doug Mills/The New York Times

« Il n’y aura pas une journée de ma vie où je ne revivrai et ne repenserai à ce qui s’est passé, » a affirmé M. Blair. « Les gens me demandent pourquoi je passe tant de temps aujourd’hui au Moyen-Orient. Voilà pourquoi. C’est pour cela que je travaille à la paix au Moyen-Orient. »

Un moment décisif a semblé survenir lorsque la note de M. Blair à M. Bush en 2002, classifiée « Secret-Personnel », a été diffusée auprès de deux principaux collaborateurs, David Manning et Jonathan Powell. Le rapport a révélé qu’ils avaient exhorté M. Blair à atténuer ou à supprimer le « Je serai avec vous, quoi qu’il arrive » de sa déclaration, et de ne pas tant lier son destin politique aux jugements de M. Bush.

M. Manning, un ancien ambassadeur à Washington et le conseiller en chef sur la politique étrangère de Blair, a témoigné qu’il avait dit à M. Blair que la phrase était trop « radicale », qu’elle semblait « rejeter toute autre option » et qu’il y avait « un risque qu’elle soit prise au pied de la lettre. »

M. Blair dit plus tard qu’il pensait avoir modifié la phrase, mais ce n’était pas le cas.

M. Blair a insisté sur le fait qu’il n’avait pas fourni de « blanc-seing » à Washington, et que la note passait rapidement à une analyse des nombreuses difficultés posées par une telle guerre, notamment pour conclure une coalition politique pour la soutenir et concernant la « nécessité de s’engager en Irak sur le long terme. »

Il mit en garde contre de possibles « conséquences inattendues », comme un grand nombre de victimes civiles irakiennes ou l’éruption « d’un soulèvement populaire arabe ».

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John Chilcot, qui a mené une enquête de sept ans sur la guerre en Irak, a annoncé les conclusions du comité à Londres mercredi, disant que l’invasion de l’Irak en 2003 était basée sur des renseignements biaisés. By THE ASSOCIATED PRESS on July 6, 2016. Photo by Jeff J. Mitchell/Getty Images.

Le rapport conclut que M. Blair et le gouvernement britannique ont sous-estimé les difficultés et les conséquences de la guerre, et largement surestimé l’influence qu’il aurait sur M. Bush.

Les résultats ont hanté depuis lors l’Irak, les États-Unis et la Grande-Bretagne : plus de 200 Britanniques tués, dont 179 soldats, au moins 4 500 Américains tués et plus de 150 000 Irakiens, pour la plupart des civils, puisque des conflits sectaires, des groupes terroristes et des acteurs tels que l’Iran ont rempli le vide laissé par M. Hussein.

Juste cette semaine, au moins 250 civils irakiens sont morts dans une explosion à la voiture piégée à Bagdad alors qu’ils célébraient les derniers jours du mois saint du ramadan.

Alors que le comité de M. Chilcot remontait aux sources de ce qui apparaît pour beaucoup de jeunes britanniques comme de l’histoire ancienne – les étudiants entrant à l’Université cette année avaient 4 ans lorsque les décisions en question ont été prises – ils ont trouvé une forme de chambre de résonance entre Londres et Washington.

Un membre du renseignement, Tim Dowse, a dit au comité que les officiels britanniques étaient tellement nerveux au sujet des suspicions des États-Unis selon lesquelles les tubes d’aluminium acquis par M. Hussein pourraient être utilisés comme centrifugeuses pour enrichir l’uranium, qu’ils avaient initialement enlevé le sujet de la synthèse britannique publiée en 2002 sur les projets d’armement irakiens.

Les forces britanniques commencent à se retirer de Bassora, Irak, septembre 2007. Cpl. Steve Follows / Ministère de la Défense britannique

Les forces britanniques commencent à se retirer de Bassora, Irak, septembre 2007. Cpl. Steve Follows / Ministère de la Défense britannique

Après que le vice-président Dick Cheney a parlé des tubes à la télévision américaine, « nous avons pensé qu’il aurait été étrange de ne rien dire sur le sujet, » a affirmé M. Towse. « Cela aurait soulevé des questions. »

Donc, le rapport mentionnait les tubes mais notait « nous ne pouvons confirmer qu’ils étaient destinés à un programme nucléaire. »

De telles questions au sujet des renseignements avant-guerre étaient laissées sans réponse, malgré le désir répété de M. Blair d’avoir une « preuve irréfutable ».

M. Blair a souligné mercredi que le rapport avait conclu qu’il n’avait pas inventé ou distordu les renseignements. Il remporta peu de sympathie pour autant : le dirigeant actuel du Labour, Jeremy Corbyn, s’est excusé du fait que le parti ait conduit la Grande-Bretagne à la guerre, et les conservateurs au pouvoir étaient heureux de laisser les membres du Labour se déchirer entre eux au sujet de Blair et de l’Irak.

Le sentiment que la Grande-Bretagne a été entraînée dans un carnage par une dévotion stupide aux États-Unis a eu des conséquences durables et rendu les membres du Parlement peu disposés à autoriser d’autres actions militaires aux côtés de Washington.

L’héritage de l’Irak a empêché la Grande-Bretagne de rejoindre les États-Unis dans le bombardement de la Syrie pour son usage d’armes chimiques. Ce fut également un facteur dans la décision de Barack Obama d’abandonner l’idée d’une frappe militaire des réserves d’armes chimiques en Syrie, et de retarder l’activité militaire contre l’État Islamique.

Mais ayant été un allié déterminé du président Bill Clinton durant la guerre au Kosovo, et étant intervenu avec succès en Sierra Leone en 2000, M. Blair avait foi en l’usage de la force pour imposer un ordre mondial plus rationnel, et après les attaques du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, il s’aligna rapidement sur la position de M. Bush.

Le verdict de l’enquête quant à l’organisation et à la conduite de l’engagement militaire britannique en Irak est très critique, rejetant l’affirmation de M. Blair selon laquelle les difficultés rencontrées après l’invasion ne pouvaient pas être prévues.

« Nous ne sommes pas d’accord sur le fait que du recul soit nécessaire, » a affirmé M. Chilcot. « Les risques d’un conflit interne en Irak, la poursuite active par l’Iran de ses intérêts, l’instabilité régionale et l’activité d’al-Qaïda en Irak étaient des situations bien identifiées avant l’invasion. »

Le rapport est sans appel sur le fait que le problème de M. Blair avant l’invasion de l’Irak était moins la nécessité de renverser M. Hussein que de savoir comment le justifier.

Selon le rapport, les renseignements que M. Blair a présentés au public exprimaient beaucoup plus de certitudes que ceux présentés par ces collaborateurs en privé.

Le rapport affirme que : « A aucun moment l’hypothèse que l’Irak pourrait ne pas avoir d’armes ou de programmes chimiques, biologiques ou nucléaires n’a été identifiée ou examinée » par le Comité mixte du renseignement britannique.

« Le Royaume-Uni a choisi de rejoindre l’invasion de l’Irak avant que les options pacifiques pour le désarmement n’aient été épuisées, » affirme le rapport. « L’action militaire à ce moment donné n’était pas la dernière option. »

Stephen Castle a contribué à ce reportage.

Source : The New York Times, le 07/07/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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