Eygpte: Morsi et la continuité d’une politique économique:
Par Aliaa Al-Korach
«Des progrès notables» dans la situation économique et sociale… Les réserves monétaires sont «sûres», avait affirmé Morsi devant le Conseil consultatif, le 29 décembre dernier. Sous les projecteurs, Morsi apparaît rassurant sur l’économie au moment où tous les indicateurs sont dans le rouge: dégradation alarmante du déficit public, écroulement des investissements étrangers, chute des revenus du tourisme et dégringolade de la livre égyptienne.
C’est du déjà-vu. Les discours d’Hosni Moubarak ont, eux aussi, toujours été loin de la réalité. Mais la similitude entre les deux présidents et leurs gouvernements ne se trouve pas seulement dans les discours. Les politiques économiques mises en œuvre se rapprochent sur bien des points.
La politique de Moubarak tablait surtout sur une austérité financière ayant provoqué une détérioration des secteurs de la santé, de l’éducation et de l’assurance sociale. En contrepartie, il avait accordé des aides croissantes aux exportations et des subventions sur plusieurs produits, depuis 2005, avec la montée en flèche de son fils [Gamal Moubarak; l’autre fils Alaa était dans de nombreuses «affaires»] véhiculant l’idéologie de «la croissance avant la distribution»: les ingrédients du néolibéralisme.
Pauvreté galopante
La révolution a en partie était menée contre ce système qui ne faisait qu’accentuer les inégalités et la pauvreté. Hassan Malek [1], l’un des dirigeants de la Confrérie et directeur du comité Tawassol, regroupant des hommes d’affaires de l’ancien régime et d’autres soutenant les Frères musulmans, a pour mission de discuter les politiques économiques avec Morsi. Malek approuve les mêmes politiques de Moubarak. «Les politiques économiques, suivies sous l’ancien président, montraient le bon chemin sauf qu’elles étaient parasitées par la corruption et le clientélisme. Nous pouvons très bien bénéficier des anciennes politiques», a-t-il affirmé.
Selon un rapport du Centre d’études économiques et sociales, les similitudes entre le plan de réforme des politiques fiscales présenté par Ahmad Nazif [premier ministre de juillet 2004 au 28 janvier 2011] en 2010 et celui de Hicham Qandil, le premier ministre de Morsi, sont frappantes. Cette politique s’effectue toujours au profit des capitalistes et aux dépens des classes moyennes et pauvres.
Une semaine avant le référendum sur la nouvelle Constitution [qui s’est déroulé en deux phases: 15 et 22 décembre 2012], le gouvernement avait publié une liste officielle de 50 produits et services de première nécessité allant être l’objet de davantage de taxation. De peur de favoriser le «non» lors du scrutin, le président avait reporté l’application de ces mesures à une date ultérieure.
«Le gouvernement refuse toute forme de redistribution des profits, en excluant l’impôt foncier, l’impôt progressif et l’impôt sur les bénéfices. Il s’est par ailleurs mis à réduire les dépenses publiques dans les secteurs de la santé, de l’éducation et d’autres services publics, déjà en un très mauvais état», précise Fakhri Al-Feqi, professeur d’économie à l’Université du Caire. Comme l’avait fait Moubarak, Morsi donne la priorité dans le budget aux secteurs sécuritaires, aux salaires et retraites des forces armées et de la police. Par contre, il a approuvé l’annulation de la hausse annuelle prévue du salaire minimum et n’a pas imposé de salaire maximum aux hauts fonctionnaires. Dans le budget de Morsi, la santé compte pour moins de 1,6 % du PIB. A l’époque de Moubarak, la part du budget pour la santé s’établissait aussi entre 1,5% et 1,8% du PIB. Et la tendance serait plutôt à la réduction qu’à l’augmentation de ce budget.
S’endetter toujours plus
Morsi ne trouve d’autre solution pour combler le déficit budgétaire que de s’endetter. «La dette intérieure de l’Egypte au cours du premier semestre de Morsi a augmenté de 112 milliards de L.E. Si on continue comme ça, en 4 ans, la dette sera équivalente à celle laissée par Moubarak en 30 ans», calcule Ahmad Al-Naggar, expert économique. Et le gouvernement Qandil [2] insiste sur la nécessité de décrocher le prêt de 4,8 milliards de dollars du FMI, malgré les contestations populaires. Un emprunt qui pèsera lourd sur les simples citoyens: parmi les conditions du FMI figure en effet «la réduction des dépenses publiques, en réduisant des coûts de subvention».
A l’époque, les Frères musulmans critiquaient les prêts, affirmant qu’ils ne feraient que prolonger la mauvaise situation économique et que leurs intérêts étaient illicites du point de vue religieux. Il semble qu’ils aient changé d’avis. (13 février 2013, publié dans Al Ahram)
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[1] En 1983, H. Malek crée avec Khairat al-Shater – les deux sont déjà, à cette date, fortement impliqués dans le «courant» des Frères musulmans –une firme de software (Salsabil) qui a, entre autres, comme client l’armée égyptienne. Non seulement ils tirèrent un profit assez important, mais cela a accru leur poids au sein de la Confrérie. Mais, en 1992, pour affaiblir les finances des Frères musulmans, Moubarak a attaqué Slasabil, ce qui a abouti à sa mise en faillite. Les deux (Malek et Shater) furent dès lors emprisonnés durant un an, sans accusation précise. Une fois sorti de prison, Hassan Malek monte une entreprise dans le secteur de l’ameublement, une firme d’export-import et opère des investissements dans la firme turque de meubles Istikbal. Il sera à nouveau arrêté en 2007, sous l’accusation, entre autres, de blanchiment d’argent, de financement de «groupes terroristes». Il sera libéré en mars 2011, suite à la chute de Moubarak. En mars 2012, il crée l’EBDA (Egyptian Business Development Association). En juillet 2012, Morsi le nomme à la tête du Conseil pour le développement avec la tâche d’attirer des investissements étrangers. (Rédaction A l’Encontre)
[2] Le mercredi 13 février 2013, Hicham Qandil a déclaré, lors d’un entretien sur la chaîne de TV MBC Misr, que les racines des «difficultés économiques» résidaient dans le haut niveau d’instabilité politique. De plus, il a souligné que le mécontentement «résidait dans les attentes élevées qu’a suscitées la révolution, attentes qui sont plus importantes que la capacité de l’Etat d’y satisfaire». Il a réaffirmé que l’obtention du prêt du FMI, avec ses conditions, était décisive, bien que les négociations soient difficiles à aboutir. Enfin, Qandil a répété que le gouvernement était un «gouvernement technique», visant à séparer les Frères musulmans et le gouvernement. Il a même précisé que Khairat El-Shater, le poids lourd économique de la Confrérie, n’intervenait pas dans les décisions du gouvernement. Une manière de dédouaner la Confrérie dans la perspective des futures élections législatives.
(Rédaction A l’Encontre)
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