TOUTES LES ROUTES (DE LA GUERRE) MÈNENT À LA MECQUE
par Pepe Escobar pour Asia Times
Asia Times Online :: All (war) roads lead to Mecca
Ce fut sans doute ENORME. Tout le monde et son voisin étaient là. L’émir du Qatar, le président Morsi de l’Égypte, le président Gül de Turquie, Mahmoud Abbas de l’Autorité palestinienne, Hamid Karzaï l’Afghan, le président Asif Ali Zardari du Pakistan, Moncef Marzouki le nouveau leader tunisien, le roi Abdallah de Jordanie, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad lui-même. Les 57 Etats membres – de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) – qui représentent pas moins de 1,5 milliard de musulmans dans le monde.
Arab News n’a pas pas résisté a obséquieusement cirer les pompes. Nous y voilà…
« A la Mecque, la nuit dernière la Kaaba et la Grande Mosquée étaient baignées de vives lumières. La Tour de l’Horloge géante brillait de ses feux verts par une nuit claire sans lune. Alors que la voix réconfortante du muezzin résonnait dans la ville montagneuse de Isha, les dirigeants du monde [musulman], siégeant au Palais Al-Safa jouxtant la Grande Mosquée, puis ont réitéré Allah-o-Akbar après lui. »
Allah Akbar en effet – et puis ont filé tout droit aux affaires auxquelles ces « dirigeants » excellent : se quereller – et suspendre la Syrie de l’OCI. Voilà pour l’idée générale parrainée par le « leader respecté du monde islamique », le gardien des Deux Saintes Mosquées « le roi Abdullah » dans la façon « d’unifier et de renforcer le monde musulman face à la crise qui le déchire. »
Mais concrètement les véritables questionnements – inaccessibles au commun des mortels – étaient de quoi les Saoudiens, les Iraniens et les Turcs ont effectivement débattus derrière ces portes à la Mecque, après que le muezzin à la voix chaleureuse se mit au lit.
Pour la séance, les notables de la Mecque ont adopté trois résolutions. Ils ont suspendu la Syrie; reconnu la Palestine en tant qu’Etat souverain (une fois de plus, notez que la Palestine a été traitée comme une question secondaire), et a défendu la cause des Rohingyas au Myanmar (l’armée de Naypyidaw n’a pas du vraiment trembler dans ses bottes).
Le spectacle du gardien
Ce que le « gardien des Deux Saintes Mosquées » semble avoir perpétré est un avisé coup de com’ dans la pure tradition de Washington. Il a évidemment fait asseoir Ahmadinejad à sa gauche et l’émir du Qatar à sa droite. Le message adressé, de ce triumvirat était – deux puissances sunnites wahhabites, une chiite khomeyniste – décideront de l’avenir du Moyen-Orient. Nous – les wahhabites – n’avons pas l’intention d’anéantir ces infidèles chiites.
Pas si vite. Mon collègue Kaveh Afrasiabi a soutenu que Téhéran était peut-être tombé dans un piège, qu’ils s’attendaient à un véritable effort de médiation et de dialogue au lieu de la prioritaire question de – la suspension et de l’éventuelle expulsion de leur allié, la Syrie (Voir Saudis use summit to isolate Syria, Iran, Asia Times Online, 15 Août, 2012).
Derrière les manigances sirupeuses, le fait est que la Maison des Saoud et Téhéran n’ont pas – et ne peuvent pas – être d’accord sur quoi que ce soit, ce qui sonnerait plutôt comme un « parlons toujours » – une version de la Mecque du bon vieux téléphone rouge USA-URSS. Le « gardien » a appelé à « la solidarité, à la tolérance et à la modération »; difficile de voir cela concrètement vu que la Maison des Saoud – et le Qatar – militarisent les gangs de rue et toute une panoplie de joyeux coupeurs de tête djihadistes salafistes en Syrie.
L’OCI a défendu dans son ensemble « l’intégrité, l’unité, la souveraineté et l’indépendance territoriale » de la Syrie, exactement comme la Maison des Saoud et le Qatar font tout ce qu’ils peuvent pour laminer tout ceci. Voici l’OCI comme une extension du Conseil de Coopération du Golfe dirigé par l’Arabie (les autres membres étant le Bahreïn, le Koweït, Oman, Qatar et Émirats arabes unis). Un petit nombre de pays – d’Asie du Sud à l’Afrique – sont très mal à l’aise avec toute cette affaire, mais le mot de la fin revient au « gardien ».
Le « gardien » veut aussi mettre en place un « centre de dialogue » à Riyad. Le verdict est ouvert à savoir si ce centre se penchera sur qui est vraiment responsable de ce qui est maintenant pratiquement une guerre entre sunnites et chiites à travers toute la Oummah. Imaginez si un centre comme celui-ci tirait la conclusion que les protestations au Bahreïn étaient légitimes; aussi légitime que les manifestations dans la province orientale de l’Arabie Saoudite. Et aussi légitime que ce qui s’est passé l’an dernier au Caire sur la place Tahrir (tout le monde se souvient de la grande panique de la Maison des Saoud ralliée à l’Egyptien Hosni Moubarak alors qu’il était défié par des dizaines de jeunes citadins).
Le « gardien » dit aussi, « La nation islamique vit dans une Etat de sédition et de désunion qui ont ensanglanté son peuple en ce mois sacré dans de nombreuses régions de notre monde islamique »
Sur la sédition – fitna en arabe – il est impensable que le « gardien » et sa coquette Maison des princes Saoud ne soient pas familiers avec le plan Yinon [1] et d’innombrables autres, dont la règle de base est exactement de diviser et exhorter à une interminable guerre entre sunnites et chiites, avec un casting de subdivisions tels que musulmans contre chrétiens, Arabes contre Perses, Turcs contre Perses, Arabes contre Turcs et, pourquoi pas, Kurdes contre Turcs.
C’est exactement ce qui se passe à l’instar de la Syrie – intentionnellement ou pas – avec le blowback de la guerre par procuration.
Pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups ?
Ainsi, le « gardien » semble avoir vendu l’idée que l’Iran et le CCG parlementent – alors que littéralement ils s’entre-déchirent. Mais l’ordre du jour de la Maison des Saoud reste extrêmement délicat, elle ne peut rêver d’un Iran éclaté, mais plus certainement d’un Iran affaibli, que ce soit par des années de sanctions occidentales ou par une éventuelle attaque israélienne. Ce n’est un secret pour personne que le CCG souhaiterait vraiment qu’Israël attaque l’Iran, il pourrait alors profiter des avantages d’un pouvoir chiite affaibli de l’intérieur, ravir un pouvoir régional, tout en condamnant publiquement l’agression unilatérale d’Israël.
Cette farce, de toute façon, est loin d’être terminée. La suite se déroulera plus tard ce mois-ci, Téhéran a invité le « gardien » pour le Mouvement des pays non-alignés (MNA). Voyons si la Maison des Saoud, le CCG et l’Iran seront vraiment prêts à mettre fin à la fitna bien au-delà d’une séance de photos. Rien n’indique encore que les « dirigeants » des 1,5 milliard de musulmans accorderont leurs violons. Pas même Dieu lui-même ne leur fera voir ce jour.
Pepe Escobar
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