lundi 17 août 2020

Eugénie, impératrice des Français : un double anniversaire un peu oublié

Eugénie peinte par Franz Xaver Winterhalter en 1857, Hillwood Museum — CC-PD-Mark Par Gérard-Michel Thermeau. En dehors de la ville de Biarritz, qui ne s’est pas montrée ingrate à l’égard de celle à qui elle doit beaucoup, le centenaire de la mort de l’impératrice Eugénie n’a guère mobilisé l’attention. Pourtant l’année 2020 ne marque pas seulement les 100 ans de sa disparition. Il y a 150 ans, pour la dernière fois de son histoire à ce jour, la France était dirigée par une femme. Eugénie, Espagnole devenue Française Il est curieux que les féministes n’aient guère fait entendre leur voix. Pourtant la dernière impératrice des Français a contribué à la cause des femmes. Autant son rôle très traditionnel de bienfaitrice dans le domaine social, que ces messieurs abandonnaient volontiers aux dames, est souvent rappelé, autant son féminisme suscite moins de publicité. Sa personnalité reste méconnue. D’ailleurs, la notice sur Wikipédia semble avoir été rédigée par un commissaire-priseur qui ne nous épargne aucun diadème ni aucun meuble. Maria Eugenia de Guzman (Grenade, 5 mai 1826 – Madrid, 11 juillet 1920), comtesse de Teba fut, pour les Français, Eugénie de Montijo. Fille d’un aristocrate espagnol francophile, elle devait à la famille de sa mère d’origine écossaise, des cheveux d’un blond tirant sur le roux. Elle parlait très bien le français mais conserva toujours un léger accent. Napoléon III avait très habilement justifié son choix�: « J’ai préféré une femme que j’aime et que je respecte à une femme inconnue dont l’alliance eût eu des avantages mêlés de sacrifices. Â» Pleine de tout ce qu’il y a de creux ? L’impératrice Eugénie par Franz Xaver Winterhalter — CC-PD-Mark Bien sûr, l’image d’Eugénie n’est peut-être pas celle d’une féministe telle que l’entendent certaines personnes aujourd’hui. Cette très belle femme, magnifiée par Winterhalter, a été présentée comme frivole, dépensière et légère. Les Goncourt, méchants à leur habitude, la voyaient « pleine de tout ce qu’il y a de creux Â». Elle devait être d’ailleurs selon le désir de son impérial époux « le plus bel ornement du trône Â». Elle eut ainsi droit à des surnoms peu aimables, « Falbala 1ère », la « Fée Chiffon » ou « Badinguette ». Dans sa haine à l’égard de Napoléon III, Victor Hugo l’a même traité de « cocotte ». Elle a régné sur la dernière cour qu’ait connue la France. Étrangère d’origine, elle a subi les habituelles critiques adressées aux épouses des monarques. Elle fut « l’Espagnole » comme Marie-Antoinette avait été « l’Autrichienne ». Elle ne  fut ainsi jamais populaire. Dans les opérettes d’Offenbach, les Espagnols sont la cible de plaisanteries diverses. Ne chante-t-on pas dans La Périchole : « Il grandira car il est Espagnol Â» ? Tandis que Les Brigands ridiculisent un ambassadeur espagnol venant de Grenade qui affirme : « Nous sommes de vrais Espagnols Â». Eugénie, qui n’avait guère le sens de l’humour, devait rayer le nom du compositeur de la promotion de la légion d’honneur à l’été 1870. L’influence d’Eugénie Mais derrière l’imagerie Marie-Antoinette à la sauce Sofia Coppola, la figure d’Eugénie se révèle plus complexe et intéressante que cette avalanche de clichés. Elle fut tout sauf l’idiote assurément que bien des contemporains voyaient en elle. Cette bonne catholique conservatrice, mais non bigote, a eu des prises de position surprenantes pour ceux qui aiment bien ranger les gens dans de petites cases. Nous la voyons plaider la cause de Baudelaire dont les Fleurs du mal subissent les foudres de la censure. N’a-t-elle pas été aussi une dreyfusarde convaincue ? Il est vrai qu’elle vivait alors à l’étranger où l’innocence de Dreyfus a toujours paru évidente. Son influence, en tout cas, a été loin d’être négligeable. Son féminisme se manifeste très concrètement par de nombreux actes et prises de position. Elle est intervenue en faveur de Julie Daubié, première diplômée du baccalauréat. Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique, favorable à l’accès des filles à l’enseignement secondaire et supérieur, bénéficia de son appui. Eugénie a soutenu l’inscription de Madeleine Brès à la faculté de médecine. Grâce à elle, Rosa Bonheur fut la première artiste à recevoir la légion d’honneur. L’impératrice aurait souhaiter voir George Sand entrer à l’Académie française. Elle devait, enfin, sur ses vieux jours, vivant en exil en Angleterre, soutenir le mouvement des suffragettes. Trois fois régente On le sait, les monarchies sont plus féministes que les républiques. Même en France, où les femmes étaient écartées du trône au prétexte d’une prétendue « loi salique Â», elles ont gouverné le pays à plusieurs reprises. Ne pouvant être « rois Â», elles ont du moins été régentes ou mères influentes ou sinon favorites. Blanche de Castille, Catherine et Marie de Médicis, Anne d’Autriche, la marquise de Pompadour ont ainsi joué un rôle politique de premier plan dans l’histoire de notre pays. Eugénie a été la dernière de cette liste. N’écrivait-elle pas le 22 janvier 1853 : « Je tremble… de paraître moins dans l’histoire que Blanche de Castille et Anne d’Autriche ». Toutes deux étaient espagnoles d’origine et toutes deux avaient gouverné la France. Son bilan politique a été fortement critiqué, sans doute à juste raison. Qui a dit que les femmes de pouvoir devaient être moins incompétentes que les hommes de pouvoir ? Elle a exercé la régence à trois reprises. Elle ne se faisait pourtant guère d’illusion sur ses capacités : « Je n’ai jamais été et ne serai probablement jamais une femme politique Â». Une autre féministe méconnue, la reine Victoria, devait l’inciter à s’initier à la politique. Elle eut parfois de bonnes formules : « Libérateur de peuples c’est un métier de sot Â». Elle se souvenait de ses débuts avec Napoléon : « Nous rêvions de travailler au bonheur des peuples et d’améliorer le sort des ouvriers. Â» Eugénie en politique Devenue mère, elle eut le souci de se former à la politique pour préparer l’avènement de son fils. Elle prit l’habitude de lire les dépêches diplomatiques. En mai 1859, partant pour l’Italie où la France soutient le Piémont contre l’Autriche, l’empereur lui confie une première fois la régence. Sa capacité à présider le conseil des ministres convainquit Napoléon III de la laisser y assister après son retour. En juin 1865, à l’occasion du voyage impérial en Algérie, elle se voit de nouveau confier les rênes du pouvoir. Les problèmes de santé de l’empereur laissaient envisager la perspective d’une longue régence. Sa troisième régence, dès le départ de Napoléon III pour Metz le 26 juillet 1870, sera la plus active et contribuera à la chute du régime. À chaque fois, elle s’est montrée appliquée, sérieuse et assidue. Si elle a joué un rôle malheureux dans l’expédition au Mexique, elle tenta en vain de convaincre Napoléon III de mobiliser sur le Rhin au lendemain de Sadowa. Trochu voyait en elle une Romaine des temps antiques. Après la chute d’Émile Ollivier, elle confia le gouvernement au général comte de Palikao. Elle devait contribuer au désastre de Sedan en pressant Mac-Mahon de secourir Bazaine. Les dernières années d’Eugénie La chute de l’Empire rapprocha les deux époux. Prévoyante, Eugénie avait transféré plusieurs millions à l’étranger à la veille du 4 septembre. Vendant ses bijoux et ses propriétés espagnoles, elle permit au couple de vivre dans l’aisance dans son exil anglais. Ayant perdu successivement son mari puis son fils, le prince impérial tué par les Zoulous sous l’uniforme anglais, elle fut cette dame en noir se partageant entre l’Angleterre et la Côte d’Azur. Sa très longue existence lui permettra d’assister à la « Revanche Â» et au retour des « provinces perdues Â» à la fin de la Grande Guerre. Envoyant à Clemenceau une lettre qu’elle avait reçue de Guillaume Ier en 1870, elle contribuera à convaincre le président Wilson du bien-fondé des demandes françaises. Le roi de Prusse y affirmait que l’annexion de l’Alsace et de la Moselle s’expliquait par le souci de se protéger d’une éventuelle agression française et non par le désir d’agrandir « une patrie dont le territoire est assez grand Â». Elle repose aujourd’hui auprès de Napoléon III et du prince impérial dans la nécropole impériale de Farnborough.   * Gérard-Michel Thermeau est l’auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier est « Stéphanois d’autrefois Â», Actes Graphiques, février 2020, disponible sur Amazon. What do you want to do ? New mailCopy What do you want to do ? New mailCopy Ces articles pourraient vous intéresser: Émile Ollivier ou l’échec de l’Empire libéral Guerre de 1870 : une défaite inéluctable ? La chute de la maison Traoré La guerre de 1870, il y a 150 ans : une guerre oubliée
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Civaux : un cocorico nucléaire ne fait pas de mal…

Par Michel Gay. Le réacteur n° 1 de la centrale nucléaire de Civaux qui en compte deux près de Poitiers a acquis récemment une notoriété mondiale dans le milieu des spécialistes en atteignant la deuxième marche du podium international pour la production électrique en 2019, selon le classement de la World nuclear association paru en juillet 2020. Civaux si puissant�! En 2019, le réacteur n°1 de Civaux a produit 11,6 térawattheures (TWh). Il n’a été dépassé que par les 12 TWh de l’EPR chinois de Taishan 1 (construit avec l’aide de Français) avec ses 1660 mégawatts (MW) de puissance installée. Ce dernier est le plus puissant au monde depuis sa mise en service en 2018, devant ceux de Civaux (1495 MW). Le réacteur n°1 de Civaux a produit à lui seul autant d’électricité en 2019 que l’ensemble des panneaux photovoltaïques installés en France (11,6 TWh)… ou que le tiers du parc éolien (34,6 TWh). Mais avec une différence colossale : cette énergie a été produite selon les besoins, hors périodes programmées de maintenance et rechargement de combustible, et non de façon chaotique. « Accessoirement Â», la France est aussi régulièrement le plus grand exportateur net d’électricité au monde (première marche du podium) grâce à son faible coût de production (ce qui rapporte 2 à 3 milliards d’euros par an), et 17 % de son électricité est produite à partir de combustible nucléaire recyclé. Nucléaire mondial en progression Globalement, le nucléaire progresse dans le monde. Il n’y a bien que la France pour se tirer une balle dans le pied en voulant saborder son magnifique parc nucléaire envié par les grands pays dont la Chine pour réduire à seulement 50 % sa production d’électricité, au lieu de 75 % actuellement. Et certains écologistes voudraient même imiter leur maitre à penser antinucléaire en singeant « l’exemple Â» de l’Allemagne qui, elle, s’est tirée une balle dans le genou en votant la destruction totale de ses centrales nucléaires et en voulant entrainer l’Europe à sa suite ! Au milieu de cette désolante situation due à la cécité volontaire des hommes politiques au pouvoir depuis plusieurs années, un petit cocorico nucléaire ne fait pas de mal au moral…   Ces articles pourraient vous intéresser: Le paradoxe des antinucléaires Coronavirus : seul le nucléaire peut assurer notre approvisionnement énergétique Le nucléaire est un devoir moral Nouveau nucléaire français : le véritable futur coût de production
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Frédéric Bastiat, ce visionnaire

Par Erwan Queinnec. À l’instar d’Alexis de Tocqueville, son contemporain Frédéric Bastiat présente toutes les qualités du visionnaire parce qu’il joint à l’intuition pénétrante de son temps une analyse socio-économique très sûre, dont la permanence fonde la substance proprement scientifique. Les lignes qui suivent résument un texte extraordinaire, intitulé « Justice et fraternité », publié dans Le Journal des Économistes le 15 juin 1848, texte au sein duquel Bastiat oppose la conception libérale de la loi et du gouvernement à celle, constructiviste, de ses adversaires socialistes, Louis Blanc en tête1. Le propos ne se veut pas « futuriste » : il est visionnaire en ce que les maux qu’il décrit et anticipe sont ceux de la France, voire du monde d’aujourd’hui, les mêmes principes conduisant aux mêmes effets. Une leçon pour la France contemporaine Certains des termes employés dans l’article sont anachroniques�; on appellerait aujourd’hui « libéraux Â» (ou libéralisme) ce (et ceux) que Bastiat appelle « Ã©conomistes Â» (ou « Ã©conomie politique Â»), même si ce dernier terme demeure riche de signification. De même, la « solidarité Â» se substitue aujourd’hui à la « fraternité Â», sans en changer la nature. Ces correspondances en tête, lisons-le. Je mets en italiques les formules et passages qui anticipent les caractéristiques de la France contemporaine. Je structure aussi le propos en thèmes relativement homogènes (les titres ne sont pas dans le texte d’origine). * Le rôle de la loi : « Je crois que ce qui […] sépare radicalement (libéraux et socialistes), c’est ceci : l’économie politique conclut à ne demander à la loi que la Justice universelle. Le socialisme, dans ses branches diverses, et par des applications dont le nombre est naturellement indéfini, demande de plus à la loi la réalisation du dogme de la Fraternité. […] Partant de (ce) que la société est l’œuvre de l’homme, l’œuvre de la loi, les socialistes doivent en induire que rien n’existe dans la société, qui n’ait été ordonné et arrangé d’avance par le législateur2. […] Quant à moi, au nom de la science, je proteste de toutes mes forces contre cette interprétation misérable, selon laquelle, parce que nous reconnaissons à la loi une limite, on nous accuse de nier tout ce qui est au-delà de cette limite3. Ah, qu’on veuille le croire, nous aussi nous saluons avec transport le mot fraternité […]. Nous voulons bien admettre que ces nombreux publicistes qui, de nos jours, veulent étouffer dans le cÅ“ur de l’homme jusqu’au sentiment de l’intérêt, qui se montrent si impitoyables envers ce qu’ils appellent l’individualisme […], nous voulons bien admettre qu’ils obéissent exclusivement à ces sublimes mobiles […]. Chacun de ces Décius a un plan qui doit réaliser le bonheur de l’humanité, et tous ont l’air de dire que si nous les combattons, c’est parce que nous craignons ou pour notre fortune, ou pour d’autres avantages sociaux Â». Bastiat défend ensuite l’auto-organisation de la société (née de la liberté), la nécessité d’un impôt simple et juste (« plus de cette fiscalité tenace, de cette bureaucratie dévorante qui sont la mousse et la vermine du corps social ») et la salubrité d’un État minimal. Sur ce dernier point, il poursuit : « il est des personnes qui penseront que, sous un régime aussi simple, aussi facilement réalisable, la société serait bien morne et bien triste. Que deviendrait la grande politique ? À quoi serviraient les hommes d’État ? […]. Mais est-ce que […] cela retrancherait quelque chose à l’initiative des citoyens ? […]. Ne leur serait-il pas possible […] de former des combinaisons infinies, des associations de toutes natures, religieuses, charitables, industrielles, agricoles, intellectuelles, et même phalanstériennes et icariennes (allusion aux utopies socialistes de l’époque) ? […] ». Ces extraits disent beaucoup de l’appareil d’État français et de la structure du débat public contemporain. Les « applications en nombre indéfini » de la loi renvoient à notre hyperinflation législative, corollaire inévitable d’un interventionnisme public débridé. L’allusion aux « Décius » fait naturellement écho à la moralisation outrancière du débat public, prétendant assimiler le « vrai » au « bien » et par conséquent opposer les « justes » (au double sens de justesse et de justice) à toutes sortes d’obscurantistes animés par la gangue de l’intérêt4. Le dernier paragraphe, enfin, explique à lui seul l’incontinence financière et réglementaire de l’appareil d’État : car enfin, un pays dont l’administration arrêterait de dépenser ne serait-il pas « morne et triste » ? * Les conséquences économiques du socialisme : « Supposons […] qu’au sein (du) peuple l’opinion prévale que la loi ne se bornera plus à imposer la justice ; qu’elle aspirera encore à imposer la fraternité. Qu’arrivera t-il ? […] D’abord une incertitude effroyable, une insécurité mortelle planera sur tous les domaines de l’activité privée ; car la fraternité peut revêtir des milliards de formes inconnues et par conséquent, des milliards de décrets imprévus. Au nom de la fraternité, l’un demandera l’uniformité des salaires, et voilà les classes laborieuses réduites à l’état de castes indiennes […]. Au nom de la fraternité, un autre demandera que le travail soit réduit à dix, à huit, à six, à quatre heures ; et voilà la production arrêtée. Comme il n’y aura plus de pain pour apaiser la faim, de drap pour garantir le froid, un troisième imaginera de remplacer le pain et le drap par du papier-monnaie forcé5. […]. Un quatrième exigera qu’on décrète l’abolition de la concurrence, un cinquième, l’abolition de l’intérêt personnel […]. Sous ce régime, les capitaux ne pourront se former. Ils seront rares, chers, concentrés. Cela veut dire que les salaires baisseront, et que l’inégalité creusera, entre les classes, un abîme de plus en plus profond. Les finances publiques ne tarderont pas d’arriver à un complet désarroi. […]. Le peuple sera écrasé d’impôts, on fera emprunt sur emprunt ; après avoir épuisé le présent, on dévorera l’avenir. Enfin, comme il sera admis en principe que l’État est chargé de faire de la fraternité en faveur des citoyens, on verra le peuple tout entier transformé en solliciteur. Propriété foncière, agriculture, industrie […] tout s’agitera pour demander les faveurs de l’État […] ». Le déclin français expliqué il y a deux siècles Ce passage se passe (presque) de commentaire. Il commence par un diagnostic du déclin français, nourri au sein idéologique de l’égalitarisme (uniformité des salaires) et du malthusianisme (partage du travail, renvoyant à la loi sur les 35 heures). Il en anticipe ensuite les conséquences économiques : raréfaction du capital (pouvant entre autres expliquer qu’au lieu de croître sur la base d’un « capital-développement » domestique, la plupart des start-ups françaises soient rachetées par de grandes entreprises étrangères), stagnation des salaires, incontinence fiscale, impécuniosité publique et aggravation des inégalités (une remarque d’autant plus intéressante que la question des inégalités est aujourd’hui revendiquée par les idéologies anti-libérales). Le propos révèle enfin pourquoi la France se distingue à l’échelle mondiale par la fréquence de ses grèves et manifestations. Lorsqu’une partie substantielle de la population dépend de décisions et subsides publics pour ses conditions d’existence, la culture de la sollicitation en découle immanquablement (le Grand débat consécutif à la crise des Gilets jaunes est-il autre chose qu’une gigantesque sollicitation ?). * Vérité, opinion, éducation : « Certes, il serait à désirer qu’il n’y eût qu’une croyance, une foi, un culte dans le monde, à la condition que ce fût la vraie foi. Mais, quelque désirable que soit l’Unité, la diversité, c’est-à dire la recherche et la discussion valent mieux encore, tant que ne luira pas pour les intelligences, le signe infaillible auquel cette vraie foi se fera reconnaître. […]. Car […] l’unité n’est pas à l’origine, mais à la fin de l’évolution intellectuelle. De même pour l’enseignement. […]. Tant que (le meilleur enseignement possible) n’est pas trouvé, tant que le législateur, le ministre de l’Instruction publique, ne porteront pas sur le front un signe irrécusable d’infaillibilité la meilleure chance pour que la vraie méthode se découvre et absorbe les autres, c’est la diversité […]. La pire chance, c’est l’éducation décrétée et uniforme ; car, dans ce régime, l’erreur est permanente, universelle et irrémédiable ». On mesure, ici, le tonneau des Danaïdes que représente la réforme (quasi-incessante) de l’Éducation nationale, tentant par-là de singer une concurrence et une expérimentation introuvables — et inconcevables — au sein d’une administration centralisée, obéissant à des principes bureaucratiques voire tayloriens d’un autre âge (à rebours de certains discours « anti-fonctionnaires » parfois revêtus de l’estampille libérale, je compatis à l’authentique souffrance au travail que peuvent en concevoir maints enseignants, laquelle se traduit d’ailleurs par une crise des vocations longtemps tenue pour impensable). * Une métaphore du changement climatique ? La fin du texte propose une métaphore qui confine à la prémonition. « Supposons qu’un professeur de chimie vienne dire : « le monde est menacé d’une grande catastrophe. […]. J’ai analysé l’air qui s’échappe des poumons humains, et j’ai reconnu qu’il n’était plus propre à la respiration ; en sorte qu’en calculant le volume de l’atmosphère, je puis prédire le jour où il sera vicié tout entier, et où l’humanité périra par la phtisie, à moins qu’elle n’adopte un mode de respiration artificielle de mon invention » Un autre professeur se présente et dit : « Non, l’humanité ne périra pas ainsi. Il est vrai que l’air qui a servi à la vie animale est vicié pour cette fin ; mais il est propre à la vie végétale et celui qu’exhalent les végétaux est favorable à la respiration de l’homme. Une étude incomplète avait induit à penser que Dieu s’était trompé ; une recherche plus exacte montre qu’il a mis l’harmonie dans ses Å“uvres. Les hommes peuvent continuer à respirer comme la nature l’a voulu. Que dirait-on si le premier professeur accablait le second d’injures, en disant : « […] vous prêchez l’horrible laisser-faire ; vous n’aimez pas l’humanité, puisque vous démontrez l’inutilité de mon appareil respiratoire ». Nombre de « climato-sceptiques » se reconnaîtront aisément dans la figure du second professeur, agoni d’injures par le premier (en lequel on reconnaîtra les thuriféraires les plus radicaux du GIEC). Au-delà de cette étonnante métaphore (et de sa référence à « l’œuvre divine », qui renvoie aux qualités d’autorégulation d’un système vivant), l’idée est qu’une catastrophe nécessite d’être certifiée avant que d’être combattue par des moyens proportionnés, dont le coût socio-économique est généralement considérable6. En somme, le débat d’idées et la marche naturelle de la société recèlent plus de sagesse, de connaissance, d’information, que le décret ex cathedra d’un sachant dont la morgue dogmatique (et l’intérêt bien compris) précarisent la lucidité. L’éclairage que Bastiat donne du monde contemporain va naturellement très au-delà des quelques extraits présentés ici7 qui ont ébranlé le principe de la propriété, puisqu’ils en ont appelé à la loi pour donner à leurs terres et à leurs produits une valeur factice. Ce sont les capitalistes qui ont suggéré l’idée du nivellement des fortunes par la loi. Le protectionnisme a été l’avant coureur du communisme […]. Car que demandent aujourd’hui les classes souffrantes ? Elles ne demandent pas autre chose que ce qu’ont demandé et obtenu les capitalistes et les propriétaires fonciers. Elles demandent l’intervention de la loi pour équilibrer, pondérer, égaliser la richesse. Ce qu’ils ont fait par la douane, elles veulent le faire par d’autres institutions ; mais le principe est toujours le même, prendre législativement aux uns pour donner aux autres ; et certes, puisque c’est vous, propriétaires et capitalistes, qui avez fait admettre ce funeste principe, ne vous récriez donc pas si de plus malheureux que vous en réclament le bénéfice. Ils y ont au moins un titre que vous n’aviez pas ».]. Il faut donc lire, et relire Bastiat. Article initialement publié en avril 2019. * Le texte se trouve dans l’ouvrage suivant : Le Very Best-of de Frédéric Bastiat, Éditions Tulys, p. 17-27. L’ouvrage collige un nombre conséquent de textes écrits par Bastiat, à l’heureuse initiative du Cercle éponyme et de l’Institut Coppet. Précisons que l’œuvre et la pensée de Bastiat sont l’objet de nombreux articles, l’auteur à la fois économiste, pamphlétaire et homme politique, étant une figure de proue du libéralisme français, et occidental. ↩ * On reconnaît ici là la différence fondamentale qu’opèrera Hayek entre loi (nomos) et législation (thesis), la première étant « naturelle » et dédiée à la résolution des conflits interindividuels (la justice), la seconde relevant presque toujours de la raison d’État. ↩ * Valéry Giscard d’Estaing aurait pu citer Bastiat à l’appui de son célèbre « vous n’avez pas le monopole du cÅ“ur ». ↩ * Que l’on transpose le propos de Bastiat au débat (voire à l’absence de débat) sur les questions climatiques… ↩ * Planche à billets (dont les partis « extrémistes Â» ravivent la nostalgie), quantitative easing, helicopter money…  Ã€ chaque système institutionnel son « papier-monnaie forcé ». ↩ * Il s’agit rien moins que d’inverser le « principe de précaution Â». On retrouve cette recommandation chez quelques auteurs inspirés parmi lesquels Nicholas Nassim Taleb (Antifragile : les bienfaits du désordre, Belles Lettres, 2013). ↩ * Par exemple, dans un article de mai 1848 intitulé « Propriété et loi Â» (The Very best of Frédéric Bastiat, op.cit., p. 13-16), l’auteur s’en prend à ce que l’on appellerait aujourd’hui le « capitalisme de connivence » (déjà entrevu par Adam Smith, au demeurant). Aux promoteurs du protectionnisme commercial, voici en effet ce qu’il adresse : « Oui, je le dis hautement, ce sont les propriétaires fonciers [… ↩ Ces articles pourraient vous intéresser: Aucun article similaire.
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