Une nouvelle spécialité suisse : les arrestations clandestines
Comme dans les régimes totalitaires où les citoyens disparaissent corps et âme sans que les autorités ne jugent nécessaire de fournir des explications.
Cette pratique d'escamotage des suspects, si elle est confirmée par les faits, est plus que scandaleuse mais anti démocratique !
Pierre Condamin-Gerbier mis à l'ombre - Pour le président de la commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac, le pays fait tout «pour empêcher la transparence».
source : Démocratie réelle et maintenant des Indignés de Nîmes
L'ancien banquier de Reyl & Cie est incarcéré en Suisse depuis le 5 juillet. Pour Charles de Courson, président de la commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac, le pays fait tout «pour empêcher la transparence».
Il ne fait décidément pas bon rompre l’omerta bancaire en Suisse. Après Hervé Falciani, l’informaticien d'HSBC, c’est au au tour de Pierre Condamin-Gerbier d’être dans le collimateur de la justice helvétique. C'est La Tribune de Genève qui l'a révélé : l'un des témoins clés de la justice française dans l'affaire Cahuzac dort désormais en prison. Le gestionnaire de fortune, associé gérant de l’établissement Reyl & Cie de 2006 à 2010, a été interpellé le 5 juillet 2013 et une instruction pénale ouverte contre lui par le Ministère public de la confédération (MPC).
Deux jours auparavant, le 3 juillet, il avait été auditionné devant la commission d'enquête parlementaire, chargée de faire la lumière sur les éventuels dysfonctionnements de l'État français dans l'affaire Cahuzac. Et la veille, le 2 juillet, il avait été longuement entendu par les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire dans le cadre d’une instruction ouverte contre l’établissement Reyl & Cie pour « blanchiment de fraude fiscale » le 31 mai 2013 – entre la mi-février et début juillet, Pierre Condamin-Gerbier avait été entendu plusieurs fois par la police judiciaire, les douanes judiciaires et les juges d'instruction chargés de l'affaire Cahuzac.
Le Ministère public de la Confédération (MPC) a confirmé à Mediapart avoir « ordonné l’ouverture d’une instruction pénale à l’encontre de cette personne, entre autre pour service de renseignements économiques » (art. 273 CP). « La personne a été arrêtée le vendredi 5 juillet 2013. Elle se trouve actuellement en détention préventive », indique sa porte-parole, Jeannette Balmer, qui ajoute « qu’en l'état actuel, le MPC ne souhaite pas s'exprimer davantage par rapport à ce dossier. »
L’article 273 du Code pénal suisse énonce que « celui qui aura cherché à découvrir un secret (…) d’affaires pour le rendre accessible à un organisme officiel ou privé étranger, ou à une entreprise privée étrangère, ou à leurs agents, celui qui aura rendu accessible un secret (…) d’affaires à un organisme officiel ou privé étranger, ou à une entreprise privée étrangère, ou à leurs agents, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire ou, dans les cas graves, d’une peine privative de liberté d’un an au moins. En cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire peut également être prononcée. » Le 3 juillet, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l’affaire Cahuzac, l’ancien banquier avait annoncé avoir transmis à la justice une liste d'hommes politiques français détenant un compte en Suisse.
Selon les informations de Mediapart, lors de son audition du 2 juillet, il avait cité devant les juges le nom de l'homme d'affaires Alexandre Allard, en lien avec l’ancien ministre Renaud Donnedieu de Vabres, ainsi que, plus prudemment, celui de Laurent Fabius, sa famille pouvant détenir des avoirs non déclarés en Suisse. Dans un communiqué diffusé samedi, la banque Reyl & Cie et sa filiale Reyl Private Office disent avoir déjà porté plainte le 17 juin dernier « contre Pierre Condamin-Gerbier aux motifs, entre autres, de vol, falsification de document (faux dans les titres) et violation du secret professionnel et commercial », ajoutant que « les nombreuses déclarations mensongères maintenues en dépit des démentis catégoriques de la Banque, la falsification d’un mémorandum interne de Reyl Private Office, et sa remise à un média français, n’ont laissé d’autre choix à la Banque que de sortir de sa réserve et d’agir à l’encontre de Pierre Condamin-Gerbier ». La banque fait manifestement référence à un document cité à l'antenne sur Europe 1 et sur son site le 14 juin, présenté comme émanant de ses services, et qu'elle estime falsifié. Reyl & Cie a réaffirmé la semaine dernière qu'elle ne comptait aucun homme politique français parmi ses clients. Pierre Condamin-Gerbier a raconté son parcours et détaillé ses accusations dans une longue interview accordée à Mediapart. La première partie est ici, la seconde là.
« La Suisse fait tout pour empêcher la transparence »
Depuis plusieurs semaines, Condamin-Gerbier multipliait les interventions, faisant monter à chaque fois un peu plus la pression. Le 12 juin, il avait été entendu devant la commission sénatoriale d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion fiscale. Il disait alors détenir une liste d’une quinzaine de noms de personnalités politiques françaises, dont d’anciens et actuels ministres du gouvernement. La nouvelle de son arrestation provoque la stupeur de certains. Joint par Mediapart, Charles de Courson, président de la commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac, estime que « les autorités suisses continuent à tout faire pour empêcher toute transparence en matière bancaire ». « Comme d’habitude, on met en prison des gens qui ont brisé leur carrière pour mettre fin à l’incroyable complicité des autorités suisses. » Il s’étonne que Pierre Condamin-Gerbier ait décidé, après son audition du 3 juillet devant l’Assemblée nationale, de retourner en Suisse. « C’est complétement fou, étant donné ce qui était arrivé à Hervé Falciani. »
Le parlementaire reconnaît que l’ancien gestionnaire de fortune a également des ennemis en France : « Ceux de mes collègues qui ont des comptes en Suisse se porteraient mieux si M. Condamin-Gerbier pouvait être mis à l’ombre. »
En Suisse, nombre de banquiers et d’avocats ne se gênent pas pour dire en privé tout le mal qu’ils pensent de « ce traître à la petite semaine qui cherche par tous les moyens à exister», pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux.
Le quotidien genevois L’Agefi, qui est très proche des milieux d’affaires et de la banque Reyl & Cie, a publié plusieurs articles compromettants. Le premier s’intitulait : « Il parle beaucoup mais ne sait à peu près rien », reprenant la thèse d’une vengeance personnelle. Pierre Condamin-Gerbier obtenait de publier un démenti. Le 4 juillet, la veille de son arrestation, L’Agefi enfonçait encore un peu plus le clou, décrivant la « fuite en avant » de celui qui avait eu « un parcours professionnel marqué par les licenciements et les échecs ».
Les accusations se faisaient de plus en plus précises : une condamnation prononcée en 2006 pour avoir utilisé sa carte de crédit professionnelle à des fin personnelles, alors qu’il travaillait à l’UBS. Et des dettes de 150 000 francs suisses, selon l’Office de faillites et de poursuites de Morges. L’ancien banquier a toujours reconnu ces faits et insiste sur le fait que son casier judiciaire est aujourd’hui vide.
Sa dernière réponse a été publiée dans La Tribune de Genève, et, ironie du sort, publiée le 5 juillet, alors qu’il dormait déjà en prison.
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