Elysée: les folies du conseiller de François Hollande
A-t-il l’image d’un médecin intègre, adversaire de l’industrie pharmaceutique depuis son rapport sur le Mediator ? Mediapart a découvert qu’il avait travaillé en cachette pour des laboratoires pharmaceutiques, y compris à une époque où il était censé les contrôler. A-t-il la réputation d’être solidement ancré à gauche ? Il se comporte comme un « petit marquis » au Palais où il abuse des privilèges de la République. Est-il connu pour sa plume aiguisée ? Il a longtemps fait écrire ses discours par d’autres. Aquilino Morelle, conseiller politique du président et nouvel homme fort de l'Élysée, a beaucoup menti.
La première fois que David Ysebaert a ciré les chaussures d’Aquilino Morelle, c’était au Bon marché, dans le VIIearrondissement de Paris. Il lui a laissé sa carte. Et quelques semaines plus tard, raconte le cireur, « une femme, probablement sa secrétaire, m’a appelé pour prendre rendez-vous ». Au Palais même. Depuis, tous les deux mois environ, « le temps de garantie pour un glaçage », il revient à l’Élysée s’occuper des souliers du conseiller politique de François Hollande, également directeur de sa communication. « Aquilino Morelle a 30 paires de souliers de luxe faites sur-mesure, pour son pied qui a une forme particulière. Des Davison, des Weston…Des chaussures de plein cuir toujours du même style. »
À deux reprises, explique le cireur, confirmant des informations que nous tenions de bonne source à l’Élysée, Aquilino Morelle a même fait privatiser un salon de l’hôtel Marigny afin de se faire cirer les chaussures seul au milieu de cette pièce toute en dorures. « Il y avait une urgence apparemment. Il était au téléphone, en chaussettes, au milieu de cette salle immense. Et moi j’étais face à lui entrain de lui cirer ses souliers. »
Aquilino Morelle. © Reuters
L’épisode, qui date de mars 2013, a alimenté bon nombre de conversations dans les couloirs de l’Élysée. Il tranche quelque peu avec l’image de modestie et de normalité que souhaitait imprimer François Hollande. Mais au Palais, plus rien n’étonne dans le comportement de celui qui est devenu l’homme fort du cabinet présidentiel, depuis que son ami Manuel Valls a été nommé premier ministre, et que son ennemi, le secrétaire général de l’Élysée Pierre René Lemas, a été remercié.
Intrigué par le comportement de ce médecin, énarque, qui fut la plume de Lionel Jospin à Matignon, puis le directeur de campagne d’Arnaud Montebourg pendant la primaire socialiste, Mediapart a enquêté pendant six semaines sur l’itinéraire de ce fils d’immigrés espagnols, présenté à longueur de portraits comme « un fils du peuple » incarnant l’aile gauche au pouvoir.
Or ce que nous avons découvert est bien plus grave qu’un comportement mégalomane ou un goût prononcé pour la transgression. Aquilino Morelle, ce conseiller de l’ombre qui n’a pris qu’une fois la lumière, lorsqu’il a signé, en tant qu’inspecteur de l’IGAS (Inspection générale des affaires sanitaires), un rapport très médiatisé sur le scandale sanitaire du Mediator, a beaucoup menti, et a beaucoup omis.
Il a l’image d’un médecin parfaitement intègre, farouche adversaire de l’industrie pharmaceutique et des conflits d’intérêts depuis ce rapport ? Mediapart a découvert qu’il avait travaillé en cachette pour des laboratoires pharmaceutiques, y compris à une époque où il était censé les contrôler, au mépris de la loi. Il a la réputation d’être un homme aux idées bien ancrées à gauche ? Il se comporte comme un « petit marquis » au Palais où il abuse des privilèges de la République. Il est connu pour sa plume aiguisée ? Il a longtemps fait écrire ses discours par d’autres, notamment à l’Élysée, où son manque de travail fait jaser.
Depuis qu’il est sorti de l’ENA en 1992, Aquilino Morelle est rattaché à l’IGAS, ce grand corps de l’État en charge des affaires sociales et sanitaires. Il a fait, depuis lors, des passages par des cabinets ministériels et par le privé, mais en 2007, il réintègre son corps d’origine. Il est, cette année-là, le rédacteur d’un rapport sur « l’encadrement des programmes d’accompagnement des patients associés à un traitement médicamenteux, financés par les entreprises pharmaceutiques ».
Au même moment, Aquilino Morelle travaille pour un laboratoire danois, Lundbeck. Un dirigeant du laboratoire de l’époque raconte : « Il nous avait été recommandé par un professeur de l’AP-HP (Assistance publique hôpitaux de Paris). Son profil était séduisant. On s’est rencontrés. Il m’a dit qu’il cherchait à travailler pour l’industrie pharmaceutique, qu’il avait du temps libre, que son travail à l’IGAS ne lui prenait que deux jours sur cinq, ce qui m’a semblé bizarre. Mais son profil et son carnet d’adresses nous intéressaient. »
Pour le compte du laboratoire, l’inspecteur de l’IGAS organise deux rendez-vous avec des membres du CEPS (comité économique des produits de santé), cet organisme chargé de fixer le prix des médicaments et les taux de remboursement. « Il nous a ouvert des portes, raconte le dirigeant. Et c’est un enjeu majeur : nous permettre d’aller défendre notre dossier auprès de la bonne personne. On cherchait à stabiliser le prix du seroplex, un anti-dépresseur. »
Ce dirigeant n’a cependant pas demandé à Aquilino Morelle de l’accompagner lors des rendez-vous. « J’ai pensé que ça pouvait être contre-productif. Il était dans une position tellement compliquée, si peu éthique, que ça pouvait être à double tranchant. D’habitude, ce sont plutôt des gens à la retraite qui ont ce type d’activité. »
Interrogé par Mediapart, Aquilino Morelle, n’a envoyé que des réponses par e-email (voir la boîte noire), repoussant sans cesse le rendez-vous dont il avait convenu. Rémunéré 12 500 euros (hors taxe) pour cette prestation, il assure que tout a été fait dans les règles en vertu du fait qu’« en tant que fonctionnaire, un certain nombre d’activités annexes sont autorisées, dont l’enseignement et le conseil ».
A-t-il déclaré ce contrat auprès de son administration ? « Ces activités ont dû être déclarées à l’IGAS. Je n’en ai pas retrouvé la trace en dépit de mes recherches, nous écrit-il. Ce sont des faits anciens – sept ans – et banals. »
Sollicitée sur ce ménage auprès d’un laboratoire, l’IGAS nous a d’abord répondu que « l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 permet aux fonctionnaires d'exercer certaines activités annexes. À ce titre l'expertise, la consultation, les activités littéraires et scientifiques, les enseignements peuvent être autorisés par le chef de service. C'est ce qui a été fait en 2007. »
Nous avons donc retrouvé le chef de service (c’est-à-dire le directeur) de l’IGAS à l’époque, André Nutte, aujourd’hui en retraite. « J’ai franchement une bonne mémoire, explique-t-il après avoir cité dans l’instant les différents rapports écrits par Morelle à l’époque. Mais je ne me souviens pas avoir signé une telle autorisation. Si l’IGAS a une pièce, qu’ils la sortent. On verra bien qui a signé. Car ça n’a pas de sens. C’est comme si on accordait le droit à un directeur d’hôpital entré à l’IGAS d’aller travailler parallèlement dans une clinique privée. Ou à un inspecteur du travail de conseiller une entreprise. »
Nous avons rapporté l’échange à l’IGAS, qui a du coup changé de discours ce 16 avril. En réalité, explique l’institution, une autorisation n’a été donnée en 2007 que pour donner des cours à l’université Paris 1. Aucune autre autorisation n’a été retrouvée.
Il faut dire que permettre un tel cumul aurait été une aberration selon Michel Lucas, directeur de l’IGAS de 1982 à 1993, à l’origine des révélations sur les millions de francs détournés à l’ARC (association pour la recherche sur le cancer) : « Ces deux fonctions sont incompatibles. On n’autorise jamais un inspecteur à travailler pour une entreprise privée. Alors un laboratoire pharmaceutique… »
L’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 est d’ailleurs clair : « Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative, de quelque nature que ce soit. » À défaut de dérogation spécifique, « la violation (de cette règle) donne lieu au reversement des sommes indûment perçues, par voie de retenue sur le traitement ».
Pis, au vu de l’article 432-12 du code pénal, cette double activité pourrait être considérée comme une prise illégale d’intérêts. En 2007, au moment des faits, le délit était puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Chantre de la transparence… pour les autres
Aquilino Morelle a visiblement tout tenté pour dissimuler ces faits. L’argent qu’il a gagné pour ces activités a été encaissé via une société, l'EURL Morelle, qu’il a créée en 2006, et qui a été radiée par le tribunal de commerce en mars 2013. Mais les comptes n’ont jamais été déposés à ce même greffe en dépit des obligations légales.
Le 28 février 2007, le jour même où il réintègre l’IGAS, Aquilino Morelle, unique actionnaire de son entreprise, se démet de son rôle de gérant et y place son frère cadet Paul. Le profil de Paul Morelle, qui ouvrira deux ans plus tard, en 2009, un magasin de fleurs, vins et chocolats dans le XVe arrondissement de Paris, ne semble pas coller avec celui d’un expert en médicaments. Mais la démarche est utile : dès lors, plus aucune société n’est directement associée au nom d’Aquilino Morelle lors d’une recherche au greffe.
Jamais dans son histoire, Aquilino Morelle n’a fait référence à son travail pour l’industrie pharmaceutique.« Aucune règle ne disposait que je doive “faire état” de ces contrats », nous répond-il aujourd’hui.
C’est pourtant lui, qui, sur les plateaux de télévision, et lors de multiples émissions de radio, claironnait partout, au moment de son rapport sur le Mediator, que la transparence était nécessaire, comme ici lors d’un passage à France Info le 24 juin 2011 :
« (Il faut) que chacun soit au clair avec lui-même et avec les autres. Il n’y a pas d’interdiction d’avoir un rapport avec l’industrie pharmaceutique pour un médecin. Ça peut se comprendre. Ce qui est obligatoire, c’est de rendre public cela. Il faut que ces contacts soient publics. Quand vous publiez vos relations, vous êtes transparent et chacun peut regarder si (…) il n’y a pas quelque chose qui peut poser un problème en termes d’indépendance. C’est juste ça. Mais c’est énorme. (Si) on a un rapport avec l’industrie pharmaceutique, il faut que tout le monde le sache. On aboutit à des situations où les experts sont parties prenantes. Juge et partie. Il faut en finir avec ça. »
Lors d’un chat à Metronews, il synthétise assez bien ce qu’il martèle partout à l’époque : « Oui, il est exact que l'industrie pharmaceutique a une forte influence sur la politique actuelle du médicament. (…) La culture dominante considère que les laboratoires pharmaceutiques auraient une sorte de "droit" à commercialiser leurs produits, comme s'il s'agissait d'une "marchandise" comme les autres... Il faut changer cet état des choses. »
À la question d’un internaute : « Pouvez-vous citer les noms des laboratoires qui font le plus de lobbying auprès des hommes/femmes politiques? », il répond : « Toute l'industrie pharmaceutique est concernée. » L’internaute est probablement loin de s’imaginer qu’il parle en toute connaissance de cause.
Aquilino Morelle s’interroge-t-il sur le bien-fondé de la démarche après que Lundbeck a choisi de mettre fin à leur relation commerciale en décembre 2007 ? Aucunement. En 2008 et 2009, il continue de vouloir travailler pour l’industrie pharmaceutique. Chez Sanofi, un haut dirigeant nous raconte l’avoir reçu. Et chez Servier, le laboratoire qu’il a démoli dans son rapport sur le Mediator et dont le patron Jacques Servier est mort ce 16 avril, on nous explique avoir également reçu sa candidature à cette époque. Il est vrai que le scandale sanitaire n’avait pas encore éclaté. Mais dans le milieu, la réputation de Servier, son recours systématique à de jeunes visiteuses médicales ou encore ses recherches approfondies sur les appartenances politiques de ses futurs salariés, sont déjà archi-connus.
À l’époque, de l’avis de différents laboratoires qui ont reçu sa candidature, Aquilino Morelle cherche un emploi à plein temps. Ou plus exactement une rémunération, pour accompagner son parcours politique, plutôt qu’une réelle activité. Ce qui n’intéresse pas les laboratoires. Il fait chou blanc.
Aquilino Morelle n’a cependant pas attendu la fin des années 2000 pour bien connaître l’industrie pharmaceutique. En 1992, il sort de l’ENA. Non pas à la 2e place comme il le raconte à Laurent Binet en 2012 dans le livre Rien ne se passe comme prévu. Mais à la 26e. Lors du grand Oral, il est repéré par Pierre Moscovici, et, assez vite, il intègre le cabinet de Bernard Kouchner, alors ministre de la santé.
Là non plus, nous n’en avons pas retrouvé trace dans ses biographies, mais Aquilino Morelle occupe un poste bien spécifique : conseiller technique en charge du médicament. La même fonction que celle occupée par Jérôme Cahuzac deux ans auparavant (voir notre article sur la corruption à ce poste à cette époque). Le rôle est si central qu’il permet de se faire en quelques mois un carnet d’adresses fourni dans le milieu pharmaceutique.
Après la défaite de la gauche aux législatives de 1993, Aquilino Morelle réintègre l’IGAS, où il laisse un souvenir très mitigé. Vingt ans plus tard, des inspecteurs parlent encore de la façon dont il s’est servi d’une mission et d’un rapport collectif sur le don du sang en milieu pénitentiaire pour nourrir abondamment un livre personnel sur l’affaire du sang contaminé, La Défaite de la santé publique, qui lui vaudra un début de notoriété. À l’époque, il n’est pas vu comme tire-au-flanc. Mais comme un touche-à-tout, qui, du coup, a tendance à bâcler son travail d’inspecteur.
En 2002, après cinq années à Matignon auprès de Lionel Jospin, il est d’office réintégré à son corps d’origine. Il a perdu aux municipales de 2001 (Nontron), aux législatives de 2002 (Vosges), comme il perdra en 2007 (Seine-Maritime) : sa carrière politique est au point mort, et il veut gagner de l’argent. Euro RSCG, via Stéphane Fouks, qui a participé à l’échec de la campagne de Lionel Jospin, lui offre une porte de sortie, avec la bénédiction de la commission de déontologie.
À Euro RSCG, pourtant, il s’occupe très vite de l’industrie pharmaceutique. Du côté marketing dans la branche Healthcare. Et du côté Corporate, on lui demande de travailler sur l’image des laboratoires, de conseiller sur les stratégies de communication, de réfléchir à la façon d’améliorer l’image des médicaments auprès des consommateurs et des médecins. À l’époque, les principaux clients d’Euro RSCG dans ce secteur s’appellent Pfizer, Lilly, Aventis, Sanofi. Mais il ne donne pas satisfaction, visiblement jaloux de son carnet d’adresses, peu travailleur et pas bien doué pour les relations commerciales selon ses anciens collègues.
L’inspecteur en disponibilité décide alors de faire fructifier son carnet d’adresses pour son propre compte. Parallèlement à sa campagne pour le non au référendum européen aux côtés de Laurent Fabius en 2005, à des fonctions peu prenantes au Génopôle d’Évry puis au Pôle de compétitivité de Medicen, il met en place l’EURL Morelle. Le laboratoire américain Lilly le rémunère 50 000 euros (3 fois 12 500 euros hors taxe), essentiellement pour organiser des déjeuners dans de très bons restaurants du VIIIe arrondissement.
Un haut dirigeant de l’époque se souvient : « Il m’a fait rencontrer des parlementaires de gauche comme Marisol Touraine (aujourd'hui ministre des affaires sociales), Jean-Marie Le Guen (aujourd'hui secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement) ou Jérôme Cahuzac. Ainsi que des journalistes. » Autant de personnes qui savent donc pertinemment qu’Aquilino Morelle a travaillé pour l’industrie pharmaceutique…
« Il participait au travail de lobbying habituel, raconte ce dirigeant. Il appuyait mon discours – forcément, on le payait pour – sur la place des génériques, sur l’emploi, sur la place à faire à de nouveaux médicaments innovants. En tant qu’administrateur du LEEM (syndicat des entreprises du médicament), je tenais un discours classique. Et lui, intellectuel, cultivé, agréable dans le contact, savait y faire pour appuyer. » À notre demande, Lilly a retrouvé dans ses archives l’intitulé du contrat : « mission d’analyse et de conseil sur l’image de Lilly, et préparation à la communication de crise ». À cette époque, Lilly doit d’ailleurs gérer une crise importante avecle scandale du Zyprexa, ce médicament pour les psychotiques qui génère des milliers de plaintes dans le monde en raison de risques connus du laboratoire mais cachés au public.
Abus en tous genres
Au vu de nos découvertes sur son parcours, cette expertise supposée en communication de crise pourrait lui être bien utile. D’autant qu’à l’Élysée, les langues se délient. Au cours de notre enquête, nous avons rencontré de très nombreuses personnes officiant au Palais. Nous avons pris soin de recouper et vérifier chaque information, surtout en raison des bouleversements actuels au cabinet, susceptibles d’attiser les règlements de comptes. D’ailleurs, le service communication a déjà commencé à faire passer le message qu’il « ne s’agit que de rumeurs malveillantes ». Nous n’avons pas pu poser de questions précises à Aquilino Morelle sur ces sujets, mais alerté du fait que nous souhaitions parler de ses abus, il évoque lui aussi des « affirmations dénuées de tout fondement, qui visent uniquement à me salir. Il arrive dans la vie politique que certaines personnes aient intérêt à jeter la suspicion sur une autre ».
Bien sûr, dans un univers compassé, le goût du luxe très assumé d’Aquilino Morelle surprend. Mais où est le mal ? D’autant qu’Aquilino Morelle ne manque jamais de rappeler ses origines modestes, sa famille nombreuse immigrée espagnole, sa mère parlant mal le français, son père ouvrier affûteur chez Citroën. On peut être riche, de gauche, « foncièrement de gauche » selon Les Échos, passer beaucoup de temps au Flore, et trouver que « ce qui est dur, c'est de voir les ouvriers pleurer », ainsi qu’il le déclarait au quotidien.
Suite à l’affaire Cahuzac, les ministres ont dû remplir une déclaration de patrimoine. « Le fils du peuple qui n’oubliera jamais d’où il vient » (dixit le JDD) leur envoie alors une tribune qu’il avait publiée en juillet 2010dans Libération, titrée « Un homme de gauche peut-il être riche ? ». Il y développe l’idée que « la sincérité d’un engagement ou la force d’une conviction ne peuvent se mesurer à la seule aune d’un compte en banque ». Ce que personne ne dément, ni au Palais ni ailleurs.
Mais à l’Élysée, ce sont les manières qui choquent. La façon dont il s’adresse au petit personnel, l’utilise, le terrorise. Et les abus multiples. Aquilino a obtenu que ses deux chauffeurs ne soient pas versés au pool commun. Ils sont donc à sa disposition… et à celle de ses proches. Par exemple, le mardi en fin d’après-midi, comme nous avons pu le vérifier, un des deux chauffeurs véhicule son fils pour des activités personnelles dans le XVearrondissement.
Au su de tous, Aquilino Morelle n’hésite pas non plus à demander à ses secrétaires de s’occuper de ses affaires personnelles, par exemple quand il a un souci avec un de ses nombreux locataires. D’après nos recherches dans différents cadastres de France, Aquilino Morelle, qui vit dans le Ve arrondissement à Paris, possède en effet des biens immobiliers à Paris, Saint-Denis, Sarlat, Périgueux ou encore Perpignan, la plupart acquis en indivision avec sa femme, elle-même directrice de cabinet de la ministre de la culture.
Depuis janvier, le conseiller politique se serait mis à travailler. Car jusque-là, Aquilino Morelle était parfois présenté comme un bourreau, mais jamais de travail. En mai 2013, lors de la projection à l’Élysée du documentaire « Le Pouvoir », de Patrick Rotman, une bonne partie du cabinet est présente pour se voir à l’écran. Au milieu du film, une scène montre Aquilino Morelle qui arrive à l’Élysée et monte l’escalier qui mène à son bureau. Dans la salle de projection, une voix s’élève : « Tiens, il est 11 heures ! » Éclat de rire général.
Toute l’année 2012, Aquilino Morelle s’est ainsi attribué auprès du président les discours écrits par l’ancienne plume Paul Bernard, avec qui les relations s’étaient rapidement tendues. Alerté, le président a fini par sortir le nègre des griffes du conseiller en décembre 2012.
Très souvent, le conseiller spécial s’absente. Et personne ne sait où il disparaît. Aux bains du Marais, il nous a été confirmé qu’il venait, à une époque, « pas tous les vendredis, mais très souvent en effet, au milieu de l’après-midi. Pour le sauna, le hammam, un gommage, parfois un massage ». À d’autres moments, il s’adonne aux sports de combat, avec un certain talent paraît-il, qu’il ne faut cependant pas exagérer : Aquilino Morelle est parfois présenté comme multi-champion de France de karaté. Vérification faite auprès de la fédération française, il ne l’a jamais été. Ni même finaliste. Ni même champion dans les catégories jeunes (consulter ici les palmarès complets).
Le poste de conseiller spécial du président laisserait-il tant de temps pour les activités parallèles ? Il faut le croire puisque Aquilino Morelle occupe par ailleurs un poste de professeur à mi-temps à la Sorbonne, soit « 96 heures équivalent TD par an », explique l’université. Nommé pour la première fois en 2003, il a été renouvelé pour la deuxième fois en 2012 comme l’a déjà écrit le Lab Europe1. Il dispense trois enseignements : Régulation du système de santé en Master 2, Grands problèmes contemporains en Master 1 et un cours de culture générale préparant les étudiants au concours de l'ENA. Ce qui lui procure un petit complément de salaire, de l’ordre de 2 000 euros par mois.
Le président de la République a été alerté de certains écarts de son conseiller. Pendant la première année de mandat, message a ainsi été transmis à Aquilino Morelle d’arrêter de faire monter de la cave de l’Élysée des crus haut de gamme pour de simples déjeuners ou des réunions de travail, parfois avec des journalistes. Une pratique qui passe mal quand d’autres membres de cabinet disent rembourser leurs plateaux-repas à 8 euros. Quelques semaines plus tard, François Hollande décidera d’ailleurs de limiter la consommation de bons crus, et de vendre une partie de la cave de l’Élysée.
Lors des voyages officiels de début de quinquennat, certains se plaignent aussi de son goût peu modéré pour la piscine en journée et les chambres de luxe en soirée.
Rien ne semble trop beau, trop grand pour le conseiller du président. Dans son bureau – celui qu’occupait Henri Guaino sous la présidence Sarkozy – juste à côté de celui de François Hollande, il a demandé quelques menus travaux lors de son arrivée. Puis a fait changer des meubles plusieurs fois.
En avril 2013, alors que se solde l'affaire Cahuzac et qu'apparaissent au grand jour ses relations avec l'industrie pharmaceutique, une succession d’incidents au Palais semblent sonner son heure. Il est mis en retrait pendant plusieurs mois, ne participe plus aux déplacements à l’étranger ni à certaines réunions décisives. Mais François Hollande ne prend pas la décision de s’en débarrasser.
© Reuters
Et c’est même l’inverse qui se produit, à l’automne 2013, après plusieurs ratés dans la communication présidentielle. Il revient particulièrement en grâce au moment de l’affaire Julie Gayet. Puis il est carrément promu. Artisan du rapprochement Montebourg/Valls, il n’a de cesse de militer pour que Manuel Valls remplace Jean-Marc Ayrault. Ce qui advient le 31 mars 2014. Quinze jours plus tard, plus que jamais, il est parvenu à se placer au centre du dispositif et règne en maître à l’Élysée.
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