Eugénie peinte par Franz Xaver Winterhalter en 1857, Hillwood Museum — CC-PD-Mark
Par Gérard-Michel Thermeau.
En dehors de la ville de Biarritz, qui ne s’est pas montrée ingrate à l’égard de celle à qui elle doit beaucoup, le centenaire de la mort de l’impératrice Eugénie n’a guère mobilisé l’attention.
Pourtant l’année 2020 ne marque pas seulement les 100 ans de sa disparition. Il y a 150 ans, pour la dernière fois de son histoire à ce jour, la France était dirigée par une femme. Eugénie, Espagnole devenue Française
Il est curieux que les féministes n’aient guère fait entendre leur voix. Pourtant la dernière impératrice des Français a contribué à la cause des femmes. Autant son rôle très traditionnel de bienfaitrice dans le domaine social, que ces messieurs abandonnaient volontiers aux dames, est souvent rappelé, autant son féminisme suscite moins de publicité. Sa personnalité reste méconnue.
D’ailleurs, la notice sur Wikipédia semble avoir été rédigée par un commissaire-priseur qui ne nous épargne aucun diadème ni aucun meuble.
Maria Eugenia de Guzman (Grenade, 5 mai 1826 – Madrid, 11 juillet 1920), comtesse de Teba fut, pour les Français, Eugénie de Montijo. Fille d’un aristocrate espagnol francophile, elle devait à la famille de sa mère d’origine écossaise, des cheveux d’un blond tirant sur le roux.
Elle parlait très bien le français mais conserva toujours un léger accent. Napoléon III avait très habilement justifié son choix: « Jâ™ai préféré une femme que jâ™aime et que je respecte à une femme inconnue dont lâ™alliance eût eu des avantages mêlés de sacrifices. » Pleine de tout ce quâ™il y a de creux ? Lâ™impératrice Eugénie par Franz Xaver Winterhalter â” CC-PD-Mark
Bien sûr, lâ™image dâ™Eugénie nâ™est peut-être pas celle dâ™une féministe telle que lâ™entendent certaines personnes aujourdâ™hui. Cette très belle femme, magnifiée par Winterhalter, a été présentée comme frivole, dépensière et légère.
Les Goncourt, méchants à leur habitude, la voyaient « pleine de tout ce quâ™il y a de creux ». Elle devait être dâ™ailleurs selon le désir de son impérial époux « le plus bel ornement du trône ».
Elle eut ainsi droit à des surnoms peu aimables, « Falbala 1ère », la « Fée Chiffon » ou « Badinguette ». Dans sa haine à lâ™Ã©gard de Napoléon III, Victor Hugo lâ™a même traité de « cocotte ».
Elle a régné sur la dernière cour quâ™ait connue la France. Étrangère dâ™origine, elle a subi les habituelles critiques adressées aux épouses des monarques. Elle fut « lâ™Espagnole » comme Marie-Antoinette avait été « lâ™Autrichienne ». Elle ne fut ainsi jamais populaire.
Dans les opérettes dâ™Offenbach, les Espagnols sont la cible de plaisanteries diverses. Ne chante-t-on pas dans La Périchole : « Il grandira car il est Espagnol » ? Tandis que Les Brigands ridiculisent un ambassadeur espagnol venant de Grenade qui affirme : « Nous sommes de vrais Espagnols ». Eugénie, qui nâ™avait guère le sens de lâ™humour, devait rayer le nom du compositeur de la promotion de la légion dâ™honneur à lâ™Ã©té 1870. Lâ™influence dâ™Eugénie
Mais derrière lâ™imagerie Marie-Antoinette à la sauce Sofia Coppola, la figure dâ™Eugénie se révèle plus complexe et intéressante que cette avalanche de clichés. Elle fut tout sauf lâ™idiote assurément que bien des contemporains voyaient en elle.
Cette bonne catholique conservatrice, mais non bigote, a eu des prises de position surprenantes pour ceux qui aiment bien ranger les gens dans de petites cases.
Nous la voyons plaider la cause de Baudelaire dont les Fleurs du mal subissent les foudres de la censure. Nâ™a-t-elle pas été aussi une dreyfusarde convaincue ? Il est vrai quâ™elle vivait alors à lâ™Ã©tranger où lâ™innocence de Dreyfus a toujours paru évidente.
Son influence, en tout cas, a été loin dâ™Ãªtre négligeable. Son féminisme se manifeste très concrètement par de nombreux actes et prises de position.
Elle est intervenue en faveur de Julie Daubié, première diplômée du baccalauréat. Victor Duruy, ministre de lâ™Instruction publique, favorable à lâ™accès des filles à lâ™enseignement secondaire et supérieur, bénéficia de son appui.
Eugénie a soutenu lâ™inscription de Madeleine Brès à la faculté de médecine. Grâce à elle, Rosa Bonheur fut la première artiste à recevoir la légion dâ™honneur. Lâ™impératrice aurait souhaiter voir George Sand entrer à lâ™Académie française. Elle devait, enfin, sur ses vieux jours, vivant en exil en Angleterre, soutenir le mouvement des suffragettes. Trois fois régente
On le sait, les monarchies sont plus féministes que les républiques. Même en France, où les femmes étaient écartées du trône au prétexte dâ™une prétendue « loi salique », elles ont gouverné le pays à plusieurs reprises.
Ne pouvant être « rois », elles ont du moins été régentes ou mères influentes ou sinon favorites. Blanche de Castille, Catherine et Marie de Médicis, Anne dâ™Autriche, la marquise de Pompadour ont ainsi joué un rôle politique de premier plan dans lâ™histoire de notre pays.
Eugénie a été la dernière de cette liste. Nâ™Ã©crivait-elle pas le 22 janvier 1853 : « Je tremble⦠de paraître moins dans lâ™histoire que Blanche de Castille et Anne dâ™Autriche ». Toutes deux étaient espagnoles dâ™origine et toutes deux avaient gouverné la France.
Son bilan politique a été fortement critiqué, sans doute à juste raison. Qui a dit que les femmes de pouvoir devaient être moins incompétentes que les hommes de pouvoir ?
Elle a exercé la régence à trois reprises. Elle ne se faisait pourtant guère dâ™illusion sur ses capacités : « Je nâ™ai jamais été et ne serai probablement jamais une femme politique ».
Une autre féministe méconnue, la reine Victoria, devait lâ™inciter à sâ™initier à la politique. Elle eut parfois de bonnes formules : « Libérateur de peuples câ™est un métier de sot ». Elle se souvenait de ses débuts avec Napoléon : « Nous rêvions de travailler au bonheur des peuples et dâ™améliorer le sort des ouvriers. » Eugénie en politique
Devenue mère, elle eut le souci de se former à la politique pour préparer lâ™avènement de son fils. Elle prit lâ™habitude de lire les dépêches diplomatiques. En mai 1859, partant pour lâ™Italie où la France soutient le Piémont contre lâ™Autriche, lâ™empereur lui confie une première fois la régence. Sa capacité à présider le conseil des ministres convainquit Napoléon III de la laisser y assister après son retour.
En juin 1865, à lâ™occasion du voyage impérial en Algérie, elle se voit de nouveau confier les rênes du pouvoir. Les problèmes de santé de lâ™empereur laissaient envisager la perspective dâ™une longue régence. Sa troisième régence, dès le départ de Napoléon III pour Metz le 26 juillet 1870, sera la plus active et contribuera à la chute du régime. à chaque fois, elle sâ™est montrée appliquée, sérieuse et assidue.
Si elle a joué un rôle malheureux dans lâ™expédition au Mexique, elle tenta en vain de convaincre Napoléon III de mobiliser sur le Rhin au lendemain de Sadowa. Trochu voyait en elle une Romaine des temps antiques. Après la chute dâ™Ã‰mile Ollivier, elle confia le gouvernement au général comte de Palikao. Elle devait contribuer au désastre de Sedan en pressant Mac-Mahon de secourir Bazaine. Les dernières années dâ™Eugénie
La chute de lâ™Empire rapprocha les deux époux. Prévoyante, Eugénie avait transféré plusieurs millions à lâ™Ã©tranger à la veille du 4 septembre. Vendant ses bijoux et ses propriétés espagnoles, elle permit au couple de vivre dans lâ™aisance dans son exil anglais.
Ayant perdu successivement son mari puis son fils, le prince impérial tué par les Zoulous sous lâ™uniforme anglais, elle fut cette dame en noir se partageant entre lâ™Angleterre et la Côte dâ™Azur.
Sa très longue existence lui permettra dâ™assister à la « Revanche » et au retour des « provinces perdues » à la fin de la Grande Guerre. Envoyant à Clemenceau une lettre quâ™elle avait reçue de Guillaume Ier en 1870, elle contribuera à convaincre le président Wilson du bien-fondé des demandes françaises.
Le roi de Prusse y affirmait que lâ™annexion de lâ™Alsace et de la Moselle sâ™expliquait par le souci de se protéger dâ™une éventuelle agression française et non par le désir dâ™agrandir « une patrie dont le territoire est assez grand ».
Elle repose aujourdâ™hui auprès de Napoléon III et du prince impérial dans la nécropole impériale de Farnborough.
* Gérard-Michel Thermeau est lâ™auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier est « Stéphanois dâ™autrefois », Actes Graphiques, février 2020, disponible sur Amazon.
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