samedi 23 avril 2016

[1957] L’impérialisme occidental, ennemi de la Liberté – par J.F. Kennedy

[1957] L'impérialisme occidental, ennemi de la Liberté – par J.F. Kennedy

Le 2 juillet 1957, le sénateur démocrate John F. Kennedy prononce un discours retentissant devant le Sénat des États-Unis. Il dénonce la présence coloniale française en Algérie et appelle à l'indépendance de ce pays. S'agit-il d'une fidélité à l'anticolonialisme américain, ou d'un souci de sauvegarder un « grand allié » et ami ? Sur un fond de guerre froide, les réactions ne se sont pas fait attendre. Elles sont venues de l'intérieur des États-Unis, de la France, de l'Algérie et d'ailleurs. Les unes applaudissent le courage du jeune sénateur. Les autres vouent aux gémonies ce « Yankee exterminateur » des Amérindiens, qui ose donner des leçons à la France civilisatrice et bâtisseuse d'écoles et d'hôpitaux…

Source : JFK Link, le 02/07/1957

Discours de J.F Kennedy sur l’Algérie devant le Sénat américain en 1957

2 juillet 1957

M. KENNEDY. Monsieur le Président, la plus puissante force de notre monde n’est aujourd’hui ni le communisme ni le capitalisme, ni la bombe H ni le missile guidé, il s’agit de l’éternelle aspiration de l’homme à être libre et indépendant. Le grand ennemi de cette force considérable qu’est la liberté est, faute d’un terme plus précis, l’impérialisme qui actuellement se réfère à l’impérialisme soviétique et, que nous l’apprécions ou pas, et bien qu’ils ne soient pas comparables, l’impérialisme occidental.

Par conséquent, les plus importants critères pour juger la politique étrangère américaine sont notre façon de relever le défi de l’impérialisme et nos actions pour défendre l’aspiration humaine à la liberté. Ces critères, plus qu’aucun autre, décideront du jugement de notre nation par les millions d’habitants d’Asie et d’Afrique non-alignés, et seront observés anxieusement par les amoureux de la liberté gardant espoir derrière le rideau de fer. Si nous échouons à relever ce défi de l’impérialisme soviétique ou occidental, alors aucune aide étrangère, aucune expansion de l’armement, aucun nouveau pacte ou nouvelle politique ou conférence de haut niveau ne pourra prévenir de nouveaux reculs dans notre évolution et notre sécurité.

Je suis aujourd’hui préoccupé par le fait que nous échouons à relever ce défi qu’est l’impérialisme, dans ses deux sens, et qu’ainsi nous manquons à nos devoirs envers le monde libre. Je propose donc, puisque le sénat et la nation se préparent à commémorer le 181e anniversaire de la plus noble expression de l’homme contre la répression politique, de commencer une série de discours en deux parties, analysant le rôle de l’Amérique dans la lutte sans relâche pour l’indépendance qui met à rude épreuve les forces impérialistes à l’intérieur des deux blocs, soviétique et occidental. Mon intention n’est pas de parler de principes généraux, mais de cas précis, de proposer non pas des critiques partisanes mais ce que j’espère être des réponses constructives.

Il y a plusieurs cas d’affrontements entre l’indépendance et l’impérialisme dans le bloc soviétique qui requièrent notre attention. Un, au-dessus du reste, se détache dangereusement, la Pologne.

Le secrétaire d’État, dans sa conférence de presse du matin, à ce sujet, suggéra que si les gens souhaitent faire quelque chose à propos des exemples de colonialisme, ils devraient considérer le cas de la Lituanie gouvernée par les Soviétiques et les pays satellites, Tchécoslovaquie, Pologne, et autres.

Je suis d’accord avec lui. Pour cette raison, j’espère parler, d’ici deux semaines, d’un problème que je pense primordial, en un mot de la Pologne.

Il y a plusieurs cas d’affrontements entre l’indépendance et l’impérialisme dans le bloc occidental qui requièrent notre attention. Mais ici aussi l’un d’eux, plus que les autres, est absolument essentiel, l’Algérie.

Je dois discuter cet après-midi de nos échecs et de notre avenir en Algérie et en Afrique du Nord, et aussi ultérieurement parler de la Pologne à cette assemblée.

  1. L’Algérie, la France, et les États-Unis

M. le Président, la guerre en Algérie confronte les États-Unis à la plus grave impasse diplomatique depuis la crise en Indochine, et cependant nous avons non seulement échoué à faire face au problème de manière franche et efficace, nous avons même refusé de reconnaître qu’il nous concernait. Aucun problème ne constitue un défi plus difficile pour les responsables de notre politique étrangère, et aucun problème n’a été négligé à ce point. Quoique j’hésite quelque peu à m’attaquer au genre d’examen public de ce cas dont j’espérais –- lorsque je commençai l’étude intensive du problème il y a 15 mois – qu’il serait transmis par le département d’État au Congrès et au peuple, le Sénat est en droit, à mon avis, de recevoir les réponses aux questions fondamentales posées par cette crise.

Je suis encore plus réticent à paraître critique envers notre premier et plus ancien allié, dont l’assistance dans notre propre guerre d’indépendance ne sera jamais oubliée et dont le rôle qu’il a habituellement tenu dans l’enchaînement des événements du monde a toujours été une attitude de coopération et de leadership constructif. Je ne veux pas que notre politique soit anti-française, pas plus qu’elle ne soit antinationaliste – et je suis convaincu qu’un nombre croissant de français, dont nous devons tous reconnaître la patience et l’endurance, réaliseront que les points de vue exposés dans ce discours sont, à long-terme, dans leur intérêt.

Je ne dis rien aujourd’hui qui n’ait déjà été énoncé par des chefs responsables de l’opinion française, et même par un nombre croissant de français eux-mêmes.

L’ALGÉRIE EST-ELLE UNE PRÉOCCUPATION POUR LES ÉTATS-UNIS ?

Pour commencer, il faut noter que des diplomates français et américains ont le même point de vue sur la question de l’Algérie et cela depuis plusieurs années. Ils considèrent que ce n’est pas un sujet de débat pour la politique étrangère américaine ou pour la marche du monde. C’est uniquement un problème interne à la France, consistant en un soulèvement dans une province, une crise qui réagira de façon satisfaisante à une anesthésie locale. Mais, quelle que soit la validité de ces clichés, les faits bruts et récents sur le sujet sont que la transformation du nationalisme africain et les effets secondaires de plus en plus graves de cette crise ont transformé l’Algérie en un problème international et par conséquent américain.

La guerre d’Algérie, impliquant plus de 400 000 soldats français, a ôté aux forces continentales de l’OTAN assez d’hommes pour les rendre squelettiques. Elle a brouillé les espoirs européens d’un marché commun et sérieusement compromis les réformes libérales prônées par l’OCDE en forçant la France à imposer des restrictions à l’importation car elle est en économie de guerre. Elle a fait l’objet de plusieurs appels à débat dans le cadre des Nations Unies. Nos réactions équivoques et notre opposition à ce débat ont altéré notre leadership et notre prestige dans cette organisation. Elles ont dégradé nos relations avec la Tunisie et le Maroc, qui font naturellement cause commune avec les chefs algériens et qui ont des reproches justifiés à nous faire, car nous avons des accords économiques et militaires avec un gouvernement français qui sanctionne économiquement leurs soutiens au nationalisme algérien.

Elle a affaibli l’efficacité de la force de la doctrine Eisenhower pour le Moyen-Orient et nos programmes d’aide étrangère et d’information. Elle a mis en danger le maintien de certaines de nos bases aériennes les plus stratégiques, et menacé nos avantages géographiques sur l’orbite communiste. Elle a affecté notre position aux yeux du monde libre, notre leadership dans la lutte pour garder ce monde libre, notre prestige et notre sécurité ; ainsi que notre leadership moral dans la lutte contre l’impérialisme soviétique dans les pays derrière le rideau de fer. Elle a fourni des munitions puissantes aux propagandistes anti-occidentaux dans toute l’Asie et le Moyen-Orient – et sera l’élément le plus gênant face à la conférence d’Accra  en octobre des nations libres de l’Afrique, qui souhaitent, en facilitant la transition vers l’indépendance des autres colonies africaines, rechercher des voies communes par lesquelles ce grand continent pourra rester aligné avec l’Occident.

Enfin, la guerre d’Algérie n’a cessé de drainer la main-d’œuvre, les ressources, et l’esprit de l’un de nos alliés les plus anciens et les plus importants – une nation dont la force est absolument vitale pour le monde libre, mais qui a été contrainte par ce conflit épuisant à reporter de nouvelles réformes et les services sociaux à domicile, à étouffer les nouveaux plans importants pour le développement économique et politique en Afrique occidentale française, le Sahara, et dans une Europe unie, pour faire face à un mouvement communiste intérieur consolidé à un moment où le communisme recule ailleurs en Europe, pour étouffer le journalisme libre et critique, et libérer la colère et les frustrations de son peuple par une instabilité gouvernementale perpétuelle et une attaque précipitée sur Suez.

Non, l’Algérie n’est plus un problème spécifiquement français – et ne le sera plus jamais. Et bien que leur sensibilité à son examen par cette nation ou l’ONU soit compréhensible, une discussion franche et complète d’une question si importante pour nos intérêts tout comme aux leurs devrait être évaluée des deux côtés d’une Alliance atlantique qui a un véritable sens et une solidarité.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait la moindre valeur dans le genre de discussion qui a caractérisé l’approche d’autrefois de ce problème et d’autres du même genre – de tièdes encouragements et de la morale des deux côtés, une neutralité prudente sur les véritables enjeux, et une réaffirmation du fait évident que nous dépendons de nos amis européens, de notre évident engagement malgré tout aux principes d’autodétermination, et de notre désir naturel de ne pas nous impliquer. Nous nous sommes convaincus nous-mêmes que nous avions de cette façon satisfait les deux côtés en faisant l’autruche, alors qu’en réalité nous n’avons gagné que la méfiance de tous.

UNE RÉSOLUTION RAPIDE EST-ELLE POSSIBLE SANS L’ACTION DES ÉTATS-UNIS ?

Il est donc temps que l’on prenne en main le véritable problème qui nous est posé en Algérie – problème qui ne peut plus être évité ni par les Nations Unies ni par l’OTAN – problème qui devient de plus en plus difficile à résoudre, comme une guerre acharnée apparemment sans fin détruit, un par un, les ponts de moins en moins nombreux qui restent vers un accord raisonnable. Chaque mois la situation devient plus tendue, les extrémistes gagnent de plus en plus de force des côtés français et algérien. Le gouvernement, récemment investi par l’Assemblée française, est présidé par un Premier ministre clairement identifié avec une politique sans aucune concession valide ou réalisable ; et son cabinet, bien que reposant sur un équilibre des partis similaire à celui de son prédécesseur, a été purgé de tous les membres associés de quelque façon que ce soit à une politique de négociation en Algérie. Le gouvernement français, quelle que soit la personnalité de son dirigeant, semble attaché aux mêmes formules rigides qui régissent ses actions en Algérie depuis si longtemps ; et le seul signe d’espoir est l’expression plus claire de l’intérêt pour un règlement parmi les penseurs indépendants en France, un exemple notable étant l’ouvrage bien argumenté publié récemment par M. Raymond Aron, intitulé « La tragédie algérienne ».

M. Aron, principal commentateur politique du journal conservateur Le Figaro, a exhorté à la constitution d’un État algérien comme le meilleur choix entre deux maux. Mais les perspectives d’un tel règlement offert ou accepté par son propre gouvernement sont fort éloignées, si l’histoire des échecs des négociations passées en est une indication. En février 1956 le Premier ministre Mollet, bombardé avec des tomates et des briques, a plié devant la fureur d’une foule française à Alger, et a remplacé le futur ministre résident français soupçonné de pencher vers un règlement rapide. A l’automne dernier, lorsque Mollet lui-même autorisa les émissaires français à tenir des négociations pour le cessez-le-feu avec les nationalistes à Rome et ailleurs, et encouragea la discussion sur la question entre les rebelles et les gouvernements tunisiens et marocains, les principaux dirigeants rebelles algériens ont été pris en otage par les Français lors du transit aérien entre Rabat et Tunis à l’occasion de ces réunions. Cette mesure, semblant prise à l’initiative du ministre français de la Défense et du ministre résident, et, en fait, à l’insu du Premier ministre, M. Mollet lui-même, a non seulement fait s’évanouir tous les espoirs d’un cessez-le feu, mais aussi eu les répercussions les plus défavorables pour la France dans tous les pays non-alignés.

Après l’apaisement des troubles de Suez, le Premier ministre tunisien Bourguiba a de nouveau tenté de trouver un terrain d’entente ; et, avec beaucoup d’efforts, il a persuadé les représentants nationalistes d’accepter le principe des élections sous contrôle international, sous réserve de garanties, si les Français se conformaient aux résultats. Mais, encore une fois, M. Mollet lui a coupé l’herbe sous le pied ; et, plus récemment, M. Bourguiba a été frustré par l’action de la France qui a arbitrairement coupé les subventions économiques pour la Tunisie. Une autre manifestation de violence a été récemment prévue au cas où l’actuel ministre résident, l’intransigeant Robert Lacoste, serait remplacé par un modéré. Une organisation extrémiste française à Alger qui a voué aux gémonies M. Mendes-France et les défenseurs de la réforme modérée est en effet subventionnée par Lacoste et le gouvernement. Et la politique française continue d’insister pour que ni négociations ni élections ne puissent avoir lieu avant la fin des hostilités – un engagement, comme je vais en débattre dans un moment, qui rend moins probables à la fois les négociations et la fin des hostilités, tout comme en Indochine.

*     *     *     *     *

M. MANSFIELD. Je note que dans le cadre des remarques du sénateur, il fait référence à une déclaration de M. Aron, qui a exhorté à la constitution d’un État algérien. Le sénateur peut-il nous dire si des offres, fermes ou non, ont été réalisées ces dernières années par un gouvernement français qui chercherait à réaliser une sorte de concordat entre la République Française et l’Algérie sous la forme de fédération, confédération ou Commonwealth ?

M. KENNEDY. Le sénateur du Montana sait que lors de la réunion au cours du week-end dernier du Parti socialiste, dont les membres ont de forts sentiments minoritaires, le vote a néanmoins été en faveur de la politique de Guy Mollet, qui considère l’Algérie comme partie intégrante de la France métropolitaine et qui appelle à un cessez-le-feu et au désarmement des rebelles, puis à discuter du problème.

Le parti refuse l’accord avec M. Aron et refuse également de reconnaître les réalités de la vie ; au contraire, il affirme que l’Algérie est partie intégrante de la France métropolitaine et qu’elle ne devrait pas être considérée comme une entité indépendante.

*     *     *     *     *

M. KENNEDY. Il ne fait aucun doute que le maréchal Juin, qui était considéré à une époque comme un adversaire intransigeant de l’indépendance du Maroc, en est venu à réaliser que la politique actuelle du gouvernement français en Algérie est en faillite. Lundi, le New York Times, dans un article de Toulouse, en France, en discutant de la réunion des socialistes français qui s’y était tenue, a remarqué :

Ceux qui étaient favorables à la reconnaissance publique du droit de l’Algérie à l’indépendance étaient en réalité l’expression de l’attitude croissante, mais encore majoritairement privée, de nombreux Français qui craignent les conséquences politiques d’une telle position si elle devait être assumée publiquement.

Il me semble que l’opinion publique en France se déplace lentement vers la reconnaissance de la réalité que l’Algérie ne peut être raisonnablement partie intégrante de la France. Pourtant le parti suit toujours la politique de M. Mollet, qui considère l’Algérie comme partie intégrante de la France métropolitaine.

*     *     *     *     *

M. KENNEDY. Je voudrais citer en outre un extrait de l’article du New York Times, se référant à la politique du Parti socialiste de M. Mollet :

L’offre française de longue date d’un cessez-le-feu a été maintenue, et les élections, dès que le calme rétabli, seront tenues. Un statut définitif serait alors négocié avec les représentants élus du peuple algérien, qui est considéré comme faisant partie de la France métropolitaine.

L’article précise alors

Jusque-là, une loi provisoire donnant aux musulmans une plus grande voix au niveau local, régional, et, plus tard, les affaires territoriales serait mise en application. L’indépendance est absolument exclue.

Le reportage continue :

Le gouvernement dépend pour son existence du soutien et de la participation des socialistes. S’ils avaient voté des changements décisifs dans la politique algérienne, la coalition des socialistes et des radicaux se serait effondrée, précipitant une nouvelle crise gouvernementale.

En d’autres termes, ce refus de faire face aux réalités est considéré comme essentiel pour maintenir la structure gouvernementale actuelle. Tout le long de la réunion du Parti socialiste au cours des derniers jours, il y avait le fort sentiment qu’un changement était nécessaire.

Le nœud du problème est que, bien que la France affirme, d’une part, que l’Algérie fait partie intégrante de la France métropolitaine, les Français n’ont jamais vraiment reconnu les Algériens en tant que citoyens français. S’ils permettaient à tous les Algériens de voter en tant que citoyens français, plus d’un sixième des représentants à l’Assemblée française seraient d’Algérie. Le fait est que sur environ 625 représentants, ils ont permis à l’Algérie un total de 30. En outre, ils ont refusé aux Algériens les avantages sociaux, politiques et économiques qui reviennent aux citoyens qui vivent en France métropolitaine.

En 1936, lorsque le Premier ministre Léon Blum a mis en avant ses propositions visant à intégrer progressivement l’Algérie et à donner aux Algériens la citoyenneté française et la nationalité française, les citoyens français d’Algérie se révoltèrent. Un compromis raisonnable, qui j’en suis certain, aurait été accepté par les Algériens en remontant aussi loin que 1936, a été rejeté par les Français qui vivaient en Algérie. C’est cette attitude qui empêche toute politique vraiment constructive de se développer aujourd’hui.

M. MANSFIELD. Le sénateur du Massachusetts a anticipé une de mes questions ; à savoir, l’accord conclu par la France que l’Algérie, en tant que partie intégrante de la région métropolitaine, obtiendrait pour ses citoyens les droits de la citoyenneté française. Cet accord aurait-il été suivi d’effet – je crois que c’était De Gaulle qui, en 1947, a publié le dernier décret afin que les Algériens soient considérés comme des citoyens français – comme le sénateur du Massachusetts l’a indiqué, cela aurait signifié un total de 100 à 120 députés de plus au Parlement français. Si, à ceux-là avaient « été ajoutés les autres députés de l’étranger, cela formerait un bloc très solide. Les députés communistes, entre les deux, auraient bien pu exercer une influence dominante. Il ne serait pas déraisonnable de supposer que, sous certaines conditions, la France métropolitaine elle-même pourrait être régie par une assemblée à majorité composée de députés d’outre-mer. Est-ce exact ?

M. KENNEDY. Le sénateur a raison. De plus, la France a fait quelques concessions en 1947 qui prévoyaient la mise en place d’un parlement bicaméral basé sur deux électorats en Algérie.

Bien que la population française soit évaluée à un million, avec un décompte strict, son nombre pourrait descendre jusqu’à 700 000. L’égalité du droit de vote n’a pas été donnée à l’ensemble de la population algérienne de plus de 8 millions. Le projet de loi Blum stipulait que la pleine citoyenneté serait accordée selon une base s’élargissant lentement, en commençant par ceux qui ont apporté des contributions spéciales à l’État, dans l’armée, par exemple. Mais il a été convenu dans la colonie française d’Algérie que même cela ne serait pas acceptable. Tous les maires français d’Algérie se sont concertés, ont présenté leur démission collective et ont solennellement protesté. Soixante-quinze mille sur une population totale de 8 millions ont reçu le droit de vote français.

D’une part, il y a la revendication française que ses politiques protègent la France métropolitaine. D’autre part, les Français en Algérie refusent d’accepter la responsabilité qu’un tel point de vue implique.

Pour cette raison je soutiens que la France, dans la pratique, à travers ces déclarations, a reconnu l’Algérie comme une entité indépendante. À mon avis, la situation doit être traitée dans cette optique, et la France devrait poursuivre les négociations avec les nationalistes sur cette base. Jusqu’à ce que cela soit fait, la situation continuera évidemment à se détériorer.

QUEL EST LE DOSSIER AMÉRICAIN SUR L’ALGÉRIE ?

Ce récit lamentable est d’une importance particulière pour nous au Sénat et pour le sous-comité des relations étrangères des affaires des Nations Unies que j’ai l’honneur de servir en tant que président, en raison de l’attitude envers la question algérienne qui a été adoptée pendant toute cette période par nos porte-parole à Washington, à Paris et au siège de l’ONU. Au lieu de contribuer à nos efforts pour un cessez-le-feu et un accord, de l’équipement militaire américain – en particulier des hélicoptères, achetés dans ce pays, que les indigènes en particulier craignent et détestent – a été utilisé contre les rebelles. Au lieu de reconnaître que l’Algérie est le plus grand problème non résolu de la diplomatie occidentale en Afrique du Nord aujourd’hui, notre émissaire spécial dans cette région cette année, notre distingué vice-président, n’a même pas parlé de cette question sensible dans son rapport.

*     *     *     *     *

Au lieu de reconnaître le refus de la France de négocier de bonne foi avec les dirigeants nationalistes ou d’accorder les réformes précédemment promises, notre ambassadeur auprès de l’ONU, M. Lodge, dans sa déclaration cette année comme précédemment, et notre ancien ambassadeur à Paris, M. Dillon, dans sa déclaration l’année dernière représentant apparemment la politique de la plus haute administration, ont tous deux exprimé une foi ferme dans la gestion par le gouvernement français de l’ensemble de la question. Je ne les critique pas en tant qu’individus, parce qu’ils représentaient la politique du sommet de l’administration.

Dans sa déclaration, l’ambassadeur Dillon a rappelé avec fierté que « les États-Unis ont toujours soutenu la France quand les questions d’Afrique du Nord ont été discutées au sein des Nations Unies » ; et que le matériel militaire américain – en particulier des hélicoptères – avait été mis à disposition pour l’utilisation contre des groupes indigènes en Algérie.

Les États-Unis, souligna l’ambassadeur Dillon, se tiennent solennellement derrière la France dans sa recherche d’une solution libérale et équitable des problèmes en Algérie.

Notre fière tradition anticolonialiste, dit-il, ne place pas le problème algérien dans le même camp que la Tunisie et le Maroc.

Naturellement, les Français étaient ravis de la déclaration de l’ambassadeur Dillon. Le Premier ministre Mollet a exprimé la satisfaction de son pays d’avoir les États-Unis « à ses côtés en ce moment ». Le Monde la décrit comme « une victoire du camp pro-français dans le département d’État sur les champions de l’anticolonialisme et de l’apaisement des Arabes. » Mais le chef du mouvement national algérien, en résidence surveillée en France, a exprimé sa consternation que les États-Unis quittent leurs traditions démocratiques pour s’allier au colonialisme français et favoriser « la reconquête militaire de l’Algérie au détriment de l’autodétermination des peuples. »

De même, lorsqu’en 1955 on a demandé au comité de pilotage de l’ONU d’inscrire la question à l’ordre du jour de l’Assemblée générale, et notre ambassadeur à l’ONU a insisté sur le fait que l’Algérie faisait tellement partie intégrante de la République française que la question ne pouvait pas être correctement examinée par un organisme international. Un porte-parole algérien a commenté que son peuple « n’arrivait pas à comprendre pourquoi les États-Unis devraient s’identifier à une politique de répression coloniale et à des préjugés contraires aux traditions et intérêts politiques américains. »

L’Assemblée générale, le Sénat s’en souviendra, a annulé la décision du comité et a placé la question de l’Algérie à l’ordre du jour, ce qui a provoqué la sortie des délégués français de l’Assemblée, les États-Unis ont à nouveau voté contre la discussion de la question. Deux mois plus tard, bien sûr, la question a été abandonnée et les Français sont revenus. Lors de la session de 1956-1957, les États-Unis ont à nouveau travaillé pour parvenir à une résolution de compromis reportant l’examen par les Nations Unies pour au moins un an jusqu’à ce que les Français aient réglé la question comme ils l’entendent.

Ce n’est pas une attitude dont on peut être fier alors que s’approche la Journée de l’Indépendance. Peu importe la complexité des problèmes posés par la question algérienne, la position des États-Unis dans ce cas est, comme ailleurs, un recul par rapport aux principes d’indépendance et d’anticolonialisme, sans tenir compte des subtilités diplomatiques, juridiques, ou même des considérations stratégiques proposées pour sa défense. Le dossier est encore plus sombre une fois mis dans la perspective de notre refus constant pendant plusieurs années de soutenir l’examen par les Nations Unies des questions tunisienne et marocaine.

QUELLE EST LA GRAVITE DES OBSTACLES À UNE SOLUTION AU CONFLIT ALGÉRIEN ?

Je me rends compte qu’aucune solution miracle de l’« anticolonialisme » ne peut surmonter les énormes obstacles que doit affronter tout règlement rapide donnant aux Algériens le droit à l’autodétermination, et les distinguant des Tunisiens ou des Marocains. Mais considérons l’importance à long terme de ces objections et de ces obstacles, afin de déterminer si notre département d’État doit rester lié par eux.

Un. Le premier obstacle est l’affirmation que l’Algérie est légalement partie intégrante de la France métropolitaine et ne pourrait pas plus être séparée que le Texas ne peut l’être des États-Unis, un argument utilisé non seulement par la France, mais les porte-parole américains se prétendant préoccupés par quelque précédent des Nations Unies affectant nos propres affaires internes. Mais cette objection a été largement rejetée par les Français eux-mêmes, comme je vais en discuter dans un instant, ainsi que par le rythme des développements qui ont forcé l’Algérie à devenir un problème international, comme je l’ai déjà souligné. Je crois que ce sera la question la plus importante à l’ordre du jour des Nations Unies cet automne.

Deux. Le deuxième obstacle est posé par la population française en Algérie exceptionnellement nombreuse et à juste titre alarmée, qui craint pour ses droits en tant que citoyens français, ses biens et sa vie, et qui compare sa situation à celle des colons américains qui repoussaient les Indiens. Leur problème, à mon avis, mérite une reconnaissance spéciale dans un règlement final en Algérie, mais il ne diminue pas la nécessité d’aller de l’avant rapidement vers un tel règlement. Au contraire, le danger pour leurs droits et la sécurité augmente d’autant qu’un tel règlement – qui à la fin est inévitable – est reporté.

*     *     *     *     *

Trois. L’objection suivante, la plus fréquemment posée, est l’aide et le réconfort que tout règlement raisonnable donnerait aux extrémistes, des terroristes et des saboteurs qui imprègnent le mouvement nationaliste, aux communistes, égyptiens et autres provocateurs anti-occidentaux extérieurs qui ont clairement atteint un certain succès en pénétrant dans le mouvement. Le terrorisme doit être combattu, pas toléré, est-il dit ; il ne convient pas de « négocier avec des assassins ». Pourtant, une fois de plus c’est un problème que ni report ni tentative de conquête ne peuvent résoudre. Le tableau fiévreux de chaque révolution réussie – y compris, bien sûr, la Révolution française – révèle une augmentation de la température du terrorisme et de la lutte contre le terrorisme ; mais cela n’invalide pas les buts légitimes qui ont déclenché la révolution d’origine. La plupart des révolutions politiques – y compris la nôtre – ont été soutenues par l’aide extérieure dans les effectifs, les armes et les idées. Au lieu d’abandonner le nationalisme africain aux agitateurs anti-occidentaux et aux agents soviétiques qui espèrent en prendre la tête, les États-Unis, produit d’une révolution politique, doivent redoubler d’efforts pour gagner le respect et l’amitié des dirigeants nationalistes.

Quatre. Enfin, est soulevée l’objection de négocier avec un mouvement nationaliste auquel manque un dirigeant pour sa cohésion, ses objectifs et sa direction, comme les Tunisiens l’ont eu avec Habib Bourguiba, ou que les Marocains avaient certainement après la destitution stupide et autodestructrice du sultan du Maroc Ben Youssef en 1953 – maintenant Mohammed V. Le manque, d’ailleurs, d’homogénéité raciale totale parmi les Algériens africains a été reflété dans les clivages au sein des forces nationalistes. Il est dit que les Algériens ne sont pas encore prêts à gouverner leur propre pays, sur une base réelle et permanente, sans les dirigeants expérimentés et les experts formés que tout État moderne exige. Mais le gouvernement français est mal placé pour formuler de telles objections. Lui qui a délibérément étouffé les possibilités d’éducation pour les autochtones algériens, emprisonné, exilé ou exécuté leurs dirigeants, et proscrit leurs partis politiques et leurs entreprises. Les mêmes objections ont été entendues dans les cas de la Tunisie et du Maroc – où l’autonomie n’a apporté ni chaos économique ni terrorisme racial ou anarchie politique; et le problème de la société plurielle, d’ailleurs, est maintenant la règle, et non l’exception, en Afrique.

Faut-il nous opposer à nos alliés français sur l’Algérie ? La raison la plus importante pour laquelle nous avons pris le parti des Français en Algérie et en Afrique du Nord est notre réticence à contrarier un ami traditionnel et allié important dans une période de crise. Notre entente avec la France a été troublée par ses réponses alarmistes à toutes les perspectives de négociation, par sa mise en garde que les seules conséquences possibles sont la ruine politique et économique, « la valise ou le cercueil ».

Pourtant, n’avons-nous pas appris en Indochine, où nous avons retardé l’action à la suite d’avertissements semblables, que nous aurions pu servir à la fois les Français et nos propres causes infiniment mieux, si nous avions pris une position plus ferme beaucoup plus tôt que nous ne l’avons fait ? Cet épisode tragique ne nous enseigne-t-il pas, que la France le veuille ou non, l’admette ou non, à notre soutien ou non, que leurs territoires d’outre-mer vont tôt ou tard, un par un, inévitablement se libérer et considérer avec suspicion les nations occidentales qui entravaient leurs pas vers l’indépendance ? Selon les termes de Turgot :

Les colonies sont comme les fruits qui ne tiennent à l’arbre que jusqu’à la maturité.

Je tiens à souligner que je ne manque pas de réaliser les difficultés de nos alliés français aux abois. L’imagination défaille à l’idée que la France est une nation qui a été dans un état continu de guerre depuis 1939 – contre l’Axe, puis en Syrie, en Indochine, au Maroc, en Tunisie, en Algérie. Il n’a naturellement pas été facile pour la plupart des Français d’observer les retraits successifs de Damas, Hanoi, Saigon, Pondichéry, Tunis et Rabat. Avec chaque départ un grand mythe a été de plus en plus dégonflé. Mais le problème n’est plus de sauver le mythe de l’empire français. Le problème est de sauver la nation française, ainsi que l’Afrique libre.

*     *     *     *     *

Je crois que s’il y a trois ans les Français avaient fait un compromis raisonnable, il ne fait aucun doute qu’une solution raisonnable aurait pu être trouvée, et qui aurait protégé les intérêts français. Je pense qu’une telle solution aurait bien pu être trouvée alors, mais il devient de plus en plus difficile de l’appliquer au fur et à mesure que les mois passent.

En outre, le point sera fait à la réunion des Nations Unies cet automne car les États-Unis ont vraiment reporté la question en février dernier, parce que les Français ont plaidé pour plus de temps. Le fait est que la situation s’est détériorée depuis la réunion des Nations Unies, et donc les États-Unis viendront avec une résolution ferme proposant que les États-Unis et les autres membres des Nations Unies reconnaissent le fait que l’Algérie tente d’obtenir le droit à une existence indépendante. J’espère qu’auparavant les Français présenteront une proposition ; et je suggère que, avec l’aide d’Habib Bourguiba et du Sultan du Maroc et les bons offices de l’OTAN, une solution reconnaissant les droits des deux parties puisse être proposée.

M. JAVITS. On aurait pu avoir l’impression, en lisant le discours du sénateur dans une certaine optique, qu’il contenait des accents critiques sur l’administration. Sachant, comme nous le faisons tous deux, que la politique étrangère bipartite a eu le plus de succès, le sénateur du Massachusetts sera-t-il d’accord avec moi qu’il est parfaitement possible de mettre cela de côté et d’oublier de critiquer qui que ce soit, et de demander aux États-Unis de prendre la position que, après avoir essayé et essayé de nouveau et après avoir joué le jeu des Français, selon la théorie suivie par les Nations Unies de ne pas étudier la question, comme relevant de la compétence nationale, le moment est venu où les États-Unis ne peuvent pas laisser l’ONU rester à l’écart plus longtemps. Cela peut être la position des États-Unis à savoir que d’avoir fait de notre mieux avec un allié, en attendant et en attendant, les États-Unis sentent maintenant que dans l’intérêt général de la paix internationale, une certaine médiation d’un organisme international doit la garantir.

M. KENNEDY. Je suppose que la politique américaine dans ce domaine est l’objet de critiques. Mais malheureusement, cette politique a été confiée à cette administration et ce secrétaire d’État. Mais quand je parlais en 1953 et 1954 dans cette instance, de discuter de la question de l’Indochine, j’étais extrêmement critique sur la politique que l’administration démocrate avait pratiquée sur cette question pendant une période de 7 ans. De plus, je tiens également à préciser que la position de l’administration démocrate sur le Maroc, telle que les États-Unis l’ont définie aux Nations Unies avant 1953, n’a pas été non plus très heureuse. Donc, mes critiques ne sont pas partisanes, mais sont destinées uniquement à indiquer que la politique des États-Unis dans ce domaine au cours des 3 dernières années a été malheureuse ; à cet égard, je suis obligé de mentionner les noms de M. Lodge, M. Dillon, et le secrétaire d’État. Je suis critique de la position des États-Unis en ce qui concerne cette situation depuis 1946 – en particulier, le désir des États-Unis de maintenir son amitié avec les Français, les Belges et les Portugais, qui ont tous des possessions coloniales, et en même temps de maintenir l’amitié avec les peuples coloniaux eux-mêmes. Donc, ma critique n’est pas partisane, mais est uniquement destinée à indiquer que je crois que notre politique a échoué.

M. JAVITS. Permettez-moi de formuler la question de façon positive, Monsieur le Président : Notre gouvernement a besoin – pour ne pas revenir en arrière – seulement pour prendre la position très honnête que maintenant, après avoir essayé et essayé de progresser suivant une certaine ligne, à présent que la situation est devenue presque impossible en termes de maintien de la paix internationale, quelque chose doit être fait.

*     *     *     *     *

M. KENNEDY. Monsieur le Président, aucun assaut de politesse mutuelle, de vœu pieux, de nostalgie, ni de regret ne devrait aveugler la France ou les États-Unis sur le fait que, si la France et l’Occident en général doivent avoir une influence stable en Afrique du Nord – et je suis favorable, certainement, à la poursuite de l’influence française dans ce domaine – alors la première étape essentielle est l’indépendance de l’Algérie le long des lignes du Maroc et de la Tunisie. Si des mesures concrètes sont prises dans ce sens, alors il peut encore exister un Afrique du Nord français. Faute de cette étape, il y aura inévitablement seulement une mémoire vide et un échec désolé. Comme M. David Schoenbrun, dans son récent excellent volume “Ainsi va la France” souligne de façon convaincante.

La France doit soit jouer sur l’amitié d’une Afrique du Nord libre, soit en sortir complètement. Il devrait être évident après le fiasco égyptien que la France ne peut pas indéfiniment imposer sa volonté à quelque 22 millions d’Africains. Tôt ou tard, les Français devront reconnaître l’existence d’un État algérien. Le plus tôt sera le moins cher en termes d’hommes, d’argent et d’une chance de sauver quelque chose du naufrage de l’Union française.

En effet une lueur d’espoir qui se dégage de cette image par ailleurs sombre est l’indice que les Français ont reconnu la faillite de leur politique algérienne, cependant, ils peuvent ressentir ce que nous disons en légiférant des mesures généreuses et à très grande portée pour une plus grande autonomie en Afrique de l’Ouest française. Ici, sous la direction de M. Félix Houphouët-Boigny, le premier Noir ministre de l’histoire française, le gouvernement français a pris des mesures importantes en établissant un système électoral collégial unique, que l’Algérie n’a jamais eu, et en offrant le suffrage universel, large mesure de décentralisation du gouvernement, et l’autocontrôle interne. Voici les étapes réalistes à terme prises pour fusionner les aspirations nationalistes en une évolution progressive et mesurable de la liberté politique.

QU’AVONS-NOUS APPRIS EN INDOCHINE, EN TUNISIE ET AU MAROC ?

Les Français n’étaient pas les seuls, cependant, à devoir être convaincus de l’inutilité et du coût d’une lutte de type algérien. Les États-Unis et d’autres alliés occidentaux ont fourni de l’argent et du matériel en Indochine dans une tentative désespérée pour sauver pour les Français une terre qui ne voulait pas être sauvée, dans une guerre où l’ennemi était à la fois partout et nulle part en même temps, comme je l’ai souligné au Congrès à plusieurs reprises. Nous avons accepté pendant des années les prédictions que la victoire était imminente, les promesses que l’Indochine allait bientôt être libérée, les arguments que c’était un problème spécifiquement français.

Et même après avoir été témoins des conséquences tragiques de notre indécision, non seulement en termes de gains communistes mais la décimation de la force militaire française et de l’efficacité politique, nous avons entendu encore les mêmes prévisions, les mêmes promesses, les mêmes arguments en Tunisie et au Maroc. Les fortes attaches pro-occidentales dans chacun de ces pays aujourd’hui, en dépit des offres séduisantes de l’Est communiste, rendent hommage à l’autorité d’hommes comme le Premier ministre Bourguiba, dont les années dans les prisons françaises n’ont jamais obscurci l’attachement aux valeurs démocratiques occidentales.

LE DOSSIER FRANÇAIS EN TUNISIE ET AU MAROC

Certes, les Français ne peuvent à eux seuls s’attribuer le mérite de cette orientation pro-occidentale. Bien qu’en Tunisie, et plus encore au Maroc, qui a une économie beaucoup plus diversifiée et flexible, les Français laissèrent un impressionnant témoignage de réussite économique, les fruits de ces progrès n’étaient nullement répartis équitablement  dans les populations autochtones ; et il n’y avait quasiment pas de croissance parallèle des facilités dans les domaines de l’éducation et de la politique. Même si un parti politique nationaliste – l’Istiqlal au Maroc et le Néo-Destour en Tunisie – a pris vigueur dans chaque pays, son expansion a été limitée par une étroite surveillance française, par de longues périodes d’illégalité, par des arrestations, la marginalisation, ou l’emprisonnement de presque tous les dirigeants politiques importants, et par un manque d’opportunité de partager la responsabilité politique réelle. Les syndicats, qui, en Afrique, fournissent un des meilleurs viviers d’expérience politique, n’ont eu guère de liberté pour se développer.

Dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale, une succession de commandants militaires et de généraux résidents dans les deux villes de Tunis et Rabat semblaient considérer leurs missions en Afrique du Nord comme principalement concernées par l’ordre public, la suppression de la dissidence par la force, et le colmatage des explosions nationalistes. Le Parti de l’Istiqlal a été supprimé purement et simplement en 1952-1954, alors qu’aucune presse marocaine importante n’a été autorisée à publier en dehors du contrôle français et espagnol. L’alphabétisation chez les Marocains plafonne à 10 pour cent, et est à peine plus élevé chez les Tunisiens.

Deux ans avant la réalisation de l’indépendance du Maroc, les Français ont exilé le sultan et l’ont remplacé par la marionnette Ben Arafa, simple créature des Français et d’El Glaoui, pacha de Marrakech, qui avait conspiré avec le maréchal Juin pour renverser le sultan. Ces étapes brutales, la tentative d’imposer une solution militaire au Maroc et le sabotage par le gouvernement français et les « colons » du seul effort de véritable réforme en 1955 par le général résident Grandval, ont en fait assuré l’indépendance du Maroc. L’opinion décisivement ralliée au côté du sultan exilé, les Français avaient davantage de difficulté à traiter avec l’Armée marocaine de Libération et avec les tactiques souterraines du Parti de l’Istiqlal.

En Tunisie la politique de la garnison des Français ne fut pas aussi vindicative et rigoureuse – mais aucune véritable concession n’a été faite, et le chef du Parti Néo-Destour tunisien, Bourguiba, a été maintenu en isolement.

LE DOSSIER AMÉRICAIN EN TUNISIE ET AU MAROC

Malheureusement, Tunisiens et Marocains savent aussi qu’ils doivent peu, sinon rien, aux États-Unis pour leur liberté retrouvée. En fait, nous avons camouflé notre soutien constant à la position française avec des discours charitables ponctuels à propos d’une autonomie gouvernementale finale et d’espoirs de solutions justes. Et, heureusement, notre gouvernement n’a pas offert la reconnaissance à Ben Arafa parrainé par les Français après la destitution du sultan Ben Youssef, avec qui le président Roosevelt s’était entretenu pendant la Conférence de Casablanca. Mais dans la série de discussions qui a débuté en 1951 aux Nations Unies sur le Maroc et la Tunisie, les États-Unis, vote après vote, sous les deux administrations démocrate et républicaine, ont fait valoir, soit que l’ONU n’avait pas de véritable compétence pour traiter de ces questions, ou, argument pour faire peur, que cela ne ferait qu’envenimer la situation. En bref, sur chaque vote aux Nations Unies sur les questions du Maroc et de la Tunisie, nous avons échoué à voter contre les Français et pas même une fois avec les nations dites anticolonialistes d’Asie et d’Afrique.

TUNISIE, MAROC ET L’OCCIDENT AUJOURD’HUI

Heureusement pour les États-Unis et la France, et en dépit de – et non à cause de – nos dossiers passés, ni la Tunisie ni le Maroc n’ont une inclination naturelle vers Moscou, Pékin, ou Le Caire aujourd’hui. Mais il est néanmoins évident que ces derniers constituent de possibles pôles d’attraction de rechange si les pays occidentaux deviennent trop paternalistes ou tyranniques. En Tunisie, l’opposition politique au Premier ministre Bourguiba, dirigée par l’auto-exilé Salah Ben Youssef, cherche clairement à mobiliser le soutien des gouvernements égyptiens et russes. Au Maroc, les forces les plus réactionnaires et traditionalistes, qui pourraient venir au pouvoir si le gouvernement actuel d’esprit occidental échoue, semblent tâtonner quant au soutien du Caire, et aussi probablement de Moscou, et nous, dans ce pays, sommes enfin pleinement conscients du fait que la Russie possède une gamme efficace d’incitations économiques et d’astuces politiques ; que l’Égypte fait un appel persuasif, au nom du nationalisme africain, pour l’unité contre l’Occident ; et que la Chine rouge offre aux pays émergents d’un État colonial une réponse toute prête sur la façon de parvenir rapidement à la transition du retard économique à une économie forte.

Les politiques américaines dans ces territoires – visant à fournir une alternative efficace à ces forces et qui ont aidé l’indépendance tunisienne et marocaine, tandis que nous restions silencieux – ne peuvent plus désormais être liées aux Français, qui cherchent à faire dépendre leur aide économique et les négociations politiques de l’attitude du destinataire envers l’Algérie. Nous ne pouvons pas temporiser aussi longtemps que nous l’avons fait l’année dernière sur la fourniture d’urgence de blé à la Tunisie. Nous ne pouvons pas offrir à ces pays en difficulté une aide économique en deçà de leurs besoins, représentant une petite fraction de ce que nous avons offert à certains de leurs voisins moins sympathiques, moins nécessiteux, moins démocratiques, alors que même un ami dévoué comme le Premier ministre Bourguiba a été contraint de rejeter l’offre initiale de l’ambassadeur Richards – comme il avait rejeté une offre d’aide soviétique plus de 30 fois plus importante. Au Maroc, aussi, notre aide a été en deçà des besoins élémentaires de la nouvelle nation.

Nous devons, d’autre part, éviter la tentation d’imiter les communistes en promettant à ces nouvelles nations des remèdes automatiques et rapides à la détresse économique – qui conduisent trop facilement à récolter des désillusions. Mais nous pouvons de façon réaliste contribuer à ces programmes qui généreront une véritable force économique et apporteront un soulagement à la famine, à la sécheresse et aux catastrophes. La poursuite de l’utilisation des excédents agricoles, et le nouveau fonds de prêt renouvelable rendant possible la planification et l’engagement à long terme, devraient être particulièrement bien adaptés aux besoins du Maroc et de la Tunisie, qui ont dépassé le niveau de la plupart des États sous-développés, mais pas encore atteint la capacité de la plupart des économies occidentales.

Une autre étape que nous pouvons franchir immédiatement, de la plus haute priorité encore que peu coûteuse, est d’accélérer considérablement le nombre de jeunes d’Afrique du Nord qui ont pu jusqu’à présent venir aux États-Unis dans l’enseignement supérieur et la formation technique, et d’augmenter nos propres missions d’enseignement et de formation dans ce domaine. L’édification d’une fonction publique nationale, des ressources en gestion et un vivier d’ouvriers qualifiés et de cadres sont des conditions préalables pour ces pays – et l’ajout de quelques administrateurs qualifiés, ingénieurs, médecins et éducateurs sera remboursé au centuple par la stabilité et la bonne volonté.

De cette façon, nous pouvons aider à réaliser une grande et prometteuse opportunité de montrer au monde qu’une nation nouvelle, avec un patrimoine arabe, peut s’instaurer dans la tradition occidentale et résister victorieusement à la fois à l’attraction vers la féodalité arabe et le fanatisme et l’attraction vers l’autoritarisme communiste.

QUE PROPOSE LA FRANCE POUR UN ACCORD EN ALGÉRIE ?

Les leçons de la Tunisie et du Maroc, comme la leçon de l’Indochine auparavant, constituent, je l’espère, la preuve ultime de l’inutilité de l’actuelle position de la France en Algérie et le danger de l’actuelle paralysie de l’attitude américaine. Un accord rapide est une nécessité urgente – pour l’Afrique du Nord, pour la France, pour les États-Unis, l’OTAN et le monde occidental. Ce sont pourtant les éléments du « règlement » mis en avant de temps à autres par les Français, dans lesquels nous avons cru. Ils sont trois : d’abord, la reconquête militaire ou pacification ; deuxièmement, réforme économique et sociale ; et troisièmement, l’union politique avec la France.

Je suggère respectueusement que ces trois éléments ne représentent pas du tout un accord, et que d’y insister continuellement ne fait que retarder, et non hâter, un accord final. Permettez-moi d’examiner brièvement chaque point.

Le premier est l’insistance française sur la pacification de la région, en réalité reconquête, avant que d’autres pourparlers ne se poursuivent : une politique qui rend peu probables à la fois un accord et un cessez-le-feu. Car il encourage les nationalistes à supposer qu’ils peuvent jouer un jeu d’usure où la patience et la ténacité des hommes politiques français vont enfin céder comme ils l’ont fait pour l’Indochine en 1954. La politique dite de pacification de M. Lacoste se compose plus de mesures imaginaires que d’une simple répression militaire, car il tente de combiner l’élimination des rebelles et des activités terroristes dans les petites localités avec des mesures de réforme sociale et de reconstruction. Mais la rébellion est maintenant trop contagieuse pour être traitée par des méthodes de pacification, même si les Français pouvaient se permettre d’augmenter sensiblement les effectifs déjà affectés dans la région, et cela malgré le flux régulier de communiqués français optimistes.

Car, comme le général Wingate l’a judicieusement fait remarquer dans la dernière guerre, « Compte tenu d’une population favorable à la pénétration, un millier d’hommes résolus et bien armés peuvent paralyser pour une durée indéterminée les opérations de cent mille » ; et ceci est précisément ce qui est arrivé en Algérie. Les Français ont tendance à regarder le problème des rebelles algériens en termes d’échiquier militaire, alors qu’en fait, chaque rebelle identifiable a derrière lui le soutien silencieux ou à demi-mot de nombreux autres Algériens. Ainsi, près d’un demi-million de vaillants soldats français font face à un ennemi sans forces organisées, sans stratégie acceptable, sans installations militaires, et sans filières identifiables d’approvisionnement. Ils ne se battent pas avec le zèle qu’ils mettraient à défendre leur propre liberté, mais ils se battent en vain – à travers l’histoire, il a été vain d’endiguer la liberté d’un autre peuple.

Les États-Unis, contribuant à la force militaire française et en refusant d’exhorter à la médiation d’un cessez-le-feu, ont apparemment avalé la longue série de déclarations contradictoires offertes par les Français suggérant pourquoi la guerre d’Algérie s’éternise. De temps en temps on nous a dit que la guerre s’est poursuivie seulement à cause de l’ingérence du colonel Nasser, que la rébellion était active uniquement pour attirer l’attention des Nations Unies, ou en raison de l’aide du Maroc et de la Tunisie, ou en raison de l’ingérence injustifiée de diplomates et de journalistes américains décontractés, ou enfin parce que Russes et communistes s’immiscent en Algérie. Aucune de ces explications qui cherchent à trouver à l’extérieur les véritables agents de la rébellion algérienne n’emporte plus guère la conviction, même celle des Français, comme le montre la multiplicité des récentes tentatives pour supprimer le journal critique local et les commentaires du public.

Deuxièmement, les Français ont continué à exposer aux Nations Unies leurs réformes économiques et sociales actuelles et à venir les proposer en Algérie, promettant une vie meilleure pour tous si elles peuvent mettre fin aux combats. Il est vrai que les Français ont finalement ouvert des possibilités d’emploi aux musulmans, ont exproprié des terres pour les redistribuer, et ont fait des efforts pour augmenter les salaires des travailleurs agricoles. Mais la lenteur de ces réformes et l’étroitesse d’esprit de la minorité française en Algérie, qui depuis plus de 20 ans a combattu les efforts de réforme des quelques ministres libéraux, ont permis à la vague de nationalisme de s’étendre jusqu’à présent, et de prendre racine si profondément que ces efforts palliatifs arrivent trop peu et trop tard pour une situation devenue maintenant explosive. Nous devons, je le crains, accepter la leçon de tous les mouvements nationalistes que les réformes économiques et sociales, même honnêtement parrainées et administrées efficacement, ne peuvent pas résoudre ou satisfaire la quête de liberté. La plupart des peuples, en fait, semblent disposés à payer un prix dans le progrès économique, afin de parvenir à l’indépendance politique.

Troisièmement et enfin, la conception française de l’accord a obstinément adhéré au concept de constitution algérienne en France elle-même. Cette zone, il convient de le rappeler, n’a été prise que par les Français il y a un peu plus d’un siècle – la zone désertique du Sud a toujours été gouvernée de Paris comme une colonie de la couronne – et bien que le territoire côtier du Nord peuplé et fertile ait été légalement englobé dans la France en 1871, les Algériens indigènes ne sont pas devenus citoyens français jusqu’en 1947. Même alors, ce mouvement a été mené pour solidifier le contrôle français plutôt que pour accorder l’égalité. En même temps un système de représentation électorale à l’Assemblée nationale française et à l’Assemblée algérienne a été créé, donnant un pouvoir égal à deux groupes électoraux strictement séparés – l’un composé de plus de 7 millions d’Algériens et l’autre composé d’environ un million de colons français. Seuls 75 000 Algériens africains avaient le droit de vote – et seulement 30 sièges pour l’Algérie, la plupart occupés par des hommes politiques français, ont été élus à l’Assemblée nationale française. Même ces sièges sont vacants maintenant, bien sûr, les élections de 1956 n’ayant pas été prolongées après la crise qui déchire l’Algérie.

Le résultat de cet écart entre la parole et l’action, et la réticence persistante des Français à permettre plus de légères réformes ponctuelles au détriment des intérêts investis en France et en Algérie, a été d’aliéner la plupart des secteurs de l’opinion algérienne de telle sorte que l’assimilation est maintenant un effort infructueux. Il y a eu une augmentation progressive du nombre d’Algériens africains qui, une fois engagés dans un programme d’intégration avec la France, se sont ravisés et ont rejoint le mouvement pour l’indépendance – l’exemple le plus notable étant celui de Ferhat Abbas, un des leaders nationalistes les plus habiles, qui a longtemps plaidé en faveur d’une démarche assimilationniste et n’a pas tout à fait désespéré d’un tel règlement jusqu’à peu de temps avant 1956, quand il a rejoint le Front de Libération nationale.

S’il y avait eu de constants progrès d’extension de l’égalité politique et des opportunités à tous les Algériens, de sorte qu’après un certain temps, il y aurait eu une norme commune de la citoyenneté française, un effort constant pour élargir les droits politiques, au moins ceux inhérents au statut de 1947 de l’Algérie, il est possible qu’on aurait pu parvenir à une solution responsable. Il y a deux ans, une promesse – avec une date d’application précisée – qui aurait donné un droit de vote véritablement égal à l’Assemblée nationale française, et au moins la parité dans l’administration municipale algérienne, aurait bien pu gagner le soutien musulman général. Mais les Français ne voulaient pas voir 100 députés musulmans au Parlement et fournir – à un coût ne dépassant pas celui de la guerre d’Algérie actuelle – des services sociaux et une éducation communs. Et c’est cet échec de la part des Français à accepter les conséquences de leur propre conception qui a fermé à jamais la porte à la possibilité d’une véritable Union française, et a fait de l’Algérie irréversiblement une facette de la quête plus large de l’indépendance politique en Afrique. Par ailleurs, le nationalisme en Afrique ne peut pas être évalué uniquement en termes de subtilités historiques et juridiques invoquées par les Français, et donc bien acceptées par le département d’État. L’autodétermination nationale a souvent lieu par une combustion rapide que la pluie de la répression ne peut tout simplement pas éteindre, surtout dans une région où il y a un patrimoine islamique commun et où la plupart des gens – y compris les voisins les plus proches de l’Algérie en Tunisie, au Maroc et en Libye – ont obtenu l’indépendance politique. Des nations nouvelles se succèdent rapidement – Ghana hier, Nigeria peut-être demain, et les colonies d’Afrique centrale migrant vers le statut de protectorat. Quelle que soit l’histoire et ce que peuvent dire les livres de droit, nous ne pouvons pas échapper aux preuves de notre temps, surtout nous dans les Amériques dont les expériences propres fournissent un modèle qui inspire un grand nombre de ces nouvelles nations.

QUELLE POSITION LES ÉTATS-UNIS DEVRAIENT-ILS ADOPTER EN ALGÉRIE ?

Et ainsi je reviens, Monsieur le Président, au moment où je commençais cette analyse. Le temps est venu où notre gouvernement doit reconnaître que ce n’est plus seulement un problème français et que le temps est passé, où une série d’ajustements au coup par coup, ou même une dernière tentative d’intégrer Algérie entièrement à la France, peut réussir. Le temps est venu pour les États-Unis de faire face aux dures réalités de la situation et d’assumer leurs responsabilités en tant que leader du monde libre – à l’ONU, à l’OTAN, dans l’administration de nos programmes d’aide et dans l’exercice de notre diplomatie – dans l’élaboration d’une course vers l’indépendance politique de l’Algérie.

Notre gouvernement ne devrait pas avoir pour objectif d’imposer une solution aux deux parties, mais d’apporter une contribution pour briser le cercle vicieux des tourbillons du conflit algérien.

Et je n’affirmerai pas non plus que les lourdes procédures des Nations Unies sont nécessairement mieux adaptées au règlement d’un différend de ce genre. Mais une recommandation et l’action directe des Nations Unies seraient préférable à l’absence actuelle de traitement du problème ; et en tout état de cause, lorsque l’affaire réapparaît à l’ordre du jour des Nations Unies, les États-Unis doivent radicalement réviser la position de Dillon et Lodge par laquelle notre politique a été trop longtemps corsetée.

En outre, bien que la résolution qui a été adoptée lors de la dernière session ait accordé, en général, un soutien aux efforts des Français pour localiser le conflit, il y avait néanmoins une condition – une condition qui a servi à accorder à la France un statut probatoire et à avertir que des progrès conséquents devraient être présentés à la prochaine réunion de l’Assemblée. Nous sommes maintenant quasiment arrivés à mi-chemin de cette période intérimaire et la situation s’est encore aggravée. Pour éviter une situation encore plus difficile lors de la session d’automne, notre département d’État devrait maintenant chercher des moyens de sortir de l’impasse actuelle. Et je demande à cet organisme, comme il l’a fait avec succès avant dans les cas de l’Indonésie et de l’Indochine, d’offrir des conseils à l’administration et aux dirigeants dans le monde sur cette question cruciale.

Je soumets aujourd’hui une résolution qui, je crois, présente les meilleurs espoirs de paix et de règlement en Algérie. En bref, elle exhorte à encourager le président et le secrétaire d’État à faire jouer l’influence des États-Unis pour soutenir les efforts, soit par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ou de bons offices du Premier ministre de la Tunisie et le Sultan du Maroc, pour parvenir à une solution qui reconnaîtra la personnalité indépendante de l’Algérie et établira les bases d’un règlement interdépendant entre la France et les pays voisins.

Cette résolution exprime ma conviction qu’il ne devrait pas être impossible de sortir de l’impasse dans une affaire d’une telle importance pour l’OTAN et les forces de médiation dans le reste de l’Afrique du Nord. Les gouvernements de la Tunisie et du Maroc, ni l’un ni l’autre membres de la Ligue arabe et chacun soucieux de poursuivre ses relations avec l’Occident, offrent le meilleur espoir, et en effet, ils ont fourni une telle aide, comme déjà indiqué, l’été dernier et au début de l’automne. Il y a deux semaines M. Bourguiba a lancé un nouvel appel à une solution algérienne au sein d’une fédération globale d’Afrique du Nord tournée vers la France. Même le gouvernement indien, souvent considéré comme le porte-parole systématique du nationalisme, a offert l’été dernier d’agir comme un éventuel intermédiaire dans une solution qui accorderait l’indépendance politique à l’Algérie mais confirmerait une protection spéciale aux citoyens français et placerait l’Algérie dans une fédération économique spéciale avec la France.

Il n’est pas impossible de trouver des médiateurs raisonnables ni des motifs raisonnables de médiation. Le problème en Algérie est de concevoir un cadre pour l’indépendance politique qui combine l’interdépendance économique étroite avec la France. Ce n’est pas un objectif illusoire. Les dirigeants nationalistes algériens parlent surtout le français. L’Algérie a un profond intérêt à des liens économiques et culturels stables avec la France, ainsi qu’à l’aide occidentale en général. Mais ces liens naturels avec la France vont refluer immédiatement si un changement n’a pas lieu bientôt. En novembre dernier, lorsque l’Algérie était sous examen des Nations Unies, le Premier ministre Bourguiba a exprimé l’inquiétude qui affecte le nationaliste responsable de l’Afrique du Nord à propos de la question algérienne :

Le vote de la Tunisie libre sera contre la France, mais ce serait une erreur de croire que nous sommes heureux de ce conflit. J’avais espéré sincèrement que la Tunisie serait un pont entre l’Occident et l’Orient et que notre premier vote indépendant aurait été en faveur de la France. Bien que cela se soit révélé impossible, je ne peux toujours pas me résoudre à désespérer, pour la première fois de ma vie, de la sagesse du peuple français et de son gouvernement. Le jour viendra peut-être, si le gouvernement de la République agit assez rapidement, où la civilisation française sera vraiment défendue en conseil mondial par les dirigeants d’une confédération française d’Afrique du Nord.

Les États-Unis doivent être prêts à accorder leur soutien à un tel règlement et leur aide pour les problèmes économiques qui en découleront. Ce n’est pas un fardeau que nous considérons légèrement ou avec plaisir. Mais dans aucune autre entreprise nos efforts ne sont plus importants, ce qui revient à reprendre une nouvelle fois l’initiative dans les affaires étrangères, ce qui démontre notre attachement aux principes de l’indépendance nationale, et nous fait gagner le respect de ceux qui se sont longtemps défiés de notre dossier négatif et hésitant sur les questions coloniales.

Il est particulièrement important, dans la mesure où la Hongrie sera une question primordiale lors de la réunion des Nations Unies cet automne, que les États-Unis crèvent l’abcès et éclaircissent leur position sur cette question, sur laquelle nous avons été vulnérables dans le passé. Et nous devons faire très clairement comprendre aux Français ainsi qu’aux Nord-Africains que nous ne cherchons pas d’avantages économiques pour nous-mêmes dans ce domaine, aucune opportunité de remplacer les liens économiques avec la France ou d’exploiter les ressources africaines.

Si nous voulons assurer l’amitié de l’Arabe, de l’Africain et de l’Asiatique – et nous le devons, malgré ce que M. Dulles dit à propos de ne pas être dans un concours de popularité – nous ne pouvons pas espérer l’accomplir uniquement au moyen de programmes d’un milliard de dollars d’aide extérieure. Nous ne pouvons pas gagner leurs cœurs en les rendant dépendants de notre aide financière. Nous ne pouvons pas les garder libres en les vendant à la libre entreprise, en décrivant les dangers du communisme ou la prospérité des États-Unis, ou en limitant nos relations à des accords militaires. Non, la force de notre appel à ces populations clés – et c’est à juste titre notre appel, et non celui des communistes – réside dans notre philosophie traditionnelle et profondément ressentie de la liberté et de l’indépendance de tous les peuples partout dans le monde.

Peut-être est-il déjà trop tard pour les États-Unis pour sauver l’Occident de la catastrophe totale en Algérie. Peut-être est-il trop tard pour abandonner nos politiques négatives sur ces questions, rejeter les décennies de suspicion anti-occidentale, pousser fermement mais hardiment pour une nouvelle génération d’amitié entre les États égaux et indépendants. Mais nous ne devons pas manquer de faire cet effort.

Les cœurs des hommes nous attendent

Dit Woodrow Wilson en 1913

La vie des hommes est en jeu ; les espoirs des hommes nous demandent de dire ce que nous allons faire. Qui méritera cette grande confiance ? Qui ose ne rien tenter ?

Monsieur le Président, je soumets pour référence appropriée une résolution sur le sujet que j’ai discuté aujourd’hui.

Le PRÉSIDENT. La résolution sera reçue et renvoyée de manière appropriée.

La résolution (S. Res 153), présentée par M. Kennedy, a été renvoyée à la commission des relations étrangères, comme suit :

Il est résolu que, en prenant connaissance de la guerre en Algérie, sa répression des aspirations nationalistes légitimes, sa contamination croissante des bonnes relations entre les nouveaux États d’Afrique du Nord et de l’Ouest, son érosion grandissante sur la force effective de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, la croissante préoccupation internationale qu’elle a suscitée au sein des Nations Unies, nous, Président et secrétaire d’État, par les présentes sommes fortement encouragés à soutenir les efforts, par l’influence des États-Unis, ou par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ou par les bons offices du Premier ministre de la Tunisie et du Sultan du Maroc, pour parvenir à une solution qui reconnaîtra la personnalité indépendante de l’Algérie et établira les bases d’un accord interdépendant avec la France et les pays voisins ; et de plus

Il est résolu que, si aucun progrès substantiel n’a été noté lors de la prochaine session de l’Assemblée générale des Nations Unies, les États-Unis soutiendront un effort international pour obtenir pour l’Algérie la base de la réalisation de l’indépendance.

Source : JFK Link, le 02/07/1957

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Vous pouvez lire une analyse ici.

J.F Kennedy 1957

J.F Kennedy 1957

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Dites ce qui vous chante...
Mais dites-le !