Le Conseil d’État vient d’exiger que la préfecture de police de Paris cesse sa surveillance par drones des manifestations (voir sa décision). Allant encore plus loin que son interdiction de mai dernier, la plus haute juridiction administrative est particulièrement virulente contre l’utilisation de drones en manifestation, laissant peu de place au gouvernement pour autoriser ceux-ci dans sa PPL Sécurité Globale. Le rapport de force s’inverse enfin: engouffrons-nous dans la brèche !
Comme nous le racontions, à la suite de la première interdiction exigée par le Conseil dâ™Ã‰tat en mai dernier, la préfecture de police de Paris a continué à utiliser les drones pour surveiller, notamment, les manifestations. Nous avons été donc forcé·es de former un nouveau recours contre cette surveillance illégale, recours que nous venons donc de gagner devant le Conseil dâ™Etat.
La préfecture de police avait tenté, pour contourner lâ™interdiction faite par le Conseil dâ™Ã‰tat dâ™utiliser des drones, dâ™ajouter un dispositif de floutage par intelligence artificielle. Aujourdâ™hui, le Conseil dâ™Ã‰tat a entièrement rejeté cette tentative grotesque dâ™esquiver la loi. La préfecture de police est donc enjointe dâ™arrêter immédiatement le déploiement de drones en manifestation.
Le Conseil dâ™Ã‰tat va même plus loin et dénonce le dispositif dans son essence : « le ministre nâ™apporte pas dâ™Ã©lément de nature à établir que lâ™objectif de garantie de la sécurité publique lors de rassemblements de personnes sur la voie publique ne pourrait être atteint pleinement, dans les circonstances actuelles, en lâ™absence de recours à des drones ».
En droit des données personnelles, si lâ™utilité dâ™un dispositif de surveillance nâ™est pas clairement démontrée, il ne peut jamais être autorisé (en matière de données sensibles, telles que les opinions politiques captées en manifestation, il faut même que le dispositif soit « absolument nécessaire » au maintien de lâ™ordre).
En dénonçant lâ™absence dâ™une telle preuve, le Conseil dâ™Ã‰tat prive donc lâ™article 22 de la proposition de loi Sécurité Globale de tout fondement. Cette décision du Conseil dâ™Ã‰tat est une double claque pour le gouvernement : non seulement les drones sont interdits, mais le gouvernement a perdu toute légitimité juridique à vouloir les autoriser dans la loi (à moins dâ™apporter lâ™impossible preuve dâ™une « nécessité absolue »).
Après de longues semaines douloureuses à subir une série de projets autoritaires et de violences en manifestation, il se pourrait que le rapport de force commence enfin à sâ™inverser, le camp sécuritaire connaissant sa première défaite majeure. Lâ™année 2021 commencera dans cette optique et, avec vous, nous vaincrons !
Pour documenter la lutte, nous détaillons ci-dessous lâ™ensemble du débat juridique contre le gouvernement qui, commençant il y a 6 mois, a conduit à la victoire dâ™aujourdâ™hui. Premier confinement : le déploiement sauvage de drones déclaré illégal
En avril 2020, alors que la France connaissait un premier confinement , nous documentions comment les différentes forces de police en profitaient pour mettre à lâ™essai un usage totalement sauvage et opaque des drones. La tentation sécuritaire derrière cette initiative était très forte et assumée : celle de surveiller tout, tout le temps, par des moyens toujours plus intrusifs. Câ™est début mai, suite à un article de Mediapart qui avait obtenu des détails sur les drones parisiens, que nous attaquions en urgence cet usage aux côtés de la Ligue des droits de lâ™Homme dans la ville de Paris. Au-delà de ce cas particulier, le but de ce recours était dâ™obtenir une décision de justice démontrant lâ™illégalité de lâ™ensemble des déploiements de drones.
Le Conseil dâ™Ã‰tat nous a donné raison. Par une ordonnance de mai 2020, il enjoignait ainsi à la préfecture de police de Paris de cesser dâ™utiliser ses drones pour faire respecter les mesures sanitaires. Le juge estimait que les drones, en lâ™absence de tout encadrement, portaient atteinte aux libertés fondamentales et devaient être interdits. Si la décision de mai ne concernait que les drones utilisés à Paris pour faire respecter les règles propres au confinement, le raisonnement affiché par le Conseil dâ™Etat pouvait être utilisé de façon plus large et sâ™appliquer contre tout type dâ™usage. Ce qui nâ™a pas empêché le préfet Lallement de lâ™ignorer de façon délibérée. Les manifestations : nouveau terrain de surveillance par drones
Avec lâ™assouplissement des mesures sanitaires et la ré-autorisation des manifestations, la préfecture de police ne sâ™est pas privée dâ™utiliser les drones pour surveiller ces rassemblements. Cet usage nâ™Ã©tait pas nouveau (les manifestations de gilets jaunes ont quelquesfois été surveillées par drones avant le confinement), mais il venait cette fois-ci violer frontalement la décision du Conseil dâ™Ã‰tat qui venait de déclarer leur utilisation illégale quelques semaines plus tôt.
Câ™est grâce à votre aide que nous avons pu documenter cet usage par la préfecture de police : en juin, juillet, septembre, octobre. Lors de la procédure, la préfecture de police nâ™a jamais contesté cette utilisation systématique des drones en manifestation.
Surtout, si cette surveillance des manifestations restait illégale, elle questionnait lâ™usage des drones sous un angle nouveau : les opinions politiques nâ™ont pas à être surveillées. Câ™est pour cela que nous avons déposé un nouveau recours en urgence devant le Tribunal administratif de Paris. Le floutage des personnes : un artifice dangereux
Grâce à cette nouvelle procédure, il nous a été révélé que la préfecture de police de Paris a tenté de contourner la première ordonnance de mai en mettant en place un dispositif de floutage par intelligence artificielle : une fois captées, les images des drones étaient transmises à un serveur chargé de flouter les personnes, avant de retransmettre les informations (images floutées et non-floutées) au centre de commandement de la police.
Mediapart analysait en novembre les documents de la préfecture tentant de justifier et dâ™expliquer ce procédé. Ce dispositif de floutage, réversible et soumis au seul bon vouloir de la police, était une tentative grossière de la préfecture de police de tromper les juges. Le Conseil dâ™Ã‰tat, contrairement au tribunal administratif de Paris, nâ™est pas tombé dans le piège : le rapporteur public1 estimait à lâ™audience que la préfecture de police avait commis une erreur de lecture de lâ™ordonnance de mai et que le fait de flouter les personnes souligne le problème intrinsèque aux drones : ce genre de dispositif a bien une capacité très importante de surveillance et un floutage a posteriori nâ™enlève rien à cela. La CNIL doit mettre fin à la mauvaise foi de la police
Cette affaire met en lumière lâ™incroyable mauvaise foi de la préfecture de police qui, durant toute la procédure, a tenté de sauver son dispositif à lâ™aide dâ™indignes pirouettes, faisant ainsi évoluer sa doctrine dâ™utilisation des drones au gré des débats1, ou nâ™hésitant pas à contredire de manière éhontée ses propres documents quand nous les retournions contre elle pour appuyer lâ™illégalité du déploiement des drones.
La préfecture de police est en roue libre et il est fondamental de mettre fin à cette impunité. Le préfet de police a par exemple attendu près de deux mois pour appliquer (faussement vient de dire le Conseil dâ™Ã‰tat) la décision de mai. Combien de temps lui faudra-t-il cette fois-ci ? La CNIL doit passer à lâ™action et sanctionner les forces de police nationale et de gendarmerie qui continuent dâ™utiliser des drones ou des hélicoptères pour surveiller les manifestations ou faire appliquer les règles sanitaires. Nous lui avons mâché le travail, à elle de prendre le relais.
Cette nouvelle interdiction des drones intervient alors que la proposition de loi Sécurité Globale a déjà été votée en première lecture à lâ™Assemblée nationale et arrivera à la rentrée devant le Sénat. Après les critiques des rapporteur·es des Nations Unies de la Défenseure des droits et de 188 organisations, et les manifestations qui ont eu lieu partout en France contre ce texte, son rejet est dâ™autant plus important. Non seulement cette loi légalise les usages policiers de drones et accentue une fois de plus la pression sécuritaire sur les citoyen·nes, mais elle fait également fi de la protection la plus élémentaire des libertés fondamentales.
Source : Laquadrature.net
Informations complémentaires : Crashdebug.fr : Une réforme discrète et hop ! la France est revenue à lâ™Ancien Régime (Reporterre.net) Crashdebug.fr : Crise du Covid-19 : la technopolice profite de la stratégie du choc (LQDN) Crashdebug.fr : Loi sécurité globale : surveillance généralisée des manifestations (LQDN) Crashdebug.fr : Identité numérique : des députés appellent l'Etat à accélérer (Les Echos.fr) Crashdebug.fr : Des Français toujours plus fichés ? (DECRYPTAGE)
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