Par François-Joseph Schichan.
Un article de Conflits
Qu’il s’agisse des sanctions, des livraisons d’armes ou de la rhétorique, le pays a joué un rôle central dans la mise en œuvre de l’unité occidentale face à Vladimir Poutine.
Ceci malgré un contexte interne difficile. Au début de l’année 2022, Boris Johnson est attaqué de toute part, affaibli au sein du Parti conservateur et dans le pays après des révélations sur son comportement au cours des confinements successifs. Mais par contraste avec ses atermoiements face à la pandémie de Covid-19, le Premier ministre britannique de l’époque a fait preuve d’une volonté politique forte. Cette attitude résolue s’est poursuivie avec ses deux successeurs, l’éphémère Liz Truss et le tout récemment désigné Rishi Sunak.
Le rôle du Royaume-Uni depuis le début du conflit ukrainien offre l’opportunité de faire un premier bilan de l’influence de ce pays dans le monde depuis le Brexit. La plupart des analystes et commentateurs indiquaient que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne conduirait à un affaiblissement de l’influence internationale du pays dans les affaires mondiales. De fait, comme le montre le conflit en Ukraine, le Royaume-Uni continue à jouer un rôle important, au même titre que d’autres pays de l’Union européenne.
La réponse du Royaume-Uni à la guerre en Ukraine s’est traduite aux plans diplomatique, militaire et économique, sans lesquelles la réponse occidentale n’aurait pas eu la même force.
Au plan diplomatique, Londres a activement contribué aux négociations dans le cadre du G7 pour la mise en œuvre des sanctions. Le G7 est devenu, de fait, le principal forum de coordination de la réponse occidentale à l’invasion russe. Le Royaume-Uni a également été associé, malgré sa sortie de l’UE, aux discussions entre États membres de l’Union européenne, par la participation directe de la Foreign Secretary à une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE en mars, puis de la Première ministre lors de la réunion inaugurale de la Communauté politique européenne à Prague en octobre. Au plan bilatéral avec l’Ukraine, Boris Johnson s’est rendu à plusieurs reprises à Kiev et affiché une grande proximité avec le président ukrainien qui a reconnu le rôle important joué par le Royaume-Uni dans la capacité du pays à se défendre face à Moscou.
Forte contribution anglaise
Au plan militaire, la contribution du Royaume-Uni a été considérable. Il a fourni renseignements, formation et matériels militaires. Les médias britanniques ont notamment rapporté que le Royaume-Uni avait fourni plus de 5000 missiles anti-tank, 200 missiles Javelin, 120 véhicules blindés et plus de 200 000 pièces d’équipements non létaux comme des casques et des ressources médicales. Le pays a également mis à disposition de l’Ukraine les très efficaces batteries lance-missiles de type M270. Au total, ce sont près de 5 milliards d’euros que le Royaume-Uni a consacrés à l’assistance économique et militaire à l’Ukraine. D’après une étude du Kiel Institute for the World Economy sur les mois de février à août 2022, le Royaume-Uni se classe deuxième après les États-Unis pour la valeur totale de son assistance militaire à l’Ukraine.
Au plan économique et financier, Londres reste une place financière mondiale de premier plan. Les autorités britanniques ont donc eu un rôle important dans l’identification et le gel des avoirs financiers russes ciblés par les sanctions. Pour autant, des efforts de transparence doivent encore être faits sur la présence russe à Londres et les liens de certaines personnalités russes avec le monde politique, notamment au sein du parti conservateur.
Que nous dit l’ampleur de cette réponse sur l’influence du Royaume-Uni dans le monde ? Le Royaume-Uni demeure un pays majeur, membre du G7, de l’OTAN et du Conseil de sécurité des Nations unies, puissance militaire, nucléaire, économique, financière et commerciale mondiale. La sortie de l’Union européenne n’a pas modifié ces données fondamentales de la puissance britannique.
Forte présence diplomatique
Depuis le référendum de 2016, le pays n’a pas connu de retrait dans les affaires internationales ou de repli sur lui-même. Au-delà de l’Ukraine, d’autres exemples démontrent que le Royaume-Uni conserve une influence intacte sur les affaires mondiales. La signature de l’accord AUKUS en septembre 2021 entre le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Australie confirme la place du Royaume-Uni en Asie-Pacifique, en partie au détriment de la France et de l’Union européenne. Les États-Unis n’ont pas hésité à signer un accord structurant avec un pays comme le Royaume-Uni, malgré sa sortie de l’UE. Dans le Golfe, le Royaume-Uni s’est rapproché avec succès de l’Arabie Saoudite et du Qatar, dans l’espoir d’attirer davantage d’investissements au Royaume-Uni.
Dans le monde, les négociations pour des accords de libre-échange post-Brexit se poursuivent. Un accord pourrait être prochainement conclu avec l’Inde. Le Royaume-Uni a également décidé de réinvestir massivement dans sa défense en prenant l’engagement d’augmenter le budget de la défense jusqu’à 3 % du PIB d’ici à 2030 (le nouveau Premier ministre Rishi Sunak doit cependant encore confirmer cette cible de dépenses). La puissance financière du pays reste largement intacte – le Brexit n’a pas résulté en un déplacement massif de personnels et d’actifs financiers vers le continent. Certaines activités clés comme la compensation restent domiciliées à Londres et sont essentielles pour la stabilité financière du continent.
Ceci posé, le maintien de cette influence a un prix : celui de l’alignement presque total sur les États-Unis. En Ukraine, le Royaume-Uni se place dans le sillage américain. Ce n’est pas une surprise : la proximité avec les États-Unis est une constante de la politique étrangère britannique. Londres a également une relation historiquement plus conflictuelle avec Moscou que les autres capitales européennes. Les assassinats successifs de ressortissants russes sur le sol britannique ces dernières décennies, jusqu’à l’affaire Skripal en 2018, ont profondément marqué l’approche britannique.
Forte rhétorique
En conséquence, le Royaume-Uni ne développe pas une vision autonome du conflit ukrainien et peine à articuler ce à quoi ressemblerait une résolution du conflit pour le continent européen. Il s’en tient à une rhétorique insistant sur la nécessité d’une victoire totale de l’Ukraine, sans précision sur les critères qui définiraient une telle victoire. Du reste, ces difficultés ne sont pas spécifiques au Royaume-Uni et concernent l’ensemble des pays européens.
Plus généralement, cette situation se traduit pour le Royaume-Uni par une adhésion à la vision américaine du monde développé par l’administration Biden, opposant autocraties et démocraties. Vis-à-vis de la Chine, après une période d’hésitations qui a suivi la relance des relations sino-britanniques sous David Cameron, le consensus dans la classe politique britannique est désormais porté sur une approche dure et restrictive à l’égard de Pékin. Le Royaume-Uni et les États-Unis ont plaidé de concert, lors du dernier sommet de l’OTAN à Madrid en juin, pour une mention de la Chine dans le nouveau concept stratégique de l’Alliance. Cet alignement sur Washington n’est pas sans risque alors que les incertitudes sont grandes sur l’évolution de la situation politique aux États-Unis dans les prochaines années, et le retour potentiel de Donald Trump ou d’un candidat trumpien lors des élections présidentielles de 2024.
L’instabilité chronique de la vie politique britannique depuis le Brexit pourrait avoir un impact négatif sur l’influence britannique dans le monde. Le Parti conservateur est divisé et affaibli. Après douze ans au pouvoir, les conservateurs sont en fin de cycle et doivent se renouveler. Le Brexit a affecté le soft power britannique, notamment à l’égard des ressortissants de l’Union européenne. Le Commonwealth, qui constitue un atout pour le Royaume-Uni, montre des signes de faiblesse. Le débat est ouvert dans plusieurs pays, notamment au Canada et en Australie, sur le rôle du roi en tant que chef de l’État, notamment depuis le décès de la reine Elizabeth.
Quid de l’Europe ?
La guerre en Ukraine a aussi démontré le rôle croissant de l’Union européenne en matière de politique étrangère. La Commission européenne a mené les discussions sur les sanctions, non seulement en interne, mais aussi avec les partenaires externes comme les États-Unis et le Royaume-Uni. Il existe donc un intérêt commun à renforcer la coopération en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère entre Londres et Bruxelles. L’accord de commerce et de coopération négocié à l’issue du Brexit ne prévoit pas de mécanisme de coopération dans ce domaine – la faute en incombe tant au Royaume-Uni, qui a refusé un tel cadre jugé politiquement risqué en interne, et à l’Union européenne qui a manqué de pragmatisme dans la manière d’associer Londres aux réflexions de l’UE sur ces sujets.
Au plan bilatéral, la France a aussi un intérêt à réinvestir dans la relation avec le Royaume-Uni, négligée depuis le référendum de 2016. La coopération de défense est un pilier traditionnel de la relation franco-britannique avec les accords de Lancaster House de 2010. Les difficultés actuelles de la relation franco-allemande, notamment dans le domaine de la défense, montrent que la relance de la coopération avec le Royaume-Uni aurait un intérêt pour la France.
Le Royaume-Uni reste donc un grand pays, dont la contribution à la sécurité de l’Europe est incontournable comme le montre son action vis-à-vis de l’Ukraine. Malgré les divergences profondes introduites par le Brexit, le Royaume-Uni demeure un acteur incontournable de la sécurité en Europe et dans le monde. Les circonstances internationales démontrent l’importance du maintien d’une relation étroite avec ce pays, tant avec l’Union européenne que la France.
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