lundi 21 septembre 2020

Quels biais cognitifs ont influencé la réaction de la population face à la COVID-19 ?

Par Patrick Carroll. Un article de The Foundation for Enconomic Education Un certain nombre d’événements actuels peuvent à juste titre être qualifiés de «�sans précédent Â». Qu’il s’agisse de la pandémie elle-même, des mesures de confinement prises par l’État ou des plans de sauvetage massifs, il semble que tout ce à quoi nous sommes confrontés ressemble à un territoire inexploré. Le grand défi que pose l’absence de précédent est qu’il complique le processus de prise de décision. Normalement, l’expérience sert de guide en nous aidant à orienter notre approche, et elle joue un rôle essentiel dans la rationalisation des décisions auxquelles nous sommes confrontés. Toutefois, pour ce qui nous concerne, l’absence de précédent nous a désespérément conduits à opter pour la simplicité, et dans notre détresse, je crois que nous avons inconsciemment succombé à notre prédisposition naturelle pour les raccourcis mentaux, également connus sous le nom de biais cognitifs. L’étude des biais cognitifs est fascinante, mais aussi déroutante. De plus en plus, les chercheurs se rendent compte que nos distorsions cognitives sont à l’origine d’importantes erreurs de jugement, souvent bien plus que nous ne le pensons. Dans ce contexte, je pense qu’il est intéressant de prendre un peu de recul pour réfléchir à la manière dont nos biais ont influencé notre réponse à cette pandémie. Pour cela, commençons d’abord par nous remémorer le moment où tout ce fiasco a débuté. Avant les mesures de confinement À la mi-mars, un certain nombre de biais ont joué un rôle dans l’élaboration de notre réponse initiale. L’un des biais les plus importants à cet égard était l’heuristique de disponibilité. Décrite pour la première fois par Kahneman et Tversky en 1973, l’heuristique de disponibilité désigne la tendance à mal évaluer l’importance, la fréquence ou la probabilité des événements en accordant un crédit excessif à des éléments plus faciles à se rappeler (comme les événements les plus récents). Ce concept est étroitement lié au biais de saillance, qui est la tendance à se concentrer sur les choses qui sont plus remarquables ou plus frappantes et à ignorer les choses qui passent inaperçues. Lorsque l’on se penche sur les événements précédant les mesures de confinement, il n’est pas difficile de voir quel rôle ces biais ont joué. Le danger imminent d’une pandémie mondiale a largement dominé le paysage médiatique en quelques jours, il est donc logique que nous lui ayons accordé beaucoup d’attention. Mais alors que les cas de contamination et les décès liés à la COVID-19 ont fait l’objet d’une large diffusion et ont donc été largement mis en évidence, les effets négatifs des mesures de confinement sont restés largement méconnus. En fait, le désintérêt pour ces répercussions a fini par être si inquiétant qu’un groupe de plus de 600 médecins a envoyé une lettre au président Trump pour l’avertir des « conséquences négatives d’un confinement général sur la santé, qui se développent de manière exponentielle Â» et souligner que « ces effets sur la santé… sont massivement sous-estimés et sous-déclarés Â». Les conséquences imprévues du confinement se sont révélées être un rappel sérieux de ce qui peut arriver lorsque nous ne regardons pas au-delà des intentions immédiates de décisions politiques aveugles. En effet, cette absence de vision est précisément ce dont Hazlitt nous a mis en garde dans son livre L’économie en une leçon. Mais même si notre aveuglement face à ces effets secondaires est normal et compréhensible, il n’est en aucun cas inévitable. Nous sommes parfaitement capables de discerner ce que l’on ne voit pas tant que nous nous souvenons de regarder. Une autre conséquence de la focalisation des médias sur la COVID-19 est que nous nous sommes rapidement retrouvés confrontés à une multitude de scénarios inquiétants. Cette sensibilisation a probablement produit un effet de vérité illusoire, c’est-à-dire la tendance à croire que l’information est exacte à la suite de nombreuses répétitions, en dépit du fait qu’elle puisse être fausse. En outre, de nombreuses personnes ont exprimé des prévisions démesurées (ce qui constitue sans doute un autre biais) et ont fait preuve d’un excès de confiance et de prétention. Enfin, alors que de plus en plus de personnes ont adhéré au récit alarmiste, les biais de disponibilité, de saillance, la répétition des informations et l’excès de confiance se sont accrus. La boucle de rétroaction positive qui s’ensuivit était inévitable, tout comme l’effet de mode qui en découlait. Les biais pendant le confinement Quelques semaines après que les mesures de confinement eurent été imposées, il est devenu évident que la courbe s’était aplatie et que le risque extrême s’était atténué. Mais alors que les semaines se transformaient en mois, les autorités étaient particulièrement réticentes à lever le confinement et lorsqu’elles l’ont finalement fait ce fut de manière lente et laborieuse. Mais pourquoi donc ? Officiellement, ils s’inquiétaient pour notre santé (quelles que soient les conséquences imprévues), mais je pense qu’il y a un autre facteur en jeu appelé le biais du statu quo. Le statu quo est la tendance à préférer l’état actuel des choses et à éviter le changement. Certes, cela n’a pas empêché les politiciens d’imposer le confinement au départ, en grande partie parce que d’autres facteurs prévalaient. Mais une fois les mesures imposées, elles sont devenues le nouveau statu quo, la « nouvelle norme Â», impliquant désormais de fait une résistance psychologique à leur retrait. De nombreuses explications du biais du statu quo ont été proposées, et il est probable que chacune d’entre elles y contribue à des degrés divers. Citons par exemple les plus courantes : l’aversion aux pertes, le biais par omission et le sophisme des coûts irrécupérables. Examinons-les brièvement l’une après l’autre. L’aversion aux pertes est l’idée que nous préférons généralement éviter des pertes plutôt qu’acquérir des gains équivalents. Cela signifie concrètement que nous rejetons souvent un changement en raison de ses possibles inconvénients, et ce même s’ils sont compensés par des avantages éventuels. Une autre explication est le biais d’omission, qui est notre propension à considérer qu’un tort causé par une action est pire qu’un tort causé par une omission. Dans le cas du dilemme du tramway par exemple, les individus se sentent plus enclins à laisser le mal se produire qu’à le provoquer activement. Cette préférence pour l’inaction semble refléter un sentiment moral sous-jacent, mais elle peut également impliquer une crainte de regret, puisque nous pourrions nous attendre à regretter nos actions davantage que nos inactions. Enfin, le sophisme des coûts irrécupérables est la tendance à justifier le statu quo en raison d’investissements passés, même lorsqu’il est devenu évident que ces investissements étaient peu judicieux et que la stratégie devrait être reconsidérée. Dans ce contexte, notre résistance au changement provient de notre refus d’admettre que nous avions tort. La difficulté est que tant que nous ne changeons pas de cap, nous n’avons pas à reconnaître que nous avons fait une erreur. Bien que nous puissions parvenir à nous écarter du statu quo, nous sommes toujours réticents à un changement trop rapide. Cette hésitation est probablement une manifestation du biais de conservatisme, qui est la tendance à ne pas réviser suffisamment nos convictions lorsqu’on nous présente de nouvelles informations. Bien qu’il soit impossible de déterminer l’étendue de son influence, le biais de conservatisme offre une explication convaincante de la raison pour laquelle les restrictions ont été assouplies si lentement, bien après que la courbe ait été aplatie. « Les mesures de confinement sont déjà en place. Pourquoi ne pas les prolonger encore un peu, juste pour être sûr ? Â» Le dénominateur commun à tous ces concepts est la peur. La peur de la perte, la peur de regretter, et donc la peur du changement. Et c’est logique, car notre réaction naturelle à la peur est la paralysie. Il est plus sûr de maintenir le cap que de commencer à aller dans une autre direction. Mais les politiciens ne s’inquiètent pas uniquement de la perte et du regret. Ils s’inquiètent aussi de leur image. Et bien qu’ils ne veuillent pas l’admettre, leur souci de leur propre réputation a probablement joué un rôle considérable dans leurs décisions. Imaginez ce qu’il se passerait si les mesures de confinement étaient levées plus rapidement. Tout d’abord, ce serait un aveu implicite que ces dernières avaient été mal inspirées et qu’elles n’étaient probablement pas nécessaires au départ. Deuxièmement, les décideurs risqueraient d’être accusés en cas de recrudescence des cas d’infections. Mais tant qu’ils maintiennent un confinement strict, ils peuvent nous reprocher toute éventuelle reprise de l’épidémie parce qu’eux « font tout ce qu’ils peuvent Â». En bref, il était bien plus judicieux pour eux de prolonger le confinement « pour assurer votre sécurité Â» plutôt que d’admettre qu’ils avaient tort et avaient réagi de manière excessive. Et si quelques millions de personnes devaient perdre leur emploi pour que les politiciens puissent sauver la face, qu’il en soit ainsi. Les biais après le confinement Maintenant que les mesures sont levées et que la vie reprend lentement son cours, une autre série de biais se manifeste. L’exemple le plus évident est le biais rétrospectif, qui est la tendance à percevoir les événements historiques comme étant plus prévisibles qu’ils ne l’étaient en réalité. De la même manière que beaucoup faisaient preuve d’une confiance excessive avant le confinement, beaucoup se congratulent maintenant, convaincus qu’ils « savaient depuis le début Â». Cela est intimement lié au biais de confirmation, qui est notre tendance à rechercher, interpréter, favoriser et nous rappeler des informations qui confirment nos croyances préexistantes. Comme le dit Sherlock Holmes, nous « nous mettons à torturer les faits pour les faire cadrer avec les théories, au lieu d’adapter les théories aux faits ». Un bon exemple de cela a été notre propension à interpréter la baisse des taux d’infection comme une confirmation que le confinement a « fonctionné« , alors qu’il s’agit en fait d’un exemple classique d’erreur post hoc. Le succès apparent des mesures de confinement a ainsi conduit de nombreuses personnes à conclure que les décisions initiales étaient nécessaires et légitimes. Mais cette conclusion n’est qu’un exemple de biais de résultat, selon lequel nous jugeons la qualité de la décision en fonction de la qualité du résultat. En réalité, la présence d’une issue positive ne prouve pas nécessairement que les décisions initiales étaient justifiées. De plus, si l’on considère les conséquences collatérales, il y a de bonnes chances que le confinement ait fait plus de mal que de bien. Le biais le plus dangereux Malgré l’importance de tous les biais mentionnés jusqu’à présent, il y en a un qui me trouble particulièrement : c’est le biais d’autorité. Le biais d’autorité est la tendance à attribuer une plus grande fiabilité à l’opinion d’une figure d’autorité et à être davantage influencé par cette opinion. Ce biais a notamment été établi par la tristement célèbre expérience de Milgram en 1961, qui a illustré l’étonnante propension des gens à faire confiance et à obéir aux figures d’autorité, jusqu’au point de violer leur propre code de conduite. L’influence omniprésente des biais d’autorité tout au long de la pandémie a été particulièrement préoccupante. Dès le début, les gens ont fait aveuglément confiance aux « experts« , même s’ils ont fermé nos entreprises, sapé nos capacités de réponse et piétiné nos libertés civiles. Et très franchement, cela me fait peur. Qu’est-il advenu de la saine méfiance à l’égard de l’autorité ? Quand avons-nous perdu notre scepticisme et notre vigilance ? Avons-nous oublié qu’eux aussi sont de simples mortels ? Avons-nous oublié comment penser par nous-mêmes et comment assumer la responsabilité de notre propre vie ? Peut-être. Ou peut-être avons-nous simplement oublié d’être attentifs à nos biais. Peut-être avons-nous été inconsciemment attirés vers les réponses toutes faites, la mentalité de troupeau, le statu quo et les faits qui le confirment. Si c’est le cas, alors je pense qu’il y a encore de l’espoir. Mais si nous voulons surmonter nos biais, nous devons commencer par apprendre à les identifier. Ensuite, nous devons montrer l’exemple. Nous devons être conscients de notre propre vulnérabilité à l’erreur. Nous devons faire preuve d’une réelle vigilance à l’égard de nos propres comportements. Nous devons assumer la responsabilité de notre propre aveuglement et être ouverts à la critique. Et peut-être, de cette façon, pourrons-nous montrer au monde à quoi ressemble une vraie sagesse. — Traduction par Brice Gloux pour Contrepoints de The-cognitive-biases-behind-societys-response-to-covid-19/ (FEE) Ces articles pourraient vous intéresser: Covid : la peur et la menace nous tueront à petit feu La peur du virus nous a-t-elle fait perdre la tête ? Covid : quelles bases médicales des études ? (2) Et donc, la France n’a jamais été en rupture de masques…
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