En signant, le 30 décembre, un accord d'investissements avec la Chine soutenu par ses partenaires de l'UE, Angela Merkel a réussi son pari d'afficher face à la Chine, une plus grande souplesse que celle des États-Unis.
Ayant, contrairement à ce que disent les responsables de l'UE, une portée bien plus large que la phase 1 de l'accord commercial conclu en janvier 2020 entre Washington et Pékin, l'accord Chine – UE ne peut cependant pas exprimer le retour d'une capacité stratégique de l'UE indépendante.
C'est en effet en Asie, dans le Détroit de Taïwan et en mer de Chine du sud que se situent les plus grands défis posés au monde par le régime chinois auquel le seul contrepoids crédible est désormais Washington.
A condition de rester solidaire, le mieux que puisse espérer l'Union est le rôle de médiateur entre les deux hégémons, si toutefois l'un et l'autre en acceptent l'occurrence. De gauche à droite en haut Xi Jinping n°1 chinois, Charles Michel, président du Conseil européen, Angela Merkel, chancelière de RFA, Emmanuel Macron Président français et Ursula Von der Leyen, Présidente de la Commission.
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Un peu plus d'un an et demi après avoir qualifié la Chine « de rival systémique », et alors que le parlement européen vient tout juste d'adopter une résolution condamnant le travail forcé des Ouïghour et des minorités Kazakhs et Kyrgyzes au Xinjiang, le 30 décembre, la Chine et l'Union européenne dont la présidence tournante est assurée par l'Allemagne, ont signé un accord sur les investissements après sept années de longues et laborieuses négociations.
Il est rare qu'un accord international qui devra encore être ratifié par le parlement européen et les élus des 27, soit entouré d'autant de non dits et de controverses.
Que sa première phase avant validation parlementaire ait été conclue sous la présidence d'Angela Merkel qui en 16 ans de mandats de chancelière s'est rendue onze fois en Chine défendre les intérêts commerciaux allemands n'est pas une surprise.
Le 14 septembre dernier, en pleine controverse européenne à propos de Huawei, alors que le sommet Chine – UE de Leipzig avait été annulé, tandis que D. Trump tentait d'isoler la Chine considérée par toutes les élites américaines comme une menace, elle avait déclaré qu'il était important de « développer de bonnes relations stratégiques avec la Chine ».
Lire notre article de 2012 : Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu.
Si la Chancelière peut se féliciter d'avoir en apparence corrigé l'arrière-plan heurté de la relation Chine – Europe, point d'orgue de son mandat à la tête de l'UE, c'est peu dire que la publicité faite autour de l'accord avec l'UE est une bonne aubaine pour Pékin, encore sous le coup des prestations en demie-teinte du ministre des AE Wang Yi à la recherche d'un apaisement (lire : Wang Yi et Yang Jiechi en quête de rédemption diplomatique en Europe.),
Alors qu'aux États-Unis, la future administration Biden appelle à la solidarité transatlantique contre la Chine, la musique diffusée par l'annonce de l'accord sur les investissements entre Pékin et Bruxelles est une sérieuse dissonance.
Les médias officiels chinois n'ont pas manqué de souligner le changement de ton à Bruxelles. Le 30 décembre Xinhua célébrait dans un éditorial, « le solide pas en avant pour des relations économiques plus fortes ».
Sans aller dans le détail des controverses et des pièges possibles sur la route des ratifications, l'agence chinoise préférait gloser sur les efforts communs accomplis pour « surmonter les différences pour le bien de tous ». Le très nationaliste « Global Times », plaçant Pékin au centre du jeu mondial, voyait même l'accord comme « un cadeau de nouvel an de la Chine à l'Europe et au monde ».
Au passage, il critiquait ceux qui « épiloguent sans fin sur la géostratégie et les querelles de « valeurs », alors que les opinions ne s'intéressent qu'au développement pacifique des peuples. » Le discours réduisant de manière convenue la politique extérieure de Pékin à la seule rationalité pratique du « développement des peuples » manque cependant une partie de l'image.
La vérité oblige en effet à dire que l'objectif stratégique chinois a toujours été de diviser les alliances.
Commentant l'accord, Theresa Fallon, fondatrice et directrice à Bruxelles du Centre d'études Russie-Europe-Asie (Creas) qui relevait d'abord la désunion des pays européens face à la Chine, soulignait avec raison que, pour l'heure, au-delà de toutes autre considération commerciale, le principal objectif tactique du régime, auquel, dit-elle, « Bruxelles a apparemment contribué », aura été de creuser un fossé dans les relations transatlantiques.
Lire notre article : Face à Pékin, la solidarité hésitante de l'Europe.
++++ Critiques parlementaires.
Le traitement infligé par Pékin aux Ouïghour du Xinjiang – ici un camp de rééducation - fait partie des points critiques évoqués par les parlementaires opposés à l'accord sur les investissements UE – Chine. La veille de la signature de l'accord, l'UE réclamait la libération de 12 activistes Hongkongais et de Zhang Zhan, blogueuse condamnée à 4 ans de prison pour ses reportages lors du déclenchement de la pandémie à Wuhan.
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Alors qu'à Bruxelles, Ursula Von der Leyen, la Présidente de la Commission, défendait l'accord en rappelant qu'il ne faisait que mettre l'UE au niveau de la phase 1 des accords commerciaux sino-américains conclus en janvier 2020 à Washington [1], « les valeurs », étaient précisément un des thèmes majeurs des principales critiques venant des parlementaires européens et de plusieurs États.
Le 30 décembre, Guy Verhofstadt, député européen, tendance libérale, candidat malheureux à la présidence du Parlement en 2017, ancien premier ministre de Belgique, fustigeait sur Twitter les « histoires horribles de travail forcé en provenance du Xinjiang » et doutait de la parole de la Chine en matières de droits de l'homme et de droit du travail.
L'Allemand Reinhard Bütikofer, de la mouvance politique des « Verts », président du groupe parlementaire pour les relations avec la Chine, doutait lui aussi des promesses chinoises d'abandonner les pratiques de travail forcé, alors que Pékin, membre fondateur de l'Organisation Internationale du Travail, n'avait toujours pas ratifié les dispositions qui le condamnent. « Il est risible que la Commission et Berlin présentent l'accord comme un succès ».
Au passage, comparant la méthode au « cavalier seul de D. Trump », il critiquait la précipitation contredisant la promesse de se coordonner avec l'administration Biden. La dénonciation. d'un accord signé dans précipitation était reprise par Varsovie.
Le 31 décembre, un article de Foreign Policy, signé Noah Barkin, éditeur de Rhodium Group et chercheur associé du German Marshall Fund, résumait les réticences américaines.
« Le moins qu'on puisse dire est que le “timing“ est étrange. Il est difficile de ne pas voir que l'accord est un camouflet infligé à la future administration américaine dont l'une des intentions exprimées est de réparer le lien transatlantique et de coopérer sur la question des défis stratégiques posés par la Chine ».
Ces réflexions ouvrent une nouvelle piste d'analyse. A côté de la Chine, elle place au centre la menace pesant sur la relation transatlantique et spécule sur la volonté des Européens, que les critiques jugent naïve, de rehausser leur influence mondiale en jouant le rôle de médiateur stratégique entre Pékin et Washington. L'Europe en quête d'indépendance stratégique.
En Asie, en mer de Chine du sud et à Taïwan, les États-Unis sont les seuls à opposer un contrepoids stratégique crédible à Pékin.
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C'est peu dire que la présidence Trump tentée par le vieil isolationnisme a laissé des traces négatives dans l'esprit des élites européennes. Alors que fait rage la querelle stratégique sino-américaine, le contrepied de Bruxelles sonne comme la tentative de donner une leçon de mesure et de multilatéralisme à l'Amérique où les partisans de D. Trump restent nombreux.
Alors qu'en Europe les esprits doutent de plus en plus du futur de la relation transatlantique, l'essai de restauration du rôle stratégique de l'Union à la faveur des tensions avec la Chine, est cautionnée par Paris.
Le Président Macron, présent à la vidéo-conférence de signature, fervent avocat d'un rôle global accru d'une Europe plus forte, peut espérer rester en prise avec cette trajectoire vertueuse, après le départ des affaires d'Angela Merkel, puisqu'au moment de la ratification de l'accord commercial en 2022, c'est la France qui assumera de janvier à juin, la présidence de l'UE.
Bien plus que la portée de ses modalités pratiques (lire les détails de l'accord en annexe), l'accord sino-européen paraît un signal envoyé aux jusqu'au-boutistes américains de la confrontation tous azimuts avec la Chine, signifiant que le choix manichéen sans esprit de recul pourrait conduire au désastre.
Le pari n'est pas gagné puisqu'il spécule sur la solidarité européenne non seulement face à la Chine, mais également au milieu des doutes d'une relation transatlantique sérieusement mise à l'épreuve.
Surtout, la manœuvre fait l'impasse sur les intentions de Pékin d'élargir l'empreinte globale de son modèle de gouvernance antidémocratique, alors qu'une des initiatives du Portugal qui vient de prendre la tête de l'UE, le 1er janvier, est précisément de renforcer les droits sociaux européens lors d'un sommet social prévu les 7 et 8 mai à Porto.
Il est vrai que Lisbonne prévoit aussi d'organiser un sommet avec l'Inde pour afficher « la capacité d'autonomie stratégique de l'UE ». Mais, il n'est pas certain que l'ostentation d'une proximité avec New-Delhi suffira à tenir à distance les risques stratégiques posés par les prétentions chinoises en mer de Chine du sud que les États-Unis sont objectivement les seuls à contester efficacement.
Il en va de même des tensions dans le Détroit de Taïwan dont les enjeux sont aujourd'hui haussés à hauteur d'un défi aux systèmes démocratiques de la planète.
++++ ANNEXE
Contenu de l'accord.
Le 30 décembre Bruxelles publiait un long communiqué énumérant les points clés de « l'accord d'investissement global entre l'UE et la Chine. »
Le détail de l'accord était précédé d'une mise au point de Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de l'UE et commissaire au commerce qui rappelait l'intérêt de l'accord pour les entreprises européennes sur le marché chinois.
Améliorant la réciprocité à un niveau inédit, l'accord - qui n'est pas un traité comme le voulait la Chine - élimine notamment les quotas, les restrictions et les obligations de JV dans de nombreux secteurs. En même temps, il préserve les intérêts européens dans les secteurs sensibles de l'énergie, de l'agriculture, de la pêche, de l'audio-visuel et des services publics.
La mise au point faisait également état des garanties obtenues par Bruxelles dans les domaines de l'environnement, du changement climatique et de la lutte contre le travail forcé. Enfin il formulait la conviction que la coopération étroite avec Pékin contribuerait à inciter le régime chinois à honorer ses engagements.
Les secteurs concernés par les efforts de réciprocité et d'une meilleure transparence avec l'extension du droit de travail des expatriés dans les filiales chinoises, comportant une plus grande ouverture, notamment la suppression des quotas et des obligations de JV sont : l'automobile, les services financiers, la santé, la R&D, les télécoms, le numérique, les transports aérien et maritime, l'environnement et la construction.
A noter enfin un mécanisme de règlement des différends, y compris par une procédure d'urgence liée à un suivi politique des problèmes au fur et à mesure qu'ils surviennent. *
Contrairement à ce que disent les fonctionnaires européens à la suite d'Ursula von der Leyen, la portée de l'accord est bien plus vaste que celle de la 1re phase de l'accord commercial sino-américain. Objectivement, Pékin a consenti à d'importants ajustements de ses pratiques commerciales, tandis qu'en Europe les mesures de criblage protègent les secteurs jugés sensibles.
Enfin, pour les promoteurs européens de l'accord, ce dernier devrait contribuer à inciter Pékin à corriger ses pratiques abusives au Xinjiang et à alléger son emprise normative à Hong Kong et au Tibet.
Rien n'est moins sûr.
S'il est exact que les objectifs politiques du Régime restent l'ouverture, celle-ci concerne seulement la gouvernance des entreprises, la lutte contre la corruption et l'accueil des investisseurs étrangers et de leurs capitaux de la manière la plus pérenne possible.
Elle ne touche en aucune façon à la nature du pouvoir, à l'indépendance de la justice, à sa conception du Droit et à ses relations avec la société. L'ouverture et la réforme ne concernent pas non plus les ambitions stratégiques de Pékin en mer de Chine du sud ou dans le détroit de Taïwan.
Sur ce théâtre où murit la contradiction systémique entre l'ambition normative de réunification et l'idéal de liberté et de démocratie que la Présidente Tsai Ing-wen a, avec le soutien pressant de Washington, érigé en symbole global de lutte contre les régimes autocrates, l'aggravation des tensions est probable.
[1] Signé le 15 janvier 2020 à la Maison Blanche entre D. Trump et le Vice-Premier ministre Liu He, la phase 1 prévoyait la baisse des taxes sur les exportations chinoises en échange des promesses de Pékin d'augmenter les achats de gaz et de produits agricoles et manufacturés américains, en même temps qu'il condamnait les pratiques de viol de la propriété intellectuelle.
http://dlvr.it/RqD1jJ
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