Par Claude Robert.
Sans doute faut-il penser que se débarrasser de ce « Premier ministre bis» était un véritable exploit car Le Monde a titré ce jeudi : « Comment Castex a obtenu le départ de Marc Guillaume, énarque faiseur de rois et coupeur de têtes ». Et dâ™ajouter, en sous-titre, que ce secrétaire général était pourvu dâ™un « rôle jugé démesuré par certains ».
Considérablement riche, tant dâ™un point de vue du contenu manifeste que du contenu masqué, cet article (Le Monde 16/07/20) suggère en effet que :
* ce changement de secrétaire général revêt une importance toute capitale. à coup sûr, le cours de la fin du quinquennat en sera transformé, puisque tel est le message que veut faire passer Matignon ;
* même au plus haut niveau de la hiérarchie gouvernementale, lâ™organigramme officiel se trouve en butte à un sociogramme1, une espèce dâ™organigramme parallèle dont la puissance sâ™apparente à celle dâ™un véritable cabinet fantôme ;
* les personnalités priment sur la politique gouvernementale, celle-ci nâ™Ã©tant finalement quâ™un terrain de jeu pour des individualités issues dâ™un même sérail, celui des hauts fonctionnaires.
Un changement de tête pour faire croire à un changement de politique
Ce serait un horrible crime de lèse-majesté que dâ™accuser Le Monde de recopier les communiqués de presse du gouvernement. Pourtant, sans sourciller, le journal reproduit cette magnifique profession de foi de Matignon : « Le nouveau chemin tracé par le président, la nouvelle méthode et les priorités affirmées par le Premier ministre, entraînent aujourdâ™hui des changements à tous les étages ».
Idem dans cette autre partie de lâ™article : « Câ™est le Premier ministre, Jean Castex, qui aurait obtenu le â˜scalpâ™ de Marc Guillaume, assure-t-on volontiers dans les allées du pouvoir. Une manière pour le nouveau chef du gouvernement et son directeur du cabinet, Nicolas Revel, de poser leur autorité dâ™emblée, tout en se donnant toute latitude pour imprimer leur marque Rue de Varenne ».
Plus surréaliste encore, on peut lire un peu plus loin : « Macron a voulu mettre fin au centralisme, au jacobinisme, à cet entre-soi énarchique, observe un familier de lâ™Ã‰lysée. Pour cela, il envoie balader le représentant de lâ™establishment. Câ™est courageux ».
Tout juste si les problèmes du président ne prennent par leur source chez ce secrétaire général du gouvernement à cause de sa « rigidité pendant le confinement et sa gestion technocratique de la crise sanitaire » (sic). On croirait lire un communiqué de presse de lâ™Ã‰lysée taillé sur mesure autour du bouc émissaire idéal !
Ainsi, force est de constater que lâ™article retranscrit mot pour mot, au premier degré donc, les déclarations officielles, déclarations dont le but nâ™est pourtant que de parer ce changement de personnes de toutes les vertus possibles. Imaginons que les sources proches du pouvoir aient raconté exactement lâ™inverse. On peut craindre que la teneur de lâ™article en ait été toute différenteâ¦
Ne soyons donc pas aussi candides : malgré les 65 semaines dâ™Ã©meutes des Gilets jaunes, le gouvernement Macron nâ™a aucunement infléchi sa politique, continuant contre vents et marées à servir ses propres intérêts. Quelle tristesse de constater que le Grand débat nâ™a accouché que dâ™une Convention pour le Climat, dans des conditions dâ™ailleurs statistiquement et donc démocratiquement douteuses !
Aucune convention pour la réforme de lâ™Ã‰tat, aucune convention pour la baisse des prélèvements obligatoires, aucune convention pour lâ™assouplissement du Code du travail nâ™a été évoquée un seul instant, malgré les urgences économiques et sociales du pays !
Comment un journaliste du Monde peut-il donc laisser supposer quâ™un simple changement de secrétaire général du gouvernement pourrait infléchir quoi que ce soit ? Est-ce que le journaliste a écrit cela tout simplement parce que tel était le souhait de lâ™Ã‰lysée ou de Matignon ? La question est grave. Mais elle se pose inévitablement. Une organisation de fonctionnaires tiraillée par les luttes internes de pouvoir
Quâ™elle soit une entreprise ou une administration, toute organisation digne de ce nom se profile dans lâ™optique dâ™atteindre le plus efficacement possible les objectifs quâ™elle sâ™est assignée. Ceux-ci constituent sa feuille de route et chaque membre de lâ™organisation participe quotidiennement au respect de celle-ci, quelle que soit sa fonction et sa position. Lâ™organigramme dans son ensemble est dévolu à cette tâche, gage dâ™une efficacité maximale.
Sur ce sujet, le nombre de témoignages cités dans lâ™article parait un peu plus consistant, et laisse pantois quant à cette guerre de tranchée quotidienne entre lâ™organigramme officiel et le sociogramme réel :
« â˜Le Léviathanâ™ , â˜Dieuâ™, â˜Premier ministre bisâ™, â˜Imperatorâ™, â˜Monsieur nonâ™â¦ Marc Guillaume a accumulé les surnoms ces dernières années [â¦] Le SGG, qui se trouve au cÅ“ur de la machine à arbitrer les décisions du quotidien, a surtout un rôle-clé de conseil juridique du gouvernement [â¦] Câ™est celui qui souffle au politique ce quâ™il est possible de faire ou non. Celui qui prépare le conseil des ministres puis rédige le compte rendu, auquel personne ou presque nâ™a accès. Qui relit, voire réécrit, les projets de loi avant de les envoyer pour avis au Conseil dâ™Ã‰tat. Ou encore qui propose des noms pour diriger les administrations ou occuper les plus beaux postes de la République. Il a droit de vie ou de mort administrative sur toi, glisse un directeur dâ™administration centrale. Câ™est à la fois un faiseur de rois et un coupeur de têtes. La personnalité de lâ™occupant du poste joue beaucoup ».
En comparaison dâ™une organisation qui se respecte, le gouvernement français ressemble donc beaucoup plus à un navire sur le pont duquel plusieurs capitaines se sont déclarés et sâ™affrontent sans relâche. Pour une raison ou pour une autre, ceux-ci ne partagent ni la même destination ni le même calendrier.
Il y a certes un capitaine officiel, mais de toute évidence, certains rivaux clandestins et recrutés bien avant lui2 veulent également tenir la barre et orienter le gouvernail.
On imagine combien la trajectoire finale du navire gouvernemental nâ™est que la résultante des tiraillements dans un sens puis dans lâ™autre. Et on découvre combien est grand, pour ce navire surchargé, le risque de faire des cercles dans lâ™eau. Lâ™Ã‰tat, terrain de chasse du sérail de la haute fonction publique
Ce que ne dit pas lâ™article non plus, câ™est que le secrétaire général du gouvernement qui remplace le précédent tant décrié provient du même cheptel : la prestigieuse ENA, lâ™Ã©cole du pouvoir qui façonne depuis 1945 le profil de nos dirigeants. Moins glorieux aussi : lâ™Ã©cole qui administre depuis la fin des années soixante-dix le puissant déclin économique de notre pays.
Une simple visite sur le site de Contrepoints montre lâ™effroyable casse que les décisions de nombreux diplômés de cette école ont pu provoquer, plombant voire même désintégrant des pans entiers de notre industrie. Pourquoi changer une équipe qui perd ?
Tandis que le président Macron avait émis le souhait de fermer cette matrice diabolique, la cooptation bat son plein. Ses clones administratifs trustent les postes et remplacent ceux qui sâ™en vont.
Pourtant, rien ne justifie de donner les clés du pouvoir dâ™un pays mal armé contre la concurrence internationale à des fonctionnaires dont pratiquement aucun nâ™a été formé et aguerri au sein de lâ™univers compétitif de lâ™entreprise.
Sans doute est-il nécessaire de le rappeler : lâ™entreprise est le haut lieu de la création de richesse dâ™un pays, lâ™unique endroit voué au culte de lâ™efficience. Qui pourrait donc remettre sur les rails un pays dont les parts de marché industrielles mondiales ont fondu de moitié en une vingtaine dâ™années ? Certainement pas des ronds de cuirs !
La persévérance dâ™une telle rente de situation est révélatrice du blocage de la société française en son sommet. Cela semble certes iconoclaste de le dire, mais lâ™Hexagone est dirigé par une caste de clones dont le profil administratif nâ™est absolument pas taillé pour enrayer notre déclin économique et social.
Pire encore, cette caste bénéficie dâ™une telle situation de domination quâ™elle peut se maintenir au pouvoir indépendamment de ses ratages et de son train de vie. Elle sâ™offre même le luxe de sâ™affronter au sein de cet immense terrain de jeu qui sâ™appelle lâ™Ã‰tat, au frais du contribuable bien sûr, et avec lâ™aval de bon nombre de médias !
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Sur le web
* Sociogramme : organigramme bis, non officiel mais opérationnel dans lâ™activité dâ™une organisation, basé sur des relations personnelles, sur des intérêts communs, ou sur des appartenances à des groupes spécifiques qui ne coïncident pas avec lâ™organigramme officiel et son fonctionnement normal. ↩
* Le secrétaire général du gouvernement évincé avait été recruté par Manuel Valls, soit plusieurs années avant lâ™arrivée du gouvernement Macron-Philippe puis Macron-Castex. Ni lui ni sa remplaçante nâ™ont été élus. Ils sont inconnus des citoyens. ↩
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http://dlvr.it/Rc2Rxp
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