Par Frédéric Mas.
Tremblement de terre au musée d’histoire naturelle de Londres. Un audit interne, inspiré par le mouvement Black Lives Matter, suggère que certaines collections présentées par la vénérable institution seraient «problématiques ». Les spécimens recueillis par Darwin pourraient faire partie de celles qui sont menacées.
Le conseil dâ™administration du célèbre musée britannique a informé son personnel quâ™il avait lâ™intention de réorganiser les salles et collections afin de respecter les injonctions morales portées par lâ™audit woke.
Partant du principe que « la science, le racisme et le pouvoir colonial sont intrinsèquement liés », et que les musées existent pour légitimer ce mariage épouvantable, la direction du musée a estimé que la « décolonisation » des esprits passait donc par lâ™acclimatation des sciences en général et des recherches de Darwin en particulier avec lâ™idéologie diversitaire. Darwin face aux puritains dâ™hier et dâ™aujourdâ™hui
Quand Charles Darwin publie le 24 novembre 1859 Lâ™origine des espèces, il ne fait pas que révolutionner les sciences en général et la biologie en particulier. Il bouscule aussi les certitudes morales et religieuses de la société victorienne imprégnée de puritanisme qui est la sienne.
La théorie de lâ™Ã©volution des êtres vivants par la pression de la sélection naturelle remet en question lâ™ensemble de lâ™architecture des croyances religieuses de la Grande-Bretagne du XIXe siècle, au point de déclencher lâ™ire des moralistes et une opposition des fanatiques religieux qui ne sâ™est toujours pas éteinte en ce début de XXIe siècle.
Le philosophe Daniel Dennett explique que la découverte du savant a remis en question la hiérarchie des connaissances qui faisaient autorité avant lui, et quâ™il désigne sous le terme de « pyramide cosmique »1. Celle-ci est le produit intentionnel dâ™un Esprit, celui de Dieu, qui donne à lâ™ensemble du monde sa place dans la hiérarchie de lâ™ÃŠtre et fonctionne comme premier moteur de lâ™activité du monde.
Seulement, observe Dennett, en admettant que lâ™aspect des plantes et des animaux ne sont pas le résultat dâ™une intention supérieure mais dâ™un processus régulier et relativement indépendant, celui de la sélection naturelle, alors pourquoi se contenter de cantonner lâ™explication à cette partie de la création et ne pas lâ™Ã©tendre à lâ™ensemble de lâ™expérience, y compris humaine ?
Et si lâ™Esprit nâ™Ã©tait plus la cause première du monde et la précondition de sa mise en forme mais la conséquence du processus de sélection naturelle ? La révolution darwinienne a incité les esprits les plus brillants à mettre leurs certitudes à lâ™Ã©preuve et les esprits les plus médiocres à réclamer la censure plutôt que la discussion.
Aujourdâ™hui, ce sont les élites culturelles britanniques qui sâ™inquiètent des atteintes aux bonnes mÅ“urs que la science dâ™hier peut faire peser sur notre bel aujourdâ™hui.
Au nom dâ™une noble cause, la lutte contre le racisme, tout le monde est prié de faire son autocritique, et en premier lieu les institutions qui ont fait de la civilisation occidentale le phare contemporain de la liberté individuelle et un exemple pour le monde en matière de progrès scientifique et humain.
Câ™est que le nouvel antiracisme nâ™a pas grand-chose à voir avec lâ™ancien, celui qui combattait les préjugés raciaux au nom de lâ™universalisme des Lumières. Au contraire, la passion identitaire qui sâ™est emparée de la gauche américaine et de ses bastions culturels emprunte au lexique et au particularisme racial réactionnaire, le tout sur un ton punitif qui menace la liberté dâ™expression, et dans le domaine scientifique, la liberté de recherches.
La gauche identitaire sâ™est reconstruite une « pyramide cosmique » qui met au sommet de sa hiérarchie la sacro-sainte inclusivité, dont découle la nécessité dâ™Ã©liminer tous les discours jugés offensants. Y compris dans le domaine de la science où les polémiques et les désaccords sont le lot commun des chercheurs.
Face à la pression médiatique, force est de constater que les institutions, quâ™il sâ™agisse des universités, des médias ou des musées, offrent peu de résistance face à la nouvelle superstition des élites. Elles ont préféré baisser les armes plutôt que de défendre leur raison dâ™Ãªtre. La communauté scientifique est-elle en train de se soumettre sans combattre ?
La peur de se retrouver dans le camp des « racistes » domine tout, et justifie lâ™effacement orwellien du passé et les sacrifices les plus fous. En se pliant aux recommandations de cet audit, le musée dâ™histoire naturelle de Londres reconnaît explicitement lâ™explication marxiste de son existence au sein du monde social.
Le musée nâ™a quâ™une fonction idéologique, celle (superstructurelle) de justifier lâ™oppression des dominés par les dominants, et nâ™a donc dâ™autre solution pour continuer à exister que de se déconstruire, câ™est-à -dire dâ™adopter des dominés contre les dominants. Et la science dans tout ça ? Elle a disparu.
La liberté scientifique est indissociable de la liberté dâ™expression.
Si depuis le XVIIIe siècle, les libéraux chérissent la liberté dâ™expression, câ™est parce quâ™ils y voient des bienfaits analogues à celle de la recherche au sein de la communauté scientifique, quitte à idéaliser une méthode quâ™ils rêvaient de transposer à lâ™Homme2. Lâ™esprit de compétition entre les thèses en présence, lâ™exigence factuelle de vérité, la rigueur des méthodes et la neutralité des acteurs sont un modèle commun aux sciences et au gouvernement par la discussion quâ™est le gouvernement représentatif des libéraux.
La défense de la liberté des sciences est donc indissociable de la liberté dâ™expression. Darwin continue dâ™inspirer les scientifiques, les philosophes libéraux, les économistes, et à susciter la colère des bien-pensants. Voilà deux raisons suffisantes de le défendre aujourdâ™hui.
* Daniel Dennett, Darwinâ™s Dangerous Idea, Simon & Schulster, 1996. ↩
* Voir par exemple David Hume, Traité de la nature humaine, 1739. ↩
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