lundi 14 septembre 2020

États-Unis : une campagne présidentielle bizarre et imprévisible

Par Philippe Lacoude, depuis les États-Unis. J’admire, un peu narquois, les grands experts de la science politique américaine qui peuvent prédire des mois à l’avance les résultats des élections présidentielles américaines. Une prévision fiable des résultats de la présidentielle Souvent aidés par le fait qu’ils disposent d’un compte Twitter, d’un grand stock de modestie trempée à l’humilité, d’une bonne dose de monolinguisme et d’une résidence permanente en Europe, ils ont tous ces avantages que je ne peux pas offrir aux lecteurs de Contrepoints�! Ayant travaillé sur Capitol Hill, consulté pour le gouvernement américain pendant deux décennies, partageant ma vie entre les Démocrates urbains de la finance en semaine et les Républicains ruraux de mes compétitions de tir durant les week-ends, j’avoue n’avoir aucune idée de ce qui va se passer dans 60 jours… à part que l’électeur médian américain va à coup sûr choisir comme président un septuagénaire dépensier qui n’aura pas toute sa tête et à peu près aucune notion de ses limites, fera preuve de népotisme, tweetera des bêtises à tort et à travers, et cherchera par tous les moyens à se soustraire à l’étroit carcan constitutionnel imaginé par les Pères fondateurs. L’Amérique survivra Comme le secteur non-gouvernemental fait la force de tous les pays en général et des États-Unis en particulier, tout ceci ne les empêchera probablement pas de dominer en 2024. L’économie se portera à peu près bien malgré le futur président, les universités domineront les sciences, la (vraie) « stateupe naichieunne Â» sera toujours à l’ouest, et Jeff Bezos aura peut-être même accumulé 300 milliards de dollars de fortune personnelle si personne ne lui a coupé la tête. Elon Musk sera en train de préparer le pays à un retour sur la lune et la NASA aura même enfin mis le James Webb Space Telescope en orbite. Les contribuables américains auront juste au moins 4000 milliards de dettes fédérales supplémentaires. La routine, quoi ! La convention démocrate Comme l’aile gauche du parti démocrate fait beaucoup de bruit – c’est-à-dire fait peur à l’électeur médian américain vaguement de centre droit –, la convention démocrate a commencé par un défilé amusant de vieux républicains « has been » de l’ère du président George W. Bush. Ce qui a provoqué la colère de la député d’extrême gauche Alexandria Ocasio-Cortez qui n’a reçu que 60 secondes pour faire un « discours » (pré-enregistré !) où elle a nominé… le Sénateur Bernie Sanders comme président. Le parti démocrate « aurait pu faire plus pour rallier l’enthousiasme de la participation de la base de notre parti. […] Les musulmans ont une représentation nulle, ce qui est tout simplement fou Â» selon elle. Les démocrates ont largement évité de commenter les incendies criminels, les pillages, les bris de vitres et les agressions qui sévissent dans les grandes villes américaines, notamment New York, Chicago, Minneapolis, Seattle et Portland, qui sont toutes contrôlées par des chefs de police démocrates nommés par des maires démocrates dans des États dirigés par des gouverneurs démocrates. À la fin, l’ancien vice-président Joe Biden est sorti de sa cave pour faire un discours sans avoir l’air hagard, sans raconter n’importe quoi, et sans marmonner. Comme il n’était pas en public, il n’a pas eu de comportement étrange. La barre était placée tellement bas que l’ancien conseiller du président Obama, Van Jones, a dit sur CNN après le discours d’investiture que le « bruit que vous entendez à travers tout le pays est un soupir de soulagement Â» que le candidat Biden n’ait pas fait de gaffe majeure. La convention républicaine La convention républicaine tenue une semaine plus tard était à peu près aussi soporifique. Même si elle a trouvé peu d’audience, la première soirée a été plutôt positive avec en particulier des bons discours du Sénateur Tim Scott, de l’ambassadeur Nikki Haley, et surtout de Donald Trump Jr., le fils du président, qui a posé la question-clef de cette campagne : pourquoi est-ce que l’ancien vice-président Joe Biden avec une carrière de plus de quatre décennies en politique qui a contribué à créer un certain nombre des problèmes actuels serait l’homme pour résoudre ces derniers ? De son côté, la première dame, Melania Trump, a prononcé un discours qu’elle n’avait pas écrit mais qui n’était pas plagié, un immense progrès par rapport à 2016. Finalement, au bout de trois jours de cérémonies, le président Trump a fait un discours très stéréotypé à la Maison Blanche loin de ses habituels rassemblements électoraux exubérants qui lui ont valu la présidence il y a 4 ans. C’est probablement une occasion ratée car l’homme d’affaires n’a pas gagné la Maison Blanche en lisant des discours sur un prompteur devant des apparatchiks mais au contact de ses militants qui lui ont permis de discerner ce qui les fait réagir. Des résultats anormaux Les circonstances exceptionnelles de cette année bizarre ont conduit à l’annulation de ces fêtes politiques fastueuses que sont les conventions des grands partis politiques américains. Point de confetti ou de ballons bleus, blancs et rouges. Normalement, la convention est l’occasion pour un parti de montrer son candidat sous le meilleur jour et, à chaque fois, c’est l’occasion d’engranger 1 ou 2 % dans les sondages. En général, je laisse ces derniers aux politologues. La littérature économique a montré depuis longtemps que les sondages sont moins fiables que les marchés politiques où les acteurs perdent de l’argent s’ils font de mauvaises prévisions (ici, ici et là). Tout au plus, les sondages sont utiles lorsqu’on les compare à divers moments : le niveau est généralement faux mais l’évolution importe parfois. Par exemple, le 9 septembre 2016, la secrétaire d’État Clinton détenait un avantage de 6,2 % sur le président Trump dans la moyenne Real Clear Politics pour la Pennsylvanie, un État qu’elle a perdu. Actuellement, le vice-président Biden détient une avance moyenne de 4,3 %. Au Michigan, elle avait un avantage de 7,3 % dans les sondages, un État qu’elle a également perdu. Le vice-président Biden a une avance de 3,2 %. En Floride, le vice-président Biden fait mieux aujourd’hui (1,2 %) que la secrétaire d’État il y a 4 ans (0,3 %) : le président Trump doit-il s’en inquiéter ? Dans l’Ohio, l’élection semble décidée en faveur du candidat démocrate sauf qu’il a moins d’avance aujourd’hui (2,4 %) que la candidate malheureuse en 2016 (3,8 % au 4 septembre 2016). De plus, les sondages prennent plusieurs jours à être réalisés. Les marchés politiques sont instantanés : une bonne ou une mauvaise nouvelle pour un candidat change immédiatement la valeur des contrats. Enfin, cette année, il n’y a pas autant de sondages qu’à l’habitude. On ne sait pas vraiment quelle est la situation au niveau des États qui vont déterminer l’élection. En d’autres termes, la situation est encore moins claire qu’en 2016 et ceux qui font des prévisions sur les réseaux sociaux ou dans les médias traditionnels sont de pires charlatans de la politique qu’à l’accoutumée. Force est de constater que les marchés d’options sur les résultats de l’élection présidentielle n’ont absolument pas changé de direction pendant ou à la suite des deux conventions, démocrate puis républicaine. En gros, l’énorme avance du vice-président Biden a continué de fondre lentement sous le soleil de l’été : aujourd’hui, un contrat qui verse un dollar de gain si un candidat est élu vaut 46 centimes pour Trump et 53 centimes pour Biden. En d’autres termes, les acteurs de ces marchés considèrent implicitement que les probabilités de gagner de ces deux candidats sont de 46 % et 53 %, respectivement. Données anecdotiques Si la convention nationale républicaine a enregistré 147,9 millions de vues au total à la télévision et en ligne, celle des démocrates n’a enregistré que 122 millions de spectateurs. Cependant, lorsque le président Donald Trump a accepté la nomination de son parti à la réélection, seulement 23,8 millions de personnes étaient à l’écoute sur 13 chaines de télévision. C’était moins que les 24,6 millions de personnes qui ont regardé le discours du vice-président Biden lorsqu’il a accepté la nomination démocrate à la présidence sur 12 chaînes – une de moins – le dernier soir de la convention de son parti. En termes de levée de fonds de campagne, pendant les conventions, le camp de l’ancien vice-président a obtenu 70 millions de dollars contre 76 millions pour l’hôte de la Maison Blanche qui avait un avantage jusqu’en juillet. Les chiffres d’août ont été très défavorables au président qui a levé « seulement Â» 210 millions de dollars contre 364,5 millions pour son adversaire. Des campagnes bizarres Aux États-Unis, si l’élection présidentielle se finance dans les bastions des partis, elle se gagne en dehors de ces bastions. Il ne suffit pas d’aller chercher de l’argent en Californie et au Texas. Un candidat doit aller sur le terrain dans les États où la population est divisée à peu près également entre les deux camps principaux. Les circonstances particulières de cette année ont empêché les candidats de vraiment faire campagne. Pour le moment, on a seulement vu le vice-président Biden donner un discours à Pittsburgh devant une minuscule audience et faire une séance photo à Kenosha. Quant au Président Trump, ses habituels meetings sont sérieusement amputés. De plus, les émeutes dans les villes démocrates effraient la population centriste. À l’échelle des États, cela joue contre les maires – tous démocrates – qui les dirigent. À l’échelle du pays, cela joue contre le président Trump et renforce l’impression de chaos qui a commencé dès le premier jour de sa présidence. Je ne serais pas très surpris si un voyageur du futur venait nous dire aujourd’hui que le président a, à la fois, gagné l’élection dans le Minnesota, un État qu’aucun républicain n’a gagné depuis l’écrasante victoire de Richard Nixon en 1972, et perdu en Géorgie, un bastion républicain, dont la capitale, Atlanta a été fortement secouée par les émeutes. Si cela est un exemple sans préjuger du résultat d’ensemble, on peut cependant s’attendre à des résultats locaux bizarres. Alors quelle prévision pour l’élection présidentielle ? Tout cela joue en faveur du candidat démocrate. Pendant que les chaînes de télévision déversent leur bile habituelle sur le président – à tort (souvent) et à raison (parfois) – personne ne pose aucune question difficile au vice-président Biden. En particulier, le public n’a aucune idée de l’incroyable collection de squelettes politiques qu’il a accumulé en 40 années dans les placards du Sénat, à Washington, DC. Apparemment, tout le monde a oublié la raison pour laquelle sa campagne présidentielle de 1988 s’est arrêtée net. Mais en 2020, les boules de cristal sont très opaques. Il est impossible de prévoir l’avenir. Surtout en politique et surtout presque deux mois à l’avance. J’aurais tendance à penser, comme les marchés politiques, qu’un contrat Biden vaut un contrat Trump, soit environ 50 centimes pour un dollar… Je reprendrais bien un peu de déficit… Si le face à face de 2020 signifie une nouvelle fois un choix entre socialisme et nationalisme avec une sérieuse dose de dépenses publiques financées par des montagnes de dettes nouvelles, l’électorat est de moins en moins partisan dans un pays où seulement 31 % s’identifient comme démocrates et seulement 26 % comme républicains. Ce n’est pas du tout étonnant que ni le président Trump, ni le vice-président Biden n’arrivent à 50 % d’opinions favorables. Ils sont archi-minoritaires. Leurs plus ardents partisans sont d’ailleurs des remèdes à la politique et dégoûtent les gens raisonnables. S’il n’y a pas d’option libérale, la pluralité de 41 % qui se dit « indépendante Â» est relativement fiscalement conservatrice et libérale de mÅ“urs. Le libéralisme est donc moribond en politique mais pas dans le pays. Tout n’est pas perdu ! Ces articles pourraient vous intéresser: États-Unis : Joe Biden, un désastre potentiel Kamala Harris, la gauche… en pire ! Républicains et Démocrates : les convergences dont on ne parle jamais Les élections américaines pour les nuls
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Les taxes sur la richesse nuisent aux gens ordinaires

Par Gaël Campan. Un article de l’Institut Economique de Montréal L’idée d’un impôt sur la richesse est toujours considérée par certains comme viable, en dépit des signaux d’avertissements clairs et des conséquences économiques graves qui ont accompagné chacune de ses implantations. Sa simplicité explique son attrait�: « Laissez-nous prendre l’argent là où il se trouve ! Les riches peuvent se le permettre. » En suivant cette logique facile, le gouvernement s’en prend aux plus fortunés sans risque politique puisque ces derniers représentent une petite fraction de l’électorat1 Preuve de l’attrait d’une telle mesure, le directeur parlementaire du budget répondait encore le 8 juillet 2020 à une question d’un député du NPD portant sur ses coûts2. Pas plus tard que le 13 juillet 2020, des médias rapportaient l’appel public de 83 « super riches », dont l’héritière Abigail Disney, en faveur de l’instauration d’un impôt sur la fortune afin de financer les efforts d’aide liés au Covid-193. En effet, les sommes importantes dépensées par les gouvernements dans la foulée du confinement sévère et généralisé de 2020 conduisent certains à réclamer de nouveau un impôt sur la richesse. Au Canada, c’est notamment le cas de l’Institut Broadbent4. Or, la rhétorique de la lutte des classes qui sous-tend ces initiatives fiscales fait fausse route. Il a été démontré que les riches sont particulièrement affectés par cette taxe. Leur capacité limitée à investir – et leur exode éventuel – a des effets négatifs significatifs sur l’ensemble de l’économie, et donc sur tous les segments de la société. De plus, l’impôt sur la richesse se montre ultimement inefficace pour augmenter les revenus de l’État. Si le gouvernement souhaite ainsi maintenir son niveau de dépenses, les contribuables moins fortunés devront payer la facture une fois que les riches se seront prémunis contre cet impôt. Aussi, dans une société comme celle du Canada – où il y a de la mobilité sociale – une partie substantielle des « pauvres » d’aujourd’hui est vouée à être les « riches » de demain5, et elle subira éventuellement les effets directs de l’impôt sur la richesse. Oui, les riches sont affectés par l’impôt sur la richesse Afin de comprendre les effets d’une taxe sur la richesse sur les ménages ciblés, il faut tout d’abord saisir la différence entre les revenus et les actifs. L’impôt sur la richesse est calculé en fonction de la valeur estimée du portfolio d’actifs, même si ces actifs ne génèrent pas directement des revenus, comme une résidence familiale, par exemple. Si ces personnes n’ont pas suffisamment de revenus pour payer l’impôt, elles pourront être contraintes de vendre des actifs afin de payer le fisc. Souvent, ces actifs ne sont pas liquides, entraînant ainsi des ventes sous la valeur du marché. En fait, l’OCDE a identifié le manque de liquidités comme étant une embûche fréquente aux paiements de l’impôt sur la richesse6. Ces taxes ont un effet plus important qu’anticipé sur les revenus. Prenons l’exemple d’un ménage de retraités ayant un patrimoine de 10 millions de dollars générant des revenus d’investissement annuels de 6 %. Ils sont déjà taxés à hauteur d’environ 50 % sur ces revenus ; ou plus dans certaines provinces. Un impôt sur la richesse additionnel de 3 % viendrait dans les faits éliminer complètement leurs revenus. Les dépenses courantes devront ainsi être couvertes partiellement par la vente d’actifs. Bref, en piochant dans leurs épargnes. Au cours des années suivantes, leur patrimoine amoindri va produire moins de revenus imposables que les années précédentes, forçant ce ménage à vendre de plus en plus d’actifs afin de maintenir son train de vie. Bien entendu, plusieurs ménages fortunés vont réagir en reconfigurant leur portfolio d’actifs ou en relocalisant leurs actifs et eux-mêmes à l’extérieur du pays afin de se prémunir contre l’impôt. Cet impôt va également modifier leurs comportements face à l’épargne et à la consommation. Si les épargnes investies sont imposées davantage, ils préféreront consommer et faire des dons, accélérant ainsi la réduction de leur patrimoine. Les nouvelles entreprises – la principale source de création d’emplois – seront privées de liquidités alors que les investisseurs préféreront des entreprises plus établies qui génèrent des revenus, au détriment d’entreprises jeunes et nécessitant des investissements. Même si les gouvernements sous-estiment initialement l’importance de l’exode des capitaux, les expériences ratées sont claires. Alors que 12 pays européens imposaient la richesse en 1990, huit d’entre eux avaient mis au rancart cette politique en 2017 (voir Figure 1)7. Les pays qui l’ont conservée ont compensé ses effets en abolissant l’impôt sur les successions (comme la Suisse en 2004 et la Norvège en 2014), en n’ayant pas de taxe sur le gain en capital dès le départ (comme la Suisse) ou en déléguant ce pouvoir de taxation (comme l’Espagne, où Madrid établit son propre impôt sur la richesse à 0 %)8. ​L’impôt sur la richesse est contre-productif L’impôt sur la richesse est également plus difficile à collecter que les autres taxes. Quand l’Autriche a abrogé son impôt sur la fortune en 1994, elle a reconnu un « coût administratif élevé lié au processus de collection de données »9. Par exemple, la valeur des actions dans des entreprises non cotées en bourse est difficile à évaluer. Estimer la valeur de certains biens – comme des Å“uvres d’art, de la bijouterie ou des meubles rares – est fastidieux lorsque le prix du marché n’est pas connu. Leur évaluation demande une expertise coûteuse et l’exercice d’estimation demeure subjectif, susceptible à la manipulation et la fraude. Les ménages riches et éduqués disposent de temps, d’avocats, de comptables et d’experts pour se défendre contre ce qu’ils peuvent percevoir comme des demandes arbitraires du fisc. Les coûts bureaucratiques, en ressources humaines et financières, y seront probablement les plus élevés par dollar perçu – ce qui contribue au fait que les revenus collectés par ces impôts ne sont jamais à la hauteur des attentes10. L’impôt sur la richesse en Europe représentait une ponction d’en moyenne 0,2 % du PIB, avec un maximum de 1 % en Suisse (voir Figure 2)11. Avec ses coûts élevés et ses résultats mitigés, l’inefficacité de la taxe est claire. Mais à cela s’ajoutent des pertes indirectes causées par l’exode des capitaux. Le cas français est notoire en raison de la durée de l’expérience menée avec l’impôt sur la richesse et à cause des études d’impact qui ont été réalisées, tant par le gouvernement que par des tiers. Vu le départ du pays d’en moyenne 510 ménages fortunés par année pendant 33 ans, la migration des capitaux a été estimée à entre 143 et 200 milliards en euros constants de 201512. Cela représente pour la France une perte importante d’opportunité d’investissements, de création d’emplois et des recettes fiscales qui en découlent, et un gain pour les pays qui ont accueilli ces migrants. Pendant que l’assiette fiscale rétrécit, les contribuables doivent compenser la réduction des entrées fiscales causées par l’exode des capitaux. Dans une perspective de réduction des inégalités, un impôt sur la richesse est contre-productif. Une fois que les riches les plus mobiles sont partis, de nouveaux impôts doivent pallier le manque à gagner créé par l’exode, et ces derniers devront être payés par un grand nombre de contribuables moins fortunés et moins mobiles. Pas juste un problème de riches Diviser les citoyens en grandes catégories – les riches et les pauvres – comme si leurs intérêts ne pouvaient pas se recouper est une bien mauvaise idée. La convergence des intérêts est importante dans une société ouverte et démocratique. Cibler les riches en tant que groupe nuit au succès éventuel d’un entrepreneur émergent et de façon correspondante aux opportunités s’offrant aux personnes en recherche d’emploi. La richesse est la première source de création de nouveaux emplois. Si vous n’êtes pas un entrepreneur en position de créer une entreprise générant assez de revenus pour combler vos besoins, vous êtes forcément un employé. C’est un entrepreneur qui vous fournit cet emploi. La quantité et la qualité des emplois disponibles dépendent de l’étendue à laquelle les entrepreneurs sont libres de prospérer. Cela implique, quoique indirectement, que l’impôt sur la richesse est largement payé par des travailleurs gagnant de petits salaires, et par les chômeurs privés d’un revenu. De plus, nous vivons dans une société où la mobilité sociale est tangible. Une étude sur la mobilité menée au Canada indique que chez les 20 % moins fortunés au Canada en 1990, pas moins de 87 % avaient accédé à un palier plus élevé en 2009. Mieux encore, 40 % d’entre eux avaient atteint l’un des deux quintiles les plus élevés au cours de la même période de 20 ans13. Si vous combinez le fait que la barre ne cesse de baisser afin d’appartenir au 1 % (à cause de l’exode des ménages riches) et le nombre important d’individus connaissant une ascension sociale, il est possible que bien des anciens « pauvres » deviennent « riches » plus tôt que prévu. En effet, la richesse est créée, et non héritée14. La plupart d’entre nous ne sommes pas nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, et l’entrepreneuriat est une façon de connaître du succès. Les entrepreneurs en ascendance aujourd’hui pourraient accéder au 1 % des gens les plus riches en seulement cinq à dix ans. À long terme, cela ferait davantage de mal aux non-riches qu’aux très riches qui, en dépit des apparences de justice sociale de l’impôt sur la richesse, sont les plus en mesure de s’en prémunir. Finalement, les gens tendent à sous-estimer leur propre richesse15. Le nombre de Canadiens potentiellement affectés par cet impôt aujourd’hui ou demain pourrait être plus grand qu’on l’imagine. Par exemple, un retraité de la fonction publique fédérale profite de 20 ans ou plus d’espérance de vie avec quelques millions de dollars en revenus de pension actualisée. Il ne se considère sans doute pas éligible à payer une taxe sur la richesse, mais il pourrait l’être dépendamment des critères16. Le même principe s’applique aux joueurs de hockey et aux artistes populaires, dont la fortune pourrait être évaluée selon leurs contrats ou revenus futurs de droit d’auteur. Les fonctionnaires ne sont peut-être pas très mobiles, mais les athlètes et les artistes peuvent facilement déménager dans des pays plus fiscalement cléments, au grand dam des équipes locales et des fans. Conclusion L’idée voulant que l’on puisse facilement taxer les riches en toute impunité est erronée. Puisque la majorité de leur fortune est investie dans des firmes, l’impôt sur la richesse pourrait excéder leurs revenus. Au fur et à mesure qu’ils agissent pour limiter leur exposition à cet impôt, ce qui peut inclure leur exode, les taxes perçues auprès d’eux de façon directe ou en lien avec leurs investissements créateurs d’emplois commencent à se faire plus rares. Ce sont les contribuables moins fortunés qui doivent alors assumer un fardeau plus lourd. L’expérience indique que l’impôt sur la richesse génère peu de recettes fiscales malgré un coût élevé d’administration et de collection, ce qui les rend aussi inefficaces que contre-productives pour réduire les inégalités. Conséquemment, elles ont été abandonnées ou diluées de façon importante par la plupart des pays qui les ont implantées. Nous devrions apprendre de leur expérience plutôt que d’en souffrir nous-mêmes. Finalement, en ciblant les riches aujourd’hui, on détériorerait les conditions qui permettent aux jeunes entrepreneurs d’atteindre de nouveaux sommets dans l’avenir. Et comme les plus mobiles parmi les riches quittent, les critères d’admissibilité à ce groupe sélect ne cessent de baisser, nous rapprochant tous de celui-ci. — Sur le web * Concernant le volet théorique des motivations et incitations du gouvernement comme acteur politique, voir l’ouvrage de Brennan et Buchanan, The Power to Tax: Analytical Foundations of a Fiscal Constitution, Cambridge University Press, 1980. ↩ * Bureau du directeur parlementaire du budget, « Impôt sur le patrimoine net pour les familles économiques résidant au Canada », 8 juillet 2020. ↩ * Matthew Lavietes, « Tax us: Abigail Disney among 83 world’s super-rich calling for wealth tax to fund COVID-19 relief », The Globe and Mail, 13 juillet 2020. ↩ * Institut Broadbent, « The Case for a Wealth Tax in Canada », 18 juin 2020. ↩ * Charles Lammam, Towards a Better Understanding of Income Inequality in Canada, Institut Fraser, 30 novembre 2017. ↩ * OCDE, « The Role and Design of Net Wealth Taxes in the OECD », 2018, p. 64. ↩ * Ibid., p. 16. ↩ * Une concurrence entre les régions d’un même pays est susceptible d’amoindrir l’assiette fiscale des régions qui maintiennent une taxe sur la richesse. ↩ * Marcus Drometer et al., « Wealth and Inheritance Taxation: An Overview and Country Comparison Â», Ifo Dice Report 16, no 2, 2018, p. 49. ↩ * La seule exception serait les taxes sur la richesse visant l’immobilier qui sont probablement les seules taxes sur la richesse efficientes, mais qui devraient demeurer sous la gouverne des autorités locales. ↩ * OCDE, op. cit., note 6, p. 18. ↩ * Corentin Droz-Georget, « Ce que l’ISF a fait perdre à la France », IFRAP, 2019 Coe-Rexecode, « Les conséquences économiques des expatriations dues aux écarts de fiscalité entre la France et les autres pays », 2017, p. 53-60. ↩ * Charles Lammam, op. cit., note 5, p. 131. ↩ * Aux États-Unis, seulement 15 % du 1 % a hérité de sa fortune alors que 85 % ont fait leur propre fortune. Chris Edwards, « Taxing wealth and Capital Income », Cato Institute, Tax and Budget Bulletin no 85, 1er août 2019; Edward N. Wolff et Maury Gittleman, « Inheritances and the Distributions of Wealth or Whatever Happened to the Great Inheritance Boom ? », Bureau of Labor Statistics, Working Paper no 445, janvier 2011, Tableau 8, p. 50. ↩ * À titre de comparaison, il fallait gagner 236 000 dollars en 2017 afin d’appartenir au 1 % canadien (selon Statistiques Canada, Tableau 11-10-0055-01 : Les déclarants à revenu élevé, au Canada, 2019). ↩ * Le seuil français était à seulement 790 000 euros. La Tribune, « Fillon met fin au bouclier fiscal et rabote l’ISF », 3 mars 2011. ↩ Ces articles pourraient vous intéresser: Spolier les riches de 10 % de leur patrimoine : la solution de l’État ? Combien de taxes en France ? Augmenter l’impôt sur le revenu, ce n’est pas de la justice fiscale ! Chômage et solidarité : le macronisme pris d’une crise de hollandisme ?
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Rimbaud et Verlaine au Panthéon : paradoxal et réducteur

Par Nathalie MP Meyer. Faire entrer Rimbaud et Verlaine «�ensemble Â» au Panthéon eu égard à leurs génies poétiques respectifs d’une part et à leur relation homosexuelle d’autre part – au départ, cette idée fut lancée sur le ton de la blague par un trio de rimbaldiens désespérés de découvrir le manque de charme de la sépulture de leur héros à Charleville-Mézières. Comment l’imaginer moisir éternellement dans le sinistre cimetière d’une ville qu’il jugeait « supérieurement idiote entre les petites villes de province Â» ? Sans trop y croire, le trio constitué de l’éditeur Jean-Luc Barré, qui préparait une réédition de la biographie de Rimbaud écrite par Jean-Jacques Lefrère, du journaliste Frédéric Martel, qui avait accepté d’en écrire la préface et de l’écrivain Nicolas Idier, plume actuelle de Jean Castex, se promet d’obtenir un jour le transfert des cendres du poète au Panthéon et d’inclure Verlaine dans cette opération qui consacrerait ainsi en même temps l’univers poétique et la lutte contre l’homophobie. Mais peu à peu, la blague s’infiltre dans le monde des arts et des lettres ainsi que chez les anciens ministres de la Culture. Elle séduit tellement les milieux culturels, les associations de lutte contre l’homophobie, le critique littéraire Angelo Rinaldi et l’ex-maire de Paris Bertrand Delanoë que mercredi 9 septembre dernier, elle est devenue pétition officielle au Président de la République et n’a eu aucun mal à conquérir le cÅ“ur tendre et enthousiaste de Roselyne Bachelot ! Il faut dire que notre nouvelle ministre de la Culture adore Rimbaud. Il lui arrive même d’entrer en Conseil des ministres avec les premiers vers du Bateau ivre sur les lèvres ! a-t-elle révélé récemment pour expliquer les raisons de son soutien à la pétition, humour involontaire (ou pas) en prime. Mais elle pourrait tout aussi bien réciter du Verlaine ; il suffit de demander. Et surtout : « L’histoire d’amour insensée entre Rimbaud et Verlaine reflète tous les engagements que j’ai pris dans ma carrière politique contre toutes les formes de discrimination. Â» (Le Point, 9 septembre 2020) De bien douces paroles aux oreilles de tous ceux qui ont mis leur point d’honneur à débusquer partout avec la dernière intransigeance toutes les formes possibles de discrimination. Colbert déboulonné, mais Rimbaud au Panthéon ? Prenez Louis-Georges Tin par exemple. En tant que fondateur de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, il a signé la pétition. Et l’an dernier, en tant que Président d’honneur du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), il n’a pas hésité une seconde à s’associer à l’UNEF pour empêcher par la force la représentation de la pièce d’Eschyle Les Suppliantes à la Sorbonne au motif que les masques cuivrés des acteurs, tel le « blackface Â» en vogue dans les milieux ségrégationnistes américains, n’étaient rien d’autre que de la « propagande afrophobe, colonialiste et raciste Â» en bonne et due forme ! Colonialisme ? Parlons-en ! Que faisait Arthur Rimbaud à Harar ou à Aden si ce n’est exploiter les possibilités offertes par l’esprit colonial qui imprégnait son époque et qui le conduira même à se livrer un temps au commerce – certains disent trafic – d’armes ? Si l’on devait suivre le raisonnement quelque peu anachronique de tous les déboulonneurs de statues, dont notamment Georges-Louis Tin qui appelait il n’y a pas si longtemps à supprimer de l’espace public toutes les références à Colbert, coupable d’avoir été l’instigateur du Code noir, il faudrait bien évidemment faire une impasse définitive sur l’idée de panthéoniser Rimbaud. Mais M. Tin a signé la pétition, faisant de son côté l’impasse sur des faiblesses petites ou grandes qui révulsent d’habitude les purs de l’antiracisme et de l’anti-machisme. À ses yeux, l’homosexualité (et la poésie, naturellement) aurait-elle le don de gommer ponctuellement tout le reste au gré de ses combats ? Il est cependant assez amusant de penser que l’entrée de Rimbaud et Verlaine au Panthéon constituerait d’une certaine façon « un Non définitif au déboulonnage des statues et au retranchement des plaques d’hommage », comme le dit Frédéric Martel, l’un des trois instigateurs de la pétition, dans un texte où il avance ses arguments en faveur du projet : « Aucune des figures qui reposent au Panthéon n’est un Saint ou un surhomme. Tous ont commis des fautes, des excès, des erreurs. Certains ont été colonialistes ; d’autres ont participé à des guerres injustes ; André Malraux a participé au pillage de certaines Å“uvres, et ainsi de suite… » Des fautes, des excès, des erreurs ? De ce côté-là, avec Verlaine et Rimbaud, nous sommes servis ! Alcool, drogue, armes, violence Le premier, perpétuellement sous l’emprise de l’absinthe, battait sa femme Mathilde et rudoyait férocement leur bébé. Quant à la relation homosexuelle qu’il a entretenue avec Rimbaud, 17 ans à l’époque, loin d’être idyllique, elle a tout d’Une saison en Enfer. Émaillée de violences alcoolisées, elle s’achève définitivement dix-huit mois plus tard, le 10 juillet 1873, par deux coups de revolver tirés par Verlaine dont l’un atteint Rimbaud au bras. Ce dernier venait d’annoncer à son amant qu’il allait le quitter. Pour le biographe de Rimbaud Jean-Jacques Lefrère que j’évoquais plus haut : « Cette aventure serait purement sordide si elle n’était pas celle de deux poètes de génie. Â» Qu’en pensent les féministes ? Qu’en pensent les contempteurs inlassables des violences conjugales ? Qu’en pensent les avocats inlassables de la reconnaissance du matrimoine ? Et qu’en pense Emmanuel Macron, qui a fait de l’égalité entre les hommes et les femmes la grande cause de son quinquennat et à qui revient seul, en tant que Président de la République, de décider qui entre ou pas au Panthéon ? Si le seul critère officiel d’admission se limite à la mention « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante Â» qui figure au fronton du monument, il existe cependant des critères implicites forgés au fil du temps. Pour Les Décodeurs du Monde qui se sont livrés à une petite enquête à l’époque du transfert des cendres de Simone Veil en 2018 : « On attend une personnalité exemplaire, qui incarne les idéaux de la République, et dont le combat fait écho aux valeurs du chef de l’État. Â» C’est peu dire que nos deux candidats sont assez loin de cette sage description. C’est peu dire d’ailleurs qu’ils n’ont jamais eu ni l’un ni l’autre la moindre ambition d’être exemplaires et fondus dans les canons d’une bienséance républicaine empesée. De plus, Rimbaud n’a jamais ménagé ses piques contre la France jusqu’à juger Musset « exécrable Â» tant tout, dans son oeuvre, était « français, c’est-à-dire haïssable au suprême degré Â» ! Quant à Verlaine, les promoteurs de la pétition ne trouvent à le rattacher à la République que par le biais des « sanglots longs des violons de l’automne Â» utilisés ultérieurement par les résistants français pour annoncer en code l’imminence du débarquement de Normandie. Un peu tiré par les cheveux comme argument. Réduire Rimbaud et Verlaine à leur homosexualité ? Plus fondamentalement, il me semble que lier à tout prix Rimbaud et Verlaine pour en faire « deux symboles de la diversité Â» qui « durent endurer l’homophobie implacable de leur époque Â» (comme l’écrit la pétition) revient à effacer les poètes sublimes qu’ils furent l’un et l’autre pour ne plus voir en eux – qui n’ont rien demandé de tel – qu’un argument contre l’homophobie par récupération opportune d’une courte liaison terminée avec fracas dont on voit mal en quoi la nation leur devrait reconnaissance. C’est aussi une façon d’ouvrir le Panthéon à une sorte de concurrence victimaire où l’on ne distingue plus les individus et ce qu’ils réalisent de grand par eux-mêmes mais seulement des appartenances communautaires réductrices. Quant aux grands poètes, romanciers et dramaturges de notre vaste littérature, la plus belle reconnaissance ne serait-elle pas plutôt de les éditer et rééditer, de les lire et les réciter, de les jouer sur toutes les planches, de les étudier, les traduire et les faire connaître le plus largement possible ? En attendant, quelle que soit l’issue de la pétition publiée mercredi dernier, elle n’est pas perdue pour ses auteurs car elle est tombée à pic pour accompagner dès le lendemain la sortie de l’Arthur Rimbaud de Jean-Jacques Lefrère réédité par Jean-Luc Barré et préfacé par Frédéric Martel, comme je l’indiquais plus haut : #LeSaviezVous Arthur #Rimbaud a écrit toute son Å“uvre, l’une des plus belles de notre langue, entre seize et vingt ans. Véritable ouvrage de référence, sa biographie par Jean-Jacques Lefrère paraît aujourd’hui chez #Bouquins. https://t.co/nugkLUqET2 pic.twitter.com/jy61OznntW — @ColBouquins (@ColBouquins) September 10, 2020 De là à n’y voir qu’un instrument efficace de buzz et de controverse médiatique à but promotionnel en cette rentrée littéraire… En tout cas soyons rassurés : comme il l’a confié à l’hebdomadaire Le Point, Frédéric Martel « ne (va) pas faire de grève de la faim si Macron refuse ; tout cela est aussi un jeu. Â» On se disait aussi… Et de toute façon, aux dernières nouvelles, la famille de Rimbaud s’oppose au projet. — Sur le web Ces articles pourraient vous intéresser: La cancel culture envahit le lycée : on évince des auteurs La « cancel culture » ou comment lyncher sans réfléchir sur les réseaux sociaux Cancel culture, une mise hors-la-loi moderne Cancel culture : des intellectuels progressistes se rebiffent
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