Par Nathalie MP Meyer.
Faire entrer Rimbaud et Verlaine «ensemble » au Panthéon eu égard à leurs génies poétiques respectifs dâ™une part et à leur relation homosexuelle dâ™autre part â“ au départ, cette idée fut lancée sur le ton de la blague par un trio de rimbaldiens désespérés de découvrir le manque de charme de la sépulture de leur héros à Charleville-Mézières.
Comment lâ™imaginer moisir éternellement dans le sinistre cimetière dâ™une ville quâ™il jugeait « supérieurement idiote entre les petites villes de province » ?
Sans trop y croire, le trio constitué de lâ™Ã©diteur Jean-Luc Barré, qui préparait une réédition de la biographie de Rimbaud écrite par Jean-Jacques Lefrère, du journaliste Frédéric Martel, qui avait accepté dâ™en écrire la préface et de lâ™Ã©crivain Nicolas Idier, plume actuelle de Jean Castex, se promet dâ™obtenir un jour le transfert des cendres du poète au Panthéon et dâ™inclure Verlaine dans cette opération qui consacrerait ainsi en même temps lâ™univers poétique et la lutte contre lâ™homophobie.
Mais peu à peu, la blague sâ™infiltre dans le monde des arts et des lettres ainsi que chez les anciens ministres de la Culture. Elle séduit tellement les milieux culturels, les associations de lutte contre lâ™homophobie, le critique littéraire Angelo Rinaldi et lâ™ex-maire de Paris Bertrand Delanoë que mercredi 9 septembre dernier, elle est devenue pétition officielle au Président de la République et nâ™a eu aucun mal à conquérir le cÅ“ur tendre et enthousiaste de Roselyne Bachelot !
Il faut dire que notre nouvelle ministre de la Culture adore Rimbaud. Il lui arrive même dâ™entrer en Conseil des ministres avec les premiers vers du Bateau ivre sur les lèvres ! a-t-elle révélé récemment pour expliquer les raisons de son soutien à la pétition, humour involontaire (ou pas) en prime. Mais elle pourrait tout aussi bien réciter du Verlaine ; il suffit de demander.
Et surtout :
« Lâ™histoire dâ™amour insensée entre Rimbaud et Verlaine reflète tous les engagements que jâ™ai pris dans ma carrière politique contre toutes les formes de discrimination. » (Le Point, 9 septembre 2020)
De bien douces paroles aux oreilles de tous ceux qui ont mis leur point dâ™honneur à débusquer partout avec la dernière intransigeance toutes les formes possibles de discrimination. Colbert déboulonné, mais Rimbaud au Panthéon ?
Prenez Louis-Georges Tin par exemple. En tant que fondateur de la Journée mondiale contre lâ™homophobie et la transphobie, il a signé la pétition.
Et lâ™an dernier, en tant que Président dâ™honneur du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), il nâ™a pas hésité une seconde à sâ™associer à lâ™UNEF pour empêcher par la force la représentation de la pièce dâ™Eschyle Les Suppliantes à la Sorbonne au motif que les masques cuivrés des acteurs, tel le « blackface » en vogue dans les milieux ségrégationnistes américains, nâ™Ã©taient rien dâ™autre que de la « propagande afrophobe, colonialiste et raciste » en bonne et due forme !
Colonialisme ? Parlons-en ! Que faisait Arthur Rimbaud à Harar ou à Aden si ce nâ™est exploiter les possibilités offertes par lâ™esprit colonial qui imprégnait son époque et qui le conduira même à se livrer un temps au commerce â“ certains disent trafic â“ dâ™armes ?
Si lâ™on devait suivre le raisonnement quelque peu anachronique de tous les déboulonneurs de statues, dont notamment Georges-Louis Tin qui appelait il nâ™y a pas si longtemps à supprimer de lâ™espace public toutes les références à Colbert, coupable dâ™avoir été lâ™instigateur du Code noir, il faudrait bien évidemment faire une impasse définitive sur lâ™idée de panthéoniser Rimbaud.
Mais M. Tin a signé la pétition, faisant de son côté lâ™impasse sur des faiblesses petites ou grandes qui révulsent dâ™habitude les purs de lâ™antiracisme et de lâ™anti-machisme. à ses yeux, lâ™homosexualité (et la poésie, naturellement) aurait-elle le don de gommer ponctuellement tout le reste au gré de ses combats ?
Il est cependant assez amusant de penser que lâ™entrée de Rimbaud et Verlaine au Panthéon constituerait dâ™une certaine façon « un Non définitif au déboulonnage des statues et au retranchement des plaques dâ™hommage », comme le dit Frédéric Martel, lâ™un des trois instigateurs de la pétition, dans un texte où il avance ses arguments en faveur du projet :
« Aucune des figures qui reposent au Panthéon nâ™est un Saint ou un surhomme. Tous ont commis des fautes, des excès, des erreurs. Certains ont été colonialistes ; dâ™autres ont participé à des guerres injustes ; André Malraux a participé au pillage de certaines Å“uvres, et ainsi de suite⦠»
Des fautes, des excès, des erreurs ? De ce côté-là , avec Verlaine et Rimbaud, nous sommes servis ! Alcool, drogue, armes, violence
Le premier, perpétuellement sous lâ™emprise de lâ™absinthe, battait sa femme Mathilde et rudoyait férocement leur bébé. Quant à la relation homosexuelle quâ™il a entretenue avec Rimbaud, 17 ans à lâ™Ã©poque, loin dâ™Ãªtre idyllique, elle a tout dâ™Une saison en Enfer. Émaillée de violences alcoolisées, elle sâ™achève définitivement dix-huit mois plus tard, le 10 juillet 1873, par deux coups de revolver tirés par Verlaine dont lâ™un atteint Rimbaud au bras. Ce dernier venait dâ™annoncer à son amant quâ™il allait le quitter.
Pour le biographe de Rimbaud Jean-Jacques Lefrère que jâ™Ã©voquais plus haut :
« Cette aventure serait purement sordide si elle nâ™Ã©tait pas celle de deux poètes de génie. »
Quâ™en pensent les féministes ? Quâ™en pensent les contempteurs inlassables des violences conjugales ? Quâ™en pensent les avocats inlassables de la reconnaissance du matrimoine ? Et quâ™en pense Emmanuel Macron, qui a fait de lâ™Ã©galité entre les hommes et les femmes la grande cause de son quinquennat et à qui revient seul, en tant que Président de la République, de décider qui entre ou pas au Panthéon ?
Si le seul critère officiel dâ™admission se limite à la mention « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante » qui figure au fronton du monument, il existe cependant des critères implicites forgés au fil du temps. Pour Les Décodeurs du Monde qui se sont livrés à une petite enquête à lâ™Ã©poque du transfert des cendres de Simone Veil en 2018 :
« On attend une personnalité exemplaire, qui incarne les idéaux de la République, et dont le combat fait écho aux valeurs du chef de lâ™Ã‰tat. »
Câ™est peu dire que nos deux candidats sont assez loin de cette sage description. Câ™est peu dire dâ™ailleurs quâ™ils nâ™ont jamais eu ni lâ™un ni lâ™autre la moindre ambition dâ™Ãªtre exemplaires et fondus dans les canons dâ™une bienséance républicaine empesée.
De plus, Rimbaud nâ™a jamais ménagé ses piques contre la France jusquâ™Ã juger Musset « exécrable » tant tout, dans son oeuvre, était « français, câ™est-à -dire haïssable au suprême degré » !
Quant à Verlaine, les promoteurs de la pétition ne trouvent à le rattacher à la République que par le biais des « sanglots longs des violons de lâ™automne » utilisés ultérieurement par les résistants français pour annoncer en code lâ™imminence du débarquement de Normandie. Un peu tiré par les cheveux comme argument. Réduire Rimbaud et Verlaine à leur homosexualité ?
Plus fondamentalement, il me semble que lier à tout prix Rimbaud et Verlaine pour en faire « deux symboles de la diversité » qui « durent endurer lâ™homophobie implacable de leur époque » (comme lâ™Ã©crit la pétition) revient à effacer les poètes sublimes quâ™ils furent lâ™un et lâ™autre pour ne plus voir en eux â“ qui nâ™ont rien demandé de tel â“ quâ™un argument contre lâ™homophobie par récupération opportune dâ™une courte liaison terminée avec fracas dont on voit mal en quoi la nation leur devrait reconnaissance.
Câ™est aussi une façon dâ™ouvrir le Panthéon à une sorte de concurrence victimaire où lâ™on ne distingue plus les individus et ce quâ™ils réalisent de grand par eux-mêmes mais seulement des appartenances communautaires réductrices.
Quant aux grands poètes, romanciers et dramaturges de notre vaste littérature, la plus belle reconnaissance ne serait-elle pas plutôt de les éditer et rééditer, de les lire et les réciter, de les jouer sur toutes les planches, de les étudier, les traduire et les faire connaître le plus largement possible ?
En attendant, quelle que soit lâ™issue de la pétition publiée mercredi dernier, elle nâ™est pas perdue pour ses auteurs car elle est tombée à pic pour accompagner dès le lendemain la sortie de lâ™Arthur Rimbaud de Jean-Jacques Lefrère réédité par Jean-Luc Barré et préfacé par Frédéric Martel, comme je lâ™indiquais plus haut :
#LeSaviezVous Arthur #Rimbaud a écrit toute son Å“uvre, lâ™une des plus belles de notre langue, entre seize et vingt ans. Véritable ouvrage de référence, sa biographie par Jean-Jacques Lefrère paraît aujourdâ™hui chez #Bouquins. https://t.co/nugkLUqET2 pic.twitter.com/jy61OznntW
â” @ColBouquins (@ColBouquins) September 10, 2020
De là à nâ™y voir quâ™un instrument efficace de buzz et de controverse médiatique à but promotionnel en cette rentrée littéraireâ¦
En tout cas soyons rassurés : comme il lâ™a confié à lâ™hebdomadaire Le Point, Frédéric Martel « ne (va) pas faire de grève de la faim si Macron refuse ; tout cela est aussi un jeu. »
On se disait aussi⦠Et de toute façon, aux dernières nouvelles, la famille de Rimbaud sâ™oppose au projet.
â”
Sur le web
Ces articles pourraient vous intéresser: La cancel culture envahit le lycée : on évince des auteurs La « cancel culture » ou comment lyncher sans réfléchir sur les réseaux sociaux Cancel culture, une mise hors-la-loi moderne Cancel culture : des intellectuels progressistes se rebiffent
http://dlvr.it/RgYRt7
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Dites ce qui vous chante...
Mais dites-le !