Le 6 novembre 1997 est une date-clé dans l’histoire de l’anticommunisme : le Livre Noir du communisme paraît dans les librairies françaises.
L’anticommunisme tient enfin sa Bible
Jamais, nulle part dans le monde jusqu’à ce jour, des historiens n’avaient tenté de compiler, expliquer et analyser les crimes commis par les régimes marxistes-léninistes. Cette impressionnante recension de 850 pages, avalanche de faits, de chiffres, de preuves, fait l’effet d’une bombe. En France, la classe politique s’en empare. À l’Assemblée nationale, le débat fait rage, on s’invective, le Premier ministre Lionel Jospin prend la parole pour défendre l’honneur du communisme français. Une formule-choc figure en bonne place sur la couverture du Livre Noir : « 100 millions de morts ».
Elle va faire l’objet de controverses qui n’ont jamais vraiment cessé depuis.
L’auteur de ce panorama historique est Stéphane Courtois. Historien et professeur d’université, l’homme est également un combattant. Militant maoïste à la fin des années 1960, il a connu intimement le pouvoir de fascination du totalitarisme rouge : il s’est laissé hypnotiser, manipuler et moralement salir par l’idéologie collectiviste. Alors, comme celles d’Annie Kriegel ou d’Alain Besançon, autres grands spécialistes du communisme, sa carrière sera une longue revanche sur la tromperie intellectuelle dont il a été victime dans sa jeunesse. Il ne veut pas seulement étudier, comprendre et décrire les conséquences planétaires d’Octobre 1917 : il entend faire rendre gorge à la tyrannie. Le Livre Noir du communisme est un succès considérable : traduit dans trente langues, il s’écoule à 120 000 exemplaires en France, plus d’un million à l’étranger. L’anticommunisme tient enfin sa Bible.
Stéphane Courtois frappe à nouveau
Cette semaine, il publie le Livre Noir de Vladimir Poutine.
Comme son illustre prédécesseur, l’ouvrage est le fruit de la collaboration entre les meilleurs experts de la chose russe. Galia Ackerman, Françoise Thom, ont retroussé leurs manches pour, comme le dit Courtois, « planter les derniers clous dans le cercueil » du maître du Kremlin. Car l’objectif est bel et bien d’allier la science à l’éloquence et de frapper le plus fort possible l’autocrate qui asphyxie le peuple russe et menace l’ordre du monde depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Vladimirovitch Poutine. La guerre en Ukraine est l’occasion rêvée pour sonner la charge : les démocraties semblent enfin commencer à comprendre combien cet homme est menteur, criminel, follement dangereux.
Le temps est venu de leur démontrer qu’il est bien pire qu’elles n’imaginent.
400 pages de texte et ses 50 pages de source et d’index : ici, pas de place pour le bavardage. Hubert Védrine n’est pas convié. Courtois, Ackerman, Thom, Hamant, Vaissié et de nombreux autres grands noms de l’étude des affaires russes scannent avec froideur et toute la sévérité nécessaire le pouvoir poutinien.
Le livre est divisée en trois grandes parties.
La première traite de la personne de Poutine, de son essence kagébiste et des raisons de son irrésistible ascension.
La deuxième trace une vaste fresque de la nouvelle géopolitique du Kremlin, avec un accent particulier mis sur la guerre en Ukraine.
La troisième examine les différentes dimensions de la dictature en place, avec ses puissantes techniques de désinformation et d’oppression.
L’ensemble est bien entendu fort sombre mais ni plaintif ni indigné : chirurgical et énergique comme le veut la meilleure tradition de la soviétologie, science où excellent les Français.
Qu’y apprend-t-on ?
Mille choses, que l’on soit un connaisseur ou un néophyte. Car le poutinisme est secret, retors, opaque et chapitre après chapitre, l’équipe de Stéphane Courtois lui arrache tous ses masques.
Considérons, par exemple, le chapitre 5, signé par Françoise Thom : « La création de l’Homo post-soviéticus : l’ingénierie des âmes sous Poutine ». La soviétologue la plus en vue de 2022 dissèque l’effroyable humanité générée par le poutinisme. Elle explique que les hommes du FSB veulent « se créer un peuple à leur image, totalement cynique, dépourvu de morale, fasciné par la violence et la délinquance, galvanisé par l’instinct de la meute, téléguidage à volonté grâce à des injections de haine et de paranoïa, dressé à suivre aveuglément ses chefs jusque dans un précipice, comme les rats ensorcelés par le joueur de flûte de Hamelin ».
Le résultat de cette expérimentation est un peuple désespéré et désespérant, digne rejeton de la masse soviétique, tristement célèbre pour son esprit de parasitisme, son abandon de toute éthique et sa veulerie mais dans une version plus barbare et plus chaotique. L’homo sovieticus était un robot dysfonctionnel, égoïste, alcoolique et pessimiste. L’homo post-sovieticus ajoute à ces traits un goût prononcé pour l’agressivité décomplexée et l’indécence assumée. Le refus de se comporter de manière civilisée est encouragé par le dressage, la propagande la corruption. Poutine a greffé sur le droïde les pulsions d’un charognard. D’où l’immense succès des mafias en Russie : sous la haute protection du FSB, elles symbolisent, structurent et systémisent l’âme malade d’un peuple rendu fou. On ne s’étonnera donc pas que l’armée russe soit désorganisée, misérable, incapable de conquérir et surdouée pour échouer.
Qu’on ne s’y trompe pas : le Livre Noir de Vladimir Poutine n’a rien d’une somme russophobe. Ces auteurs aiment les Russes : ils n’ont d’autre intention que de les aider à sortir du bourbier où ils se noient. Mais s’interdisant tout angélisme, ils balancent par-dessus bord le sentimentalisme russophile et kitsch des gaullistes, des communistes et des nationalistes français confrontés au problème russe. Au centre de gravité de l’actualité, ce Livre Noir est l’encyclopédie de la nuisance poutinienne.
À lire avec un gilet pare-balles.
Stéphane Courtois, Le Livre noir de Vladimir Poutine, Robert Laffont, 2022, 464 pages.
http://dlvr.it/SchQ00
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