Par Jacques Garello.
Les Français peuvent être rassurés: le plan de relance est prêt. Câ™est Bruno Le Maire qui a annoncé cette bonne nouvelle lundi dernier sur RTL. Le ministre de lâ™Ã‰conomie a donné les grandes lignes du Plan : 100 milliards de dépenses nouvelles hors budget, à étaler sur deux ans. Mais il ne peut entrer dans le détail pour lâ™instant. Le secret est bien gardé mais tout sera précisé dâ™ici la fin de lâ™année.
Je comprends que ce plan, à la manière dâ™un prototype présenté au salon de lâ™auto, soit protégé jusquâ™au dernier moment. Car une chose est sûre : il sâ™agit dâ™un prototype, puisquâ™il assemble tout et son contraire.
Il assemble situation sanitaire et situation économique, transition écologique et croissance économique, mesures conjoncturelles et évolutions structurelles, économie de la demande et économie de lâ™offre, et évidemment gauche et droite. Câ™est lâ™ingénieur Macron qui est à la manÅ“uvre de lâ™innovation. Et câ™est le charisme de Bruno Le Maire qui retient le chaland.
Les opposants aux dirigeants actuels ont la mauvaise foi de dénoncer des incohérences destinées à désorienter le peuple et à distraire lâ™opinion publique jusquâ™Ã lâ™ouverture de la campagne des présidentielles, mais pour ma part je dois avouer avoir été surpris de la façon dont le ministre de lâ™Ã‰conomie a tenté de concilier économie de la demande et économie de lâ™offre.
Certes, politiquement il faut donner des gages aux Français de toutes opinions, de toutes conditions, mais à mon sens la science économique sâ™accommode difficilement dâ™une synthèse entre Keynes et Hayek, entre Malthus et Say. Relancer la dépense et stimuler la production
« Que les Français dépensent au lieu dâ™Ã©pargner » : ce souhait, cette invitation de Bruno Le Maire est dans la plus pure des logiques keynésiennes. Câ™est la demande globale qui détermine le niveau du revenu national, et si la demande spontanée est essoufflée, la dépense publique est appelée en renfort.
Voilà pourquoi 100 milliards ne sont pas de trop. Financer la dépense, privée ou publique nâ™est pas un problème : la dette publique y pourvoira car, contrairement aux dires des économistes libéraux, le ministre soutient que le niveau actuel de la dette française (120 % du PIB) est raisonnable et nâ™a gonflé que de 20 % cette année, uniquement à cause du confinement, et on pourrait digérer cet accident en 20 ans. Câ™est possible, dit-il, parce que grâce à la relance la production va démarrer.
Et voici maintenant un beau couplet sur la production : en France on ne travaille pas assez, il y a trop dâ™impôts, alors que les capacités des Français sont extraordinaires â“ ce qui apparaîtrait dans les excellentes performances de croissance depuis le début de lâ™Ã¨re Macron. Si la production est aujourdâ™hui insuffisante câ™est sans doute que les producteurs français sont victimes de la concurrence déloyale des étrangers, Américains et Chinois en tête.
Les économistes libéraux ont deux objections à présenter ici :
1° En aucun cas la demande globale nâ™est le moteur de lâ™Ã©conomie. Il nâ™y a demande que sâ™il y a revenu, et il nâ™y a revenu quâ™en rémunération de biens et services produits et vendus, ces rémunérations sâ™appellent salaire, intérêt et profit. La loi de Say est inéluctable ; on ne peut dépenser un argent qui nâ™a pas été gagné.
Les dépenses publiques ne sont possibles que par une redistribution des revenus primaires, elles nâ™ont dâ™autre financement que lâ™impôt actuel ou futur. Le ministre nous fait croire quâ™il nâ™y aura pas de fiscalité supplémentaire, mais il attend beaucoup dâ™argent de la taxation des GAFA, et surtout les projets de relèvement de la fiscalité foncière sont déjà bien au point à Bercy : les plus-values seront bientôt taxées.
2° Comment stimuler la production en multipliant chaque jour les contraintes qui pèsent sur les entreprises ? Si les entreprises et les emplois sont aujourdâ™hui en ruine, câ™est à la manière dont le confinement a été déclaré et organisé quâ™ont le doit. Et lâ™avenir est pour longtemps compromis dans de nombreux secteurs (comme le tourisme, la restauration, les transports, lâ™habillement) par une réglementation arbitraire, confuse et discriminatoire.
Câ™est que le gouvernement a maintenu deux priorités : la « guerre » contre la Covid (« la situation économique et la situation sanitaire ont été mises au même niveau »), et la transition écologique (30 % des ressources du plan seront affectées à la décarbonisation).
Comment croire à la croissance quand des millions de chômeurs et des milliers dâ™entrepreneurs ont été asphyxiés ? Les aides promises pour écarter « toute faillite » (Macron) nâ™ont jamais été apportées et seront à terme dès le mois prochain (comme en ce qui concerne le chômage partiel).
Bref, la croissance nâ™est pas une affaire politique menée à travers dâ™audacieuses interventions macro-économiques. Elle est affaire de confiance, et les producteurs français nâ™ont pas beaucoup de raisons dâ™avoir confiance. Comme après les crises de 2001 et 2008 les politiciens français ne se sont jamais ralliés à « lâ™Ã©conomie de lâ™offre », ils croient aux relances par lâ™Ã‰tat et au pouvoir dâ™achat factice plutôt quâ™Ã la liberté et la compétitivité des entreprises. Nationaliser lâ™Ã©pargne, planifier lâ™Ã©conomie
Curieuse coïncidence : les 100 milliards du plan relance sont rapprochés par le ministre des 100 milliards placés par les épargnants français dans leurs livrets A. Malthus et Keynes ont déjà fait la leçon aux épargnants : ils ne veulent pas consommer, donc ils réduisent les débouchés et ruinent les entreprises.
Il ne vient pas à lâ™esprit du ministre que les Français accumulent de lâ™Ã©pargne par précaution : ils craignent dans lâ™immédiat pour leur emploi, pour leur affaire, pour leur pouvoir dâ™achat. Ils craignent aussi pour leur retraite â“ dont la réforme est toujours prometteuse. Ils ne peuvent être tenus pour de mauvais citoyens au prétexte quâ™ils trouvent plus prudent de faire des économies que de contribuer à la relance de la croissance française.
Dâ™ailleurs il y a bien un moyen pour lâ™Ã‰tat de récupérer cette épargne et de la remettre dans le circuit, sans demander lâ™avis des déposants : câ™est que la législation bancaire dans notre pays oblige caisses dâ™Ã©pargne mais aussi banques de dépôts à confier les sommes épargnées à la Caisse des Dépôts et Consignations, de loin la plus grande des puissances financières de France.
Directement ou par lâ™intermédiaire de ses nombreuses filiales la Caisse finance nombre dâ™investissements considérés comme prioritaires par le pouvoir politique : grands travaux, logement social, etc.
Le climat général est actuellement au monopole public de lâ™investissement. Le financement boursier est trop proche dâ™une logique capitaliste (il a été pourtant exempté dâ™impôt sur la fortune), le financement bancaire est trop prisonnier de la réglementation internationale, le financement personnel sous toutes ses formes est fiscalement ruineux, puisque la « justice sociale » exige de confisquer les profits.
Heureusement demeure lâ™investissement par lâ™Ã‰tat et ses instances financières, dont notamment France Stratégie, dirigée par Jean Pisani Ferri, résurrection du Commissariat au Plan désaffecté depuis 2006. Bruno Le Maire ne cache pas les espoirs quâ™Ãl met dans lâ™investissement orienté par lâ™Ã‰tat, capable de repérer les « gisements de la croissance future » â“ ce que le marché ne peut faire puisquâ™il serait en quelque sorte « prisonnier des prix pratiqués actuellement ».
Ainsi, en dépit des apparences, le Plan de relance peut-il sâ™inscrire dans un choix politique et stratégique : revenir à la planification, ressusciter le Commissariat au Plan. Quelques candidats à la tête de ce Commissariat sont évoqués, il est dit que François Bayrou pourrait convenir.
La France serait évidemment le seul pays de lâ™OCDE à faire le choix de la planification ; comme en 1981 dâ™ailleurs. Il faut dire que nos politiciens ont toujours été attirés par la « troisième voie », dont on sait quâ™elle est une impasse. Sa séduction politique est incontestable : ni de droite ni de gauche, indépendance garantie vis-à -vis des États-Unis comme de la Chine.
Sa consistance économique est nulle puisquâ™on ne peut juxtaposer deux systèmes de révélation des préférences, de choix des facteurs productifs et de répartition des résultats : câ™est ou bien le marché, procédure de démocratie économique directe, à travers le « plébiscite quotidien du marché » (Hayek), ou bien le plan, procédure de démocratie économique indirecte, les choix étant faits par des représentants élus par le peuple « La démocratie politique soutient et garantit la démocratie économique » (Georges Marchais).
Je dois dire que cette inclusion du plan de relance dans un projet de planification globale nâ™est pas acceptée par tous les membres du gouvernement. Olivier Dusopt, Secrétaire dâ™Ã‰tat à la Dépense publique, a insisté sur ce point : « Les dépenses engagées seront conjoncturelles et surtout pas structurelles ».
On respire : les 100 milliards du plan de relance ne sont quâ™un effort dâ™appoint, dâ™ailleurs non inscrit au budget 2021, et mis en Å“uvre en dehors du Parlement, puisquâ™il y aura certainement de multiples réunions avec des « corps intermédiaires », syndicats, lobbies, associations, territoires, etc. pour un partage équitable de ce qui restera après que la facture écologique, en particulier celle de la Convention Citoyenne pour le Climat, et les investissements du futur, sélectionnés par France Stratégie, soient payés.
Voilà en effet de quoi rassurer : aucune réforme structurelle nâ™est en vue et sont malvenues les idées qui expliquent le chômage et la ruine économique de la France par le refus pérenne de réformer lâ™environnement institutionnel des entreprises française : la tyrannie du statu quo sera reconduite. Plan de relance de lâ™Ã‰tat
En conclusion, je suggère de préciser ce quâ™est le plan de relance. Il est un soutien financier non négligeable dâ™une relance de lâ™Ã‰tat. Fort du succès incontestable que lâ™Ã‰tat français a remporté dans sa maîtrise du Covid, fort de lâ™alignement de lâ™Union européenne sur le projet français après lâ™accord historique de juillet, fort du crédit personnel accordé à notre Président dans la diplomatie mondiale, fort de notre avance dans la transition écologique animée par la « démocratie délibérative », les étatistes se disent quâ™il est temps de redonner à lâ™Ã‰tat la place quâ™il mérite dans lâ™Ã©conomie française, domaine partiellement et stupidement abandonné au marché et à la mondialisation.
Mais pour lâ™instant il ne faut pas dévoiler ce projet, dont jâ™ai osé évoquer la logique : le secret sera bien gardé, cette discrétion permettra de prolonger plus facilement la relance de lâ™Ã‰tat dans la perspective dâ™un second quinquennat. Ces articles pourraient vous intéresser: Les incohérences de lâ™Ã‰tat vont-elles tuer la relance ? « Haut commissariat au plan » : faut-il le ressusciter ? Plan de relance européen, solution politique française La République otage des hauts fonctionnaires ?
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