Par Michel Gay et Serge Gil1.
Sous l’acronyme rêche et anodin de «STEP » (station de transfert dâ™Ã©nergie par pompage) se cache un trésor : la possibilité dâ™absorber et de restituer beaucoup dâ™Ã©lectricité à la demande, en quelques minutes, selon le besoin. Le miracle
Cette simple capacité est une prouesse remarquable car elle permet dâ™Ã©quilibrer le réseau électrique et dâ™augmenter la part de production dâ™Ã©lectricité décarbonée (nucléaire et énergies aléatoirement variables ou intermittentes comme les éoliennes et les panneaux solaires) dans le mix énergétique.
Une STEP transfère de lâ™eau par pompage dâ™un réservoir bas vers un réservoir haut lorsque la production est momentanément supérieure à la consommation et que le prix de marché est bas. Ensuite, son turbinage (production dâ™Ã©lectricité à travers une turbine) peut répondre au besoin lorsque lâ™Ã©lectricité est rare et chère.
Câ™est la seule technique de stockage dâ™Ã©nergie à grande échelle dont la disponibilité permet de délivrer sur le réseau électrique une puissance équivalente à un ou deux réacteurs nucléaires (jusquâ™Ã presque 1800 MW pilotables) en quelques minutes, et pendant quelques heures. Elle répond au besoin fluctuant de la consommation journalière en lissant les productions fatales des énergies renouvelables et en optimisant la production nucléaire.
Une STEP constitue donc un facteur essentiel de la stabilité du réseau dâ™Ã©lectrique tout en évitant lâ™utilisation dâ™Ã©nergies fossiles polluantes. Pourquoi sâ™en priver ?
à ce jour, EDF exploite en France seulement 6 STEP représentant une puissance totale de 5000 mégawatts (MW). La plus grande STEP (Grandâ™maison), qui a un dénivelé de 1000 mètres, demande 1275 MW en pompage et produit 1790 MW en turbinage. La puissance dâ™un réacteur nucléaire de dernière génération (EPR) est de 1660 MW.
Ces chiffres sont à relativiser avec les 25 000 MW installés dâ™hydroélectricité dont 12 000 MW sont modulables avec une capacité de démarrage de 3 à 15 minutes.
Par comparaison, le parc de production électrique français a une capacité totale de lâ™ordre de 120000 MW, dont 61 000 MW de nucléaire.
Les STEP sont de plus en plus utiles dans un système électrique qui développe des énergies intermittentes électriques car leurs productions fatales, brutales et aléatoires nécessitent des centrales de compensation rapide à gaz, y compris à lâ™Ã©tranger (importations).
Selon le rapport Quinet de 2019 sur la valeur du CO2, « donner une valeur monétaire à lâ™action pour le climat, câ™est signaler que les activités humaines doivent intégrer les bénéfices collectifs que procure la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Câ™est se donner une référence pour sélectionner et hiérarchiser les actions utiles à la collectivité ».
Or, EDF semble tergiverser en France alors que dâ™autres pays en construisent.
La PPE 2019-2028 estime que « lâ™hydroélectricité pourrait contribuer de manière décisive à répondre au besoin de flexibilité du système électrique, notamment grâce aux STEP » et envisage dâ™accroître la puissance totale des STEP de 1500 MW dâ™ici 2035 mais, paradoxalement, EDF hésite. Après avoir tergiversé pendant des années, elle a annoncé en mars 2018 prévoir dâ™autres STEP⦠restées à ce jour à lâ™Ã©tat de projet, à lâ™exception de quelques modernisations. Où construire des STEP ?
Le rapport Dambrine avait identifié en 2006 plusieurs sites potentiels, notamment en Savoie et le long de la Durance.
Les STEP nécessitent un dénivelé important et un gros débit dâ™eau. Presque toutes les STEP disposent dâ™un réservoir haut constitué par la retenue principale dâ™un barrage dâ™altitude et un petit réservoir bas en vallée.
Mais lâ™inverse est aussi possible : un réservoir principal « en bas » et un « petit lac » réservoir de quelques millions de m3 « en haut ».
De nombreux grands lacs « bas », naturels ou artificiels, existent en France. Plus rares sont ceux entourés de hautes montagnes capables dâ™accueillir un petit réservoir « haut » à distance raisonnable avec un grand dénivelé dâ™environ 1000 mètres.
Lâ™immense lac artificiel de Serre-Ponçon au confluent de la Durance et de lâ™Ubaye en fait partie. Il est situé à 780 m dâ™altitude avec quelques cuvettes naturelles proches et plus de 1000 m de dénivelé, dont le cirque de Morgon.
Le cirque de Morgon (voir carte), offre des conditions intéressantes dâ™aménagement.
Ce site de plus de 300 hectares (ha) à 2000 mètres dâ™altitude pourrait accueillir une retenue dâ™environ 25 ha (un carré de 500 mètres de côté, vide dâ™habitants) et 12 mètres de profondeur moyenne, correspondant à un volume dâ™eau (3 millions de m3) susceptible dâ™Ãªtre pompé en quelques heures depuis le lac « bas » de Serre-Ponçon.
Ce dernier, dâ™une superficie de 28 km2, verrait son niveau varier dâ™environ 10 centimètres en cas de vidange ou de pompage complet (sa variation saisonnière dépasse 40 mètres), sans aucun impact sur la flore et la faune puisque lâ™eau pompée est restituée intacte.
Ce site permettrait de fournir une puissance de plus de 1500 MW (comparable à la STEP de Grandâ™maison), soit plus de 4 fois la puissance de lâ™usine électrique du barrage de Serre-Ponçon pendant 5 heures ! Est-ce intéressant et rentable ?
Les STEP présentent un intérêt croissant pour assurer lâ™Ã©quilibre du système électrique mais leur futur bilan économique reste incertain compte tenu du prix bas du pétrole (autour de 40 euros par baril) et du gaz. Ces énergies fossiles importées alimentent à bas coût des turbines à combustion (TAC), un autre moyen flexible de production dâ™Ã©lectricité concurrent des STEP, bien que polluant et émetteur de gaz à effet de serre.
Mais au-delà dâ™un prix de marché de 65 euros/MWh dans les cas de forte demande (en heure de pointe), la production de STEP est moins chère que la consommation de pétrole
Les premières grandes STEP datent du début des années 1970. La réglementation du marché de lâ™Ã©lectricité par les pouvoirs publics conférait alors à ces investissements une visibilité quant à leur rentabilité sur le long terme.
Aujourdâ™hui, avec la disparition du monopole dâ™Ã‰tat et lâ™ouverture des marchés européens de lâ™Ã©lectricité à la concurrence, lâ™absence de visibilité compromet de futurs investissements en lâ™absence de mesures correctrices. Le développement des STEP a donc été stoppé à la fin des années 1980.
Les produits dâ™exploitation dâ™une STEP proviennent de la vente de lâ™Ã©lectricité turbinée, mais aussi de la rémunération des différents services rendus au système électrique qui doivent être valorisés à leur juste valeur.
Car une STEP nécessite un investissement important sur le long terme.
Le coût de construction de la STEP de Nant de Drance près de Martigny en Suisse, qui sera inaugurée en décembre 2021, et dâ™une puissance comparable à celle de Grandâ™maison, a été évalué à environ 2 milliards dâ™euros avec des longueurs de galeries de 14 km (au lieu dâ™environ 4 km pour lâ™exemple du cirque de Morgon à Serre-Ponçon).
La STEP paye le Tarif dâ™Utilisation des Réseaux Publics dâ™Electricité (TURPE) deux fois : une première fois pour lâ™Ã©lectricité nécessaire au pompage, une deuxième fois pour la production lors du turbinage. Son taux a donc été logiquement diminué de 50 % pour les STEP en 2016, passant de 20 % à 10 %.
Sâ™ajoutent ensuite les frais de fonctionnement et dâ™amortissement, et les pertes dâ™environ 25 % sur lâ™Ã©lectricité « pompée » (la STEP restitue 75 % de lâ™Ã©lectricité absorbée).
La majeure partie des frais de fonctionnement dâ™une STEP provient de la fourniture de lâ™Ã©lectricité nécessaire au pompage.
Dans le cas de lâ™exemple du cirque de Morgon, il sâ™agirait dâ™environ 1800 gigawattheures par an (GWh/an) en pompage. La production du turbinage serait dâ™environ 1400 GWh/an dâ™Ã©lectricité « propre » (deux fois plus que lâ™usine électrique de Serre-Ponçon) mobilisable en quelques minutes, améliorant ainsi la sécurité dâ™approvisionnement de la France entière.
Les lignes de transport capables dâ™Ã©vacuer la puissance de 1500 MW existent déjà en 230 000 volts
Tous les coûts doivent être compensés par la différence de prix entre lâ™achat pour le pompage et la vente lors du turbinage ainsi que par la rémunération de la plus-value de sa disponibilité pour lâ™Ã©quilibre du réseau.
Si lâ™Ã©lectricité consommée au pompage provient régulièrement de sources dont le coût de fonctionnement est pratiquement nul (nucléaire) ou déjà payé par des subventions (énergies renouvelables électriques), non seulement la production dâ™une STEP devient rentable mais, en plus, elle rentabilise aussi dâ™autres moyens dont le coût de fonctionnement est marginal.
Par exemple, le coût global dâ™un réacteur nucléaire en fonctionnement à pleine puissance ou à lâ™arrêt est quasiment identique car lâ™usure du combustible est négligeable et les principaux coûts sont fixes (personnel, amortissementâ¦). Il est donc préférable quâ™il produise de lâ™Ã©lectricité⦠quitte à la stocker « intelligemment ». Une énergie « intelligente »
Les installations hydroélectriques, dont les STEP, peuvent redémarrer seules sans nécessiter dâ™apport externe dâ™Ã©lectricité. Elles constitueraient ainsi les premiers moyens remis en fonctionnement après une coupure généralisée du réseau afin de le « reconstruire ». Ainsi, progressivement, des moyens de production ajoutés successivement alimenteraient une zone géographique et, de proche en proche, toute la France.
En absorbant et en produisant rapidement de grandes quantités dâ™Ã©lectricité, les STEP contribuent à égaler en permanence la production et la consommation pour maintenir le fragile équilibre du réseau électrique. Ce point important doit être valorisé.
Relancer le potentiel hydroélectrique de la France, notamment les STEP, constitue un enjeu majeur dâ™indépendance énergétique et dâ™Ã©conomies dâ™importations de gaz et de pétrole pour contribuer à la politique énergétique définie par la Loi sur la Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV) votée le 22 juillet 2015. Mais⦠il y a plusieurs « mais »â¦
1) Aujourdâ™hui, EDF est contraint par des lois européennes de mettre sur le marché les concessions de tous ses ouvrages hydrauliques. La durée maximale des concessions serait de 75 ans et pourrait être ramenée à moins de 40 ans. La rentabilité nâ™est donc pas assurée.
Dans ces conditions, les candidats à de nouveaux investissements dans des ouvrages prévus pour durer plus de 100 ans se font rares.
2) Les écologistes politiques veulent bien dâ™un stockage pour les excédents des énergies renouvelables mais ils craignent de favoriser le nucléaire⦠et aussi de noyer des espaces verts ! (voir lâ™Ã©motion suscitée par la retenue de 34 ha qui était prévue à Sivens).
3) La politique énergétique actuelle est incohérente : EDF annonce un plan de stockage électrique en mars 2018, mais le 13 mars 2019, un rapport du Conseil Général de lâ™Ã‰conomie intitulé « Stockage stationnaire dâ™Ã©lectricité » indique que « le caractère très limité en France du potentiel de déploiement de nouvelles STEP hydrauliques ne permet pas de mobiliser cette solution pour notre pays ». Comprenne qui pourra⦠Un trésor à (re)découvrir
Le titre de cet article a été inspiré par un enfant de 5 ans qui, en regardant avec lâ™auteur de cet article la carte du projet de STEP à Serre-Ponçon (en annexe), a demandé : « Tu cherches un trésor ? ».
Réponse : « Oui, un trésor qui absorbe et produit sur demande beaucoup dâ™Ã©lectricité avec de lâ™eau ! »
Les hommes politiques fascinés par ce qui brille devraient aussi sâ™intéresser aux vertus de lâ™hydroélectricité, et particulièrement aux pépites des STEP. Cet or blanc produit une électricité renouvelable adaptable au besoin pour assurer lâ™Ã©quilibre du système électrique français et européen.
Lâ™hydroélectricité devient aujourdâ™hui une composante incontournable dâ™une politique de renforcement de la sécurité dâ™approvisionnement et de lutte contre lâ™effet de serre. Elle constitue par excellence lâ™Ã©nergie du développement durable.
La France, dans le Plan Climat de juillet 2017, sâ™est elle-même fixé lâ™objectif « zéro émissions nettes » (ZEN) de gaz à effet de serre à lâ™horizon 2050. La valeur du carbone évité doit être utilisée dans les évaluations dâ™investissements et plus généralement dans les politiques publiques comme un levier dâ™action nécessaire à la réussite des objectifs de ce Plan Climat.
Alors,
* pour respecterlâ™impératif de sécurité dâ™approvisionnement (Art. 100-1 2° du Code de lâ™Ã©nergie),
* pour diminuer lâ™importation dâ™Ã©nergies fossiles et les émissions de CO2,
* pour renforcer la stabilité du réseau électrique malmené par les productions erratiques des éoliennes et des panneaux photovoltaïques, ainsi que par les fortes variations de consommation,
* pour améliorer lâ™emploi avec du personnel local et du matériel français (pompes, turbines, travauxâ¦)
la puissance publique pourrait (re)découvrir les avantages de ces trésors énergétiques « intelligents » et initier la construction de nouvelles STEP.
* Serge Gil est ingénieur hydraulicien de formation et a principalement travaillé au CEA. ↩
Ces articles pourraient vous intéresser: Électricité : faut-il sâ™inquiéter dâ™un possible black-out ? Le commerce honteux des indulgences renouvelables La PPE ignore que la France nâ™est plus une nation industrielle Le virus rend encore plus fou un marché de lâ™Ã©lectricité qui lâ™Ã©tait déjÃ
http://dlvr.it/RftKhY
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire