ALLAN ERWAN BERGER — Et voici le retour du jeudi. Comme prévu, nous continuons avec les figures de style. Toutes ne sont pas d’une utilité féroce, mais chacune a été dotée d’un nom, même les plus improbables. Voilà bien encore une fois la preuve de l’évidente passion qu’ont les humains pour les rapports contre-nature avec certains hyménoptères, et pour l’art du cisaillage capillaire en menus morceaux. Épiphore :
Répétition d’un même élément à la fin de plusieurs phrases ou morceaux de phrases. Une manière facile de rimailler, comme de faire passer un message.
Il n’y en avait plus qu’un, évidemment.
Et pas le plus gros, évidemment.
Il est question de cornichons, évidemment. Épiphrase :
Nous voilà proche de la digression. C’est un commentaire, un ajout qu’on pourrait enlever sans nuire au sens, mais qui a la vertu, parfois de le renforcer, parfois de l’enrichir d’une fratrie, souvent d’alanguir le texte.
C’était le plus magnifique, le plus glorieux, le plus puissant (puisqu’après tout, gloire et puissance sont étymologiquement liées –voyez le mot âœglaiveâ) des cornichons. Il était là , dans son bocal, seul, comme sont tous les princes. Éthopée :
Phrase ou ensemble de phrases donnant à sentir le caractère dâ™une personne ou dâ™un groupe, mais ne le décrivant pas. Dominer lâ™Ã©thopée, câ™est maîtriser un des arts du portrait, et lâ™une des bases de la rhétorique.
Il se mit à jeter partout de petits coups dâ™Å“il furtifs et disserta de ceci, de cela, tâchant dâ™attirer notre bande de galopins loin du placard à conserves. Il nous dirigea, pour ce faire, vers la cuisine, et surtout vers le réfrigérateur, où reposait apparemment un Pinot blanc olympien au moins, pur nectar de six ans dâ™Ã¢ge mollement allongé sur un lit de saumon fumé, qui ne serait que pour nous. Et câ™Ã©tait vrai ! Il nous laissa tous trois à genoux devant cette merveille et, prenant au passage une fourchette, disparut vers le cellier. Euphémisme :
Atténue le sens dâ™un mot ou dâ™une expression en usant dâ™une autre tournure, moins douloureuse, moins violente, ou moins vulgaire.
Longtemps pour les cornichons jâ™eus quelques bontés.
Maintenant je les envoie promener. Explétion :
à vos souhaits. Câ™est une maladie de mot. On en rajoute un ou deux inutilement, qui nâ™apportent rien, quâ™on pourrait enlever et quâ™on laisse pourtant, par souci dâ™accentuer le trait. Câ™est tout de même plus pardonnable quâ™un pléonasme. Une explétion ratée a du style, une explétion réussie doit être moche. Pas facile !
Un gros gras cornichon, boudiné, bouffi tout rond, charcutiaire en somme, trônait tel un fier boudin vert enrobé dâ™aneth et dâ™oignons écrasés. Figura etymologica :
Si lâ™on veut faire son intéressant, on assemblera des mots dâ™origines diverses mais dâ™Ã©criture identique. Ce nâ™est donc pas une répétition, aussi les correcteurs ne pourront-ils rien dire. Cependant, câ™est souvent laid. Voir aussi à « Traductio ».
Ce cornichon était si gros quâ™il mâ™en boucha la bouche. Gradation :
Je dispose des termes, non identiques mais de sens voisins (pléonasme à lâ™horizon) en une suite croissante ou décroissante dâ™intensité. En outre, je puis, si jâ™ai lâ™esprit taquin, briser ma suite par une chute inattendue, faible dans une gradation croissante, forte dans une gradation décroissante. Mais je ne le ferai pas.
Câ™Ã©tait un cornichon bien singulier ; étrange de grosseur, il défiait lâ™entendement et toute commune mesure par une ampleur monumentale, une envergure proprement vertigineuse. On aurait dit une courgette, une citrouille verte, un de ces melons fantastiques quâ™on aimerait jeter dans les jeux de quilles ; câ™Ã©tait un monstre qui faisait songer à la tour Eiffel, au ciel immense, à Dieu. Harmonie imitative :
Chapelet de sons qui se répètent, dans lâ™intention, souvent, dâ™illustrer un bruit. Câ™est rarement évident.
Il salivait, balbutiait, glatouillait dâ™abondance. Sa bouche faisait des bulles tandis quâ™il cherchait, partout, une fourchette. Il venait de découvrir, solitaire dans un bocal, un énorme cornichon, visiblement oublié. Pur péché ! Hendiadyn :
Ou hendiadys. Ce procédé rassemble dans un même instant deux phénomènes qui, dans le temps, se suivent, lâ™un déterminant lâ™autre.
Il vit le cornichon et ses promesses. « Oh ! Délices et culpabilité ! », sâ™Ã©cria-t-il avant de foncer, hagard, à la cuisine chercher un ustensile, un alibi. Homéotéleute :
Câ™est, très simplement, une suite de mots finissant par un même phonème. On sâ™en sert pour sâ™amuser, pour faire le pitre.
Câ™Ã©tait un cornichon gras comme un cruchon, folichon polochon de la race, assurément, des patachons. Poil aux greluchons. Hypallage :
On dit une hypallage. Il sâ™agit dâ™associer à un mot un terme qui, raisonnablement, devrait être attribué à un autre mot, voisin dans la phrase.
Parfois, les hypallages se croisent, comme dans ce premier vers dâ™on ne sait quelle strophe :
Tel cornichon qui sâ™Ã©crase, réjoui, sur ta langue embellieâ¦
Évidemment, ce nâ™est pas tout à fait du Rimbaud, mais lâ™on découvre ici une technique permettant dâ™apporter des sens inattendus et pas forcément idiots à des phrases qui, autrement, feraient bâiller. Car si quelque chose ici devait être embelli, câ™Ã©tait évidemment le cornichon, tandis que la langue se serait réjouie. Mais alors, quelle catastrophe :
Tel embelli cornichon qui sâ™Ã©crase sur ta langue réjouieâ¦
Bon sang, on se croirait à lâ™Académie ! Heureusement, lâ™hypallage nous sauve. Sentez-vous comme le surréalisme approche ? Hyperbate :
Lâ™hyperbate accorde du temps au temps. En séparant deux objets quâ™habituellement on considère simultanément (je rappelle quâ™ici, il sâ™agit dâ™un cornichon dans un bocal), ce procédé donne à savourer une progression.
« Mais bon sang quâ™avez-vous donc à tourner-virer devant ce fichu buffet ! Laissez-moi voir ! Et rendez-moi cette fourchette ! » Il fallut lui laisser la place. Elle ouvrit le battant. Apparut le royal bocal, et sa majesté le cornichon.
La suite next week.
http://dlvr.it/RdDgqF
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