L'inquiétude et le trouble gagnent ces jours-ci le sommet de l'Etat. S'installent chez certains à l'Elysée le sentiment et parfois la certitude que Nicolas Sarkozy dispose d'informations confidentielles en temps réel sur le cœur nucléaire du pouvoir. D'où viennent les fuites ? La réponse à cette question est tranchée depuis le printemps dernier par des fonctionnaires de la présidence formés à l'obligation de réserve et soucieux de la nécessaire neutralité du service public.
Avant même l'élection de François Hollande, ils s'émouvaient des manœuvres entreprises par les plus proches collaborateurs du chef de l'Etat sortant pour incruster durablement un réseau sarkozyste à l'Elysée. Indignés, certains de ces fonctionnaires ont même dressé entre eux la liste de ses membres. De fait, aujourd'hui, le réseau est bel et bien en place. Et à l'œuvre. «Paranoïa !» clameront pour se défendre les anciens occupants de la présidence de la République. En vérité, ce maillage est né de l'obsession complotiste de Nicolas Sarkozy lui-même. On se souvient combien il soupçonna les chiraquiens, non sans raison, de manœuvrer en sous-main contre lui. Au ministère de l'Intérieur, il a donc investi méticuleusement la police. Puis, dès son installation à l'Elysée, en 2007, il s'est employé à «déchiraquiser» le Château. Il le fit en accomplissant une révolution aussi peu remarquée qu'efficace. La tradition voulait que la présidence soit le royaume de la gendarmerie et de la marine. Les représentants de la grande muette ont le respect des petits et grands secrets. Avant même de devenir chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy se méfiait de ces militaires, en particulier les gendarmes, qu'il jugeait à la solde de Jacques Chirac. Aussi s'est-il employé à les soumettre ! Démilitarisation du Château En 2009, sur les conseils notamment d'Alain Bauer - ancien grand maître du Grand Orient, spécialiste des questions de sécurité et rallié à la cause sarkozyenne sans jamais avoir quitté le cercle des amis intimes de Manuel Valls -, il place la gendarmerie sous la tutelle du ministère de l'Intérieur. Ensuite, à l'Elysée, il en marginalise les représentants au profit de la police, dont il connaît les tours et les détours, et instrumentalise la haute hiérarchie. Pour parvenir à ses fins, il innove en développant des «contrats Elysée» qui lui permettent de recruter, en dehors du cabinet politique, un personnel civil et policier à sa main, sur des critères souvent militants, et d'éloigner petit à petit une partie des fonctionnaires issus de l'armée. Cette opération de «démilitarisation», qui ne va pas sans dysfonctionnement démocratique, a été conduite sous le contrôle du directeur de cabinet de l'ancien président, Christian Frémont. Pour la plupart, ces contrats ont été habilement renouvelés dans les trois mois qui ont précédé l'élection présidentielle de 2012. Résultat : 10 % du personnel élyséen, environ 90 personnes sur 900, sont très proches de la Sarkozye, et certains purement et simplement encartés à l'UMP. Plusieurs ont même milité durant la présidentielle, circulant entre le palais de l'Elysée et le QG de campagne du candidat Sarkozy. Tous les services ou presque sont concernés : secrétariat, huissiers, presse, courrier, personnel, intendance... Les lieutenants de l'ancien chef d'Etat, membres officiels de son cabinet, ont certes quitté la présidence, mais leurs collaborateurs, contractuels et secrétaires dévoués, sont toujours là, au plus près des secrets de nouveaux locataires pas toujours aguerris. Une vingtaine d'entre eux sont certes partis, mais, durant les trois mois qui suivirent l'élection de mai 2012, on les vit encore fréquenter la cantine de l'Elysée dont ils avaient conservé la carte d'accès ! Ceux qui restent en place, à l'abri de leur contrat renouvelé, occupent des postes de second rang mais souvent sensibles : tout ou presque passe sous leurs yeux, agendas, rendez-vous, projets... Dans ces fonctions, la discrétion est une règle absolue. Garantie autrefois par les militaires, elle n'est plus forcément assurée à présent par ces personnels à l'engagement politique avéré. Dès le lendemain de l'élection présidentielle, la loyauté envers le nouveau président de certains de ces «infiltrés» chancelait ! Dans la période intermédiaire entre le scrutin du 6 mai et la passation officielle des pouvoirs, le 15 mai, du courrier adressé à François Hollande à l'Elysée a été directement passé au broyeur par une main militante. «Nicolas Sarkozy a placé les siens partout et, sans le savoir, François Hollande a conservé près de lui les plus virulents», confie un fonctionnaire élyséen qui a servi plusieurs présidents et ne cache pas sa stupéfaction devant la situation actuelle. Un autre, tout aussi indigné et sidéré qu'aucune mesure n'ait été prise pour se prémunir des fuites, conclut : «Ici, même les murs désormais ont des oreilles.» Et les bouches ne sont pas toujours closes... Comme par hasard, le 77, rue de Miromesnil, n'est qu'à quelques encablures de l'Elysée et de la Place Beauvau. Nicolas Sarkozy a choisi l'adresse de son nouveau QG avec soin. Dans ce quartier, toutes les rencontres sont possibles. Sans compter les téléphones portables et les smartphones dont l'usage n'est pas contrôlé à l'Elysée. Dans son Fort Knox de 11 pièces et 323 m2, loué 180 000 € par an, l'ancien président dispose de sept collaborateurs pour traiter ses dossiers et lui apporter cette matière qu'il juge fondamentale : l'information. Il y a bien longtemps qu'il en a compris l'importance vitale. Il s'est fait une religion de tout savoir, le plus vite possible, et avant tout le monde. Si nul ne peut dire, aujourd'hui, ce qu'il trame en dehors de ses activités d'avocat et de ces conférences destinées à des happy few prêts à débourser de grosses poignées de dollars pour l'écouter disserter sur la crise européenne ou sur le sport «comme moyen d'action et de réflexion sur notre société», une chose est certaine : il s'informe activement grâce à la toile d'araignée qu'il a patiemment tissée à l'Elysée, au ministère de l'Intérieur et dans bien d'autres milieux. Ainsi préserve-t-il l'avenir et se donne-t-il la possibilité d'agir efficacement. Depuis Machiavel, on considère que la force et la ruse sont les moyens propres au politique. Mais la détention de l'information est le préalable absolu à leur mise en œuvre. Nicolas Sarkozy en a l'obsession pour avoir toujours un coup d'avance. Et l'on comprend que ces indiscrétions peuvent valoir de l'or, alors que'Alain Juppé vient de confier que l'ex-président avait «envie» de se représenter en 2017. Du coup, il est peu regardant sur les méthodes pour les obtenir. Dans son dispositif, la police occupe donc une place centrale. S'il n'a que faire du prochain code de déontologie policier - d'aucuns disent élégamment qu'«il s'en tape» -, il connaît très bien le monde des flics, ses rouages et ses hommes. Il y entretient des amitiés indestructibles, comme celle qui le lie à Michel Gaudin, qui l'a rejoint comme directeur de cabinet après avoir été évincé de la Préfecture de police de Paris, à 64 ans. Ou à Claude Guéant, son ancien ministre de l'Intérieur, qui se rend régulièrement dans son antre. Un tandem de choc auquel il faut ajouter un troisième homme : Christian Frémont, 70 ans, qui dirigea son cabinet élyséen de 2008 à 2012. Les contacts avec ce dernier sont occasionnels, certes, mais le carnet d'adresses de ce préfet qui dirigea les stages de l'ENA pendant dix ans est on ne peut plus précieux. Les relations de ce trio expérimenté constituent, en fait, un écheveau sophistiqué au sommet de l'Etat. Chaises musicales entre amis Michel Gaudin est, sans conteste, l'un des meilleurs connaisseurs de la police française. Il y a mené une longue carrière depuis son installation, en 1993, dans le fauteuil de directeur du personnel et de la formation à la Direction générale de la police nationale (DGPN). Son patron, à l'époque, n'est autre que Claude Guéant, propulsé dans cette fonction stratégique par Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur. Chef de la Direction de l'administration de la police nationale (DAPN) de 1995 à 1998, Gaudin passe ensuite quatre ans dans le fauteuil de préfet du Gard, gauche Jospin oblige ! Mais, en 2002, come-back ! Devenu ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy le propulse à la Direction générale de la police nationale (DGPN), tandis que Claude Guéant devient directeur de cabinet Place Beauvau. Un jeu de chaises musicales entre amis qui leur permet de peaufiner le verrouillage de la hiérarchie policière entrepris dans les années 90 - Michel Gaudin héritera de la fonction prestigieuse de préfet de police de Paris le 23 mai 2007. Au cours des vingt dernières années, Guéant et Gaudin ont régné près de quinze ans sur le monde des grands flics. Ils en connaissent les mécanismes et les responsables que, pour la plupart, ils ont couvés. Dans l'univers policier, nul ne peut prétendre, aujourd'hui, avoir une influence comparable à la leur. Ils ont contribué à la création du syndicat Alliance, devenu la deuxième force dans la police. Avec la complicité de Bruno Beschizza, à présent conseiller régional UMP d'Ile-de-France, ils ont monté le syndicat Synergie-Officiers, proche de la droite ; ils ont mis la main, en partie du moins, sur le syndicat des commissaires ; enfin, ils ont conçu et appliqué la réforme «Corps et carrières» en liaison avec les syndicats qu'ils ont fait naître. En fait, Guéant et Gaudin pourraient revendiquer le titre de DRH de la police nationale. On ne compte plus le nombre de gens qui leur sont redevables de leur promotion, de leurs décorations, bref, de leur vie professionnelle. A leur contact, bien des policiers ont oublié ce que leur parcours devait à la gauche. Notamment la bande de Robert Broussard, le célèbre commissaire, tombeur en novembre 1979 de l'ennemi public numéro 1, Jacques Mesrine. En 1982, la gauche le nomme commissaire divisionnaire et il entre au cabinet de Joseph Franceschi, secrétaire d'Etat à la Sécurité publique. Puis, en 1983, il est propulsé commissaire de la République délégué pour la police en Corse. Autour de lui, à Ajaccio, on trouve Ange Mancini et Bernard Squarcini, deux futures stars de la police nationale. Ils font leurs classes avec les socialistes, passent avec armes et bagages dans le camp d'Edouard Balladur, dès 1993, pour faire ensuite allégeance à Nicolas Sarkozy. Une anecdote symbolise ce ralliement : un soir de beuverie, on vit un grand flic venu de la gauche se mettre à genoux devant Pierre Charon, proche ami de Nicolas Sarkozy, désormais sénateur de Paris, et lui lécher les chaussures en répétant : «Mon maître, mon maître.» Si Bernard Squarcini a été écarté de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) dès le 31 mai 2012, en revanche, Ange Mancini, frappé par la limite d'âge mais profitant d'une dérogation «à titre exceptionnel», a conservé ses fonctions de coordonnateur national du renseignement à l'Elysée, de même que Pierre Lieutaud, un ancien des Renseignements généraux qui «campe» au Château depuis 2008. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la gauche ne s'est pas lancée dans une féroce chasse aux sorcières ! Elle a laissé en place des hommes dont les liens avec le duo Guéant-Gaudin sont anciens et étroits. Comment pourrait-il en aller autrement, d'ailleurs ? La police n'a jamais eu un bœuf sur la langue et les complicités amicales y sont au moins aussi fortes que l'obligation de réserve. Sur cet échiquier, couvert de pièces sarkozystes, il est donc bien difficile pour le nouveau ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, de ne pas se retrouver souvent échec et mat. Qu'il déplace un homme, et c'est un autre proche de Gaudin et Guéant, donc de Sarkozy, qui s'impose. Frédéric Péchenard a bien quitté ses fonctions de directeur général de la police dès le 30 mai 2012, non sans avoir obtenu le parachute qu'il réclamait : le poste de délégué interministériel à la sécurité routière. Son successeur, Claude Balland, aurait été imposé au ministre de l'Intérieur par l'Elysée. Bien avec tout le monde, il appelle régulièrement son ami Gaudin (dont il a conservé le chef de cabinet) pour lui demander son avis sur les choix techniques, mais aussi le député socialiste Bruno Le Roux ou Clotilde Valter, ancienne de l'équipe Jospin... Ballet sarkozyste Quand, à l'automne 2012, la multiplication des règlements de comptes devient insupportable à Marseille, les mutations ne sont qu'un ballet sarkozyste. Le préfet de police de Marseille, Alain Gardère, un proche de Claude Guéant et de Michel Gaudin - il a été son directeur de cabinet à la DGPN - est poliment relégué à la tête de la zone aéroportuaire Roissy-Le Bourget avec un titre de préfet délégué, mais c'est un protégé de Christian Frémont qui lui succède : Jean-Paul Bonnetain, recommandé aussi par le très écouté Daniel Vaillant, pilier du PS, qui l'avait à ses côtés au temps où il était Place Beauvau. Marseille, où le préfet de région, Hugues Parant, semble indéboulonnable, fort du soutien de la directrice adjointe du cabinet du Premier ministre, Camille Putois. Le cas de Renaud Vedel est plus complexe. Celui que Manuel Valls a choisi comme directeur adjoint de son cabinet était le directeur de cabinet de Michel Gaudin à la préfecture de police. Pour autant, Vedel avait demandé la permission à Gaudin d'assister aux réunions du think tank socialiste Terra Nova, non sans maintenir des liens étroits avec Alain Bauer, conseiller de Sarkozy et ami de Valls. Autre promu de l'ère Valls, Pascal Lalle. Propulsé à l'automne 2012 directeur central de la sécurité publique à Paris, après avoir dirigé la sécurité publique de Marseille, il a fait une partie de ses classes dans le Gard auprès de Michel Gaudin, qui tint à le décorer «personnellement» de l'ordre national du Mérite. Sans compter ceux auxquels le nouveau ministre de l'Intérieur n'a jusque-là pas touchés, à commencer par Frédéric Perrin, patron de la police de l'air et des frontières et grand ami de Péchenard (dont il fut le directeur de cabinet), Amaury de Hauteclocque, patron du Raid, et surtout le préfet de Seine-Saint-Denis, Christian Lambert, pièce maîtresse de l'ancien président. Une loi sur mesure ne fut-elle pas concoctée en 2011 pour qu'il puisse rester en poste au-delà de 65 ans ? Nicolas Sarkozy, selon les informations en provenance de la rue de Miromesnil, lui en voudrait aujourd'hui d'avoir fait allégeance à Manuel Valls. Vous avez dit réseau ? La «firme», comme avait été baptisé ce groupe de policiers, est devenue beaucoup plus discrète mais elle demeure très active au service de l'ancien président. «Si Michel Gaudin les appelle, ils ne peuvent pas lui dire non», observe un connaisseur, qui pointe le danger : «Pour le moment, à part les statistiques de la délinquance, qui sont publiques, on n'a pas vu fuiter d'informations sensibles. Ce n'est qu'en cas de crise aiguë que l'on mesurera la fidélité des uns et des autres à leur ancien mentor.» «La police a toujours été comme ça, un mélange de réseaux politiques, amicaux et francs-maçons, résume un préfet plutôt classé à gauche. On ne peut rien contre. Sarkozy ; Guéant et Gaudin garderont longtemps des capteurs à tous les niveaux. Les fonctionnaires ne considèrent pas qu'ils sont déloyaux, ils considèrent qu'ils sont fidèles à celui qui a longtemps été leur patron légitime.» En fait, impossible ou presque pour Manuel Valls, dans ce petit monde qu'est la police, de ne pas se heurter à des murs sarkozystes. Les hommes de l'ancien chef de l'Etat, au fil des ans, ont patiemment installé au sommet de la hiérarchie policière un clan difficile à détricoter. Ces jours-ci encore, ils s'activent pour faire passer l'un de leurs proches, Christian Flaesch, de la Direction de la police judiciaire de Paris à la Direction centrale de la police judiciaire Place Beauvau. Un entrelacs d'amitiés s'est en fait créé qui constitue un système d'information à la fois souple et bien réel. Il peut se conjuguer, à présent, avec les sous-marins élyséens, cette petite troupe qui peut tout observer, tout voir et tout savoir des activités de François Hollande. Et en faire habilement profiter «qui de droit»... |
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