2 points importants ressortent de cette ITW. Primo, on apprend que si on avait eu les moyens nécessaires, on eût évité un confinement désastreux pour l’économie ! Secundo, si une 2e vague survient, il ne sera pas appliqué de confinement, mais plutôt la stratégie adoptée par les pays asiatiques, comme Taïwan par exemple, qui ont obtenu d’excellents résultats avec une mortalité 1500 fois inférieure à celle de la France ! INTERVIEW â“ Le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, appelle lâ™exécutif à changer de stratégie.
Jean-François Delfraissy était, fin avril, opposé à la réouverture des écoles en mai. Aujourdâ™hui, « à la lumière des connaissances actuelles », il estime que le protocole sanitaire pourrait être simplifié durant le temps périscolaire. Le président du Conseil scientifique annonce que son instance souhaite cesser ses travaux en juillet, quitte à reprendre si la situation lâ™exige. Interrogé sur une éventuelle deuxième vague à lâ™automne, Jean-François Delfraissy juge « pas pensable de revenir à un confinement généralisé » : « Il faudra probablement laisser tourner le Covid dans la population jeune et essayer de protéger, avec leur accord, les plus fragiles, malades, précaires ou âgés. » Où en est lâ™Ã©pidémie ?
Le confinement a réduit la circulation du virusâ‰; nous pouvons tester, tracer et isoler les personnes positivesâ‰; et en partie remonter la chaîne des cas contact. Il y a eu des changements culturelsâ‰: les Français ont appris à se laver les mains régulièrement, à porter des masques. Bref, je suis relativement optimiste. Et pour les semaines qui viennent, je me mouilleâ‰: la situation est sous contrôle.
On pourrait, tout en conservant des mesures de distanciation sociale, alléger le protocole sanitaire Le virus serait en voie dâ™extinction ?
Il continue de circuler. On recense environ de 1.000⯠à 2.000⯠nouvelles contaminations chaque jour en France. Lâ™histoire des grandes pandémies à virus respiratoire enseigne que huit sur dix ont régressé pendant lâ™Ã©té. La moitié a repris à lâ™automne. Profitons de ce moment où la France souffle, où le citoyen retrouve une vie presque normale. Laissons les choses sâ™ouvrirâ‰; les gens vivre, mais en respectant les mesures barrière.
Lâ™Ã©cole ne devrait-elle pas rouvrir complètement dès juin?
Nos connaissances sur le mode de transmission du virus et sur le rôle respectif des personnes qui le transmettent se sont précisées. On sait que les enfants peuvent être porteurs du virus en petite quantité, et que le plus souvent ce sont les adultes qui les contaminent et non lâ™inverse. On pourrait, tout en conservant des mesures de distanciation sociale, alléger le protocole sanitaire. Même en continuant à respecter des règles un peu lourdes, on pourrait les simplifier en périscolaire dâ™ici à la fin juinâ‰: pendant les repas, les récréations ou le sport. Pourquoi le protocole scolaire est-il sous le feu des critiques ?
Il a été construit fin avril en fonction des connaissances de lâ™Ã©poque. Nous avons fait des préconisations au ministère de lâ™Ã‰ducation nationale, qui nous avait sollicités. Notre position initiale était dâ™attendre septembre pour effectuer la rentrée, mais le gouvernement a pris une autre position. Notre vision était sanitaireâ‰; la sienne, plus sociétale. Il était sensible au fait que des enfants fragiles et démunis devaient retourner à lâ™Ã©cole. Après, un petit livret, le fameux protocole, a été rédigé. Il donne lieu à différentes interprétations, selon les directeurs dâ™Ã©cole ou les maires, responsables du temps périscolaire. Ce texte pourrait être un peu simplifié, fluidifié, à la lumière des connaissances actuelles. Nous y travaillerons courant juin, pour préparer la rentrée. Mais il ne faut pas oublier quâ™au début les parents étaient anxieuxâ‰; ensuite, lâ™alerte sur des cas de maladie de Kawasaki chez des enfants a créé une bouffée dâ™angoisse. En cas de deuxième vague, il faudra probablement laisser tourner le Covid dans la population jeune et essayer de protéger les plus fragiles La population ne pousse-tâ‘elle pas le gouvernement à accélérer ?
Je peux comprendre quâ™une population jeune, active, qui a compris que le Covid est une maladie peu sévère dans la majorité des cas, sans conséquence majeure pour elle, avec laquelle elle peut vivre, pousse dans ce sens. Il nâ™est pas pensable de revenir à un confinement généralisé. En cas de deuxième vague, il faudra probablement laisser tourner le Covid dans la population jeune et essayer de protéger, avec leur accord, les plus fragiles, malades, précaires ou âgés. On change de paradigmeâ‰; une stratégie nouvelle pour nous. Il sâ™agira de gérer le risque, plus important chez les populations fragiles. Sans coercition mais en faisant appel à la responsabilité individuelle. Câ™est une autocritique ?
Nous assumons le fait dâ™avoir proposé le confinement durant les trois journées très difficiles des 12, 13 et 14⯠mars. Ce nâ™Ã©tait pas notre décision, car elle appartient au politique. Ce nâ™Ã©tait pas une bonne décision mais la moins mauvaise, étant donné les outils que nous avionsâ‰: 3.000 â¯tests par jour, quand les Allemands en avaient plus de 50.000.
On a probablement fait des erreurs dâ™Ã©valuation initiales
Comment éviter que ça se reproduise ?
On a probablement fait des erreurs dâ™Ã©valuation initiales. Ce qui est intéressant aujourdâ™hui, câ™est que ça ne se reproduise pas. Nous proposons un plan Ehpadâ‰: tests réguliers du personnelâ‰; au moindre cas, test de lâ™ensemble des pensionnaires, isolement des personnes positives dans lâ™Ehpad ou en dehors, etc. Il faudrait aussi un plan pour les populations précairesâ‰: SDF, migrants, personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté, assez largement touchées. Le Covid a mis au jour les inégalités sociales devant la maladie. Les expériences actuelles de dépistages ciblés sont pertinentes. Il ne peut y avoir de réponse nationale, univoque. Pourrons-nous ôter nos masques ?
Nous recommandons une large utilisation dans les lieux publics et confinés â“ â¯transports, commerces⯠-, mais aussi dans les rues bondées. Le masque nous protège et protège les autres. Il nâ™est pas sain quâ™une structure créée de toutes pièces pour répondre dans lâ™urgence perdure Nâ™est-ce pas dérisoire ?
Il y a une forme dâ™impuissance de la médecine classique face à ce virus. Aucun médicament nâ™a scientifiquement fait la preuve de son efficacité. Nous nâ™aurons pas de vaccin avant longtemps. Il appartient aux citoyens de se protéger et de protéger les autres. Ça ne peut pas venir dâ™en haut. Ce changement culturel nous aidera à affronter la grippe chaque hiver et dâ™autres pandémies. Les petites mesures peuvent avoir de grands effets. Le Conseil scientifique est-il en place pour toujours ?
Nous souhaiterions arrêter nos travaux à partir de début juillet. Nous nous sommes mis au service de la nation, en donnant les grandes directions basées sur la science pour éclairer les décisions politiques difficiles. Mais, à présent, les services de lâ™Ã‰tat sont en ordre de marche. Il nâ™est pas sain quâ™une structure créée de toutes pièces pour répondre dans lâ™urgence perdure. Après avoir préparé la rentrée et rendu un dernier avis sur tout ce quâ™on sait et tout ce quâ™on ne sait pas, des mécanismes de transmission à lâ™immunité en population, par exemple, nous retournerons à nos affaires, quitte à nous réunir de nouveau si la situation sanitaire lâ™exigeait. Photo dâ™illustration : le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy. (AFP)
Anne-Laure Barret
Le Journal du Dimanche [Le JDD] 7 juin 2020
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