samedi 21 novembre 2020

L’étude publiée par Nature ne justifie pas la fermeture des restaurants

Les restaurateurs n’en avaient décidément pas besoin. La semaine dernière, une étude publiée dans Nature les a placés au premier rang des responsables de la propagation de l’épidémie. Voilà qui augure mal pour leur réouverture, qui semble devoir attendre jusqu’à la mi ou fin janvier�! Pourtant, cette étude présente de telles limites que de telles conclusions sont bien trop hâtives.   Trop d’angles-morts pour conclure quoique ce soit   Avant de rentrer dans l’analyse des résultats de cette étude, un point semble avoir complètement échappé aux commentateurs. Une chercheuse de l’université de Stanford a analysé et décortiqué les mouvements de 98 millions d’étatsuniens pendant 30 jours, dans 10 grandes villes en mars/avril. Sur son site, Nature semble indiquer que les données viennent de Google et portent sur la localisation des téléphones portables. Même si l’objectif de cette étude répond à l’intérêt général, à savoir comprendre comment le virus se transmet, il est tout de même effarant que les données de localisation de dizaines de millions de personnes puissent être récupérées de la sorte, probablement sans autorisation express. Bien sûr, cela est sans doute couvert par les conditions générales qui ont été « acceptées Â», mais ce simple fait pose problème. Si cela est possible, ces données ne sont-elles pas trop facilement accessibles ?   Mais outre la question de la vie privée, pas complètement respectée ici, même si les données sont noyées dans la masse, une revue de la presse, ou du site de Nature, pose tout de même beaucoup de questions. D’abord, parce qu’il s’agit de données de téléphones portables, l’étude se dit elle-même aveugle sur le rôle des écoles et des maisons de retraite, comme cela a été soulignédans les média. Au global, si elle reste exceptionnelle par la quantité des données traitées (98 millions de personnes, pas moins de 5,4 milliards d’heures), on peut se demander si le fait de n’inclure qu’une partie de la population, sur dix villes seulement, dans une configuration excluant bureaux, transports en commun, écoles, universités, lieux d’habitation, maisons de retraite, qui ont pourtant été des lieux de propagation importants au printemps, n’est pas trop partiel pour donner des résultats véritablement pertinents ?   D’ailleurs, cette étude ne reposant pas non plus sur des données individuelles de contamination, se « contente Â» de modéliser des « nombres de contaminations potentielles pour 100 000 habitants Â» en croisant les données réelles de contamination avec les mouvements des personnes concernées. Il est tout de même étrange de ne pas avoir pu prendre en compte les lieux de travail, les transports en commun, le domicile, outre les établissements scolaires et les maisons de retraite. Il est étonnant que les supermarchés ressortent si bas étant donné leurs flux (jusqu’à plus de 10 000 personnes en une journée) et le libre-service, qui multiplie les opportunités de contamination. En outre, il ne s’agit pas des données Bluetooth, qui pourraient mesurer le temps passé à proximité des autres individus, mais de données moins précises qui indiquent seulement les flux de personnes, sans prendre en compte les interactions proches, qui sont pourtant les moments où la contamination est la plus facilitée.   Autre biais, parce que cette étude se base uniquement sur les flux de personnes, on peut se demander si les lieux comme les restaurants, qui accueillent les personnes les plus mobiles, et donc les plus susceptibles d’être contaminées, ne risquent pas d’être pénalisés, sans pour autant qu’il soit démontré qu’ils sont les principaux vecteurs de la contamination. Seul un croisement individuel, basé sur les contaminations réelles, permettrait de vraiment conclure. Enfin, même s’il est dit que la superficie est prise en compte, l’indicateur de nombre moyen de contaminations par établissement n’en fait pas mention, regroupant des catégories d’établissement extrêmement hétéroclites en taille et trafic. Plus globalement, les résultats de cette étude semblent peu exploitables tant il y a d’angles-morts dans l’analyse. Si une modélisation peut avoir des vertus, trop partielle, sa valeur devient très douteuse.   Pour couronner le tout, l’étude porte sur les Etats-Unis au printemps dernier, ce qui introduit de nouveaux biais par rapport à la situation Française. Les protocoles sanitaires n’étaient probablement guère en place en mars/avril, et les commerces Etatsuniens ne ressemblent pas complètement aux commerces Français. Bref, tirer la moindre leçon de cette étude pour définir les choix de notre pays aujourd’hui est totalement extravagant. De manière plus intéressante quoique très théorique, l’étude avance qu’une réduction de 50% de la capacité d’accueil permet de réduire d’un tiers les contaminations, et de 70%, de deux tiers, ce qui signifie logiquement que les protocoles en place réduisent grandement le risque et questionnent grandement la fermeture des restaurants, si elle devait être prolongée. Bien sûr, ils sont sans doute un danger, mais est-il vraiment plus grand que d’autres établissements restés ouverts ?   Cela ne retire rien à l’utilité d’une telle étude, mais il faudrait la réaliser en France, maintenant, avec les protocoles mis en place, et probablement utiliser l’application gouvernementale, sous contrôle de la CNIL et avec l’autorisation des personnes tracées, pour pouvoir lier véritablement contamination et mouvements. Il est malheureux que dans un pays avec une tradition scientifique aussi reconnue que la France, nous ne semblions pas davantage prompts à le faire aujourd’hui. Trop de choix semblent faits aujourd’hui pour de mauvaises raisons, et avec bien peu d’études pour guider les choix faits. La décision d’une fermeture arbitraire d’un type d’établissements me semble beaucoup trop lourde pour se contenter d’une étude aussi imparfaite, surtout quand on ne connaît pas les liens des auteurs.   S’appuyer sur cette étude pour repousser à l’année prochaine l’ouverture des restaurants serait une énorme erreur. Il serait beaucoup trop rapide et superficiel de conclure à une dangerosité particulière de ces restaurants si maltraités depuis mars, malgré leurs efforts, et alors qu’ils sont un joyau de notre patrimoine. Et il y a urgence à lancer des études pour mieux comprendre les dynamiques de contamination.
http://dlvr.it/Rm7q0F

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