lundi 27 octobre 2014

La France Aux Mains De Vendeurs De Champagne! Les Jouyet Seconde Famille De François Hollande


Les Jouyet, un couple au pouvoir, à droite, à gauche ...

source : moulinier.over-blog

« Très chère Brigitte… » Une fois n’est pas coutume, pour une remise de décoration : ce 15 juillet 2013, François Hollande n’a réclamé aucune note à aucun conseiller. Il connaît chacun des quarante visages qui lui font face, dans la salle des fêtes de l’Elysée. Son plus vieil ami, Jean-Pierre Jouyet, se tient au premier rang, avec quelques-uns des nombreux enfants de sa famille recomposée, que le président connaît presque aussi bien que sa propre progéniture. Présents aussi, plusieurs membres de cette fameuse promotion Voltaire (1980) de l’ENA que l’élection de François Hollande a consacrée − mythifiée, même.

Et, bien sûr, une partie des Taittinger, la grande famille des champagnes : on fête le ruban de l’épouse de « Jean-Pierre », Brigitte Taittinger Jouyet, que le ministre de l’économie, Pierre Moscovici, a proposée au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Elle vient d’être nommée directrice de la stratégie de Sciences Po, cette fabrique de la nomenklatura française. Le 15 mai 2012, au palais de l'Elysée, passation de pouvoir entre Nicolas Sarkozy et Francois Hollande, en présence de Jean-Pierre Jouyet et de sa femme, Brigitte Taittinger. Avant de décorer son amie, souriante femme blonde de 55 ans, dynamique et volontaire, François Hollande évoque la grande famille de Reims, surfant avec tact sur le passé pétainiste du grand-père, Pierre Taittinger. Il souligne l’art de Brigitte de « susciter les confidences » − y compris les siennes.
Chez les Jouyet, les soirs d’élections, on trouve toujours une moitié de convives pour fêter la victoire au champagne rosé Taittinger Et ce talent du couple Jouyet de mêler, dans leur vaste appartement du 16e arrondissement de Paris, rue Raynouard, l’establishment français au complet : patrons, diplomates, banquiers, politiques, François Fillon comme Manuel Valls ou Emmanuel Macron, François Pinault et Serge Weinberg, droite et gauche mêlées et confondues, sans que jamais − « miracle ! », s’amuse François Hollande − personne ne quitte la table ou ne claque la porte. Chez les Jouyet, les soirs d’élections, que la gauche ou la droite l’emporte, on trouve toujours une moitié de convives pour fêter la victoire au champagne rosé… Taittinger. Dans cette célébration qui ressemble à une fête entre copains mais se tient sous les dorures, se dessine déjà un manifeste du nouveau hollandisme.
En confiance au sein de ce petit comité, le chef de l’Etat dresse l’éloge du « capitalisme familial » et pardonne officiellement à « Jean-Pierre », chrétien progressiste et européen convaincu, son « parcours sinueux » qui l’a conduit, dix-neuf mois durant, à siéger au gouvernement d’un président UMP nommé Nicolas SarkozyMoins d’une année après la décoration de sa femme, le voilà secrétaire général d’un président socialiste boudé par les Français. François Hollande a enfin installé dans le bureau à côté du sien son ami de trente-cinq ans, après s’être séparé de sa compagne, Valérie Trierweiler, et de son conseiller éclaboussé par le scandale, Aquilino Morelle.
SECONDE FAMILLE DU PRÉSIDENT
« Meilleur ami » et secrétaire général de l’Elysée : le cas est inédit sous la Ve République. Pour François Hollande, les Jouyet font un peu office de seconde famille. Familiers des affaires publiques, mais aussi recours dans les affaires privées, comme dans les vieilles monarchies d’autrefois où les intérêts de l’Etat et du prince se trouvaient mêlés.
C’est vers Brigitte qu’il s’est tourné lorsque, après la parution du magazine Closer révélant sa liaison avec Julie Gayet, il a fallu discrètement emmener Valérie Trierweiler, au petit matin, à la Pitié-Salpêtrière. C’est chez eux que le président s’invite, les samedis soir de solitude. Et c’est à La Garde-Freinet, dans le Var, chez Virginie Taittinger, l’une des sœurs de Brigitte installée à Bruxelles avec son mari, un Français spécialiste de la procréation médicalement assistée, qu’il est allé prendre discrètement du repos, cet été.
« Je suis de droite », assume sans fard Brigitte. « Emmanuel Macron est plus à gauche que moi », sourit Jean-Pierre « Je suis de droite », assume Brigitte Taittinger – y compris devant les socialistes que son mari a servis. « Emmanuel Macron est plus à gauche que moi », sourit sans malice Jean-Pierre Jouyet dans le bureau d’angle d’où il pilote désormais l’équipe élyséenne et tente de protéger le président des trop nombreuses sollicitations. « Vois avec Jean-Pierre », répond désormais ce chef de l’Etat qui délègue pourtant si peu à ses proches.
Jouyet n’a jamais eu sa carte au PS, mais la confiance et le corpus commun suffisent. Ne signaient-ils pas ensemble, en 1985, pour accompagner la mue du PS, un manifeste « social-libéral » comme on ne le disait pas encore, intitulé « La gauche bouge » ? Mieux : ils avaient emmêlé leurs deux prénoms dans un improbable pseudonyme, Jean-François Trans, se liant ainsi comme par un serment.
A cette époque, Jean-Pierre côtoie Brigitte, mais ils sont mariés chacun de leur côté : une amie de jeunesse pour lui, un comte à particule pour elle, industriel membre de l’association d’entraide de la noblesse française. Ils partent réveillonner à Bruxelles et à Londres, avec cette petite bande d’amis éclose sur les bancs de Sciences Po et de l’ENA : Jean-Pierre Mignard, l’avocat du président, Claudine et Jean-Maurice Ripert, Bernard Cottin, François et Ségolène. Le rituel prévoit de partager le mois d’août autour de l’anniversaire de « François » – le chef, déjà, affirmera la légende bien ficelée du futur président. Parfois, c’est au Club Med en Bulgarie, parfois en Corse, près d’Ajaccio : le frère de Ségolène est nageur de combat à la base d’Aspretto et une branche Taittinger possède les vignes du Comte Peraldi toutes proches… Les années passant, les couples se défont. Mais, curiosité de cette bande de copains, se reforment souvent dans le même cercle. C’est ainsi que Claudine Ripert, aujourd’hui conseillère en communication à l’Elysée, a épousé en deuxièmes noces Bernard Cottin, l’ex-PDG de Numéricable.
Et que Brigitte Taittinger est devenue la seconde madame Jouyet. « La rencontre d’une vie », dit Jean-Pierre Jouyet. « Un couple symbiotique très fort », juge en médecin le professeur Olivier Lyon-Caen, conseiller santé de François Hollande, et ami intime, avec sa femme Jacqueline Chabridon. « Un couple de pouvoir, convient l’avocat Jean-Pierre Mignard, qui participe au pouvoir, du moins. »
ATMOSPHÈRE FLAUBERTIENNE
Leur mariage, en 2006, sept ans après la naissance d’une petite fille, est l’alliance de deux provinces françaises. Brigitte Taittinger est issue d’une de ces familles où l’aristocratie d’Ancien Régime s’est alliée à la bourgeoisie entreprenante. Une de ces lignées industrieuses empreintes de catholicisme social, celui qui finance des crèches avant de laisser son nom à des rues.
Du lycée privé Jean-XXIII, à Reims, aux vacances dans la bastide vendéenne des grands-parents,les Taittinger ont connu tous les déchirements de la droite hexagonale. Un grand-père, Pierre, fondateur des Jeunesses patriotes dans les années 1920, condamné à la Libération de Paris et déchu de ses droits civiques après la guerre. Un oncle gaulliste, Jean, ancien ministre de la justice de Georges Pompidou et ancien maire de Reims. Un autre, Pierre-Christian, républicain-indépendant, qui fut ministre de Valéry Giscard d’Estaing avant de marier Jean-Pierre et Brigitte dans sa mairie du 16e arrondissement.
« La politique était au centre de nos dîners », reconnaît la cousine Anne-Claire Taittinger, ancienne dirigeante du groupe familial. La politique n’empêche pas les affaires. Au temps de sa gloire, le groupe Taittinger compte dans son portefeuille les champagnes du même nom, mais aussi quelques palaces − le Crillon, le Lutetia à Paris ou le Martinez à Cannes −, les cristalleries Baccarat, le restaurant du Grand Véfour et la parfumerie Annick Goutal. Cette PME de luxe, d’abord installée place Vendôme et place Saint-Sulpice à Paris, où Ségolène Royal se rendait parfois pour un spa durant sa campagne, et dont le parfum phare, l’Eau d’Hadrien − comme l’empereur romain − fut à la fois l’eau de toilette de François Mitterrand, et de temps à autre… celle de François Hollande. Le célèbre flacon de cristal plissé, veille sur le bureau de son secrétaire général.
L’atmosphère chez les parents Jouyet est plus flaubertienne, avec ses paysages du Vexin normand et cette étude de notaire que deux de ses fils reprendront après leur père. Jean-Pierre est pensionnaire à Rouen, comme François Hollande le fut à Jean-Baptiste-de-la-Salle. On milite à droite chez les Jouyet, et on est catholique, comme les Taittinger. Paul, le père gaulliste, emmène parfois ses quatre enfants dans des réunions électorales à Evreux : il est élu conseiller général et maire d’Ecos, un canton de l’Eure que Michel, le frère de Jean-Pierre, maintient aujourd’hui dans le giron de l’UMP. « Ils avaient de l’ambition et je voulais leur faire savoir que je n’étais pas dupe, qu’il n’y avait pas de tromperie sur la marchandise », sourit aujourd’hui Jacques Delors. C’est la génération qui rate Mai-68 et voit arriver, depuis l’ENA, le moment où la gauche prendra le pouvoir. Celle qui vote pour la première fois en 1978, lorsque la gauche manque de peu la majorité à l’Assemblée nationale.
La petite troupe s’agite moins dans la rue que dans des cercles ou des clubs, comme celui de Jacques Delors. « Pourquoi l’avez-vous appelé Témoin ? », demande un jour le jeune Jouyet au plus européen des socialistes. « Parce que je suis le témoin de votre ascension en politique », lui répond avec un brin d’ironie le futur patron de la Commission de Bruxelles. « Ils avaient de l’ambition et je voulais leur faire savoir que je n’étais pas dupe, qu’il n’y avait pas de tromperie sur la marchandise », sourit aujourd’hui Jacques Delors.
A l’ENA, Jouyet pratique déjà ce que l’on n’appelle pas encore l’ouverture. « J’allais où j’aimais les gens, convient-il, chez Renaud Donnedieu de Vabres ou Dominique de Villepin », deux anciens de la promo Voltaire. Les années 1970 sont celles du coup de poing et des extrêmes, mais Jouyet place « la bonne éducation » au-dessus du militantisme passionné. Le jour du classement de sortie de l’ENA, François Hollande, qui veut garder du temps pour faire de la politique, choisit la Cour des comptes, laissant ainsi à Jouyet sa place à l’Inspection des finances. « Comme Juppé et Giscard »,s’enthousiasment les parents Jouyet. « Sans l’Inspection, raconte Brigitte Taittinger, mon mari dit souvent qu’il ne serait rien. »
Dans ce corps de l’élite républicaine, puis comme directeur-adjoint de cabinet de Lionel Jospin à Matignon, Jean-Pierre Jouyet croise toute la nomenklatura politique et économique française. Depuis qu’il connaît Brigitte, il a pris l’habitude de dîner avec elle. « Ce n’est plus la même chose de voir le patron de Total dans son bureau et de dîner le soir en famille avec Christophe de Margerie », note un convive régulier. Le patron de la compagnie pétrolière est en effet le cousin de Brigitte Taittinger, et le témoin de leur mariage, comme François Hollande. Un de ces patrons que le futur chef de l’Etat tutoie désormais rue Raynouard. Il y croise son ancien condisciple Henri de Castries, le patron d’Axa, et beaucoup d’autres, qui « participeront à l’association de financement de la campagne de 2012 », confie un proche. « Brigitte a l’art de la composition amicale comme d’autres ont l’art de la composition florale », s’émerveille Jean-Pierre Mignard. Et Jean-Pierre Jouyet, « l’une des rares personnes à avoir fait en partie carrière sur la gentillesse », note Alain Minc.
Le couple n’a pas son pareil pour « lancer les discussions générales auxquelles tout le monde peut participer », raconte un habitué. Comme au Siècle, ce club de la nomenklatura française auquel ils appartiennent tous les deux. « C’est l’endroit où il faut être si l’on veut se tenir au courant des mouvements du monde des affaires et de la politique. » Quel que soit le parti au pouvoir. Jean-Pierre Jouyet au palais de l'Elysée le 24 septembre .
EN 2007, LE CHOIX DE SARKOZY
Pas de traversée du désert chez les Jouyet. L’alternance n’est jamais un drame : on a toujours des amis qui en sont, même lorsque s’écrivent les plus acrobatiques des scénarios. C’est le cas en 2007. Durant la campagne, Ségolène Royal ignore savamment son copain de vacances, ne lui réclamant aucune note, aucun conseil.
Sur le fond, Jouyet, si catholique (il a abonné cet été l’Elysée à La Croix), si famille - qui porte, cachée sous sa chemise, sa médaille de baptême, aurait dû être un inconditionnel de la candidate du PS. Mais depuis que le couple Jouyet a « couvert » François et sa liaison cachée avec Valérie Trierweiler, Ségolène Royal leur tourne le dos.
Quelques semaines avant l’élection présidentielle de 2007, Jean-Pierre Jouyet fonde, avec Denis Olivennes, Matthieu Pigasse (actionnaire du Monde) et quelques autres banquiers et patrons « de gauche » les Gracques, que les moqueurs appellent vite « les Gracques 40 ». Ils appellent à une alliance entre la candidate socialiste et le centriste François Bayrou. Mais, le 7 mai 2007, votent pour la plupart, comme les Jouyet, pour Nicolas Sarkozy…
Ces numéros de voltige n’ont pas échappé au vainqueur. Il faut peu de temps au nouveau président pour convaincre Jean-Pierre Jouyet de rejoindre le gouvernement comme ministre des affaires européennes. « Sa meilleure prise, avec Martin Hirsch ! »,note un socialiste qui suit alors de près le manège. Aujourd’hui encore, Jean-Pierre Jouyet assure que c’est son entente cordiale avec l’ancien ministre de l’économie et sa femme Cécilia, quand lui-même était directeur du Trésor, qui lui a valu son portefeuille. La vérité est évidemment que Nicolas Sarkozy a débauché le-meilleur-ami-de-François-Hollande. « Tu vois, ton copain n’a jamais rien fait pour toi, et moi, je te nomme au gouvernement », répète-t-il à son oreille, savourant son exploit. Brigitte n’a rien trouvé à redire à ce nouvel honneur. François Hollande, lui, est consterné. « C’est un poste technique, le temps de la présidence française de l’Europe », plaide Jouyet. C’est un poste politique, qui oblige à assister au conseil des ministres, a déjà compris Hollande. « Nous étions à Solferino, raconte un témoin. François s’est adossé à la fenêtre, dans la salle d’attente où sont exposées les photos de Mitterrand. Il était tout pâle. Je l’ai entendu dire : “C’est ta décision, et je la respecte. Mais je la regrette aussi. Elle va nous éloigner”. »
Effectivement. « C’est simple : j’ai un mentor politique, Nicolas Sarkozy, et j’ai un meilleur ami, François Hollande. » « Quand même, François lui a laissé sa place, à la sortie de l’ENA !, proteste la mère du premier secrétaire, choquée. Et puis il est venu souvent chez nous ! » Même dans la famille Taittinger, on a du mal à comprendre. « Explique-moi un peu, demande en 2007 le père de Brigitte à son neveu Frantz Taittinger, ancien maire UMP d’Asnières, mon gendre, est-il de droite ou de gauche ? » Jean-Pierre vient justifier son tour de passe-passe politique à sa belle-famille comme pour s’en convaincre lui-même. « C’est simple : j’ai un mentor politique, Nicolas Sarkozy, et j’ai un meilleur ami, François Hollande. » Un ami qui l’évite pour ne pas devoir le saluer. « Tu as été très bon à la télé… »« Très bien, ton discours à l’Assemblée… » Les textos du « gentil » Jouyet restent sans réponse. « Le pouvoir, c’est aussi une géographie, souligne un pilier socialiste de l’Assemblée. Hollande était à la tribune de l’Assemblée comme chef de l’opposition, et il voyait face à lui son ami, sur les bancs du gouvernement. On imagine ce que ça a représenté. » C’est l’époque où François Hollande confie sans fard au Monde que« Jean-Pierre a toujours été de droite ». L’époque aussi où Jouyet ne craint pas d’accompagner l’une des filles de Brigitte, Judith de Warren, au bal des débutantes, cette réception grand-siècle où les jeunes filles bien nées font leur entrée dans le monde.
A la table des Jouyet s’asseyent désormais François Fillon, le nouveau premier ministre, et son épouse, mais aussi Rachida Dati, Xavier Bertrand, Christine Lagarde… De nouveaux convives viennent remplacer les habitués ou s’y adjoindre : pêle-mêle, le banquier d’HSBC Charles-Henri Filippi, l’ancienne journaliste Catherine Pégard devenue conseillère du président Sarkozy, ou l’avocat Jean Veil (chez qui travaille désormais l’une de leurs filles). Mais aussi, on le sait moins, Aquilino Morelle, qui fut avec Manuel Valls un des jeunes conseillers de Lionel Jospin, en 1997. Comment en vouloir à « cet ami merveilleux » d’avoir franchi le Rubicon ? Pourquoi torturer « un homme bienveillant qui ne supporte pas de blesser », ajoute l’ancien député européen Jean-Louis Bourlanges ? ARRANGEMENTS ENTRE AMIS « Tu es entré dans ce gouvernement à cause de Ségolène, tu en repartiras pour François »,avait prédit Brigitte à son mari.
C’est étrange comme, chez les Jouyet, les considérations personnelles s’emmêlent avec les choix politiques. « Jean-Pierre est un homme qui aime être aimé », sourit le professeur Lyon-Caen. Un jour de mai 2008, peu avant la fin de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, il fait passer un mot à Hollande par un huissier de l’Assemblée : « Je voudrais te voir pour t’expliquer. » Ils finissent par dîner, en tête à tête. « Si tu veux, je quitte le gouvernement maintenant », propose Jouyet à l’été 2008, à Nice. « Non, attends la fin de la présidence française », répond Hollande.
A la fin de l’année, il est nommé à la tête de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, le gendarme de la Bourse. Disponible pour 2012, quand, espère le couple, viendra enfin le tour de« François ». Le seul à trouver ces arrangements un peu gonflés s’appelle Nicolas Sarkozy. Rancunier, il s’en souviendra quelques années plus tard. Le jour de l’enterrement d’Antoine Veil, au cimetière du Montparnasse, Jean-Pierre Jouyet échange quelques mots avec les illustres personnalités venues enterrer le mari de Simone Veil. Soudain, Nicolas Sarkozy arrive. Jean-Pierre Jouyet tend poliment la main. L’ex-président la lui refuse en lâchant haut et fort : « Je suis encore libre de saluer qui je veux ! » Jouyet reste livide, terrassé par cette gifle symbolique qui signe le retour à la brutalité du jeu politique.
Qu’importe : depuis le 7 mai 2012, leur ami Hollande est au pouvoir. Cette fois, laisse entendre Brigitte, toute la famille, Jouyet et Taittinger, a voté pour lui, contre « Sarkozy le bling-bling ». Deux mois plus tard, son mari est nommé à la tête de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), le bras armé financier de l’Etat. Sous la Ve République, la CDC a toujours été le lieu où l’on rend des services au pouvoir. Le haut fonctionnaire se plie sans broncher à l’usage. « Il faut que tu te réconcilies avec Ségolène », a réclamé le président. Elle veut diriger la Banque publique d’investissement, dont il est statutairement le président au titre de la CDC. Du coup, Jouyet est prié d’inventer de toutes pièces, pour elle, un poste de vice-présidente de la BPI.
LES DÎNERS DE LA RUE RAYNOUARD
Il embauche Thomas, le fils de son ami Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, mais surtout un ancien des clubs Témoin et un habitué des dîners de la rue Raynouard. Bien mieux : il s’occupe de « Valérie », dont le couple a bien compris, dans ce quinquennat qui s’ouvre, qu’elle est le talon d’Achille du président. C’est ainsi que, pour lui plaire, Jean-Pierre Jouyet embauche le meilleur ami de la « première “girl friend” », François Bachy, lassé de trente ans passés au service politique de TF1. Le biographe du premier secrétaire du PS (François Hollande, un destin tranquille, paru en 2001 chez Plon) devient, en octobre 2012, directeur de la communication et membre des comités de direction de la CDC, à 20 000 euros par mois.
Au même moment, le démantèlement du groupe Taittinger et le rachat du parfumeur Goutal par des Coréens scellent le départ de Brigitte. Vingt ans chez Annick Goutal, la plus belle ligne de son CV, son meilleur souvenir professionnel. Auparavant, elle avait été chef de produit chez Publicis, Nestlé et L’Oréal, après une maîtrise d’histoire et un passage à Sciences Po, sans obtenir le diplôme. La famille avait eu l’idée de la nommer à la tête de la petite PME pour contourner la rivalité entre deux frères Taittinger. Elle y avait non seulement conquis la parfumeuse (« Avec vos cinq enfants, vous ne pouvez pas être fondamentalement mauvaise », avait fini par dire Annick Goutal), mais aussi développé la marque et gagné des marchés à l’export. Jean-Pierre Jouyet adore jouer les DRH et les dénicheurs de talents.
A sa table, une nouvelle génération de patrons, comme Alexandre Bompard, le PDG de la Fnac ou ce jeune conseiller d’Etat, Frédéric Mion, qui vient de prendre la tête de Sciences Po, rencontré chez des cousins, d’autres Margerie. C’est lui qui propose à Brigitte de venir à Sciences Po chercher auprès des patrons des financements pour l’école. N’est-elle pas membre d’une demi-douzaine de conseils d’administration, comme HSBC France, la Fnac, l’Ensemble orchestral de Paris ou le Centre Pompidou ? Jouyet siégeait sous Richard Descoings au conseil d’administration de la Fondation, cette assemblée qui avait laissé la bride sur le cou du flamboyant directeur de l’école. Il démissionne. « J’avais travaillé à Matignon, jamais à l’Elysée. J’ai accepté pour mon père et pour ma femme » Depuis qu’ils ont vécu un drame, la mort d’un des fils de Jean-Pierre, voilà deux ans, le couple s’épaule et s’inquiète l’un pour l’autre. Comment les distraire de leur immense chagrin ?
François Hollande, esseulé et isolé politiquement, propose à son ami le secrétariat général de l’Elysée, ce poste qui vous occupe l’esprit vingt-quatre heures sur vingt-quatre. « J’avais travaillé à Matignon, jamais à l’Elysée. J’ai accepté pour mon père et pour ma femme, sourit doucement le numéro deux du Palais. L’Etat est bon employeur. Il m’a désormais offert tout ce qu’un fils de notaire provincial peut désirer. »
Jouyet, profil parfait des élites tel que les a longtemps aimé la Ve République. Jouyet, « européen et raisonnable, souligne Bourlanges, mais, aujourd’hui, l’atmosphère n’est plus à ça. » Les peuples en crise n’aiment ni les riches ni les privilégiés, la gauche se méfie des catholiques, qui fournissent les gros bataillons des manifestations anti-Hollande.
Depuis que le pouvoir clame son amour de l’entreprise et du « business », Jean-Pierre Jouyet n’incarne plus seulement la « pensée unique » des années 1990, mais aussi la nouvelle ligne sociale-libérale qui fait hurler les frondeurs du PS. « Je trouve un peu curieux, au lendemain de la gifle des municipales, qu’[on] appelle à son côté quelqu’un qui a été secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy », avait grondé le député européen Emmanuel Maurel.
« Jouyet et tous les ministres hollandais, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont entre eux. Mais cela va accélérer leur chute », persifle Aquilino Morelle dans Le Point. Avant d’ajouter dans Le Monde : « Hollande n’a pas été élu pour faire la politique des Gracques ! »En privé, son ami Arnaud Montebourg peaufine lui aussi ses bons mots contre sa nouvelle cible : la « bourgeoisie d’Etat ». Celle que les Jouyet ont réunie autour de leur table, pendant tant d’années.
Raphaëlle Bacqué grand reporter
Ariane Chemin Grand reporter

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