Les juges spécialement désignés par le gouvernement de Hong Kong pour les cas d'atteinte à la sécurité nationale. De gauche à droite Anthea Pang Po-kam, 50 ans, Esther Toh Lye-ping, 69 ans, née à Singapour et Wilson Chan Kah-shun, 59 ans. Tous les trois ont dans leur jeunesse étudié le droit au Royaume Uni. Anthea Pang a même obtenu des diplômes de « droits humains » à l'université de Hong Kong. Il n'est pas impossible que leur culture juridique et leur histoire les poussent à résister aux tentatives indiscriminées de répression.
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Le 13 novembre dernier, le tribunal de Kowloon-Est qui accueillait une centaine de militants démocrates venus soutenir les prévenus, a reconnu coupables vingt manifestants arrêtés en juillet 2019 lors des émeutes du quartier de Sheung Wan à l'ouest de l'Île de Hong Kong. Tous risquent jusqu'à sept années de prison.
Mais dix-huit mois après l'adoption de la Loi sur la sécurité nationale, alors qu'en dépit du procureur, trois autres accusés ont été relaxés, la mansuétude des juges qui se réclamèrent de la « Common Law », pose la question de la capacité de résistance indépendante de la justice de Hong Kong. *
Les 23 n'étaient certes pas les premiers à faire face à la justice. Sur la dizaine de milliers de manifestants arrêtés depuis juin 2019, 2500 ont été présentés aux juges. Pour près de 2000 d'entre eux, les audiences sont terminées. Certains ont déjà été condamnés de 14 à 18 mois de prison, d'autres attendent le prononcé de leurs peines par le tribunal.
Parmi eux certains risquent plus. Il s'agit de plus d'une centaine arrêtés au nom de la loi sur la sécurité nationale votée à la fin mai 2020 par l'Assemblée Nationale à Pékin. Lire : L'arrangement « Un pays deux systèmes » a vécu.
Elle permet au système judiciaire de la R.A.S – dont l'indépendance est gravement écornée par Pékin qui peut désormais interpréter la loi en dernier ressort - d'alourdir sa main en cas de « crimes graves » tels que « la sécession », « la subversion », « le terrorisme » et « la collusion avec des puissances étrangères ».
La loi vise aussi ceux qui procureraient des fonds ou une aide matérielle destinés à soutenir les offenses graves citées ci-dessus. Interprétée largement, l'article permet d'assécher les fonds destinés à l'opposition. Peines déjà prononcées.
Ma Chun-man photographié lors d'une manifestation portant un slogan « 民族自強, 香港獨立 – la force du peuple et indépendance de Hong Kong ».
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Ainsi, le 11 novembre dernier, un tribunal de la R.A.S a condamné à cinq ans et neuf mois de prison Ma Chun-man, 31 ans employé d'une société de livraison de repas à domicile. Surnommé « Captain America 2.0 » ce qui aggrave son cas et incarcéré depuis octobre dernier, il était accusé d'avoir crié des slogans réclamant l'indépendance et d'avoir « incité les manifestants à la subversion ».
Ma qui, avec ses avocats, avait nié les charges, s'est défendu en se référant au droit à « la liberté d'expression » dont on voit bien qu'elle n'a plus cours. Il est le troisième manifestant hongkongais plus sévèrement condamné en référence à l'Art 21 de la loi sur la sécurité nationale.
Arrêté le 29 octobre 2020, près de l'ambassade des États-Unis où il tentait de se réfugier, Tony Chung, 19 ans, attend son jugement, prévu le 23 novembre. Il est accusé de sécession pour avoir posté sur Facebook un appel à l'indépendance de la R.A.S.
Le 30 juillet 2021, la cour avait aussi infligé 9 ans de prison ferme à Tong Ying-kit, 24 ans, un serveur de restaurant, pour « incitation à la sécession » et « acte de terrorisme ». Tong avait été arrêté le 1er juillet 2020, alors que, brandissant un drapeau portant l'inscription « Libérez Hong-Kong, révolution de notre temps - 光复香港,时代革命 », il avait, lors d'une émeute, jeté sa moto contre les trois policiers d'un poste de contrôle, dont un avait été sérieusement blessé.
Stricto-sensu, selon l'Art 21, comme les deux autres, il risquait la prison à vie. La sentence pourrait faire jurisprudence pour tous les manifestants, y compris de nombreux militants démocrates en attente de jugement et incarcérés au nom de la loi sur la sécurité nationale. Les juges résistent-ils pour protéger la « Common Law » ?
Selon les accords de rétrocession, la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong devait rester sous la juridiction de la « common law » britannique jusqu'en 2047. A ce titre elle est en théorie une zone d'exception juridique au sein d'une Chine politiquement et juridiquement centralisée, où la séparation des pouvoirs n'existe pas. A la faveur des jugements rendus par les magistrats de Hong Kong se joue sous nos yeux, le frottement entre les deux systèmes.
Quoi qu'en disent les commentateurs, non seulement les sentences prononcées contre les tenants de la sécession sont clairement plus indulgentes que sur le Continent, mais encore la récente relaxe de trois prévenus incarcérés au nom de la sécurité nationale, semble exprimer une tendance des magistrats à préserver un état de droit héritier de la culture juridique britannique.
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Les Hongkongais avaient assidument suivi les audiences du jugement de Tong, tandis que les critiques soulignèrent que la tradition judiciaire de la « Common Law » britannique avait été bafouée. En vigueur depuis 1997, sous l'égide des « Deux systèmes » visant à préserver les libertés, condition nécessaires pour préserver le rôle de plaque tournante financière de la R.A.S, la tradition britannique inclut la présomption d'innocence, la libération sous caution et le droit à un jugement indépendant.
En réponse, le gouvernement de Hong Kong avait déclaré que les poursuites avaient été menées sans interférence du pouvoir, conformément à la loi et que le jugement n'avait rien à voir avec la position politique, les antécédents ou la profession des personnes arrêtées.
C'est avec en tête cet arrière-plan où voit que les juges de Hong Kong continuent à se réclamer d'un système judiciaire indépendant, tandis que les accusés de l'Art 21 écopent de sanctions nettement moins sévères que celles qui leur auraient été infligées par un tribunal du Continent (lire à ce sujet Condamnation à la prison à vie d'un intellectuel ouïghour) qu'il faut considérer l'information selon laquelle le 13 novembre, à côté des 20 prévenus, désormais en attente de leur sentence, trois autres accusés ont été relaxés.
Alors que le procureur avait accusé tous les 23 suspects d'avoir pris part aux émeutes de Sheung-wan, les juges ont statué que l'accusation n'avait pas apporté les preuves suffisantes que les trois relaxés avaient effectivement participé aux manifestations.
Autre information méritant attention, laissant supposer que les juges de la R.A.S tiennent à affirmer leur indépendance, le jugement de relaxe est intervenu après un avis de la Cour de cassation de la R.A.S. Consultée par le tribunal, elle avait statué que les procureurs étaient tenus de prouver la participation ou « l'intention de participer » d'un suspect, pour qu'une accusation d'émeutier soit appropriée.
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