vendredi 21 octobre 2022

Couple franco-allemand : de l’eau (et des missiles) dans le gaz

Le Conseil des ministres annuel franco-allemand a été annulé et reporté en janvier 2023, une première depuis sa création en 2003. L’affaire est révélatrice des tensions croissantes entre la France et l’Allemagne. Le couple est souvent vu comme le moteur de l’Union européenne, mais force est de constater qu’il a été surestimé depuis longtemps, certains allant jusqu’à considérer qu’il n’existe plus depuis un moment. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase à l’Elysée est l’annonce d’un projet allemand de bouclier européen antimissile. Sans la France. @jdomerchet https://t.co/Ejd0zoEXvD — jean-do merchet (@jdomerchet) October 19, 2022 Les problèmes européens actuels mettent en évidence les divergences entre les États membres, y compris ceux qui sont les plus proches. Malgré les grands discours des dirigeants comme le chancelier allemand Scholz qui prônaient une grande Europe, les actes montrent la situation inverse.   Désunion énergétique et militaire entre la France et l’Allemagne Les raisons exactes du report de ce conseil ne sont pas communiquées publiquement, mais il est fait mention de désaccord entre les deux pays sur divers sujets comme l’énergie ou la défense européenne. Certains événements et prises de position ces dernières années montrent que les points de vue de Paris et Berlin ne sont plus les mêmes. Le nucléaire en est un exemple. L’Allemagne s’est longtemps opposée à reconnaître cette énergie comme étant une énergie propre au niveau européen (et ce y compris après le début du conflit généralisé ukrainien en 2022). Inversement, si Macron et la majorité présidentielle étaient il y a quelques années contre cette énergie, ils ont fait volte-face et ont cherché à la réintroduire, poussant même l’Élysée à aller chercher des alliés en Europe centrale pour monter une coalition contre l’Allemagne sur le sujet de l’énergie nucléaire. Malgré une inflexion récente de Berlin sur ce sujet, des divergences demeurent. Quant à la défense européenne, l’Allemagne est connue pour acheter du matériel américain depuis des années, et ce au détriment du matériel européen et au grand dam des Français qui souhaitent une plus grande autonomie européenne. Mais plus problématique est le projet de bouclier antimissile allemand (European Sky Shield Initiative), qui a été médiatisé la semaine dernière. Berlin a rallié 14 pays européens de l’OTAN (Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas, Norvège, Finlande, Bulgarie, Roumanie, République tchèque, Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, Slovénie, et Hongrie) pour acheter du matériel antimissile. Cet équipement serait israélien (Arrow 3) et américain (Patriot). C’est un camouflet pour Paris qui n’en fait pas partie (contrairement aux Britanniques), et qui voit encore une fois l’équipement européen boudé en faveur de celui provenant de l’extérieur de l’UE. Il est vrai que les Arrow 3 bouclier antimissile israélien « Dôme de fer » ont fait leurs preuves et que les défenses Patriot sont déjà déployées en Europe centrale. Pourtant, la France et l’Italie développent ensemble un système antimissile avec le SAMP/T (MAMBA). La liste des pays participants au bouclier antimissile allemand est d’ailleurs en soi révélatrice : des pays nordiques et d’Europe centrale qui sont sous l’influence politique et économique de Berlin. L’absence des Polonais à ce projet s’expliquerait du fait qu’ils ont leur propre projet.   L’Europe politique reste allemande Cette affaire du bouclier antimissile est très révélatrice de la division européenne et de la force politique allemande. Le fait que ce projet se fasse sans la France et la Pologne qui sont deux partenaires majeurs européens de la défense, montrent que l’Europe de la défense dans le cadre de l’UE sera lettre morte, à part pour du financement et des subventions. Mais surtout la capacité de Berlin de fédérer un nombre non négligeable de pays autour de son projet, et ce en période de crise montre la force de sa diplomatie. Et la faiblesse de celle de la France. Paris doit comprendre qu’une Europe fédérale (telle que Scholz avait l’air de sous-entendre) jouera géopolitiquement en faveur de Berlin. Inversement, si la France veut proposer une alternative où elle aurait du poids, elle devrait proposer une Europe plus souple en se rapprochant des Italiens et des Polonais. Cela nécessitera de passer outre les divergences idéologiques. Néanmoins, dans le cadre du bouclier antimissile, Budapest et Berlin ont bien réussi à se rapprocher. C’est peut-être la force de l’Allemagne : être capable de discuter avec tout le monde.
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