En l’occurrence, il nous semble que le rapport publié le 10 août 2012 par DEBKAFiles rend compte assez justement de l’évolution du jugement israélien sur l’action de l’Égypte face aux attaques terroristes et surtout aux ripostes égyptiennes dans le Sinaï, depuis le 5 août. (Voir le 7 août 2012.) Il y a eu un moment d’hésitation, initialement, chez les Israéliens, et une façon de considérer les incidents dans le contexte de l’extension de la possibilité d’actions islamistes en corrélation avec la situation syrienne. De ce point de vue, les Israéliens (déclarations de Barak) voyaient la réaction égyptienne, expressément conduite par le président Morsi, d’un œil prudemment favorable. Avec cette analyse, le renversement est complet.
Le texte donne suffisamment de détails précis, après un temps de réflexion depuis les évènements, pour faire penser qu’il s’agit effectivement de l’évolution du jugement de la direction politique et de sécurité d’Israël. Plus encore, il affirme que cette analyse est partagée par les USA. Les détails donnés indiquent que la réaction du président Morsi est d’une part un montage pour “rassurer” Israël et les USA, alors qu’en réalité il y a fort peu d’intention et d’action contre les réseaux terroristes ; et qu’elle est, d’autre part, une progression d’une politique activiste et hostile à Israël, avec une action antiterroriste de simple apparence et l’élimination (pour incompétence) de chefs militaires égyptiens appréciés du côté israélien comme favorables à Israël et aux USA. Le rapport affirme qu’il n’y a guère eu de coordination avec les chefs militaires du SCAF et que Morsi a agi d’une façon autonome et très décisivement. L’analyse donne l’impression qu’Israël (et les USA) ont été dupés par Morsi, qui a réussi à établir son autorité et montré qu’il entendait suivre un “agenda” rejoignant la volonté des Frères Musulmans de faire évoluer la politique égyptienne vers une orientation activiste, très différente de la politique suivie durant l’époque Moubarak. On donne ci après l’introduction et la conclusion du texte qui montrent ce changement d’appréciation…
«Israel willingly acceded to Cairo’s request for permission to deploy fighter planes and armored troop carriers in Sinai, which was ruled a demilitarized buffer zone under their 1979 peace treaty. It shared an interest in President Mohamed Morsi’s counter-terror offensive against lawless Islamist bands. But when sensational reports started coming in from Cairo about non-existent Egyptian victories in which an improbable “60 gunmen killed,” they realized the “offensive” was largely bogus.
»According to DEBKAfile’s intelligence sources, Washington and Jerusalem strongly suspect that they should be worried about what the Muslim Brotherhood president is really up, especially after the sweep he conducted Wednesday, Aug. 8 of pro-Western military officers and other moves… […]
»Israel’s diplomatic-security cabinet meeting in Jerusalem Friday, Aug. 10, freely approved the transfer of assault helicopters to Sinai “for a few days”- although it didn’t take a counter-terror expert to realize that there is no way a couple of helicopters could wipe out hidden terrorist networks in just days. But the ministers decided on advice from Washington to go along for now with the show Morsi and the Muslim Brothers were putting on, so as not to look obstructive.»
L’important dans ce texte est d’abord la conviction sous-jacente qui semble habiter les dirigeants israéliens des questions de sécurité (et, semble-t-il, leurs vis-à-vis US) sur l’action et les intentions de Morsi. C’est, plus que jamais, un soupçon sans la moindre nuance, selon lequel Morsi reste complètement sur ce qui est jugé être la ligne véritable des Frères Musulmans (FM), d’une réelle hostilité à la politique pro-BAO de Moubarak. Dans cette interprétation, les diverses appréciations sur l’évolution des FM, leurs accointances avec le bloc BAO, leur évolution favorable aux thèses américanistes, etc., sont considérées, même si elles sont fondées à un moment ou l’autre, comme équivalent à une simple tactique de communication, sans le moindre fondement. Dans cette même logique, les analyses selon lesquelles Morsi s’était séparé de la ligne FM pour une politique plus “responsable“ (pro-BAO) sont résolument écartées. On en revient à la perception fondamentale des Frères Musulmans conservant leurs conceptions traditionnelles, colorées de nationalisme et de panarabisme pour donner une impulsion dynamique à une politique qui, de toutes les façons, aboutit à une très forte orientation anti-BAO et anti-Israël.
Si l’analyse est bonne, alors le constat est également qu’on se trouve, avec Morsi, devant un homme qui sait manœuvrer et qui suit une ligne précise avec le soutien actif du groupe FM. (Il faut d’ailleurs noter que les Frères Musulmans, en tant que groupe politique n’engageant pas le président selon cette tactique de répartition des tâches, avaient réagi immédiatement après la première attaque en accusant le Mossad d’avoir facilité cette attaque terroriste, dont ce service aurait été averti, pour porter un coup à la crédibilité et à la sécurité du dispositif égyptien.) Le but de Morsi et des FM pour ce qui concerne les circonstances elles-mêmes des incidents serait alors de remilitariser subrepticement le Sinaï et de mettre en cause de facto le Traité de paix de 1979. Plus largement, il s’agirait de faire évoluer la politique égyptienne, d’abord avec précaution mais résolument, vers une orientation anti-BAO et anti-israélienne. La séquence montrerait dans ce cas, également, l’habileté manœuvrière de Morsi.
Mais l’analyse est-elle juste ? On a peu d’éléments pour en juger d’une façon précise et circonstanciée. On constatera deux points, qui se complètent bien entendu et qui établissent un climat où “tout se passe” (psychologiquement) comme si l'analyse était juste... Cela revient à dire qu'elle est juste.
• Le premier est ce fait que les Israéliens, obsédés par leur problème sécuritaire et durablement secoués par la chute de Moubarak, semblent plus que jamais persuadés que le nouveau régime leur est hostile. C’est une conviction ancrée dans une psychologie toute entière mobilisée par la crainte obsessionnelle des ennemis extérieurs, d’une façon générale assimilés à tous les régimes arabes qui ne sont pas strictement alignés et contrôlés par la ligne BAO qui fut celle de Moubarak. Il semble qu’il s’agisse là d’un point quasiment irréversible, qui relève d’une forme fondamentale de la psychologie, à laquelle la “terrorisation” psychologique des élites du bloc BAO (voir le 18 juin 2012) contribue d’une manière durable et décisive à la fois. Il ne nous semble pas qu’on puisse revenir là-dessus jusqu’à ce que se produisent des évènements de rupture, eux-mêmes fondamentaux et remettant toutes les situations en question.
• Le second est l’orientation égyptienne après la “révolution du 25 janvier” (2011). Quelles que soient les péripéties de cet événement et de ceux qui ont suivi, les contrecoups, les manipulations, etc., il nous semble également qu’il y a là un événement psychologique considérable. Il y a bien eu une rupture, d’une sorte qui nous paraît irréversible, avec l’ordre de contrainte et d’orientation forcée qui régnait jusqu’alors (avec Moubarak) et qui appartenait à un autre temps aujourd’hui complètement révolu. Quels que soient les évènements, cette rupture psychologique fondamentale implique une ligne nouvelle de recherche d’autonomie, de souveraineté, et par conséquent d’hostilité quasi automatique au bloc BAO qui est responsable des contraintes antérieures ; elle est d’une sorte qui nous paraît également irréversible. A cette lumière, le comportement de Morsi tel qu’il est interprété nous paraît tout à fait concevable et probable.
Mis en ligne le 11 août 2012 à 06H09
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