Par Johan Rivalland.
Pourquoi je suis moyennement démocrate est l’un des livres qui m’ont le plus marqué, malgré sa petite taille et sa modeste prétention. J’avais découvert cette pépite dès 2002, mais ne m’étais pas immédiatement procuré la suite qu’avait imaginée deux ans plus tard Vladimir Volkoff. Et malheureusement, lorsque j’ai voulu me le procurer, il n’était plus disponible.
Je ne sais pas s’il a été finalement réédité, mais toujours est-il que je suis enfin parvenu à me le procurer il y a quelques mois (et un exemplaire neuf, en prime!). Petite présentation. Un titre tout en provocation
Sous un titre volontairement provocateur, Vladimir Volkoff venait donc compléter son opus précédent par un petit ouvrage qui visait, cette fois, à sâ™en prendre aux fausses égalités. Mais aussi pousser un peu plus loin sa réflexion au sujet des limites de la démocratie.
Quâ™entend-il alors par « aristocrate » ? Non pas la caste ou la classe que lâ™on peut imaginer. Loin de là . Car ce que Vladimir Volkoff entend faire valoir est lâ™esprit de contradiction. Comme il lâ™Ã©crit,
Si je ne vivais pas dans une société où il est obligatoire de professer quâ™il nâ™y a point de salut hors de la démocratie ; si nombre de Français nâ™avaient pas encore le Ça ira à la bouche et ne vouaient pas par conséquent « les aristocrates à la lanterne » [â¦], je serais moins porté à mâ™affubler de ce qualificatif criard dâ™Aristocrate, que les uns ne savent pas prononcer sans morgue, ni les autres sans hargne.
Et de là il nous présente ce quâ™il entend par « aristocrate ». Qui est en réalité une forme dâ™esprit. Quâ™il illustre par celle quâ™avait par exemple, nous présente-t-il, lâ™homme qui lui venait en aide lorsquâ™il avait besoin de menus travaux dans sa maison ou son jardin quâ™il aurait été incapable de réaliser lui-même.
Un homme non seulement éminemment doué de ses mains, qui avait entre autres entièrement restauré une vieille ruine pour en faire sa superbe maison, mais qui était en outre doté dâ™une remarquable finesse dâ™esprit, bien que nâ™ayant rien lu et ayant à peine le certificat dâ™Ã©tudes.
Un homme dâ™une grande élégance rustique, ne possédant pas un seul costume et nâ™Ã©tant pas très riche. Au savoir-vivre irréprochable et qui imposait le respect à tous points de vue.
Revenant sur ce qui définit et oppose les termes suivants : monarchie, polyarchie, république, kakistocratie, démocratie et aristocratie, il rétablit le sens des mots et des oppositions, remettant ainsi en cause certaines idées reçues en la matière.
Si on peut se baser sur les comparaisons monarchie/république et démocratie/aristocratie pour établir au moins quatre situations (il établit une matrice) trouvant chacune leurs traductions historiques (je renvoie au livre, car câ™est relativement complexe), dâ™autres faits historiques quâ™il prend pour exemples révèlent une multiplicité de situations.
Ce qui montre que rien nâ™est aussi simple et aussi figé que lâ™on peut le supposer aujourdâ™hui. La confusion noblesse/aristocratie
Une grande partie des malentendus actuels provient de la confusion entre ces deux termes. Là encore, quelques rappels historiques permettent à lâ™auteur de les distinguer clairement. Lâ™un est un statut (noble), lâ™autre une qualité dâ™esprit (aristocratie), celle que revêtent les meilleurs.
à partir dâ™une nouvelle matrice et de divers exemples supplémentaires, Vladimir Volkoff montre ainsi que des hommes du peuple (et non de la noblesse) peuvent tout à fait être partisans dâ™un système aristocratique, câ™est-à -dire axé sur le mérite et la probité, qui leur permettrait ainsi de progresser dans la société.
Le mérite contre le privilège, en quelque sorte ; pour faire court.
Une des plus grandes catastrophes qui puissent arriver à une langue, câ™est le détournement du sens dâ™un mot porteur dâ™un concept. Non seulement le concept est perdu, mais lâ™antonyme du mot sâ™en va à la dérive, et le concept quâ™il véhiculait aussi. Il reste alors deux trous : un dans la langue et un dans la pensée.
Lâ™aristocratie ne sâ™intéresse par ailleurs pas au nombre. Seulement à la qualité, quel que soit le nombre. Ce qui la distingue aussi de lâ™oligarchie.
Sens de la responsabilité, du service, du sacrifice, du courage, de la dignité, ou encore du devoir, mais aussi humilité, autant de vertus dont se réclamera lâ™aristocrate selon Vladimir Volkoff.
Lâ™Ãªtre plutôt que lâ™avoir La difficulté pratique
Conscient quâ™il ne défend là quâ™un idéal, il nâ™en considère pas moins la démocratie comme une utopie, ce qui renvoie au livre précédent. Et concernant cet idéal, la difficulté réside ensuite dans une série de quatre questions : quâ™est-ce que la qualité ? de quelle qualité sâ™agit-il ? comment la mesure-t-on ? qui la détermine ?
Là encore, je renvoie au livre car il ne sâ™agit pas pour moi de le réécrire voire de risquer dâ™en déformer la teneur. Mais je ne résiste pas à en extraire les citations suivantes, tant elles nous interrogent quant à notre système « démocratique » actuel :
On remarquera que les sociétés aristocratiques ont tendance à multiplier les critères â“ généalogie, savoir-vivre, excellence académique, réussite professionnelle -, tandis que les sociétés démocratiques tendent à les rabaisser, à les contourner, et même à les éliminer autant que faire se peut (surtout, bien sûr, la démocratie moderne qui se veut non pas un mode de choix des gouvernants mais le bulldozer dâ™une vérité absolue et universelle) : le baccalauréat pour tous en est un exemple.
[â¦] Du moins nâ™est-il [le critère de la réussite] pas fallacieux, comme celui de la popularité, qui prête souvent à ses favoris des talents divers alors quâ™ils nâ™ont que celui, justement, de se rendre populaires. Tel passe pour le plus rusé alors quâ™il nâ™est que fourbe, tel autre pour le plus généreux alors quâ™il nâ™est que dépensier. On nâ™en finirait pas de faire la liste des hommes politiques sans don ni compétences que publicitaires et qui furent portés au pouvoir par les suffrages dâ™un peuple abusé.
La démocratie tend vers lâ™aplatissement de la réalité. La qualité la gêne parce que la qualité suppose la différence. La démocratie ne connaît de valeurs que la liberté et lâ™Ã©galité (encore ne voit-elle pas quâ™elles sont inconciliables). Elle ressemble à cette roue bigarrée quâ™on fait tourner si vite quâ™elle paraît uniformément blanche. Elle craint tant les infériorités possibles quâ™elle en arrive à écraser les différences, même celles dont la notion de supériorité est absente. Lâ™aristocratie, au contraire, éprise de toutes les qualités, parce quâ™Ã©prise de Qualité, exalte les différences dans toute leur bigarrure sans reculer devant cette évidence : certains pixels seront toujours plus brillants que dâ™autres.
Un fait de nature et une philosophie
Contrairement à la démocratie, qui est une idéologie, nous dit Vladimir Volkoff, lâ™aristocratie est un fait de nature. Il existe des meilleurs dans tous les domaines. Et plutôt que de les regarder avec les yeux de lâ™envie, il est possible de les regarder avec admiration.
Sans être pour autant laissé de côté et en trouvant chacun sa juste place.
La concurrence a aussi des vertus. à avoir voulu lâ™annihiler à travers le dirigisme, la nationalisation et la planification, la Russie est devenue lâ™un des pays les plus arriérés économiquement.
De même, dans les guerres, le sport, et tout un tas dâ™autres domaines, il est un fait que cex qui gagnent sont les meilleurs, les mieux préparés, les mieux équipés, les plus motivés, les plus déterminés, qui ont le meilleur mental ou moral.
Lâ™aristocratie est aussi une philosophie, de lâ™inégalité, en ce sens quâ™elle considère lâ™Ã©galité comme le masque démagogique de lâ™indifférenciation. Et quâ™elle aime profondément la différence.
Les héros, les génies et les saints ont, dâ™ailleurs, à toute époque été admirés. Du moins jusquâ™Ã aujourdâ™hui.
Il est vrai que nous vivons une époque où lâ™héroïsme a mauvaise presse, justement à cause de cet appareil aristocratique qui lâ™entoure. Le héros passe sous des arcs de triomphe, reçoit des couronnes, se fait brûler sur un bûcher de bois parfumé et accède à lâ™apothéose : voilà qui choque un démocrate moderne. Lui préfère la victime au héros, le minable au triomphateur, la compassion à lâ™admiration. Sa devise : « Dâ™accord pour que tous soient nuls, si câ™est pour quâ™ils soient égaux. » Quelle différence avec lesdémocrates du temps passé, qui ne rêvaient que de Régulus, des Gracques et de Joseph Bara ! Ces démocrates-là , comparés aux nôtres, étaient des aristocrates.
Au fait⦠La devise de Contrepoints nâ™est-elle pas « Le nivellement par le haut » ? Dangereusement aristocrate, tout ça !â¦
â” Vladimir Volkoff, Pourquoi je serais plutôt aristocrate, Éditions du Rocher, mai 2004, 144 pages. Ces articles pourraient vous intéresser: Vladimir Volkoff : une réflexion vive et très pertinente sur le sens de la démocratie Cette définition nocive de la démocratie « Éloge de lâ™hypocrisie » dâ™Olivier Babeau Pourquoi le libéralisme nâ™est pas bien vu dâ™une grande partie des Français
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