samedi 8 août 2020

Au chevet de Beyrouth, que peut la France pour le Liban ?

Par Frédéric Charillon1. Un article de The Conversation Emmanuel Macron est arrivé à Beyrouth ce jeudi 6�août pour témoigner de l’amitié de la France au pays du cèdre après un drame de plus dans « ce pays bien-aimé Â», pour reprendre les mots du journaliste Jean‑Dominique Merchet. Un drame qui fait la Une des médias français et qui émeut, comme tous les drames traversés par le Liban. Pourquoi le Liban nous touche-t-il à ce point ? Les liens historiques de la France avec ce pays sont connus : « Le Liban c’est la famille de la France Â», résume le ministre des Affaires Étrangères Jean‑Yves le Drian. « Une évidence qui s’impose, parce que c’est le Liban, parce que c’est la France Â», dit le président français à son arrivée. Un intérêt français ancien Son intérêt pour le pays n’est pas nouveau. Il l’a marqué dès sa campagne électorale par une visite en janvier 2017, puis ses équipes diplomatiques ou les nominations importantes (à la tête de la DGSE par exemple) ont compté plusieurs diplomates anciennement en poste à Beyrouth. Mais au-delà des mots, la double impuissance occidentale et libanaise a ramené depuis longtemps les émotions à une nostalgie dépitée, plutôt que d’en faire des moteurs pour l’action. « Aidez-nous à vous aider, bon sang ! Â», lançait, il y a peu, le même Jean‑Yves Le Drian, résigné, à un pays plongé dans une crise multiple. On se souvient de l’ouvrage du journaliste britannique Robert Fisk sur la guerre civile libanaise, Pity the Nation, paru en 1990. Trente ans plus tard, on n’en finit toujours pas d’avoir pitié du « pauvre Liban Â». Est-il enfin possible, cette fois, d’aller plus loin ? L’émotion est vive aujourd’hui, encore faut-il en décrypter les ressorts : le Liban émeut pour des raisons romantiques sans doute nobles, mais il conviendrait d’être capable de traduire cette émotion politiquement et avec efficacité, ce qui jusqu’à présent n’a pas été le cas. Que peut faire la France désormais, face aux grands « prédateurs Â» internationaux qui ne manqueront pas de suivre le « martyr Â» de Beyrouth avec intérêt ? Quels espoirs reste-t-il de promouvoir une certaine idée du Liban, et laquelle exactement ? La violence du Liban Les événements libanais remontent immédiatement au plus haut niveau des médias et de la décision politique en France. « On peut réveiller un président de la République en pleine nuit pour le Liban Â», nous confiait un diplomate français dans une discussion antérieure à l’explosion de Beyrouth. Il y a des raisons géopolitiques à cela. La France connaît la violence du Liban : elle en a elle-même payé le prix avec l’assassinat de son ambassadeur Louis Delamare en 1981, l’attentat contre le quartier général des troupes françaises en 1983, ou plusieurs prises d’otages, dont le chercheur Michel Seurat ne revint jamais. Un laboratoire permanent des rapports de force régionaux Le pays reste par ailleurs un laboratoire permanent des rapports de force régionaux, comme l’a montré Bernard Rougier dans ses travaux (Le jihad au quotidien, 2004 ; L’oumma en fragments. Contrôler le sunnisme au Liban, 2011). À l’inverse d’autres puissances qui voient le Liban comme un paramètre de l’enjeu syrien, Paris a tendance à voir la Syrie comme un paramètre (omniprésent) de l’enjeu libanais. Au-delà de ce Liban qui compte régulièrement de nombreux ministres avec la double nationalité franco-libanaise, il y a la Méditerranée et le monde arabe, ce double voisinage stratégique crucial. Il y a aussi les raisons affectives mais rationnelles. Si les Libanais restent proches de la France, cela signifie aussi que la France garde, grâce à eux, un peu d’influence ou au moins de visibilité en Méditerranée orientale. Une influence française au Proche-Orient Le Liban renvoie également à la question des chrétiens d’Orient, qui préoccupe Paris. D’autres puissances régionales ou partis libanais comme le Hezbollah n’ont pas manqué d’accuser la France et sa vision d’un Liban uniquement chrétien. L’argument ne tient pas : on n’a jamais autant critiqué l’amitié franco-libanaise que lorsqu’elle était incarnée par Jacques Chirac et Rafic Hariri, lequel était… sunnite. En revanche, cette question est perçue comme légitime à Paris, non pas au nom du communautarisme mais à l’inverse, de l’universalisme : la France, estime-t-on, n’a pas à se cacher de défendre les minorités opprimées. Elle défend donc les chrétiens d’Orient aujourd’hui maltraités, comme elle a défendu les Kosovars musulmans à la fin des années 1990, ou les Rohingyas plus tard. Le pouvoir de l’émotion Il y a enfin les raisons émotionnelles moins rationnelles. Le Liban de jadis, sa douceur de vivre avant la guerre civile, cette « Suisse du Moyen-Orient Â» qui a sombré avec le sentiment qu’elle avait tout pour être heureuse, n’est pas sans correspondance, dans les inconscients politiques, avec la perte de puissance de l’Europe, avec un passé plus faste, ni avec les doutes que la France entretient aujourd’hui sur son propre déclin. Il n’est donc pas si étonnant de voir la situation actuelle à Beyrouth donner, à Paris, des envies de sursaut, voire de résurrection, à accomplir ensemble. Le manque de moyens français au Proche-Orient malgré une détermination renouvelée sous chaque président de la Ve République, le départ des Occidentaux sous les coups de la violence dans les années 1980, les progrès stratégiques de l’Iran qui a pu compter sur d’innombrables erreurs américaines (surtout en Irak), remuent maintenant bien des sentiments. D’autant que les deux pays, par l’intermédiaire de nombreux liens interpersonnels et interculturels, continuent d’évoquer ensemble, sans cesse, ces paradis perdus. Le temps des prédateurs En se faisant acclamer à Beyrouth tout en tançant ouvertement la classe politique libanaise, Emmanuel Macron suscitera immanquablement une réaction iranienne, qui ne peut apprécier de se voir ainsi damer le pion par une opération politico-médiatique réussie, qui n’est pas sans rappeler la popularité de Jacques Chirac dans la même région un quart de siècle plus tôt. Or Téhéran conserve ses relais, ses réseaux, et bien entendu la puissance du Hezbollah, le parti chiite libanais, sur le terrain, dont les démonstrations de force restent dans toutes les mémoires. Quelle sera, par ailleurs, l’attitude de l’Arabie saoudite, des Émirats, d’Israël ? La Russie, désormais omniprésente auprès du régime syrien moribond mais survivant, pourrait être du côté de ce puissant voisin. Si Vladimir Poutine est probablement trop prudent pour s’engager dans un guêpier moyen-oriental de plus, il ne fera de cadeau à aucune velléité européenne de reprendre la main au Levant. Enfin la Chine, qui a besoin de relais pour les volets méditerranéens de ses Routes de la Soie (la Belt and Road initiative, ou BRI), peut déverser sur le pays, au titre d’aide d’urgence, des sommes que les Européens peineront à rassembler, occupés à financer leurs propres programmes de sauvetage face à la crise sanitaire. Or l’agenda de Pékin n’est pas celui de la France. L’habitude chinoise, comme celle de la Russie, est de soutenir les gouvernements en place pour en tirer des concessions, et non de les pousser à la réforme. Pour reprendre le titre du dernier ouvrage de François Heisbourg (Odile Jacob, 2020), nous sommes au « temps des prédateurs Â». A Beyrouth, le geste habile d’Emmanuel Macron Le voyage d’Emmanuel Macron au Liban reste un geste politique habile en soi. Son immédiateté en fait la première visite d’un dirigeant étranger après la catastrophe du 4 août, ce qui est symboliquement fort. La priorité donnée à la population et à la visite des lieux de l’explosion, plutôt qu’à la classe politique, le tout assorti d’un ton ferme à l’égard de cette dernière, correspond aux attentes populaires des Libanais. Emmanuel Macron a promis une aide logistique supplémentaire publique privée, que la France entend organiser, y compris à l’échelle internationale, avec l’Union européenne. Il a évoqué une conférence internationale de soutien, une aide directement aux acteurs sur place, « sans qu’aucun détournement ne soit possible », soutenu « un ordre politique nouveau », et « des opérations de transparence indispensables ». Prenant ainsi de front « des systèmes qui n’ont plus la confiance de leur peuple », et auxquels il refuse de donner « un chèque en blanc ». Cependant, d’importantes forces internationales ou transnationales n’entendent pas exactement redonner un « mandat libanais Â» à la France. Elles se combinent avec des intérêts internes. Le Liban a ainsi tradition d’en appeler à des forces extérieures pour prévaloir contre ses concurrents sur le plan domestique : à cet égard les notions d’intérêt national et de bien commun demeurent bien hypothétiques au niveau de la classe politique. Des espoirs existent néanmoins, qu’il faudra cultiver en déminant un certain nombre de questions difficiles mais cruciales. Un peuple debout L’espoir principal vient de ce que le Liban, par son peuple, est debout. Il l’était lors de la manifestation du 14 mars 2005 qui a suivi l’assassinat de Rafic Hariri. Il l’était encore cette année, avant la crise sanitaire, lorsque des mouvements de protestation d’ampleur, durables, souvent calmes et toujours déterminés, réclamaient un renouveau complet du système politique. Les manipulations pour semer les germes de la désunion ne prennent plus aussi facilement que par le passé : « l’individu compétent Â» (le skillful individual annoncé dès 1990 par James Rosenau dans son livre Turbulence in World Politics), informé et critique, est passé par là. La jeunesse libanaise, les femmes libanaises, les blogueurs et intellectuels, tous ces segments devenus incontournables dans la société civile, apparus avec force depuis les soulèvements arabes de 2011, ne s’en laissent plus compter. Reste que, pour les aider, la prudence est de mise et des erreurs doivent être évitées. Le « parler-vrai Â» de Macron est-il suffisant ? Quelle est, d’abord, la marge de manÅ“uvre du « parler vrai Â» d’Emmanuel Macron ? En posant les problèmes avec une brutalité certaine et peu diplomatique (évoquant la corruption et les lenteurs du Liban), le président français prend un risque. Il se fera accuser de paternalisme mal placé, de néo-colonisateur, de donneur de leçon. Il faudra préparer des réponses, et réfléchir à cette question : quels risques prend-on à dissocier le peuple de ses dirigeants ? Une conférence de presse face à une communauté journalistique libanaise notablement francophone jeune et féminine, et qui finit par du « Hezbollah bashing Â» à l’ambassade de France, avec une allusion claire au lien entre le Hezbollah et l’Iran ainsi qu’à la « soumission à une puissance extérieure Â», est un exercice qui va très probablement déclencher des réponses. Dans un pays multiconfessionnel complexe, les communautés ne disparaîtront pas : tout, au Liban, repose sur elles. Mais les dépasser pour retrouver un fonctionnement collectif, qui a fait les grandes heures du pays, est une condition sine qua non de son relèvement, notamment en réinventant un pacte social. Cela passe par un renouveau de la classe politique, qui ne doit pas tomber dans le revanchisme, des conférences et aides internationales plus efficaces et s’appuyer réellement sur le volontarisme politique qui émerge de la rue. — Sur le web * Professeur de science politique, Université Clermont Auvergne. ↩ Ces articles pourraient vous intéresser: Soulèvements et protestation dans le futur de l’Iran Le Liban en défaut de paiement : une approche géopolitique Iran : il faut une république libre La révolution au Liban : un espoir pour la région ?
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Figures de style 2

ALLAN ERWAN BERGER — Et voici le retour du jeudi. Comme prévu, nous continuons avec les figures de style. Toutes ne sont pas d’une utilité féroce, mais chacune a été dotée d’un nom, même les plus improbables. Voilà bien encore une fois la preuve de l’évidente passion qu’ont les humains pour les rapports contre-nature avec certains hyménoptères, et pour l’art du cisaillage capillaire en menus morceaux. Épiphore : Répétition d’un même élément à la fin de plusieurs phrases ou morceaux de phrases. Une manière facile de rimailler, comme de faire passer un message. Il n’y en avait plus qu’un, évidemment. Et pas le plus gros, évidemment. Il est question de cornichons, évidemment. Épiphrase : Nous voilà proche de la digression. C’est un commentaire, un ajout qu’on pourrait enlever sans nuire au sens, mais qui a la vertu, parfois de le renforcer, parfois de l’enrichir d’une fratrie, souvent d’alanguir le texte. C’était le plus magnifique, le plus glorieux, le plus puissant (puisqu’après tout, gloire et puissance sont étymologiquement liées –�voyez le mot “glaive”) des cornichons. Il était là, dans son bocal, seul, comme sont tous les princes. Éthopée : Phrase ou ensemble de phrases donnant à sentir le caractère d’une personne ou d’un groupe, mais ne le décrivant pas. Dominer l’éthopée, c’est maîtriser un des arts du portrait, et l’une des bases de la rhétorique. Il se mit à jeter partout de petits coups d’œil furtifs et disserta de ceci, de cela, tâchant d’attirer notre bande de galopins loin du placard à conserves. Il nous dirigea, pour ce faire, vers la cuisine, et surtout vers le réfrigérateur, où reposait apparemment un Pinot blanc olympien au moins, pur nectar de six ans d’âge mollement allongé sur un lit de saumon fumé, qui ne serait que pour nous. Et c’était vrai ! Il nous laissa tous trois à genoux devant cette merveille et, prenant au passage une fourchette, disparut vers le cellier. Euphémisme : Atténue le sens d’un mot ou d’une expression en usant d’une autre tournure, moins douloureuse, moins violente, ou moins vulgaire. Longtemps pour les cornichons j’eus quelques bontés. Maintenant je les envoie promener. Explétion : À vos souhaits. C’est une maladie de mot. On en rajoute un ou deux inutilement, qui n’apportent rien, qu’on pourrait enlever et qu’on laisse pourtant, par souci d’accentuer le trait. C’est tout de même plus pardonnable qu’un pléonasme. Une explétion ratée a du style, une explétion réussie doit être moche. Pas facile ! Un gros gras cornichon, boudiné, bouffi tout rond, charcutiaire en somme, trônait tel un fier boudin vert enrobé d’aneth et d’oignons écrasés. Figura etymologica : Si l’on veut faire son intéressant, on assemblera des mots d’origines diverses mais d’écriture identique. Ce n’est donc pas une répétition, aussi les correcteurs ne pourront-ils rien dire. Cependant, c’est souvent laid. Voir aussi à « Traductio Â». Ce cornichon était si gros qu’il m’en boucha la bouche. Gradation : Je dispose des termes, non identiques mais de sens voisins (pléonasme à l’horizon) en une suite croissante ou décroissante d’intensité. En outre, je puis, si j’ai l’esprit taquin, briser ma suite par une chute inattendue, faible dans une gradation croissante, forte dans une gradation décroissante. Mais je ne le ferai pas. C’était un cornichon bien singulier ; étrange de grosseur, il défiait l’entendement et toute commune mesure par une ampleur monumentale, une envergure proprement vertigineuse. On aurait dit une courgette, une citrouille verte, un de ces melons fantastiques qu’on aimerait jeter dans les jeux de quilles ; c’était un monstre qui faisait songer à la tour Eiffel, au ciel immense, à Dieu. Harmonie imitative : Chapelet de sons qui se répètent, dans l’intention, souvent, d’illustrer un bruit. C’est rarement évident. Il salivait, balbutiait, glatouillait d’abondance. Sa bouche faisait des bulles tandis qu’il cherchait, partout, une fourchette. Il venait de découvrir, solitaire dans un bocal, un énorme cornichon, visiblement oublié. Pur péché ! Hendiadyn : Ou hendiadys. Ce procédé rassemble dans un même instant deux phénomènes qui, dans le temps, se suivent, l’un déterminant l’autre. Il vit le cornichon et ses promesses. Â« Oh ! Délices et culpabilité ! Â», s’écria-t-il avant de foncer, hagard, à la cuisine chercher un ustensile, un alibi. Homéotéleute : C’est, très simplement, une suite de mots finissant par un même phonème. On s’en sert pour s’amuser, pour faire le pitre. C’était un cornichon gras comme un cruchon, folichon polochon de la race, assurément, des patachons. Poil aux greluchons. Hypallage : On dit une hypallage. Il s’agit d’associer à un mot un terme qui, raisonnablement, devrait être attribué à un autre mot, voisin dans la phrase. Parfois, les hypallages se croisent, comme dans ce premier vers d’on ne sait quelle strophe : Tel cornichon qui s’écrase, réjoui, sur ta langue embellie… Évidemment, ce n’est pas tout à fait du Rimbaud, mais l’on découvre ici une technique permettant d’apporter des sens inattendus et pas forcément idiots à des phrases qui, autrement, feraient bâiller. Car si quelque chose ici devait être embelli, c’était évidemment le cornichon, tandis que la langue se serait réjouie. Mais alors, quelle catastrophe : Tel embelli cornichon qui s’écrase sur ta langue réjouie… Bon sang, on se croirait à l’Académie ! Heureusement, l’hypallage nous sauve. Sentez-vous comme le surréalisme approche ? Hyperbate : L’hyperbate accorde du temps au temps. En séparant deux objets qu’habituellement on considère simultanément (je rappelle qu’ici, il s’agit d’un cornichon dans un bocal), ce procédé donne à savourer une progression. « Mais bon sang qu’avez-vous donc à tourner-virer devant ce fichu buffet ! Laissez-moi voir ! Et rendez-moi cette fourchette ! » Il fallut lui laisser la place. Elle ouvrit le battant. Apparut le royal bocal, et sa majesté le cornichon. La suite next week.
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Tong Cuong: Providence

DANIEL DUCHARME — Vous est-il déjà arrivé, après la lecture d’un roman, d’hésiter avant d’énoncer votre verdict, à savoir si vous avez aimé ou non ce livre? Cela vient de m’arriver avec Providence de la romancière française Valérie Tong Cuong, un roman que j’ai lu à une vitesse vertigineuse tant je me suis laissé prendre par le fil du récit. Providence se présente sous la forme d’un roman polyphonique à quatre voix. La première de ces voix s’appelle Marylou, mère célibataire ou, comme on dit au Québec, cheffe de famille monoparentale. Secrétaire dans une société de gestion financière, Marylou est prête à subir les pires humiliations de la part de son patron, juste pour retrouver le sourire de son fils, Paulo, le soir quand elle rentre chez elle. Paulo, son fils, a onze ans, et c’est lui sa raison de vivre. La deuxième voix est celle d’Albert, un vieux monsieur de soixante-quinze ans qui vient d’apprendre qu’il est atteint d’un cancer et ce, le jour même où il apprend qu’il a été adopté, ce qui explique bien des choses, rétrospectivement sur le comportement de sa mère et, surtout, sur celui de sa sœur cadette. Il est riche, ayant travaillé toute sa vie sur des grands chantiers à l’étranger. Devant le notaire, une fois le choc encaissé, il lègue des sommes ridicules à sa sœur et à son neveu, des gens cupides. La troisième voix est celle de Prudence, une avocate d’origine sénégalaise qui subit le racisme au bureau où elle occupe néanmoins un poste important. Au seuil de l’adolescence, elle a fait une tentative de suicide pour un garçon qu’elle retrouvera en s’occupant d’un dossier, car lui-même est devenu juge d’instruction. Enfin, la quatrième voix est celle de Tom, un homme de cinquante-sept ans qui a fort bien réussi sa vie dans le milieu du cinéma et de la télévision. Il est follement amoureux de Libby, une fille plus jeune que lui qu’il s’apprête à demander en mariage… alors qu’il la surprend en train de le tromper avec Aline, une copine. Juste avant, il fait une chute à vélo qui le conduit à l’hôpital. La vie de ces quatre personnages, qui ont chacun leur histoire, est chamboulée le jour où un étage complet d’un immeuble est soufflé par une bombe, résultat d’un attentat terroriste. Auparavant une panne de métro, causée par une tentative de suicide, va également avoir une certaine influence sur le destin des personnages… Et c’est là qu’intervient une cinquième voix, celle d’un homme de trente ans qui, non content d’avoir raté sa vie, trouve le moyen de rater son suicide dans le métro… Mais la panne de transport que cet incident occasionne aura des conséquences inattendues, mais heureuses, sur chacun des personnages de Providence. Je ne me prononce pas sur le fait que Valérie Tong Cuong écrive bien ou non, car son récit, rédigé à la première personne, s’avère très proche du langage parlé. Si j’étais critique dans une revue littéraire, je dirais�qu’elle a un style simple… mais terriblement efficace! Une manière comme une autre d’éviter de me mouiller. Par contre, ce dont je suis sûr, c’est que son récit à quatre voix est remarquablement bien construit et, à la fin, on se laisse gagner avec enthousiasme par son dénouement, un peu hollywoodien, certes, mais très emballant. La fin est effectivement peu réaliste… mais on y croit, ce qui est assez étonnant, d’ailleurs… La seule chose qui m’a agacé dans ce roman, c’est peut-être ce côté hollywoodien, justement, comme si la romancière, en l’écrivant, avait caressé l’espoir – avoué ou non – d’en céder les droits pour le cinéma. Après coup, après une visite succincte du site Web de l’auteure qui, incidemment, utilise à bon escient les technologies en vogue pour faire la promotion de ses livres (un site Web, un blogue par roman, un espace sur MySpace, un compte FaceBook, etc.), j’apprenais qu’elle venait justement de céder les droits de Providence au cinéma… Née dans la banlieue de Paris (impossible de savoir en quelle année), Valérie Tong Cuong écrit et chante dans le groupe Quark. Outre Providence, elle a publié cinq romans: Big (1997, Nil), Gabriel (1999, Nil), Où je suis (2001, Grasset), Ferdinand et les iconoclastes (Grasset, 2003), Noir dehors (2006, Grasset). Tong Cuong, Valérie. Providence. Paris, Stock, 2008
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