lundi 10 septembre 2012
La BCE coalise contre l' Allemagne
De part son mandat la BCE doit contenir l’inflation – sous la barre de 3%, encore que des objectifs plus puritains aient été ajoutés aux Critères de Maastricht. Toujours de par son mandat, la BCE est également responsable du taux de change de l’euro, une mission qu’elle néglige totalement (surtout depuis le malheureux Sommet de Doha), ce qui explique la dégradation relative comptes courants partout en Europe, y compris en Allemagne, malgré son surplus commercial bien connu. Il faudrait voir à ne pas confondre la BCE et la FED bien que trop de personnes veuillent soumettre la BCE pieds et poings liés à l’hégémonie de la « banque universelle », ce qui est bien le cas de la FED : l’Allemagne s’y refuse avec raison, car ceci aurait pour effet de soumettre entièrement le budget de l’Etat à la dynamique douteuse des bilans ultra-fragiles des banques privées, en le mutualisant de surcroît sous formes de eurobonds ou bien d’aides automatiques sur le dos de l’Allemagne.
La dernière intervention de Draghi vise le long terme des obligations d’Etat. Autrement elle n’aurait pas de sens : la Grèce aujourd’hui ne se finance presque plus qu’à très court terme sans intervention nécessaire de la part de Draghi. Mais comme ceci est strictement hors de son mandat Draghi prend prétexte du contrôle de l’inflation pour agir sur le court terme en espérant que son intervention influencera les obligations d’Etat sur le long terme (10 ans, en particulier) Or, cette gymnastique consistant à masser la base de la courbe pour obtenir des résultats plus haut n’est pas du tout certaine, surtout dans ce cas-ci.
Mais la vraie question semble être ailleurs. Elle réside dans le but affiché de Draghi qui est d’influencer la « transmission de la politique monétaire » de la BCE – en particulier en essayant de contourner le problème posé par le spread, sans pour autant, ce qui est une faille considérable, pourvoir compter sur une agence de notation spécifiquement européenne influençant statutairement les investisseurs institutionnels européens. Les agences de notation ont déjà dit que leurs notations dépendraient d’autres variables – ce qui augure très mal de la suite, vu que les conditionnalités induites ajouteront la dépression chronique à la récession actuelle, récession qui commence également à toucher l’Allemagne.
Il en va de même de l’Union bancaire sous supervision BCE, quoique nous ne sachions pas vraiment quel sera son mandat. (Elle semble vouloir affaiblir l’Allemagne en sabordant ses banques régionales point fort de sa politique industrielle, ce qui est peu européen comme attitude et ressemble plus à un objectif visé par la finance globale apatride.)
Pour résumer le tout, disons que rien de tout ceci ne servira à « déconnecter » les finances publiques des coûteux jeux spéculatifs privés. En particulier, le sauvetage des banques sera toujours porté sur le dos des contribuables via des plans de sauvetage du genre de celui qui se négocie actuellement en Espagne. Le MES interviendra pour dicter les conditionnalités s’ajoutant à la règle d’or et au fiscal compact, voilà tout. Vous avez sans doute remarqué que ni Monti ni Draghi ne saute de joie depuis la dernière annonce de la BCE. M. Hollande non plus d’ailleurs … (La même chose se passe aux USA mais plus indirectement puisque la FED renflouent les « tous » les joueurs (« give us all your toxic assets » said Paulson durant l’éclatement de la crise des subprimes) ; elle le fait pour refiler ensuite la note au Trésor en prétextant d’une certaine « stérilisation » – ce que certains commentateurs ont pertinemment noté de manière indirecte dans le post précédent à propos de Fannie Mae.)
Or, refiler la note à l’Etat se heurte à un obstacle de taille : les finances publiques sont déjà ruinées. Et même, si elles ne l’étaient pas encore – ex. les USA avant la crise de 2007-2008 – cette socialisation des pertes serait ontologiquement impossible à répétition puisque les finances des Etats (solde budgétaire positif nécessaire pour rembourser la dette) reposent sur un PIB structurellement sous-évalué par rapport au poids du shadow banking qui lui est de 10 à 12 fois supérieur.
Il y a là une impossibilité arithmétique indépassable. Trichet avait déjà prévenu : il ne pourra pas y avoir de second sauvetage des banques sur grande échelle comme après 2008. C’est d’ailleurs pourquoi tous nos dirigeants s’énervent tant. Il s’ajoute à ce triste tableau le fait que tant que le shadow banking ne sera pas officialisé dans le PIB pour élargir ne serait-ce qu’un peu l’assiette fiscale, les revenus de l’Etat ne pourront pas suivre – et de ce point de vu ils sont très sous-évalués : voir la part très faible provenant des impôts sur le capital. Par ailleurs la Taxe Tobin est une farce car loin de résoudre le problème de base elle l’aggraverait puisque son coût serait refilé dans les prix des produits dérivés sans affecter le PIB imposable. Nous assistons donc à une course entre l’Achille spéculatif et la tortue publique subordonnée. Ce qui est autre chose que de parler à tort et à travers de supposée « dominance fiscale ». Notons que Xavier Ragot a fait état des 3000 milliards de profits distribués par la BCE tous les ans aux banques : personne n’en parle alors que ce montant est de loin supérieur aux dettes des pays en difficulté … (voir son « Les banques centrale dans la tempête » sur le site d’Alternatives économiques)
Tout ceci me rappelle Prévert qui remarquait mi-figue mi-raisin : « Etre ange est étrange, mais être âne est plus étrange qu’être ange ! »
Paul De Marco
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