Photo SCMP. Entrée d'un quartier du centre de Pékin. Commentaire du journal. S'il est vrai que les mesures pour contenir l'épidémie ont été un succès, l'impact du confinement aggravé par l'embargo sur les voyages, les échanges et le petit commerce a poussé les plus vulnérables à la limite de la rupture.
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Alors que le Parti communiste chinois est sur la sellette pour avoir, par ses occultations et – c'est une hypothèse gravissime envisagée par le Washington Post à la mi-avril - par l'incompétence désordonnée des responsables de la sécurité d'un laboratoire de virologie à Wuhan, favorisé la diffusion rapide de la pandémie de covid-19 [1], le Bureau National des Statistiques (BNS) a, le 17 avril publié un bilan détaillé de la situation de l'économie dont, disent nombre d'observateurs, la transparence et la précision sont remarquables.
Il est cependant nécessaire de nuancer cet enthousiasme. Quelle que soit leur transparence, les statistiques ne rendent en effet pas compte de la préoccupation principale du régime chinois. Comme toujours, elle est politique et directement liée aux risques sociaux. Le plus grand défi à l'économie chinoise et mondiale en temps de paix.
Une usine de montage des TGV en Chine. Tous les secteurs ont été touchés par les effets de la pandémie. Selon le Bureau Asie Pacifique de la banque UBS, la situation n'a pas de précédent et il est improbable que l'économie redémarre rapidement. Aux ruptures des chaînes d'approvisionnement, s'ajoutent les problèmes sociaux dus au chômage. Ce dernier impactera la consommation. « Nous ne sommes pas sortis du cauchemar » dit une économiste chez ING.
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Par rapport à la même période de l'année dernière, la croissance a baissé de 6,8%, la plus importante baisse depuis que le Parti a commencé à publier des statistiques en 1992. Comparé au dernier trimestre de 2019, où l'économie avait progressé de 6%, le freinage revient à une contraction du PIB de 9,8%.
La baisse est accompagnée d'un taux de chômage qui, à la fin mars, stagnait à 5,9% après un pic à 6,2% en février. Dans le même temps, en mars, le commerce de détail, les investissements dans l'immobilier d'entreprise et dans le logement accusaient des chutes spectaculaires, respectivement de 16, 15 et 7%, tandis que le marché des ventes immobilières freinait de 23%. En revanche, la production industrielle n'a baissé que de 1%.
Il reste que globalement, la mise à l'arrêt de la plupart des activités commerciales au Hubei depuis la fin janvier, pendant plus de 2 mois, a infligé à l'économie chinoise le coup le plus sévère depuis 1976.
La reprise économique est lente et fragile. S'il est vrai que de nombreuses restrictions ont été levées, de nouvelles ont été imposées, frappant notamment les vols internationaux pour tenir à distance une deuxième vague de contagions importées.
Le WSJ le soulignait le 17 avril que, compte tenu de la taille de l'économie chinoise et de ses connexions avec la planète, tous les économistes et les analystes surveillent de près la reprise économique.
Dans une note à ses clients, Trivium China, spécialisée dans la recherche économique sur la Chine, estimait que 80% de l'activité commerciale avait repris, contre 70% il y a un mois. Mais elle ajoutait que, dans l'élan de reprise, les 20% restants seront bien plus difficiles à combler que « tout ce qui avait été récupéré jusqu'à présent ».
L'arrêt des usines a handicapé l'acheminement des composants, tandis que le blocage des transports a empêché le retour de la main d'œuvre après le nouvel an. Bien que ces dernières années, la Chine ait réorienté son économie vers la consommation intérieure, elle reste toujours tributaire des exportations, fortement impactées par la crise.
Selon Ding Shuang, responsable de la recherche économique pour la « Grande Chine » chez Standard Chartered, « Il s'agit du plus grand défi pour l'économie chinoise et mondiale en temps de paix dans l'histoire moderne » (…) « Alors que les freinages précédents se sont développés progressivement », le choc du coronavirus a infligé un arrêt brutal. « Le plus inquiétant est que les clients de la Chine en Occident ont en grande partie cessé leurs commandes. Dans un avenir prévisible elles devraient rester déprimées ».
Le 17 avril, Mao Shengyong, un porte-parole du Bureau national des statistiques, tentait une appréciation optimiste de la situation. Insistant sur la reprise des 10 derniers jours suivant la levée du confinement il précisant aussi que les mises à pied n'avaient pas concerné toute la Chine (ce que certains observateurs contestent).
Mais il admettait que les objectifs de croissance 2020 seront difficiles à maintenir alors que la situation économique mondiale continuait à se détériorer. Aujourd'hui, la banque d'investissement UBS estime que 50 à 60 millions de travailleurs du secteur des services et 20 millions de plus dans les secteurs de l'industrie et de la construction ont perdu leur emploi ou n'ont pas pu reprendre le travail au premier trimestre en raison de restrictions de voyage et des mesures de quarantaine.
La banque s'attend à ce que le marché du travail se redresse à mesure que davantage de travailleurs trouvent de nouveaux emplois. Malgré cela, UBS prévoit une baisse de 14 millions d'emplois non agricoles pour 2020 annulant ainsi les gains d'emplois globaux des deux dernières années. Comparé à une main d'œuvre estimée à 900 millions, ce recul de 1,5% pourrait paraître anodin. Il recèle cependant des risques cachés.
++++ Chômage et craintes politiques.
Protestation à Pékin. Le recul de l'économie a provoqué une résurgence des manifestations en Chine protestant les plus souvent contre la baisse des salaires ou des licenciements. Elles ont été observées en mars et avril par les correspondants du China Labour Bulletin à Yinchuan (Ningxia), Linfen (Shanxi), Wuchaun (Canton), Shenzhen (Canton) Fuzhou (Fujian), Dali (Yunnan), Wuhan et Yichang (Hubei), Lanfang et Renqiu (Hebei), Xian (Shaanxi), Harbin (Heilongjiang) ; Zhuzhou (Hunan), Dongying (Shandong), Shangluo (Henan).
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Certains économistes se demandent si le taux de chômage des statistiques officielles offre une image exacte de la situation de l'emploi. La réalité est en effet que les licenciements des travailleurs migrants et de nombreux autres groupes ne sont pas inclus dans les chiffres. Du coup l'occultation ne rend pas compte de la pression politique réelle posée par la lente montée du chômage qui, par contre coup, impacte directement la consommation intérieure.
Toujours le 17 avril, le BNS annonçait – une première depuis 2002 - la baisse par rapport à 2019 du revenu moyen disponible par habitant ajusté à l'inflation. Inutile de dire que, rapporté aux effectifs de la classe moyenne supérieure voisins de 100 millions [2], la baisse du pouvoir d'achat de cette catégorie de la population aura un impact sur la consommation intérieure dont l'influence sur le PIB oscille entre 40 et 50%, selon les études (contre une moyenne approchant les 70% dans les pays occidentaux) .
Toujours en restant sur le terrain politique dont les statistiques du BNS ne rendent pas compte, le recul des chiffres de la production nationale au premier trimestre 2020 prend Pékin à contrepied au moment où la propagande rappelait que le PIB serait doublé par rapport à 2010 et que la pauvreté serait éliminée, dans la cadre « d'une société modérément prospère- 小康社会 xiaokang shehui, généralisée 全面 - ». Inégalités.
Photo China Daily. Situé dans le Hebei, dans le district de Fuping à 250 km au sud-ouest de Pékin, le village de Lutuowang avait reçu 48 millions de $, après une visite de Xi Jinping qui fait de l'éradication de la pauvreté l'une des grandes priorités de ses mandats.
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Mais, s'il est vrai que la Chine peut se targuer d'avoir, au cours des 40 dernières années tiré de la pauvreté 730 millions de Chinois, comptant pour 70% de la réduction globale de la pauvreté, l'affichage social d'un « confort modeste pour tous », hérité entre autres de l'antique Livre canonique des odes (Shijing 诗经, rassemblant des textes allant du XIe au Ve siècle av.JC), est un trompe l'œil.
Il jette en effet un voile sur la persistance des inégalités que le président Xi Jinping s'est donné pour mission de supprimer. A cet effet le gouvernement a drastiquement augmenté de 13 Mds de $ les fonds dédiés à cet objectif. La Banque chinoise de développement, mise sur le pont a promis 51 Mds de $.
Les engagements financiers ont été accompagnés d'inspections répétées pour éviter les détournements et la corruption, au point que selon les statistiques officielles, au cours des 5 dernières années 60 000 fonctionnaires ont été sanctionnés.
Mais le compte n'y est pas. Les allocations de soutien aux plus pauvres restent parfois erratique. Selon une note de mars 2019 de « l'Institut pour la sécurité et les politiques de développement – ISDP - », Centre de recherche basé à Stokholm dont le travail englobe l'impact des tensions et des conflits sur la sécurité des États et leur développement, en Chine, le pouvoir laissé aux bureaucraties locales aboutit à l'attribution inéquitable des secours accordées aux ménages.
Alors que certains sont aidés, d'autres voient leurs dettes se creuser, parfois à la suite de dépenses de santé non couvertes par les politiques d'aide. Les plus défavorisés, au chômage et sans ressources, sont forcés par l'administration d'abandonner leurs lopins de terre et de retourner dans leur province d'origine.
Plus encore, alors que l'aménagement du territoire a initié un exode rural, dans les grands centres urbains comme Shanghai et Pékin, se développe actuellement une campagne de répression contre les migrants et leurs bidonvilles. Lire : Nettoyage de la capitale et expulsions. Incendie et polémiques. Les migrants, « citoyens de seconde zone ».
Une note publiée en 2015 dans le blog « LES Business Review », de la London School of Economics and Political Science, par Thomas Piketty, Li Yang chercheuse à la faculté d'économie de Paris, docteur en économie de l'Université de Xiamen et Gabriel Zucman, économiste français, diplômé de Normal sup, docteur en économie de l'École des Hautes Études des Sciences Sociales (EHSS), aujourd'hui professeur d'économie à Berkeley, analysait qu'en Chine la part des revenus accaparés par les 1% des chinois les plus riches était passée de 6% en 1978 à 14% en 2015, une proportion supérieure aux 10% français, se rapprochant des 20% américains.
Ainsi le choc épidémique global qui handicape la reprise chinoise par l'extinction momentanée de la demande des clients occidentaux de la Chine, impacte également la consommation intérieure par les tensions sur les revenus et l'emploi sur lesquelles le pouvoir chinois communique peu.
La secousse intervient alors que monte la crainte du chômage, dans un contexte où les écarts de richesses augmentent. Encore inférieures à celles des États-Unis, mais supérieures aux françaises, les inégalités qui montent aggravées par le chômage, sources potentielles de troubles sociaux, sont au cœur des préoccupations politiques du pouvoir.
[1] QC a longuement documenté ces manquements, dont une partie est due à la rigidité de l'appareil ne laissant qu'une initiative réduite aux échelons subordonnés, eux-mêmes enfermés dans une culture courtisane du non-dit. Lire : Le navire tangue. Le régime se crispe.
Nous avons également rendu compte dès le 19 février de la rumeur de fuite au laboratoire P4 de Wuhan en prenant soin de présenter tous les points de vue : L'insistante rumeur d'une « fuite » au laboratoire P4 de Wuhan.
Le 17 avril, un article du Washington Post faisait le point : How China's authoritarian system made the pandemic worse
Extraits : « Il est faux d'accuser la Chine, sur la base des preuves actuelles, d'avoir délibérément lancé un fléau contre le monde. Il est juste de souligner que le système chinois et ses tromperies ont aggravé la situation. »
Et « Une explication plus troublante est que le coronavirus s'est propagé par inadvertance à l'Institut de virologie de Wuhan, qui avait effectué des recherches sur les coronavirus de chauve-souris et possédait une installation de niveau de biosécurité 4, la plus sûre pour traiter les maladies hautement pathogènes et infectieuses. Il n'est pas impossible qu'un accident se soit produit. »
[2] En 2011 QC, avait abordé le sujet de la classe moyenne et ses implication politiques : Les extraordinaires défis de la classe moyenne. A l'époque, les extrapolations optimistes envisageaient un gonflement des effectifs de la classe moyenne au sens large (entre 10 000 et 50 000 $ par an) de revenus à 700 millions ou 48% de la population en 2020.
En 2018, un article du SCMP, faisait le point, citant un rapport de la banque d'investissement d'UBS datant de 2015 qui évaluait à 109 millions les Chinois disposant de revenus annuels compris entre 50 000 et 500 000 $. Le contraste entre les estimations de 2011 et celles de 2015 tient au très sérieusement glissement vers le haut de la fourchette de revenus.
http://dlvr.it/RV4Hj1
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