Par Pierre Brisson.
Depuis le 23 juillet, Tianwen-1 vogue vers Mars. Les autorités chinoises peuvent se féliciter d’avoir ouvert avec succès le livre de leur «questionnement adressé au Ciel ». Les pages sont encore blanches sauf celles du premier chapitre.
Il reste deux étapes très difficiles à franchir : faire descendre la masse de 250 kg de leur rover à la surface de la Planète-rouge, ensuite le faire fonctionner et communiquer avec la Terre pour dire ce quâ™il observe.
Cette première action est un indéniable succès car il nâ™Ã©tait en effet pas évident de réussir le lancement (deux étages successifs). La fusée « Changzheng 5 » (CZ-5, « Longue Marche 5 ») nâ™est que la cinquième de cette catégorie à être mise à feu et le deuxième vol a été un échec.
Avec la CZ-5 la Chine, dans le domaine des lanceurs, joue maintenant dans la cour des grands, câ™est-à -dire celle des Américains des Russes, des Européens et des Japonais.
Mais en réalité leurs vrais concurrents dans le domaine plus large de lâ™exploration spatiale, ceux auxquels ils se mesurent, ce sont les Américains car leurs ambitions sont les mêmes, politiques plus que scientifiques.
La suite, on la suivra dans 7 mois à lâ™approche de Mars (après que le vaisseau aura parcouru un arc dâ™ellipse de quelques 500 millions de km). Entre temps, quasiment rien ne se passera.
En effet une fois que la fusée a été « injectée » sur sa trajectoire interplanétaire à partir de lâ™orbite terrestre, rien ne peut arriver. On procède deux ou trois fois à de légers ajustements de la trajectoire, par lâ™expulsion bien orientée de quantités très minimes dâ™ergols et câ™est tout. Rappelons que 95 % des ergols sont utilisés pour la mise en trajectoire car la surface terrestre se trouve au fond dâ™un véritable « puits » gravitationnel duquel il faut sâ™arracher.
En février 2021, Tianwen-1 sera, si tout va bien, capturée par le champ gravitationnel martien (car sa vitesse a été calculée au départ de la Terre de telle sorte quâ™elle soit quasi nulle à lâ™approche de Mars).
Pour la suite, les Chinois ont choisi de se comporter extrêmement prudemment. Ils se donnent deux mois pour choisir, à partir de lâ™orbite et grâce à leur caméra embarquée, le site précis de leur atterrissage et sans doute aussi, pour pouvoir profiter des meilleures conditions atmosphériques.
Car il ne sâ™agit pas de se poser sur une pente trop forte, dans des sables mouvants ou lors dâ™une période de forte perturbation atmosphérique. La zone dâ™atterrissage, large, est déjà choisie. Ce sera Utopia Planitia, zone des basses terres du Nord, où le travail de lâ™eau a été important. Ca câ™est le prétexte scientifique.
La raison astronautique câ™est lâ™altitude basse qui permet une portance plus longue et un relief lisse comportant peu dâ™accidents. La densité de lâ™atmosphère étant très faible (probablement en moyenne quelques 700 pascals dans la région choisie), toute perturbation (variation de densité) a des conséquences très importantes.
Lâ™atterrisseur (« lander ») portant le laboratoire mobile (« rover ») devra sâ™aider de lâ™atmosphère pour se freiner suffisamment sans pour autant se consumer, avec dâ™abord un bouclier thermique (la température de la surface extérieure du bouclier peut atteindre 1500°C) affrontant une force de résistance sensible à partir de quelques 120 km dâ™altitude, puis ensuite avec un parachute.
Au dernier moment, au maximum vers 1000 mètres dâ™altitude (on ne peut emporter que très peu dâ™ergols dans ce type de vaisseau spatial) on commence à utiliser les rétrofusées et on dispose de très peu de temps pour éviter les obstacles. A ce moment là le vaisseau est seul, laissé au pilotage automatique de ses robots embarqués. Le « time-lag » entre Mars et la Terre étant de plusieurs minutes, il est en effet impossible de modifier en direct, le lieu précis dâ™atterrissage.
Si les Chinois franchissent cette étape quâ™on peut qualifier de « dramatique », ils pourront se présenter (presque) comme les égaux des Américains. Lâ™expérience sera toutefois à réitérer.
Les Américains ont à leur actif une série impeccable dâ™une dizaine dâ™atterrissages sans crash (le dernier a eu lieu en 1999) et la dernière masse déposée (celle de Curiosity en 2012) est quatre fois plus importante que les 250 kg que veulent déposer en février les Chinois. A part eux seuls les Russes ont réussi un atterrissage. Câ™Ã©tait en 1974, à la « belle » époque de lâ™Union soviétique, câ™est-à -dire avant que lâ™astronautique russe se délite presque complètement.
Car il reste lâ™Â« après-atterrissage ». Pour être crédible, il faut en effet faire « quelque chose » de la masse déposée et le faire sur une durée de temps raisonnable. La sonde des Russes nâ™a survécu que 224 secondes en surface (lâ™atterrissage a-t-il été un peu trop rude ? Il faudra aller voir un jour).
Les Chinois ont un beau petit programme scientifique (il nâ™est pas essentiel de le développer ici) et ils se donnent 90 jours pour le mener à bien (Curiosity fonctionne toujours !). Le contenu de ce programme nâ™est pas vraiment ce qui compte. Ce qui compte câ™est sa réalisation et la démonstration de la capacité de ses concepteurs à le mener à bien. Lâ™essentiel du « questionnement au Ciel » reste à écrire.
Si tout « marche » bien, les Chinois vont se poser en « challengers » des Américains (en exagérant évidemment leur performance). Sur le plan de la communication leur apparente rivalité aura un écho dans le public et il est vrai que dans la réalité, ils commenceront à « exister », en tout cas au moins autant que les Européens qui nâ™ont pas de lanceur dédié (faute dâ™avoir équipé Ariane V en conséquence et pour avoir choisi lâ™Espace dâ™abord pour les services quâ™il pouvait rendre à la Terre).
Cela va forcer les Américains à faire tout ce quâ™ils pourront pour maintenir leur avance et faire des démonstrations de cet avantage tant il est vrai que la concurrence est le moteur de toute action. Je repense à ce sujet à tous les boniments que lâ™on a sortis à propos de la Station Spatiale Internationale (ISS) présentée comme le modèle de ce quâ™il convenait de faire dans lâ™Espace qui devait être forcément le domaine de la coopération et de lâ™entraide internationale.
En fait lâ™ISS nâ™a été choisie par les Américains que pour capturer dans leurs filets lâ™URSS moribonde qui se transformait en Russie. Elle nâ™a servi quâ™Ã endormir les passions et justifier un minimum de dépenses pour mener quantité dâ™expériences en fin de compte assez peu intéressantes. Faute de concurrence, les Russes ayant quitté la partie, la « conquête » spatiale par vols habités est dès lors tombée dans la routine des ronds dans lâ™eau et de lâ™indifférence générale.
Donc, sâ™ils réussissent la mission Tianjen-1, les Chinois vont réveiller les Américains et on va voir qui sont les meilleurs ! Après lâ™exploration robotique câ™est lâ™exploration par vols habités qui se profile. Les Chinois ont des plans à ce sujet.
Je mâ™attends en contrepartie à un durcissement des relations entre Américains et Chinois dans ce domaine aussi. Jâ™imagine que ces derniers seront encore moins les bienvenus aux Etats-Unis pour étudier des sujets sensibles ou considérés comme tels (et les Américains peuvent devenir un peu paranoïaques sur le sujet avec leurs « alliés » par craintes de fuites).
Cela confirmera évidemment une tendance mais il ne faut pas sâ™attendre à quelque cadeau que ce soit. Il est vrai que les Chinois ont sans doute très largement profité des faiblesses de leur adversaire potentiel au cours des dernières présidences précédant celle de Donald Trump.
Après la course à la Lune, la course à Mars commence donc. Les pays « secondaires » comme ceux dâ™Europe et la France en particulier, devront choisir leur camp pour y participer où bien ils feront mine de ne pas sâ™y intéresser, en prétendant quâ™il est plus important de retourner sur la Lune, ou que lâ™espace doit servir en priorité à la Terre1. Il faut toujours chercher un moyen de « sauver la face » comme disent nos amis asiatiques.
* Le nouveau gouvernement français a déplacé le contrôle de sa politique spatiale du ministère « de lâ™enseignement supérieur et de la recherche » à celui « de lâ™Economie, des Finances et de la Relance ». Tout est dit ! ↩
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