Jeux d’influence derrière « L’Innocence des musulmans »
par Thierry Meyssan
voltairenet.org
Le grand jeu israélien se poursuit derrière les manifestations et réactions au film « L’Innocence des musulmans ». Cependant l’entrée en scène du Hezbollah renverse la donne et pourrait conduire Tel-Aviv à interrompre cette opération.
Le 17 septembre 2012, Sayyed Hassan Nasrallah met en garde les États-Unis contre la continuation de la diffusion d’un film insultant l’islam.
Les réactions internationales au film de « Sam Bacile » sont de plus en plus incompréhensibles si on les prend au premier degré, en ignorant qui sont les commanditaires et quels sont leurs objectifs.
Cette provocation au choc des civilisations est très différente des précédentes. Il ne s’agit pas ici de stigmatiser l’islam auprès des populations occidentales pour susciter une haine à l’encontre des musulmans, mais de s’adresser aux musulmans pour les injurier et susciter chez eux une haine des occidentaux. Ce n’est pas de l’« islamophobie », mais de l’« islam bashing ». L’objectif est de provoquer la colère des musulmans et de l’orienter vers des cibles précises : ceux qui aux USA ou parmi leurs alliés veulent interrompre le cycle de guerres débuté le 11 septembre 2001.
On ignore toujours si L’Innocence des musulmans existe en entier. Pour le moment, on ne connaît que 13 minutes de ce film qui sont devenues injurieuses à l’encontre de l’islam après que l’on en ait modifié la bande sonore. D’abord placée sur YouTube, cette bande vidéo n’a eu l’impact attendu que lorsqu’elle a été diffusée en arabe par la télévision salafiste Al-Nas. Des groupes salafistes ont alors réagi avec violence, mais au lieu d’attaquer leur télévision ou ses financiers saoudiens… ils s’en sont pris aux représentations diplomatiques états-uniennes.
Le département d’État avait été averti le 9 septembre —c’est-à-dire deux jours avant la diffusion du film par la télévision salafiste— que plusieurs de ses ambassades seraient attaquées le 11. Cependant cette alerte n’a pas été prise au sérieux et le personnel diplomatique n’a pas été informé du danger. Le département d’État s’attendait à des manifestations anti-américaines commémoratives des attentats du 11 septembre 2001, pas à la relance de cette logique.
Il est désormais établi que, derrière la foule de Benghazi, un commando était prêt pour attaquer le consulat, puis, à attaquer la villa sécurisée prévue pour servir de position de repli en cas de problème grave.
La cible de cette opération était l’ambassadeur US en Libye, Chris Stevens. Ce spécialiste des affaires proche-orientales au département d’État était connu pour ses positions certes impérialistes US, mais anti-sionistes. Ainsi que l’a confirmé le négociateur spécial palestinien Saeb Erekat en déplorant la mort d’un diplomate qui avait beaucoup fait pour comprendre et faire entendre à Washington le point de vue du peuple palestinien.
Une seconde cible devrait être choisie pour punir la France de s’être alignée sur les positions US. Paris refuse en effet de se laisser entraîner dans une guerre contre l’Iran et refuse également de s’engager un peu plus dans le bourbier syrien. À cet effet, une nouvelle provocation a été ourdie en utilisant une revue satirique qui relaie depuis des années le point de vue néo-conservateur dans les milieux de la gauche française. Anticipant les conséquences, la France a immédiatement interrompu le fonctionnement de vingt de ses ambassades et déployé un lourd système de sécurité.
Dans son pays, le gouvernement français s’est présenté comme garant de la liberté d’expression. À ce titre, il défend le droit des adversaires de l’islam à la caricature blasphématoire. Toutefois, se contredisant lui-même, le même gouvernement a annoncé l’interdiction de toute manifestation hostile au film ou au journal déniant ainsi la liberté d’expression des défenseurs de l’islam.
Pourtant, dans la tradition française, la liberté d’expression s’entend comme une condition préalable de la démocratie. Elle s’accompagne donc de l’interdiction de l’injure et de la diffamation qui viennent perturber le débat démocratique. Or, la caractéristique principale de L’Innocence est qu’il ne rapporte aucun fait historique et ne présente aucune critique de l’islam. Il se compose exclusivement de scènes injurieuses. Et l’insulte n’est pas un droit de l’homme.
Revenons au plan géopolitique. L’Innocence des musulmans rappelle l’opération conduite autour des Versets sataniques. C’était en 1988, l’Iran venait de triompher seul de l’Irak, massivement soutenu par les Occidentaux. En quelques années, l’imam Khomeini avait transformé un peuple colonisé en une nation de guerriers. Il puisait dans sa religion la force qui lui avait permis de transformer son pays et de vaincre. Pour casser cette dangereuse révolution islamique, le MI6 avaient commandé un ouvrage à l’écrivain britannique Salman Rushdié. Rouhollah Khomeini publia immédiatement un décret religieux le condamnant à mort. La campagne s’arrêta instantanément et la condamnation, bien que maintenue, ne fut pas exécutée.
Cette fois, Téhéran se devait de réagir avec la même promptitude. Mais il était piégé : en condamnant le film, il faisait le jeu de ceux qui font pression pour que Washington entre en guerre contre l’Iran. La solution tactique réside dans l’intervention de nouveaux protagonistes. Dans un premier temps, l’Ayatollah Ali Khamenei a condamné le film en rappelant que l’ennemi, c’est le sionisme. Puis, dans un second temps, Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, s’est positionné pour prendre la tête du mouvement. À Beyrouth, dans un discours enflammé, devant une foule galvanisée, il a placé ceux qui répandent ces insultes devant leurs responsabilités. L’entrée en lice du Hezbollah modifie profondément la donne. On passe d’exactions commises par des groupuscules salafistes désordonnés, facilement manipulés par Israël, à une mise en garde par une vaste organisation structurée, disposant de cellules en ordre de bataille dans de nombreux pays. Cette fois, c’est Tel-Aviv qui est piégé : il a perdu le contrôle du mouvement de protestation qui peut à tout instant se retourner contre lui.
De son côté, pour se sortir d’affaire, l’administration Obama a multiplié les déclarations apaisantes à l’intention des musulmans. Mais, avec un manque total de solidarité, elle a aussi condamné les contradictions françaises en espérant détourner ainsi vers Paris la foudre qui la frappe.
Quoi qu’il en soit, Benjamin Netanyahu ne relâche pas la pression. Il a sommé Barack Obama de tracer une ligne rouge devant les ambitions nucléaires militaires qu’il attribue aux Iraniens, et d’entrer en guerre lorsque Tel-Aviv pensera qu’ils la franchissent.
Thierry Meyssan
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