Par Patrick Aulnas.
Le spectacle politicien n’est jamais très enthousiasmant, mais on peut s’en amuser un peu. Les préparatifs de la présidentielle 2022 ont commencé dans le cadre d’une reconfiguration du paysage politique français.
Le gaullisme traditionnel, qui avait dominé la droite depuis les années 1960, fait désormais partie de l’Histoire. La social-démocratie, qui jouait un rôle important à gauche depuis 1945, s’est désormais dissoute dans une atomisation de petits partis.
Le macronisme élitaire de LREM, assez mal défini, s’oppose donc au nationalisme populiste du Rassemblement National, caractérisé par son manque de cohérence. Quoiqu’on en dise, il y a des chances non négligeables que le second tour de la présidentielle oppose à nouveau leurs deux leaders: Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Ils représentent chacun un courant puissant de lâ™opinion et pour lâ™instant aucune reconquête ne se fait jour du côté de la droite et de la gauche traditionnelles. Câ™est ce point que nous allons examiner.
Des constantes subsistent : la droite cherche un chef, la gauche cherche des idées. LR à la recherche du leader perdu
Après la présidence de Nicolas Sarkozy et lâ™Ã©chec de François Fillon en 2017, aucune personnalité nâ™a émergé à droite. Laurent Wauquiez a tenté lâ™aventure mais totalement échoué. Apparaissant comme un opportuniste sans convictions, il est retourné gérer sa région Rhône-Alpes. Il nâ™a aucune chance de devenir candidat à la présidentielle.
Xavier Bertrand a quitté le parti Les Républicains (LR) pour se consacrer à la présidence de la région Hauts-de-France. Ce gaulliste social réussit plutôt bien dans une région traditionnellement de gauche mais, nâ™appartenant plus à LR, il peut difficilement être son candidat à la présidentielle. Pourtant, il se prépare sérieusement. Le défaut de leader interne à LR pourrait lui porter chance, mais il ne vaincra pas lâ™hostilité à son égard dâ™une partie de la droite.
Valérie Pécresse a également lâ™Ã©toffe dâ™une candidate, mais nâ™appartient plus à LR et on ignore ses intentions. François Baroin apparaît comme lâ™un des seuls profils de présidentiable de LR, mais, politicien aguerri, il mesure bien les chances réduites de réussite de son parti. Il apparaît dâ™ailleurs comme particulièrement Macron-compatible.
Plus fondamentalement, pourquoi la droite aurait-elle un candidat ? La politique économique et sociale de Macron est celle quâ™elle aurait voulu faire sans jamais en avoir le courage. La droite en est donc réduite à chercher de petites divergences dâ™analyse avec Macron dans le domaine régalien (immigration, sécurité). Mais comme il sâ™agit de la spécialité de Marine Le Pen, les leaders de droite manquent cruellement de crédibilité.
Les chances de la droite traditionnelle sont donc faibles. Cela sâ™explique aisément. Lâ™Ã©lectorat de droite veut désigner un chef. Il adore le leadership et ne se sent en sécurité que lorsquâ™une personnalité charismatique lui montre le chemin de lâ™avenir. La droite nâ™a pas besoin dâ™idées fortes. Un homme fort lui suffit. Elle nâ™en a plus. La gauche : « cherche idées éperdument »
Il en va tout autrement à gauche. La fonction politique de la gauche consiste à proposer un modèle de société pour le futur. De ce point de vue, elle a connu une réussite exceptionnelle au cours du XXe siècle. Le monde occidental dans son ensemble est désormais constitué de sociétés de type sociales-démocrates.
Enseignement, prestations de santé, retraites, prestations familiales, prestations chômage, fiscalité progressive constituent un puissant ensemble redistributif dont nâ™aurait pas rêvé le plus utopiste des socialistes utopistes du XIXe siècle.
Autrement dit, le socialisme a accompli sa mission historique avec lâ™aide particulièrement précieuse de lâ™efficacité économique du capitalisme. Il nâ™a plus rien à proposer et il sâ™est donc effondré électoralement.
Il faudrait des idées nouvelles. Mais ce nâ™est pas le think tank trucmuche qui peut les élaborer. Les idées fortes sont rares et nâ™Ã©mergent pas comme les fleurs au printemps. Pour avoir des idées, il faut des penseurs. La gauche traditionnelle nâ™en a pas. Elle se contente donc dâ™Ã©cologiser ses propositions. Mais, productiviste par nature, elle se heurte au tropisme anti-technicien des militants écologistes. Le ralliement de la gauche sociale-démocrate à lâ™Ã©cologie est largement électoraliste.
Lâ™idéologie écologiste a été déclinée politiquement de multiples façons de telle sorte que chaque parti possède désormais son écologisme grand public, depuis le localisme de lâ™extrême droite (avatar contemporain du nationalisme) jusquâ™au culte de la décroissance de la deep ecology.
Conformisme oblige, les propositions de gauche sont toutes désormais socio-écologiques. Le refrain de la transition écologique et solidaire est bien connu, mais évidemment il ne signifie pas du tout la même chose pour Jean-Luc Mélenchon et pour Julien Bayou, secrétaire national dâ™EELV, sans évoquer les radicaux dâ™Extinction Rebellion. Le repas écolo est à la carte. La gauche flotte donc sur lâ™air du temps sans concepts qui lui soient propres.
Quelles sont les certitudes et les conjectures actuelles ? Deux certitudes : les petits candidats trotskystes seront présents pour profiter de lâ™accès aux médias, Jean-Luc Mélenchon sera candidat. Ce sera la troisième fois, la fois de trop probablement car son image sâ™est dégradée.
Du côté des conjectures, il est possible de citer deux noms : Yannick Jadot, déjà candidat en 2017, et Anne Hidalgo, maire de Paris. Jadot pourrait être éliminé par ses pairs dâ™EELV au profit dâ™une personnalité plus radicale, par exemple le maire dâ™une des villes conquises en 2020 (Lyon, Grenoble, etc.) ou alors un obscur apparatchik dâ™EELV. Sans Jadot, désormais bien connu du grand public et conscient des réalités politiques, les écologistes perdraient probablement toute chance de faire un score honorable. Mais les militants choisiront et ils ont goût prononcé pour lâ™Ã©chec.
Quant à Anne Hidalgo, son électorat de Parisiens aisés supporte de plus en plus mal les inconvénients inhérents aux concentrations urbaines excessives. Elle sâ™est donc adaptée à la demande politique locale avec une lutte acharnée contre lâ™automobile. Elle a brillamment été réélue aux municipales de 2020 avec 49 % des suffrages exprimés.
Mais entre le bobo parisien et le provincial bien enraciné il nâ™y a pas seulement une différence de degré mais une différence de nature. La reine de Paris a de ce point de vue deux lourds handicaps : lâ™image de Paris, très négative en province ; lâ™Ã©cologisme bobo, abhorré par les territoires, pour reprendre la détestable expression dont se repaissent les élites. Tactiques politiques
La droite traditionnelle est coincée entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Ses chances dépendent surtout de la capacité de Macron à mordre ou non sur lâ™Ã©lectorat de droite. Jusquâ™Ã présent, il y parvient très bien, les soutiens actuels de Macron étant plus à droite quâ™en 2017. La droite a donc des chances réduites de figurer au second tour.
Le sort de la gauche dépendra du nombre de candidats en lice au premier tour. Si aucun accord nâ™intervient entre les socio-démocrates et les écologistes pour une candidature unique, la gauche perd toutes ses chances par dispersion de lâ™Ã©lectorat. Si une candidature unique sur une personnalité crédible se fait jour, par exemple Yannick Jadot ou Anne Hidalgo, la présence au second tour est envisageable, dans la mesure où Macron sâ™est déporté à droite et ne pourra sans doute pas remobiliser en sa faveur lâ™Ã©lectorat de gauche.
Le phénomène Macron de 2016-2017, câ™est-à -dire le surgissement dâ™une personnalité inconnue deux ans auparavant, ne peut se reproduire deux fois de suite. Vous pouvez donc en conclure que le futur président figure parmi les noms suivants : Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, François Baroin, Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Marine Le Pen, Emmanuel Macron. Les paris sont ouverts.
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