Les salariés en lutte rappellent Hollande à ses promesses
Médiapart - 29 janvier 2013 |
« Les gouvernements changent mais les méthodes restent les mêmes. Quand l’ouvrier descend dans la rue, on envoie 500 CRS le neutraliser. » 15 heures, ce mardi 28 janvier. À Paris, au pied du métro Varenne, à dix minutes à pied du ministère du travail, Didier et ses camarades grillent cigarette sur cigarette. Accoudés contre le mur et vêtus tous du même tee-shirt rouge – « pour sécuriser l’emploi, non aux licenciements dans les groupes qui font des profits » –, ils dissertent sur le gouvernement de François Hollande, « un gouvernement de gauche qui met en place des mesures de droite ». Autour d’eux, des pétards, des banderoles, des drapeaux et des figures de la gauche de la gauche, comme Olivier Besancenot et Philippe Poutou du Nouveau parti anticapitaliste.
Dans la manifestation de mardi© Thomas Haley
« Vraiment, on est des cons d’ouvriers et on a été cons de voter pour le PS », lance l’un d’eux, « écœuré d’avoir fait campagne dans son entourage pour Hollande. » « Qu’est-ce que tu veux, on a choisi la peste plutôt que le choléra, une droite douce qui se dit de gauche pour freiner l’extrême droite de Sarkozy »,renchérit son voisin. Salariés de l’usine Goodyear depuis plus de trente ans, ils sont descendus d’Amiens avec une soixantaine de copains pour participer à la grande manifestation contre les licenciements boursiers, à l'initiative de l'association Licenci'elles, qui regroupe d'anciennes salariées des 3 Suisses.
Car leur usine est de nouveau sur la sellette. Jeudi 31 janvier, le fabricant américain de pneumatiques Goodyear Dunlop devrait annoncer lors d'un comité central d'entreprise (CCE) sa fermeture, d'ici à 2014, mettant en jeu le sort de 1 250 salariés. La direction de Goodyear ne commente pas, renvoyant au CCE, dont l'ordre du jour évoque une « information aux représentants du personnel concernant la stratégie du groupe pour le site d'Amiens-Nord ». Mais pour les salariés, ce jeudi peut être « noir » et annoncer un nouveau bras de fer.
Ce mardi, ils manifestent « pour mettre la pression » sur François Hollande, le rappeler à ses engagements de campagne et à cette promesse qu’il voudrait oublier, son 35e engagement très précisément : « Pour dissuader les licenciements boursiers, nous renchérirons le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions, et nous donnerons aux ouvriers et aux employés qui en sont victimes la possibilité de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l'intérêt de l'entreprise. » Les salariés de Goodyear en savent quelque chose. C’est sur le parking de leur usine que François Hollande a déclaré le 14 octobre 2011« l’État peut fixer les règles », s’engageant s’il était élu à faire voter très rapidement une loi interdisant les licenciements boursiers. Huit mois après son élection, son gouvernement, de Matignon au ministère du travail, ne cesse de botter en touche.
Mickael Wamen, délégué CGT Goodyear et Fiodor Rilov, l'avocat de la CGT (Faurecia et Goodyear)© Rachida El Azzouzi
« Nous avons décidé d'agir pour que la loi que nous avons rédigée soit votée à l'Assemblée nationale et au Sénat. Nous avons besoin de cette loi dans les luttes que nous menons contre certaines des multinationales les plus puissantes de la planète qui licencient en masse pour accroître sans cesse leurs profits et le cours de leurs titres », explique une membre du collectif des Licenci’elles, un tract à la main, « Hollande, qu'est-ce que tu glandes ? Cette loi, tu nous la dois ».
Un entretien guère concluant
La manifestation devait connaître son apogée devant les grilles du ministère du travail mais le quartier a été quadrillé par les forces de l’ordre. Rassemblant plus de 500 salariés, des Goodyear, Sanofi, Virgin, PSA, Candia, Air France, Faurecia, Samsonite, Crédit agricole, etc., le cortège a été contraint de faire du sur-place autour du métro Varenne. Seule une délégation, emmenée par Mickael Wamen, le leader CGT des Goodyear, le principal syndicat de l'usine d'Amiens-Nord, et Marie Lecomte du collectif des Licenci’elles, a pu franchir les barrières de CRS pour être reçue par le cabinet de Michel Sapin en milieu d’après-midi et lui donner en main propre une proposition de loi. Un entretien guère concluant.
« Le gouvernement ne semble pas déterminé à tenir ses promesses », a réagi, à la sortie, Mickael Wamen, assailli par une nuée de caméras. Le cabinet de Sapin comprend la légitimité de notre mouvement mais il s’arc-boute sur l’accord inter-professionnel (ANI) qui protège le patronat et favorise les licenciements (NDLR - signé le 11 janvier entre les partenaires sociaux sans la CGT et FO, lire nos articles ici et là) ! » Marie Lecomte s’est retenue de rire : « Ils sont en décalage total avec la réalité. Ils nous ont parlé de l’ANI et de la généralisation de la complémentaire santé aux salariés, ce qui n’a rien à voir avec notre revendication. » Et d’appeler plus que jamais « à une lutte commune de tous les salariés en lutte » dans les semaines qui viennent.
Même mot d’ordre lancé par Jean-Pierre Mercier, le délégué syndical CGT de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, en grève depuis le 16 janvier. Il se félicite de la suspension du plan de restructuration chez PSA (8 000 suppressions de poste) par la cour d’appel de Paris, comme le demandait la CGT de l’équipementier automobile Faurecia, filiale de PSA. La décision est tombée ce mardi 28 janvier, le même jour que la manifestation contre les licenciements. « C’est un très mauvais coup pour la direction de PSA qui se croyait au-dessus des lois. On va gagner du temps pour exiger que la direction reprenne à zéro le plan », assène Jean-Pierre Mercier.
Quelques mètres plus loin, Fiodor Rilov, l’avocat de la CGT Faurecia et de la CGT Goodyear, membre du PC, à l’origine de cette victoire judiciaire, se demande « quand les socialistes vont redevenir de gauche », taclant sévèrement l’accord inter-professionnel sur la réforme du marché du travail, « la plus grande reculade en matière de droit du travail depuis cinquante ans ».
Le gouvernement n'en fait pas la même lecture. Interrogée lundi sur RMC et BFM-TV sur les licenciements boursiers, Najat Vallaud-Belkacem, sa porte-parole, a déclaré que l'accord constituait « une première étape dans l'encadrement des licenciements » et « qu'il n'est pas exclu d'aller plus loin ». Un avis partagé par la CFDT, l'un des principaux signataires, pour qui l'accord est « une bonne base ». La centrale réformiste n'a pas appelé à participer à la manifestation. « Moi je ne sais pas ce que c'est qu'un licenciement boursier », a d'ailleurs affirmé Laurent Berger, le nouveau secrétaire général. Il préfère comme le gouvernement privilégier une loi sur la reprise de sites rentables, cette autre promesse qui n'a toujours pas vu le jour...
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