mardi 11 août 2020

Quand LREM révolutionne le foncier avec une idée inspirée du Moyen-Âge anglais !

Par Nafy-Nathalie. Le foncier a augmenté de 71 % en 10 ans et peut atteindre jusqu’à 50 % du prix d’un logement. Il faut trouver des solutions pour enrayer cette hausse et en même temps trouver le moyen de construire davantage. Les rapports sur la problématique du manque de foncier devenu trop cher, financé à grands coups d’argent public et donc par la sueur des contribuables, s’empilent joyeusement depuis des années. Par exemple, ce rapport de 2016 ou encore le rapport Peyvel d’avril 2019 contenant une trentaine de préconisations. Mais là c’est totalement différent. L’heure est grave, plus grave que la veille et encore bien plus que l’avant-veille. LREM s’est donc saisie du problème avec le sérieux qu’on lui connait. En avril 2019, au moment de la sortie du rapport Peyvel, une mission temporaire mais d’importance est confiée par le gouvernement au député MoDem Jean-Luc Lagleize. Il doit donc réfléchir à des solutions visant à permettre la maîtrise des prix du foncier et combattre la spéculation foncière dans les opérations de construction. Quel est l’intérêt de cette nouvelle étude ? Le sujet est en effet similaire à celui des autres, un autre groupe recommence à plancher et le prend sous un angle un peu différent. On sent comme une idée de gaspillage de fonds publics et de compétences mais ce n’est pas le plus important n’est-ce pas ? Rappelez vous que la mission est importante et que le gaspillage ne coûte rien surtout quand il se fait avec votre argent ! Notre député se met donc en mouvement et restitue en un temps record un rapport tout neuf et forcément mieux que les autres. Puis sans même attendre l’avis du gouvernement, tout impatient qu’il est de le défendre ou dans la crainte de se faire piquer ses bonnes idées, il dépose dans la foulée un projet de loi à l’Assemblée nationale. Le projet est adopté en première lecture le 28 novembre 2019, dans un bel élan de quasi unanimité. Enfin… vous connaissez nos députés. Pour eux l’unanimité est plus que relative. En l’occurrence, elle se limite à 80 voix sur les 90 députés présents, les 10 autres s’étant abstenus. La loi devait être présentée au Sénat le 1er avril dernier mais le Covid a un peu bousculé l’agenda. Par contre la commission des Affaires économiques du Sénat est restée sur ses gardes et au grand désespoir du dépité Lagleize elle a travaillé et nettement corrigé le dispositif en soulignant que «�si la séparation du foncier et du bâti apparaît pertinente pour produire des logements plus abordables, il n’y a aucun besoin d’un outil nouveau. Au contraire, il faut conforter l’existant pour ne pas complexifier les choses. » Le projet initial du député Lagleize Il s’agit de révolutionner le droit de propriété, voire même d’en créer un troisième. Son idée est la suivante : pour baisser le prix des logements, rien de plus simple ! Dissocions la propriété du foncier, trop cher, de celle du bâti à l’aide d’offices fonciers libres (OFL) qui sont un peu comme le front de libération des nains de jardin mais pour le foncier. Ces organismes ont pour but de libérer le foncier du promoteur constructeur spéculateur abuseur et autres qualificatifs. Le mécanisme est simple. * l’État vend le foncier à un OFL * l’OFL vend le droit de construire à un constructeur et loue le droit d’usage sur le foncier. * le constructeur construit et vend le bâti au particulier. En bout de course, le particulier est donc à la fois propriétaire du bâti et locataire du terrain sur lequel le bien est construit, et ce via un bail de longue durée, reconductible et transmissible. Les médias se sont enflammés immédiatement. Capital a même évoqué un droit de propriété réinventé. De son côté, l’ancien ministre du Logement Julien Denormandie a salué un texte « extrêmement important Â». D’ailleurs, pourquoi personne n’y avait jamais pensé ? Un nouveau droit qui existe déjà : l’emphytéose Hé bien de fait, ce droit existe déjà : l’emphytéose existe depuis bien longtemps. La possibilité de développer le système pour faire baisser les prix avait d’ailleurs été étudiée par l’ANIL en 2011 qui avait relevé cette possibilité mais surtout la difficulté d’obtenir un système juste et équilibré pour tous. Cet article de 2014 de La Tribune commente ce rapport : le bail emphytéotique correspond à la survivance de logique correspondant à un état social passé. Et non à une innovation financière ayant pour but de faire baisser le coût du logement. Il suffit d’observer l’évolution des prix de l’immobilier en Angleterre, et tout particulièrement la flambée récente des prix à Londres, où le partage de la propriété est très ancré, pour prouver que le bail emphytéotique n’est pas en soi un régulateur de prix sur la durée. Un nouveau droit qui existe déjà aussi à travers les OFS Il y a aussi les OFS qui sont comme des OFL mais créés par la loi ALUR, soit en 2015, et à destination des ménages les plus modestes. Ils sont même un exemple de réussite selon nos politiques ! La preuve en est que l’on a tout de même réussi à lancer un programme pharaonique de 8400 logements dont les livraisons n’ont pas encore été effectuées. Une révolution qui pourrait n’en être pas une Jean-Luc Lagleize, député MoDem et rapporteur du texte, précise qu’avec les OFL il s’agit désormais d’étendre le système des OFS aux classes moyennes mais pas seulement ! Il s’agit aussi de l’étendre dans les zones tendues. Et là, on commence à sentir que tout ne pourrait pas être si lumineux que cela en fin de compte car zones tendues = zones sans terrains à construire disponibles pour résumer très très très grossièrement. Du foncier qui ne se libère pas si simplement Comment notre député prétend-t-il libérer des terres qui actuellement ne sont pas constructibles ? Peut-être par un petit tour de passe-passe qui se trouvait dans le dispositif initial. En effet, cette loi propose aussi la création d’un fonds pour la dépollution des friches urbaines et industrielles, friches devenant ainsi constructibles et tout à fait susceptibles d’accueillir les ménages les plus modestes. Le Sénat a retoqué cette disposition, préférant laisser la mainmise à l’État sur la dépollution, ce qui semble assez judicieux. Merci Sénat ! Du foncier qu’il n’est toujours pas possible de brader Reste la question du coût. Maintenant que l’on a trouvé les terrains, leur acquisition doit rester abordable. Les biens appartenant à l’État sont normalement vendus aux enchères. Selon le député MoDem, le problème des enchères est qu’elles favoriseraient la spéculation, quand bien même elles garantissent impartialité et intérêts du public. Un dispositif de la loi Lagleize, passé lui aussi sous silence, prévoyait d’autoriser l’État à céder ses biens en dehors des enchères à partir de 2021. On peut s’interroger légitimement sur la constitutionnalité d’un projet qui aurait autorisé le bradage d’un bien public pour lui donner un caractère attractif. Ce dispositif a été retoqué par le Sénat également. Merci Sénat ! En effet, même si la France est reconnue pour la probité de ses politiques, il reste en mémoire un article passé en catimini permettant maintenant aux collectivités publiques de déléguer à des organismes privés leur droit de préemption urbain. Nous avions évoqué le sujet avec H16. Des ordonnances refusées Le Sénat a aussi, au passage, refusé de donner au gouvernement les ordonnances sollicitées pour adapter notre législation, estimant « qu’il n’était pas normal qu’une initiative parlementaire aboutisse à ce que le Parlement se dessaisisse d’un sujet essentiel, en l’espèce la définition d’un nouveau droit de propriété, sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État« . Merci Sénat encore une fois ! Une utilité publique contestable Peut-on aussi imaginer qu’il est d’utilité publique de brader le bien de l’État pour permettre à des ménages qui n’en ont pas les moyens de devenir propriétaires de murs sans même posséder le terrain ? Un principe de solidarité difficile à appliquer Comment sélectionner les bénéficiaires du bail réel libre ? Comment ne pas les enfermer dans un système absurde ? On peut tout à fait imaginer la difficulté pour eux de céder leurs bâtis à des acquéreurs qui satisfont aux conditions de revenus du dispositif. Ils pourraient se retrouver incapables de vendre le bâti qu’ils ont acheté et, du fait des accidents de la vie, incapables pourtant de continuer de louer le terrain. À ce moment précis, il est savoureux de se rappeler les propos du député Lagleize : « Nous ne devons plus laisser la seule loi de l’offre et de la demande, conjuguée à la cupidité humaine traditionnelle, créer une bulle d’enrichissement de quelques-uns Â». et de se tourner vers nos amis anglais. En effet, au moment où le tandem MoDem- LREM, heureusement limité par le Sénat, se pense très en avance sur son temps et décide de révolutionner le droit de propriété français, on découvre qu’un tel droit de propriété avec beaucoup de similarité dans son principe existe depuis le Moyen-Âge chez nos voisins. Selon les statistiques, il y aurait même 4 millions de logements dits à bail en Grande Bretagne. À Londres tous les appartements sont vendus ainsi. En France on essaye d’instituer ce système avec l’argument de la justice sociale pour les propriétaires futurs du bâti. En Angleterre, on essaye de sortir du système de manière urgente car il serait profondément injuste pour les propriétaires du bâti et profondément féodal. En France, les politiques nous parlent de libérer le foncier. En Angleterre, ils souhaitent libérer de leurs chaînes les propriétaires du bâti. Nous ne savons pas encore ce que cette loi révolutionnaire deviendra après avoir été triturée par tout le circuit législatif mais il est probable qu’elle continuera d’être détricotée en catimini et qu’elle finira en un petit flop. Ce qui ne serait pas un mal. Il est difficile, pour moi, de ne pas me souvenir qu’il y a une quinzaine d’années, j’ai été une militante UDF puis MoDem motivée et active. Je faisais partie du groupe de réflexion des jeunes ; nous avions produit un rapport à destination du parti proposant des pistes de réflexion pour changer la société. Une de mes contributions était un travail autour du coût du logement. J’y proposais d’envisager de développer la dissociation du foncier du bâti comme cela se pratique au Royaume-Uni par exemple. Je me demande ce que ce rapport est devenu. Ces articles pourraient vous intéresser: En marche vers l’étatisation de l’immobilier parisien Locataires : le décalage entre discours politique et réalité juridique Ascenseurs : le gouvernement arrive à monter tout le monde d’un niveau vers le bas Logement : un siècle de fiasco politique
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Pourquoi les footballeurs sont-ils mieux payés que les infirmiers ?

Par Hadrien Gournay. L’activité des footballeurs nous parait bien moins vitale et moins importante que celle des infirmiers. La santé à laquelle l’infirmier contribue par ses soins concerne tout le monde alors que le football n’intéresse qu’une fraction de la population. Et même chez les amateurs de ce sport, leur passion est moins essentielle que des gestes conditionnant leur survie. Pourtant, les footballeurs sont bien mieux payés que les infirmiers. Il est tentant d’accuser l’absurdité du marché de ce décalage. Malgré cela, la manière dont le marché rémunère l’activité de chacun a sa logique. De nombreuses personnes qui pourraient dépenser leur argent autrement choisissent d’acheter à ce prix le droit d’assister aux performances des footballeurs. Les différences de rémunérations constatées dans une économie de marché sont-elles justifiées ? Pour le savoir, nous devrons au préalable comprendre comment le marché fonctionne pour les fixer. Cela revient à se demander comment au regard de notre intuition concernant l’utilité respective de chaque profession, le marché « diminue » les infirmiers puis « augmente » les footballeurs. Diminution des infirmiers Pour comprendre pourquoi les infirmiers font un travail vital pour des rémunérations normales, nous procéderons en trois étapes : * étude des préférences du consommateur individuel ayant le choix entre de l’eau et des crayons * étude d’un marché avec des fournisseurs d’eau et des fabricants de crayons * application de ce qui précède au cas des infirmières Les préférences du consommateur Quelle est la chose la plus utile ? L’eau ou les crayons ? L’eau est à l’évidence bien plus vitale. Difficile pour qui est assoiffé d’écrire quoi que ce soit. Pourtant, nous achetons et possédons des crayons. Nous avons donc jugé préférable d’employer à cet effet l’argent qui a servi à leur acquisition plutôt qu’à nous pourvoir en eau. Autrement dit, nous avons donc jugé les crayons plus utiles que la quantité d’eau que cet argent aurait permis d’obtenir. Pour comprendre ce paradoxe, commençons par distinguer l’utilité du premier litre d’eau journalière de celle du 200ème et de même pour les crayons. L’utilité de l’eau est d’abord supérieure à tout autre bien. Elle diminue ensuite jusqu’au moment où l’utilité du premier crayon la dépasse. Nous préférons alors acheter les crayons. Cette hiérarchie des choix est assez facile à comprendre s’agissant d’un consommateur individuel. Cependant, est-elle transposable à un marché réunissant de nombreux producteurs et consommateurs ? Pour simplifier étudions le cas d’une économie de petits producteurs indépendants aux compétences égales. Étude d’un marché : économie de petits producteurs indépendants Ainsi qu’arrive-t-il lorsque compte tenu du nombre de travailleurs se consacrant à chacune des activités, la valeur de la dernière heure de fourniture d’eau est supérieure à la dernière heure de fabrication d’un crayon ? L’ajustement des prix assurera le plein emploi et pour un nombre donné d’heures de chaque production, fera correspondre la rémunération de chaque heure de chaque production à la valeur de la dernière heure de chacune. En effet, voyons sous la forme d’un tableau ce qui se passerait si les prix étaient inférieurs ou supérieurs à cet équilibre. La valeur respective des biens ne dépend plus de leur utilité « absolue » (celle du premier litre d’eau comparée à celle du premier crayon par exemple) mais de leur utilité relative, tenant compte des quantités dont chacun dispose déjà. Cependant jusqu’ici, ces quantités étaient parfaitement arbitraires. Or, dans notre système économique les travailleurs sont également compétents pour toute activité. Ainsi, ils auront intérêt à se consacrer à l’activité la plus rémunératrice jusqu’au moment où la rémunération de l’heure consacrée à chaque activité sera égale. Le marché fonctionne alors de telle sorte que l’heure d’activité dans chaque production soit aussi utile que dans les autres. C’est précisément l’effet que rechercherait l’administrateur avisé d’une économie socialiste. Retour au cas des infirmiers Sommes-nous désormais parvenus à comprendre pourquoi la rémunération de l’infirmier n’a pas de raison d’être supérieure à celle de personnes exerçant des activités moins vitales ? La conviction n’est peut-être pas tout à fait complète. C’est que les soins de l’infirmier, entièrement indispensables au patient individuel, sont difficilement assimilables à toute chose additionnelle dont nous avons un besoin très relatif, par exemple au 200ème litre d’eau. Mais si dix producteurs fournissent de l’eau pour une population de dix mille personnes quelle différence y a-t-il que chaque producteur apporte de l’eau à 1000 personnes ou qu’il fournisse un dixième à tout le monde ? Du point de vue du prix marché qui intègre les effets de la concurrence entre les producteurs d’eau et de celle des autres produits, il n’y en a pas. De même, la concurrence des autres infirmiers et des autres produits et services suffisent à limiter leurs prix. Nous savons pourquoi les salaires des infirmiers restent modestes. Tentons maintenant de savoir pourquoi les footballeurs sont si bien payés. Augmentation des footballeurs Nous avons compris pourquoi les infirmiers qui prodiguent des soins vitaux ne sont pas forcément mieux payés que la moyenne. Mais pourquoi les footballeurs sont-ils si bien payés ? Dans notre économie composée de fournisseurs d’eau et de fabricants de crayons, toutes les personnes disposent de compétences parfaitement égales. Il n’en est pas ainsi dans la réalité et nous devons affiner notre modèle. Supposez par exemple que certaines personnes fabriquent des crayons quatre fois plus vite que les autres, les compétences restant égales au regard de la fourniture d’eau. Qu’adviendrait-il alors ? Les personnes douées pour fabriquer des crayons se dirigeront vers cette branche où elles seront quatre fois mieux rémunérées. Des personnes moins douées pourront cependant participer à leur production si les crayons ne sont pas en assez grand nombre. Il existe deux manières de comparer la productivité des fabricants de crayons et des fournisseurs d’eau. Si nous maintenons la comparaison par heure de travail, les fabricants de crayons sont quatre fois plus productifs et quatre fois mieux rémunérés. Autrement dit, l’heure de production de crayon par ceux qui y excellent est un bien plus rare et plus précieux, donc mieux rémunéré aux yeux des consommateurs. Il n’y a donc plus égalité des utilités de chaque heure de travail. Cette égalité se manifeste désormais en argent. Un euro dépensé dans un domaine doit avoir la même utilité qu’un euro dépensé dans un autre. Les fabricants de crayons sont alors aussi productifs en un quart d’heure que les fournisseurs d’eau et reçoivent le même salaire pour cela. Il en est de même de la productivité de MBappé comparée à la nôtre sur le marché. Vous pouvez dire qu’il produit autant de richesse que nous en moins de temps ou son heure de travail correspond à une compétence plus rare. Peut-être serez-vous soucieux de la question de la productivité horaire qui a servi de modèle pour un supposé administrateur socialiste « avisé » ? Dans les deux cas, nous pouvons cependant faire référence à l’heure de travail d’une personne « normale » ou de la personne la moins productive. Pourtant, la possibilité même de cette référence doit disparaitre également. L’eau et les crayons sont des biens matériels standard. Cela nous permet de de raisonner de manière quantitative en comparant des productivités. À l’égard des prestations intellectuelles, nous devons comparer des œuvres, interprétations ou autres de qualités différentes. Même en consacrant votre vie à un petit nombre de morceaux, pourriez-vous jouer du violoncelle comme Rostropovitch ? Dans le monde du sport, on a besoin de champions, exceptionnels par définition. Un sportif qui domine sa spécialité est un peu comme une œuvre d’art. Il est unique et du coup sa valeur est fortement influencée par des considérations émotionnelles : son style, son empathie pour ses fans… Il se retrouve en situation d’oligopole, voire de monopole, ce qui le met en position de force pour négocier sa rémunération. En outre, la télévision et les moyens de diffusion modernes des performances sportives ont également accentué l’écart entre les stars mondiales qui peuvent vendre leurs performances dans le monde entier et le footballeur moyen apprécié localement des supporters de son club. Les infirmiers ne peuvent quant à elles soigner qu’un patient à la fois. Par ailleurs, si la hiérarchie des rémunérations suit globalement les performances, l’écart de rémunération n’est pas proportionnel à la performance. Cela est plus facile à mettre en évidence chez les sprinteurs. Mesuré en termes de vitesse, l’écart de entre Usain Bolt et ses meilleurs concurrent était compris entre 1 % à 2 % mais son attractivité et ses revenus sont hors concours.� Cela provient de notre attachement à ce qui est le meilleur. Aussi, avant d’affirmer que les footballeurs gagnent plus que les infirmiers, il faudrait préciser ce que l’on compare. Il y a avant tout un énorme écart de rémunération entre les footballeurs qui n’existe pas entre les infirmiers. Chez les infirmiers, l’écart entre le meilleur infirmier et le dix millième est beaucoup plus réduit que chez les footballeurs. Le dix millième infirmier peut vivre de cette activité au contraire du dix millième footballeur. Dans le monde de la santé on a besoin de milliers d’infirmiers aux compétences bien codifiées. La concurrence entre eux est relativement fluide car un infirmier disposant d’une qualification précise peut être remplacé par un autre avec la même qualification. Le budget santé global étant limité il se répartit sur un grand nombre d’infirmiers de manière assez homogène. Le budget global du sport est limité lui aussi, mais il est réparti de manière inhomogène entre des champions qui gagnent des fortunes et des petits joueurs qui vivotent ou qui jouent en amateurs. Autres illustrations De ce qui précède, il résulte qu’il existe deux modes de comparaison possibles de la valeur du travail des infirmiers et des footballeurs. Le premier se rapporte à ce qui se passerait si personne n’effectuait le travail d’un infirmier ou d’un footballeur donné. La deuxième tient compte des conséquences de la nécessité de les remplacer. Plus populaire, le premier mode de comparaison est plus favorable aux infirmiers. Le second, qui avantage des footballeurs décrit le résultat des processus de marché. Pour mieux mettre en évidence cette distinction, nous proposons d’en présenter quelques exemples caractéristiques. Le grand cuisinier et le serveur Pour servir le client, le cuisinier prépare les plats et le serveur les apporte sur la table. Ces deux activités sont également nécessaires. Pour autant, plus difficile à remplacer le grand cuisinier sera mieux rémunéré. Le pianiste et le pousseur de piano Pour écouter un récital, quelqu’un doit déplacer un piano jusqu’à la scène. Ensuite, le pianiste doit jouer les morceaux prévus au programme. Les deux sont nécessaires mais les facultés du pianiste sont plus rares. Les joueurs d’une équipe de football Entre joueurs d’une équipe de football, les écarts entre performance sportive (influence sur le résultat) illustrent cette distinction. Lorsqu’un arbitre expulse un défenseur au cours d’un match dont les équipes sont à égalité, les entraineurs font très souvent entrer un défenseur à la place d’un joueur offensif pour préserver l’équilibre de leur équipe. Dans le cas où c’est un gardien, un nouveau gardien entre systématiquement et si tous les changements ont été faits, un joueur de champ entre dans les buts. Les fonctions du défenseur apparaissent donc plus indispensables que celles de l’attaquant. Pourtant, les joueurs dont l’indisponibilité est considérée la plus dommageable sont souvent les attaquants (Messi à Barcelone, Neymar au PSG). Ils reçoivent aussi les meilleurs salaires. Il s’agit d’écart entre les influences sur le résultat mais qui expliquent à leur tour les écarts de salaire. Cela illustre encore la distinction entre absence non remplacée et remplacée. Que penser des rémunérations du marché ? Nous avons tenté de décrire les principaux mécanismes de détermination des revenus dans une économie de marché. Ceux-ci sont-ils justes ? Pour le savoir, nous devrons répondre à deux questions : * le marché respecte-t-il le principe « à chacun selon sa contribution » ? * quelle place accorder à ce principe ? Respect du principe à chacun selon sa contribution Le marché rémunère la productivité ou l’utilité d’un acteur. Il ne récompense pas un mérite apprécié au regard de ses facultés ou des difficultés qu’il a pu rencontrer. Mais qui devrait supporter ces obstacles ? Sommes-nous prêts à payer un boulanger pour un pain qu’il ne nous a pas fourni parce qu’il en a été empêché par une maladie dont il n’est pas responsable ? Ensuite, il récompense une utilité « relative » ou marginale. Pour la déterminer, il tient compte de la rareté d’une compétence ou d’un bien et non de la valeur de la première unité de ce bien ou de cette compétence. Aurons nous davantage de reconnaissance pour celui qui nous donne à boire quand nous mourons de soif ? Ou en temps normal ? L’utilité d’une chose est toujours fonction d’un contexte et d’un besoin. Un même aliment, un même médicament peuvent être salvateurs pour une personne et mortel pour une autre. Enfin, les consommateurs apprécient subjectivement cette utilité. Certes, beaucoup déplorent le fait qu’un chanteur populaire puisse vendre plus de disques qu’un grand musicien. Cependant, si ceux qui lisent les grands auteurs ou écoutent les meilleurs musiciens étaient aussi nombreux que ceux qui pérorent contre les fortunes gagnées par des starlettes ou des sportifs, les motifs d’indignation de ces derniers disparaitraient. Plus sérieusement, quand la liberté est au cÅ“ur des principes politiques d’un pays, elle inspire également la mesure de l’utilité économique. Il appartient alors à chaque consommateur individuel de la déterminer. Le marché nous parait par conséquent offrir donc une bonne approximation du principe « à chacun selon sa contribution ». Il reste à savoir si ce principe est-il suffisamment juste par lui-même ? Justice du principe La société doit-elle être organisée en vue du principe « à chacun selon sa contribution ? » ou doit-elle intégrer d’autres principes ? Et en cas de conflit, lesquels doivent être préférés ? Autrement dit, est-il suffisant, voire nécessaire ? La reconnaissance de l’égalité des chances est le complément indispensable de notre principe. Or, si une économie de marché offre des chances à tous, elles sont loin d’être strictement égales. Les parents n’offrent pas à leurs enfants le même capital culturel et monétaire pour débuter dans la vie. Cependant, les autres systèmes économiques n’ont pas prouvé leur capacité à faire mieux sur ce plan. Par ailleurs, tout le monde ne nait pas dans le même pays et ne profite pas du même système productif. Cependant, un monde libéral offre la possibilité d’immigrer. Le système de rétribution selon la contribution de chacun ne peut à l’évidence être le seul critère pris en compte par une société. La liberté ou l’utilité doivent certainement être au cÅ“ur de l’organisation sociale. Se limiter à ce critère condamnerait par exemple des personnes handicapées à mourir de faim. Cependant, il serait malhonnête de ne le mettre en avant que lorsqu’il est compatible avec un autre objectif politique tel l’égalité des revenus. La bonne méthode consiste à déterminer pour chaque situation comment remplir au mieux tel ou tel critère puis à dire lequel doit l’emporter. Pour conclure sur le paradoxe de la rémunération de l’infirmier, la reconnaissance du patient pour l’infirmier est issu de l’idée que ses soins n’ont pas un caractère strictement professionnel et que le dévouement les motive en grande partie. La reconnaissance implique l’idée d’une récompense. Pourtant, garantir la récompense ferait disparaître en tout ou partie, avec la notion de dévouement, la reconnaissance. Lorsque nous pensons que l’infirmier pourrait exiger un prix plus important pour ses services, peut-être raisonnons-nous comme si il avait le monopole de son patient ? Il pourrait lui réclamer une rémunération très élevée mais perdrait sa reconnaissance. Certes, l’infirmier n’est pas en mesure d’exiger cette rémunération, mais cela n’empêche pas son dévouement. Ces articles pourraient vous intéresser: Baisser la rémunération des soignants isolés ? Pour mieux achever la médecine libérale ! Réforme des retraites : redonner simplicité au système En France, l’égalitarisme a entraîné l’inégalité des chances Santé, les limites des approches centrées sur l’offre
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« Pourquoi je serais plutôt aristocrate » de Vladimir Volkoff

Par Johan Rivalland. Pourquoi je suis moyennement démocrate est l’un des livres qui m’ont le plus marqué, malgré sa petite taille et sa modeste prétention. J’avais découvert cette pépite dès 2002, mais ne m’étais pas immédiatement procuré la suite qu’avait imaginée deux ans plus tard Vladimir Volkoff. Et malheureusement, lorsque j’ai voulu me le procurer, il n’était plus disponible. Je ne sais pas s’il a été finalement réédité, mais toujours est-il que je suis enfin parvenu à me le procurer il y a quelques mois (et un exemplaire neuf, en prime�!). Petite présentation. Un titre tout en provocation Sous un titre volontairement provocateur, Vladimir Volkoff venait donc compléter son opus précédent par un petit ouvrage qui visait, cette fois, à s’en prendre aux fausses égalités. Mais aussi pousser un peu plus loin sa réflexion au sujet des limites de la démocratie. Qu’entend-il alors par « aristocrate Â» ? Non pas la caste ou la classe que l’on peut imaginer. Loin de là. Car ce que Vladimir Volkoff entend faire valoir est l’esprit de contradiction. Comme il l’écrit, Si je ne vivais pas dans une société où il est obligatoire de professer qu’il n’y a point de salut hors de la démocratie ; si nombre de Français n’avaient pas encore le Ça ira à la bouche et ne vouaient pas par conséquent « les aristocrates à la lanterne » […], je serais moins porté à m’affubler de ce qualificatif criard d’Aristocrate, que les uns ne savent pas prononcer sans morgue, ni les autres sans hargne. Et de là il nous présente ce qu’il entend par « aristocrate Â». Qui est en réalité une forme d’esprit. Qu’il illustre par celle qu’avait par exemple, nous présente-t-il, l’homme qui lui venait en aide lorsqu’il avait besoin de menus travaux dans sa maison ou son jardin qu’il aurait été incapable de réaliser lui-même. Un homme non seulement éminemment doué de ses mains, qui avait entre autres entièrement restauré une vieille ruine pour en faire sa superbe maison, mais qui était en outre doté d’une remarquable finesse d’esprit, bien que n’ayant rien lu et ayant à peine le certificat d’études. Un homme d’une grande élégance rustique, ne possédant pas un seul costume et n’étant pas très riche. Au savoir-vivre irréprochable et qui imposait le respect à tous points de vue. Revenant sur ce qui définit et oppose les termes suivants : monarchie, polyarchie, république, kakistocratie, démocratie et aristocratie, il rétablit le sens des mots et des oppositions, remettant ainsi en cause certaines idées reçues en la matière. Si on peut se baser sur les comparaisons monarchie/république et démocratie/aristocratie pour établir au moins quatre situations (il établit une matrice) trouvant chacune leurs traductions historiques (je renvoie au livre, car c’est relativement complexe), d’autres faits historiques qu’il prend pour exemples révèlent une multiplicité de situations. Ce qui montre que rien n’est aussi simple et aussi figé que l’on peut le supposer aujourd’hui. La confusion noblesse/aristocratie Une grande partie des malentendus actuels provient de la confusion entre ces deux termes. Là encore, quelques rappels historiques permettent à l’auteur de les distinguer clairement. L’un est un statut (noble), l’autre une qualité d’esprit (aristocratie), celle que revêtent les meilleurs. À partir d’une nouvelle matrice et de divers exemples supplémentaires, Vladimir Volkoff montre ainsi que des hommes du peuple (et non de la noblesse) peuvent tout à fait être partisans d’un système aristocratique, c’est-à-dire axé sur le mérite et la probité, qui leur permettrait ainsi de progresser dans la société. Le mérite contre le privilège, en quelque sorte ; pour faire court. Une des plus grandes catastrophes qui puissent arriver à une langue, c’est le détournement du sens d’un mot porteur d’un concept. Non seulement le concept est perdu, mais l’antonyme du mot s’en va à la dérive, et le concept qu’il véhiculait aussi. Il reste alors deux trous : un dans la langue et un dans la pensée. L’aristocratie ne s’intéresse par ailleurs pas au nombre. Seulement à la qualité, quel que soit le nombre. Ce qui la distingue aussi de l’oligarchie. Sens de la responsabilité, du service, du sacrifice, du courage, de la dignité, ou encore du devoir, mais aussi humilité, autant de vertus dont se réclamera l’aristocrate selon Vladimir Volkoff. L’être plutôt que l’avoir La difficulté pratique Conscient qu’il ne défend là qu’un idéal, il n’en considère pas moins la démocratie comme une utopie, ce qui renvoie au livre précédent. Et concernant cet idéal, la difficulté réside ensuite dans une série de quatre questions : qu’est-ce que la qualité ? de quelle qualité s’agit-il ? comment la mesure-t-on ? qui la détermine ? Là encore, je renvoie au livre car il ne s’agit pas pour moi de le réécrire voire de risquer d’en déformer la teneur. Mais je ne résiste pas à en extraire les citations suivantes, tant elles nous interrogent quant à notre système « démocratique » actuel : On remarquera que les sociétés aristocratiques ont tendance à multiplier les critères – généalogie, savoir-vivre, excellence académique, réussite professionnelle -, tandis que les sociétés démocratiques tendent à les rabaisser, à les contourner, et même à les éliminer autant que faire se peut (surtout, bien sûr, la démocratie moderne qui se veut non pas un mode de choix des gouvernants mais le bulldozer d’une vérité absolue et universelle) : le baccalauréat pour tous en est un exemple.    […] Du moins n’est-il [le critère de la réussite] pas fallacieux, comme celui de la popularité, qui prête souvent à ses favoris des talents divers alors qu’ils n’ont que celui, justement, de se rendre populaires. Tel passe pour le plus rusé alors qu’il n’est que fourbe, tel autre pour le plus généreux alors qu’il n’est que dépensier. On n’en finirait pas de faire la liste des hommes politiques sans don ni compétences que publicitaires et qui furent portés au pouvoir par les suffrages d’un peuple abusé. La démocratie tend vers l’aplatissement de la réalité. La qualité la gêne parce que la qualité suppose la différence. La démocratie ne connaît de valeurs que la liberté et l’égalité (encore ne voit-elle pas qu’elles sont inconciliables). Elle ressemble à cette roue bigarrée qu’on fait tourner si vite qu’elle paraît uniformément blanche. Elle craint tant les infériorités possibles qu’elle en arrive à écraser les différences, même celles dont la notion de supériorité est absente. L’aristocratie, au contraire, éprise de toutes les qualités, parce qu’éprise de Qualité, exalte les différences dans toute leur bigarrure sans reculer devant cette évidence : certains pixels seront toujours plus brillants que d’autres.   Un fait de nature et une philosophie Contrairement à la démocratie, qui est une idéologie, nous dit Vladimir Volkoff, l’aristocratie est un fait de nature. Il existe des meilleurs dans tous les domaines. Et plutôt que de les regarder avec les yeux de l’envie, il est possible de les regarder avec admiration. Sans être pour autant laissé de côté et en trouvant chacun sa juste place. La concurrence a aussi des vertus. À avoir voulu l’annihiler à travers le dirigisme, la nationalisation et la planification, la Russie est devenue l’un des pays les plus arriérés économiquement. De même, dans les guerres, le sport, et tout un tas d’autres domaines, il est un fait que cex qui gagnent sont les meilleurs, les mieux préparés, les mieux équipés, les plus motivés, les plus déterminés, qui ont le meilleur mental ou moral. L’aristocratie est aussi une philosophie, de l’inégalité, en ce sens qu’elle considère l’égalité comme le masque démagogique de l’indifférenciation. Et qu’elle aime profondément la différence. Les héros, les génies et les saints ont, d’ailleurs, à toute époque été admirés. Du moins jusqu’à aujourd’hui. Il est vrai que nous vivons une époque où l’héroïsme a mauvaise presse, justement à cause de cet appareil aristocratique qui l’entoure. Le héros passe sous des arcs de triomphe, reçoit des couronnes, se fait brûler sur un bûcher de bois parfumé et accède à l’apothéose : voilà qui choque un démocrate moderne. Lui préfère la victime au héros, le minable au triomphateur, la compassion à l’admiration. Sa devise : Â« D’accord pour que tous soient nuls, si c’est pour qu’ils soient égaux. Â» Quelle différence avec lesdémocrates du temps passé, qui ne rêvaient que de Régulus, des Gracques et de Joseph Bara ! Ces démocrates-là, comparés aux nôtres, étaient des aristocrates. Au fait… La devise de Contrepoints n’est-elle pas « Le nivellement par le haut Â» ? Dangereusement aristocrate, tout ça !…   — Vladimir Volkoff, Pourquoi je serais plutôt aristocrate, Éditions du Rocher, mai 2004, 144 pages. Ces articles pourraient vous intéresser: Vladimir Volkoff : une réflexion vive et très pertinente sur le sens de la démocratie Cette définition nocive de la démocratie « Ã‰loge de l’hypocrisie Â» d’Olivier Babeau Pourquoi le libéralisme n’est pas bien vu d’une grande partie des Français
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