Syrie: les écologistes commencent à douter
EELV pourrait être le 1er mort politique du conflit |
Paru sur le site de Médiapart le 8 septembre...
08 septembre 2013 | Par Mathieu Magnaudeix
Alors que François Hollande venait de se dire « prêt » à « punir » Bachar al-Assad, les dirigeants écologistes avaient soutenu fin août une intervention « y compris militaire » en Syrie. Depuis, l'urgence est retombée et le doute s'installe. Le parti débattra de la Syrie le week-end prochain. « En l'état, je voterais contre une intervention car la coalition n'est pas assez large », explique à Mediapart le secrétaire national d'EELV Pascal Durand.
Danielle Auroi l'avoue : elle ne sait plus quoi penser. Fin août, juste après l'attaque chimique à Damas attribuée à Bachar al-Assad, la présidente écologiste de la commission des affaires européennes à l'Assemblée nationale soutenait une riposte militaire en Syrie. Désormais, elle est rongée par le doute.
« Je suis assez réservée, partagée, déchirée, dit-elle. Je me pose des tas de questions. Le remède ne risque-t-il pas d'être pire encore ? Ne va-t-on pas déstabiliser la région en augmentant l'afflux de réfugiés au Liban, en Jordanie et en Turquie ? Peut-on réformer l'ONU en la contournant sans arrêt ? Et puis au G20 on voit bien que les positions n'ont pas bougé : ne faut-il pas pousser plutôt une solution politique ? Ces questions, j'aimerais bien qu'on se les pose en France. »
En cas de vote au Parlement, Danielle Auroi n'envisage pas de voter contre, comme le Front de gauche et une grande partie de l'UMP (« ce serait donner l'impression à Bachar al-Assad qu'il peut faire ce qu'il veut »). Mais elle n'exclut pas de « s'abstenir ».
Comme elle, de plus en plus d'écologistes doutent de l'opportunité d'une intervention, pourtant soutenue fin août par les dirigeants du parti. Le conseil fédéral d'EELV débattra de cette épineuse question le week-end prochain. D'ici là, les frappes pourraient avoir commencé, même si François Hollande, coincé après l'échec du sommet du G20, a annoncé vendredi soir qu'il n'y aurait pas de frappes avant que les inspecteurs de l'ONU aient rendu leur rapport.
Le mercredi 28 août, une semaine après l'attaque chimique, Europe Écologie-Les Verts avait publié un communiqué très offensif. « Pour EELV, une intervention, y compris militaire, nonobstant l’utilisation par la Russie et la Chine de leur droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, est à ce stade inéluctable », affirmait le texte signé du secrétaire national Pascal Durand et des responsables des groupes au Sénat, à l'Assemblée nationale et au Parlement européen.
La veille, une “conf-call” téléphonique convoquée en urgence avait réuni les dirigeants du parti : membres du bureau exécutif, parlementaires, mais aussi les ministres écologistes Cécile Duflot et Pascal Canfin, ministre délégué de Laurent Fabius au Quai d'Orsay.
« On m'a donné une info selon laquelle l'intervention d'une coalition internationale, peut-être avec la Ligue arabe, était imminente et urgente, raconte Pascal Durand. J'ai ces infos-là à midi, je convoque la réunion le soir même. » Devant la conférence des ambassadeurs, François Hollande vient de se dire « prêt » à intervenir militairement pour « punir » le régime syrien. « S'il y avait une opération dans les prochaines heures, puisque c'était alors le scénario envisagé par beaucoup de gens, nous devions pouvoir prendre une position rapidement », raconte Pascal Canfin à Mediapart. « Il était alors question de frappes le jeudi ou le vendredi », précise un parlementaire.
Ce soir-là, le ministre Pascal Canfin ouvre la discussion. « J'ai dit qu'on ne pouvait pas laisser cette attaque impunie. Mais j'ai dit aussi qu'on ne pouvait pas y aller seul et que la solution globale n'était pas militaire, mais politique. » Opposé à la guerre au Mali, le député et maire de Bègles, Noël Mamère, soutient l'intervention. L'ancienne candidate à la présidentielle Eva Joly s'y dit favorable, à condition d'attendre le rapport des inspecteurs de l'ONU, comme elle l'expliquera trois jours plus tard.
Parmi la trentaine de dirigeants, toutes tendances confondues, qui participent à cette réunion téléphonique, beaucoup estiment que le massacre chimique appelle une réaction très forte. Le ministre Canfin les aurait-il tous et toutes persuadés ? « Non, jure-t-il, le consensus préexistait. »
Seul le député des Français de l'étranger d'Amérique du Sud Sergio Coronado, membre de l'aile gauche du parti, exprime alors ses très grandes réserves. Coronado n'a pas varié depuis. « Je ne suis pas opposé par principe aux interventions militaires, dit-il. Sauf qu'il s'agit de frappes pour l'honneur, sans stratégie, sans calendrier, sans cadre ni objectif. »
« Monarchistes »
Le lendemain, le 28 août, le communiqué est publié. Il précise : l'« intervention » aura « pour seule vocation de protéger les populations civiles, notamment dans les zones libérées et sous contrôle de l’Armée syrienne libre », sera « ciblée et limitée dans le temps et dans ses modalités d’action, frappes extérieures et éventuellement aériennes ciblées ». Elle devra par ailleurs « se faire dans un cadre multilatéral, notamment avec les pays de la Ligue arabe » et « revenir le plus rapidement possible dans le cadre du droit international ».
Un éventuel vote au Parlement, exigence minimale des écologistes en pareille circonstance, n'est pas évoqué. « On s'est fait plus monarchistes que le Président de la Cinquième République ! déplore rétrospectivement un cadre du parti. On s'est dit qu'il fallait absolument qu'on adopte une position. Un peu comme si c'était nous qui appuyions sur le bouton… »
Sauf que ce soir-là, les écolos se fourrent dans un piège. Rien ne se passera comme prévu. Deux jours plus tard, les parlementaires britanniques refusent d'engager leur pays dans une action militaire. Et le samedi, alors qu'il est à nouveau question de frappes imminentes, c'est Barack Obama qui décide de faire voter le Congrès. La diplomatie française est prise à contre-pied. Les frappes sont repoussées. François Hollande est isolé.
Les écologistes, eux, sont pris à revers. « Ce jour-là, nous avons réagi relativement rapidement face à un crime de guerre, explique Pascal Durand, qui revient pour la première fois sur cet épisode. Il y avait alors situation d'urgence, comme au Mali. Et la coalition internationale devait être large. »
Le parti a-t-il commis une erreur ? « Nous avons réagi dans des conditions d'urgence qui n'étaient pas avérées, sur la base d'informations erronées. Avec d'autres infos, ce communiqué aurait été différent », déplore Durand. « Nous avons réagi sous le coup de l'émotion », confirme Danielle Auroi. « On a été trop vite », tranche Françoise Alamartine, membre de l'aile gauche du parti et responsable de l'international chez EELV.
« La prise de position en faveur de l'intervention a été une erreur politique, commise dans la précipitation, martèle la sénatrice Leila Aïchi, opposée à une intervention en dehors d'un mandat onusien. Au nom de l'alignement sur le gouvernement, nous nous sommes jetés dans la gueule du loup. C'est une séquence dramatique pour la France, mais aussi pour EELV. » « On s'est fait ridiculiser en suivant au poil près Hollande, comme Hollande s'est fait piéger par Obama… », résume un cadre.
« Ce communiqué était débile », tranche Sergio Coronado. Le député n'a pas de mots assez durs contre les dirigeants du parti, « qui se sont mis dans le suivi le plus aveugle des décisions gouvernementales ». Mais aussi contre le ministre du développement Pascal Canfin, déjà favorable à l'intervention au Mali, dont il dit « regrette(r) l'enthousiasme à chaque intervention militaire ». « Canfin se verrait bien en ministre de la guerre », raille même une personnalité du parti.
« Ni moi ni personne chez les écologistes n'est va-t-en-guerre, répond Pascal Canfin à Mediapart. Par ailleurs, je défie quiconque d'aller voir un Malien et de lui dire que la France n'aurait pas dû intervenir. Quant à la Syrie, ceux qui opposent solution militaire et solution politique sont de mauvaise foi. Si aucune pression, aucune menace d'une intervention n'est exercée, il sera impossible de ramener tout le monde autour de la table. Il faut être capable de taper du poing sur la table quand la ligne rouge, en l'occurrence l'utilisation de l'arme chimique, a été franchie », affirme le ministre.
Ces derniers jours, on a beaucoup vu dans les médias les partisans d'une intervention, alors que les plus réticents se sont faits discrets. Le discours très interventionniste de la coprésidente du groupe à l'Assemblée, Barbara Pompili, lundi soir sur France 2, a été particulièrement remarqué.
Mardi 4 septembre, lors du débat au Parlement, les orateurs écologistes ont à nouveau défendu le principe d'une intervention. Une position « majoritaire », mais pas « unanime », a tenu à préciser le coprésident du groupe écolo à l'Assemblée, François de Rugy (son discours ici).
De fait, les parlementaires ne sont pas tous convaincus. Au moins quatre députés sur 17 sont très réticents, voire opposés à une intervention. La députée Isabelle Attard (Calvados) estime ainsi qu'« ajouter la guerre à la guerre ne résoudra rien ».
Sur les douze sénateurs écologistes, quatre sont très réservés, et Leila Aïchi est contre. Elle affirme d'ailleurs avoir été « interdite de défendre une position plus nuancée » mercredi à la tribune du Sénat. « Comme s'il était inimaginable qu'une parlementaire de la majorité dise au perchoir qu'elle était contre une intervention sans mandat de l'ONU ! » « Il y a eu un vote, et une majorité du groupe au Sénat a décidé qu'elle n'interviendrait pas », rétorque la sénatrice Esther Benbassa. Favorable à une intervention, Benbassa estime qu'« il est inconcevable de se taire face à un crime contre l'humanité, comme on s'est tu face à Guernica pendant la guerre d'Espagne ».
« Glucksmann »
Le parti est encore plus tiraillé que ses parlementaires. D'un côté, les écologistes sont révulsés par l'utilisation de l'arme chimique, qui, pour beaucoup d'entre eux, constitue l'atrocité suprême. Guère surprenant dans un parti qui reste marqué par une « mythologie pacifiste », selon Pascal Durand, même s'il a en réalité soutenu de nombreuses opérations extérieures depuis la fin des années 1990 (lire notre article). « Pour un écolo, une telle attaque est un choc insupportable, et ça peut expliquer en partie notre emballement », explique un cadre.
Sauf qu'une partie du mouvement reste opposée à l'usage de la violence. Par ailleurs, beaucoup de militants sont très méfiants face à une situation qui leur rappelle le précédent irakien : une action conduite par les États-Unis, en marge du droit international, avec des conséquences régionales incalculables. Plus les jours passent, plus les doutes s'immiscent dans les têtes. « Je ne cache pas que chez nous l'intervention fait débat, admet Durand. C'est d'ailleurs normal que les gens se désolidarisent de notre position de départ : plus on avance dans le temps, plus la coalition se rétrécit, moins on devient légitime à intervenir. »
« Nous n'avons pas à évoluer en fonction du vent, juge au contraire le ministre Pascal Canfin. Nous avons soutenu une position de principe : l'attaque ne peut pas rester impunie, la France n'ira pas seule et une coalition doit être réunie, idéalement dans le cadre des Nations unies. Je continuerai à la défendre. Ceux qui ne veulent rien faire n'ont pas de réponses convaincantes. »
En prévision du débat du 15 au conseil fédéral, les dirigeants du parti ont commencé à enclencher l'opération rétropédalage. Les écologistes ont d'abord rajouté une exigence. Comme l'opposition et les communistes, mais aussi quelques socialistes, ils réclament désormais un vote au Parlement, pour l'instant envisagé avec des pincettes par l'exécutif. Ce souhait n'est « pas que rhétorique », jure Pascal Durand, alors que certains parlementaires laissent déjà entendre le contraire. « Le vote est une question de principe pour nous, car nous ne sommes plus dans l'urgence, explique Durand. Comment expliquer que nous ne votions pas, alors que le Royaume-Uni et les États-Unis le font ? »
Pascal Durand pose une autre condition : que la coalition internationale s'élargisse au-delà des États-Unis et des quelques États évoqués pour l'instant (lire notre article). Une exigence qui semble difficile à satisfaire, puisque la liste des pays prêts à s'engager reste maigrelette.
« Ça nous posera évidemment problème s'il n'y a que la France et les États-Unis. Dans ce cas, une grande partie du mouvement dira qu'il ne faut pas y aller », explique Durand. Le secrétaire national d'EELV affirme même à Mediapart qu'« en l'état », il voterait « contre une intervention en Syrie car la coalition n'est pas assez large ». Un virage sur l'aile qui ressemble aussi à un coup de frein aux ardeurs les plus bellicistes.
Durand se défend par ailleurs de tout atlantisme zélé. « Nous ne sommes pas devenus atlantistes, nous ne sommes pas des “Glucksmann” (philosophe néo-conservateur qui a soutenu la guerre américaine en Irak et soutient désormais une intervention en Syrie). Je préférerais mille fois que ce soit la Ligue arabe qui intervienne, pas les États-Unis. En revanche nous sommes toujours des Indignés », explique-t-il. Le ministre Pascal Canfin a moins d'états d'âme, et dit « préférer être dans une discussion avec les États-Unis que de dépendre de la Russie et la voir gagner à la fin ».
Du reste, le parti se démarque de plus en plus de la rhétorique martiale du duo exécutif : « Quand François Hollande parle de “punir” Bachar al-Assad, il commet une faute : on n'est pas dans une logique morale ! » martèle Pascal Durand. Sur Rue 89, Noël Mamère estime que l'exécutif développe en ce moment une « rhétorique néoconservatrice ».
Durand reste convaincu de la nécessité d'agir. « C'est une situation inédite, explique-t-il. Un dirigeant totalitaire massacre sa population avec des soutiens eux aussi totalitaires, la Chine et la Russie. Face à cet acte de barbarie, l'ONU est dans l'incapacité de faire respecter le droit international. Et depuis deux ans, la communauté internationale s'est comportée de façon scandaleuse. Ne rien faire, c'est être complice. On ne peut pas regarder ailleurs. Cette ligne est majoritaire dans le parti. » Sauf que la palette des moyens d'action semble s'élargir. « Une intervention militaire est possible, mais c'est la pire des solutions. Et des bombardements ne sont pas forcément la seule façon d'intervenir militairement », explique-t-il.
Vendredi 6 septembre, la secrétaire à l'international Françoise Alamartine a publié un texte qui ressemble à une tentative de synthèse. Intitulé l'« urgence d'agir », il se garde bien d'évoquer ouvertement une action militaire. « Nous devons réfléchir à toutes les possibilités à l’aune de nos principes de non-violence, en ayant conscience du cynisme de la politique mondiale, des intérêts de nombre de protagonistes, mais avec la conscience de ce qui se trame en Syrie et de l’acte terrifiant qui vient de se commettre », peut-on lire.
« Il peut y avoir une nécessité d'intervention militaire, mais en dernier recours, après le vote des experts de l'ONU, après un vote du Conseil de sécurité condamnant les armes chimiques, après avoir tenté de bâtir un compromis politique, après avoir consulté les parties de l'opposition syrienne », explique à Mediapart Françoise Alamartine. Ce qui fait tout de même beaucoup de conditions à remplir. On est loin de la fougue du communiqué du 28 août.
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