Contrepoints : Le Québec semble être la région d’Amérique du Nord la plus dure sur le plan des restrictions covid, mais aussi sur le plan des taxes et des impôts. Pourquoi cette situation ?
Jérôme Blanchet-Gravel : Le Premier ministre québécois, François Legault, s’est lui-même vanté d’imposer les mesures sanitaires les plus sévères en Amérique du Nord, comme s’il s’agissait d’un noble exploit. Voilà de quoi donner le ton à l’esprit autoritaire qui caractérise le Québec actuel. Le 31 décembre dernier, le Québec fut le seul État sur 92 en Amérique du Nord (en incluant le Mexique) à empêcher toute forme de rassemblement pour les festivités du Nouvel An. Le 31 en soirée, même la Corée du Nord se fit plus festive ! Le Québec est actuellement à l’avant-garde de ce réglementarisme qui tend à étouffer la vie sociale et collective au nom de la nouvelle religion de la santé publique.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation, mais le goût prononcé pour l’étatisme qu’ont développé les Québécois dans les soixante dernières années est sans doute le principal. Le Québec a développé un modèle de société où l’État se porte garant du confort et de la micro-sécurité de tous ses citoyens. Au Québec, les taxes et impôts élevés sont moins le fruit d’une véritable politique d’égalité que le reflet d’un monde marqué par le rejet du succès, de l’aventure et de la distinction. Un monde par et pour des fonctionnaires. Nous voilà devant une société assurantielle, une société où la vie devient un danger à encadrer minutieusement. Grand jardin d’enfants où l’État maternel intervient chaque jour dans la vie du citoyen craintif, le Québec applique à une échelle globale la logique du safe space prisée dans la pensée woke. Les citoyens devraient se voir protégés de tous les risques et périls imaginables, quitte à transformer leur espace de vie en enfer réglementaire.
C’est aussi parce qu’ils ont toujours confié à l’État le soin d’assurer leur survie culturelle que les Québécois lui font encore confiance aveuglément après tous ces abus. Habitués à lui confier leur sécurité identitaire, ils lui confieraient leur sécurité sanitaire, dans une sorte de transfert de leurs inquiétudes. D’ailleurs, ce fut l’erreur inconsciente de bien des patriotes québécois que d’embrasser le sanitarisme au détriment du tissu social et de l’affirmation de la nation qu’ils sont censés défendre. Chez les souverainistes, ils sont maintenant nombreux à faire passer la sécurité avant la liberté, sans réaliser qu’ils contribuent eux-mêmes à enfermer le Québec dans la peur de tout.
Le gouvernement Legault a annoncé qu’il allait instaurer un impôt spécial pour les non-vaccinés. Est-ce une mesure surprenante ou bien est-ce la continuité de la politique québécoise ?
Jérôme Blanchet-Gravel : C’est la continuité de la politique du bouc émissaire menée par le gouvernement Legault, mais la mesure représente une importante rupture avec le principe d’universalité propre au système de santé québécois, qui est presque entièrement public. À cet effet, il est tragicomique de voir d’anciens défenseurs du principe des soins pour tous (et par le fait même les détracteurs acharnés du système de santé américain) défendre aujourd’hui ce nouvel impôt. Comme quoi la pandémie a vraiment emmené un nouveau clivage qui s’articulera autour de ces deux pôles : la sécurité et la liberté.
Dans les faits, cette « contribution santé » n’est rien d’autre qu’un impôt discriminatoire imposé à des gens réduits à l’état de dhimmis de la santé publique. On s’en souvient : dans les États musulmans, les dhimmis étaient les sujets non musulmans qui devaient s’acquitter d’un impôt particulier appelé djizîa. Comme l’islam radical, le sanitarisme entend réglementer tous les aspects de la vie individuelle et collective, et comme lui, il impose un régime de ségrégation. C’est une grave régression morale et historique.
Selon vous, la France et le Québec suivent-ils la même direction au niveau réglementaire ?
Jérôme Blanchet-Gravel : La France est bien sûr elle aussi étouffée par l’étatisme et la bureaucratie. En ce sens, on pourrait dire que le Québec retient de la mère-patrie. De manière générale, les pays catholiques semblent également avoir développé des modèles plus interventionnistes que les pays anglo-protestants.
Bien des constats que je fais pour le Québec s’appliquent à la France – on me fait souvent la remarque –, mais force est de constater que la France reste encore moins aseptisée que le Québec. On trouve malgré tout en France une plus forte résistance aux nouveaux courants puritains, qu’ils soient sanitaires ou woke. Bien que fortement menacée, la liberté d’expression y est aussi plus vive. On peut encore débattre chez vous des sujets chauds, chose de plus en plus rare et difficile dans la Belle Province. Durant la pandémie, le Québec ne s’est pas seulement distingué par son nouvel ordre réglementaire, mais par l’incroyable degré d’obéissance des citoyens aux autorités publiques. Tous les États du monde ont imposé des restrictions et continuent de le faire, mais peu de peuples les auront suivies aussi religieusement que les Québécois. Le Québec ne traverse vraiment pas la meilleure période de son histoire.
Dans votre dernier livre intitulé Un Québécois à Mexico (L’Harmattan), vous critiquez la multiplication des interdits en Occident et l’avènement d’un monde marqué par le « réglementairement correct ». Quelles sont les principales différences entre le Mexique et le Québec à ce sujet ?
Jérôme Blanchet-Gravel : Le Mexique n’est pas une île déserte. Sous l’influence de l’Occident et des États-Unis surtout, on peut parfois y sentir les germes de la nouvelle gauche et plus souvent, du sanitarisme, mais c’est un endroit où ces courants ne parviendront pas à transformer les mentalités et avoir un impact sur la socialité avant des années. Concrètement, le Mexicain peut porter le masque dans la rue, mais il continuera de fréquenter sa famille et ses amis et s’arrêtera dans un kiosque à tacos où les gens mangent avec leurs mains, se lèchent les doigts puis s’échangent les cuillères des pots de salsa. Il ne traversait pas l’esprit d’un Mexicain de consulter son gouvernement pour savoir comment et avec qui fêter Noël. Le Mexique a un côté cowboy, pour ne pas dire anarchiste.
Le Québec est une société mécanique, le Mexique est une société organique. Mon livre est un récit sur le Mexique, mais aussi sur le malaise occidental et le malaise québécois en particulier, dont je viens de décrire certaines caractéristiques. Malgré la pauvreté et la violence, on trouve encore dans l’ancien empire aztèque un espace de liberté que vont sûrement rechercher bien des Occidentaux déçus de leur civilisation. C’est vrai aussi pour d’autres pays d’Amérique latine. L’une des conclusions de mon livre est que le libéralisme pourrait dorénavant devoir se rabattre sur un espace de déploiement à l’extérieur de l’Occident, ce qui est un revirement considérable. Avec le retour de l’État et l’avènement de la société de surveillance, le libéralisme pourrait devoir se retrancher dans les pays encore épargnés par le nouveau courant sécuritaire. Et si la richesse n’était plus synonyme de liberté, mais plutôt d’un confort abrutissant ayant débouché sur cette faillite ?
Les sociétés occidentales ont développé une vision technocratique du monde qui se traduit par la multiplication de règles destinées à apaiser l’anxiété née de leur vide spirituel. Mon expérience mexicaine me l’a dévoilé avec force. Nous sommes devant des sociétés désenchantées et tièdes qui n’acceptent plus aucune forme de fatalité et qui veulent encadrer les moindres aspects de la vie pour compenser leur manque de passion et de vigueur. C’est le règne du contrôle social et le temps de la dépression collective.
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