Débat juridique sur l'affaire Fillon – et articles d'un journaliste du Monde
Pour ceux qui aiment le Droit, voici quelques débats juridiques très intéressants sur l’affaire Fillon. Que les spécialistes n’hésitent pas à réagir en commentaire…
I. Vision de Philippe Auberger (LR) Ancien rapporteur général du Budget à l'Assemblée Nationale
Vers un coup d'Etat Institutionnel ?
Pourquoi l'ouverture d'une information judiciaire contre X, qui vise en fait M. et Mme. Fillon et leurs enfants ne peut prospérer ?
Le Parquet national financier (PNF) a déci dé d'ouvrir une information judiciaire pour « détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel, trafic d'influence et manquement aux obligations de déclaration à la Haute Autorité sur la transparence de la vie publique ». Je note que dans cette incrimination il n'est nullement question d'emploi fictif.
1° Détournement de fonds publics.
Il n'y a pas eu de détournement de fonds publics : pour qu'il y ait détournement, il faut que François Fillon ait pu librement disposer de ces fonds, ce qui n'est pas le cas. Les fonds destinés à rémunérer les assistants parlementaires sont des fonds budgétaires : l'Assemblée Nationale les vote sous le titre 1 « Pouvoirs publics » dans la loi de Finances. Elle en a ensuite la libre disposition et elle seule. Elle décide de l'utilisation de ces crédits, selon ses propres règles dont elle assure elle-‐même le contrôle. Elle paie les crédits, sur les indications du député qui choisit librement ses assistants parlementaires. Jamais ces fonds ne sont détenus, à aucun moment, par le parlementaire lui-‐même.
Ces fonds ne sont pas des « fonds publics », au sens de la législation budgétaire et financière. Ces fonds ne sont pas soumis aux règles de la comptabilité publique, ils ne sont pas payés par un agent comptable public (le payeur de l'Assemblée n'appartient pas à cette catégorie) et leur emploi ne relève pas du contrôle de la Cour des Comptes. Les comptes de l'Assemblée Nationale font l'objet d'un examen annuel d'une Commission des Comptes ad hoc au sein de l'Assemblée.
Dès lors, on ne peut parler ni de détournement, ni de fonds publics, l'incrimination de détournement de fonds publics ne résiste pas à l'analyse juridique, ni même celle de recel.
Il n'y a aucune possibilité pour l'institution judiciaire de contrôler l'emploi de ces fonds, du fait de la séparation des pouvoirs, pouvoir parlementaire d'une part, pouvoir judiciaire d'autre part : c'est au Bureau de l'Assemblée Nationale de fixer les règles d'utilisation des crédits, c'est à lui et à lui seul d'en contrôler l'application. C'est un principe constitutionnel. Ces règles s'imposent à tous, y compris à l'Autorité judiciaire.
La situation est très différente d'une situation d'emplois fictifs comme l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris : en effet dans ce dernier cas, les règles de la comptabilité publique s'appliquent, les sommes sont versées par un comptable public et le contrôle est assuré par la Chambre régionale des Comptes.
Il n'y a qu'un cas où, à ma connaissance, la justice pourrait être saisie : si le Bureau de l'Assemblée Nationale décidait de porter plainte pour escroquerie, ce qui n'est manifestement pas le cas ici.
2° Trafic d'influence et manquement aux obligations de déclaration.
Cela vise, à ma connaissance, les activités de conseil que François Fillon a pu exercer dans un passé récent. Saisi par les députés écologistes, le Médiateur de l'Assemblée Nationale, qui est chargé par le Bureau de l'Assemblée des problèmes de déontologie, vient de répondre aux intervenants qu'il avait examiné soigneusement le dossier et qu'il n'y avait aucun manquement au regard de la législation sur les conflits d'intérêt (rappel : législation dite Cahuzac !). Dès lors comment les juges d'instruction pourraient-‐ils déclarer le contraire ?
3° Abus de biens sociaux et recel.
Il s'agit, à ma connaissance, de l'affaire dite « de la revue des Deux Mondes ». La revue des Deux Mondes est, depuis des lustres, la propriété d'une personne physique. Dans ce cas, elle peut exercer librement cette propriété et salarier qui elle veut, quand elle veut, sans que l'on puisse parler d'abus de bien social ou de recel.
Conclusion.
Sur la base des faits connus, la Justice ne dispose d'aucun moyen juridique pour mettre en examen M. et Mme. Fillon. Si elle avait ces moyens, elle aurait fait une citation directe en correctionnelle au lieu de faire trainer 'affaire à loisir, de mobiliser trois juges d'instruction et de manipuler l'opinion publique à coup de communiqués de presse.
Ce qui est plus grave, c'est qu'elle est encouragée dans cette manipulation par le Garde des sceaux, lequel était auparavant Président de la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale et à ce titre gardien de notre Constitution et du Règlement de l'Assemblée ; or il sait parfaitement que l'Assemblée est totalement libre de l'utilisation des fonds budgétaires qu'elle vote et que l'Autorité judiciaire n'a aucun pouvoir de contrôle en ce domaine. Il s'agit en définitive d'une opération délibérée d'instrumentalisation de la Justice, afin de perturber gravement la campagne présidentielle de celui qui a obtenu le soutien de millions d'électeurs lors de la primaire de la droite et du centre. C'est une atteinte insupportable à l'exercice libre et démocratique de l'expression du suffrage universel, laquelle est garantie par la Constitution. En aucun cas, nous ne pouvons, nous ne devons l'accepter.
Philippe AUBERGER
II. Vision de juristes (favorable à Fillon)
Plusieurs juristes (avocats et professeurs de droit) se sont mobilisés pour rédiger cet appel à propos des manœuvres employées à l'encontre de François Fillon.
Ces termes de “coup d'Etat institutionnel” définissent parfaitement les manœuvres employées à l'encontre de François Fillon, pour tenter de l'empêcher, à tout prix, de concourir à l'élection présidentielle.
Le pouvoir a dévoyé le droit pénal et la procédure pénale pour tenter de détruire la réputation de son principal adversaire ; le but de cette vaste opération étant de favoriser l'élection d'un successeur déjà coopté, faux nez d'une candidature sociale-démocrate ou sociale-libérale qui était d'avance vouée à l'échec.
Le candidat de la droite et du centre était jugé dangereux car il avait déjà recueilli la confiance de plusieurs millions de ses compatriotes lors de primaires irréprochables.
Il fallait donc, pour tenter de le discréditer, lui imputer à délit des faits qui ne tombent manifestement pas sous le coup de la loi. L'allégation d'un “détournement de fonds publics” est contraire aux termes du code pénal et incompatible avec les principes constitutionnels.
Contraire aux termes du Code pénal d'abord : le texte qui définit ce délit, l'article 432-15, ne vise, comme auteurs possibles de celui-ci, qu'une “personne dépositaire de l'autorité publique” ou “chargée d'une mission de service public”, qu'un “comptable public” ou un “dépositaire public”, qualités que n'a évidemment pas un parlementaire.
Au surplus, il est plus que douteux que les sommes versées à un parlementaire pour organiser son travail de participation au pouvoir législatif et au contrôle du pouvoir exécutif puissent être qualifiés de fonds publics.
Contraire aux principes constitutionnels ensuite : à celui de la séparation des pouvoirs, seul garant du caractère démocratique des institutions et obstacle à la tyrannie. L'indépendance dont dispose le parlementaire, y compris dans la gestion de ses crédits destinés à rémunérer ses collaborateurs, n'est pas un simple caprice. C'est le préalable nécessaire à l'une de ses missions constitutionnelles qu'est le contrôle de l'exécutif. Pour préserver le principe de séparation des pouvoirs, les assemblées disposent, comme elles l'entendent, de leurs crédits de fonctionnement. Incriminer l'emploi discrétionnaire de ces dotations serait s'en prendre à l'exercice de la fonction d'un parlementaire, s'attaquer par là-même au principe constitutionnel de l'indépendance des assemblées parlementaires, corollaire de la séparation des pouvoirs. Pour l'exécutif, prétendre contrôler l'utilisation des dotations d'un parlementaire au moyen d'une procédure pénale enfreint donc ce principe.
Dans le cas de François Fillon, l'atteinte à la Constitution est d'autant plus grave que la procédure pénale est engagée illégalement. En admettant qu'il y ait eu violation du règlement d'une assemblée parlementaire, une enquête n'aurait pu être menée que par le bureau de l'assemblée en cause. C'est bien d'ailleurs la procédure qu'a retenue le Parlement européen pour sanctionner une candidate à l'élection présidentielle française.
A plus forte raison, le pouvoir ne pouvait-il laisser le parquet national financier (PNF) se saisir d'une telle enquête (ou l'y inciter) ? Il saute aux yeux que les faits allégués contre le candidat n'entrent pas dans les chefs de compétence énumérés par l'article 705 du code de procédure pénale (loi du 6 décembre 2013) de ce ministère public : non seulement ces faits ne répondent à la définition d'aucune des infractions mentionnées dans ces chefs de compétence, mais encore nul ne saurait prétendre sérieusement qu'ils présentent “une grande complexité”, au sens dudit article.
C'est encore au prix d'une double erreur que le président de la République se retranche derrière l'indépendance de la justice. D'abord, les officiers du ministère public ne sont pas “la justice”, la Cour européenne des droits de l'homme leur dénie l'appartenance à l'autorité judiciaire. Ensuite, ils ne sont pas statutairement indépendants du gouvernement, mais subordonnés au ministre de la Justice.
Philippe FONTANA Avocat au barreau de Paris
André DECOCQ Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas
Geoffroy de VRIES Avocat au barreau de Paris
Yves MAYAUD Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas
Serge GUINCHARD Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas, ancien recteur
Pauline CORLAY Professeur agrégé des facultés de droit, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation
Guillaume DRAGO Professeur à l'Université Panthéon-Assas Paris II
Guillaume MASSE Avocat au barreau de Paris
Jean-Luc ELHOUEISS Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences
Georges BONET Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas
Raymonde VATINET Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas
Anne-Marie LE POURHIET Professeur de droit public à l’université Rennes-I
Bernard de FROMENT Avocat au barreau de Paris
Source : Atlantico, 24/02/2017
III. Vision contraire d’autres juristes (défavorable à Fillon)
L'AFFAIRE FILLON N'EST PAS UN « COUP D'ETAT INSTITUTIONNEL »
Un Appel signé par des professeurs de droit et des avocats entend dénoncer ce qu'ils appellent un « coup d'Etat institutionnel » pour décrire l'enquête menée par le parquet national financier contre François Fillon. Selon ce texte, le pouvoir actuel, notamment François Hollande, instrumentaliserait la justice pour écarter le vainqueur des primaires de la campagne présidentielle. L'Appel contient des arguments de droit pénal qui reposent sur une interprétation restrictive tant du délit de détournement des fonds publics que de la compétence du Parquet national financier. On laissera les spécialistes répondre à de tels arguments qui sont d'ailleurs ceux avancés par les avocats de François Fillon pour se concentrer sur les arguments d'ordre constitutionnel qui s'opposeraient à une telle enquête. Le principal d'entre eux consiste à invoquer une atteinte au principe de « la séparation des pouvoirs, seul garant du caractère démocratique des institutions et obstacle à la tyrannie » :
« L'indépendance dont dispose le parlementaire, y compris dans la gestion de ses crédits destinés à rémunérer ses collaborateurs, n'est pas un simple caprice. C'est le préalable nécessaire à l'une de ses missions constitutionnelles qu'est le contrôle de l'exécutif. Pour préserver le principe de séparation des pouvoirs, les assemblées disposent, comme elles l'entendent, de leurs crédits de fonctionnement. Incriminer l'emploi discrétionnaire de ces dotations serait s'en prendre à l'exercice de la fonction d'un parlementaire, s'attaquer par là-même au principe constitutionnel de l'indépendance des assemblées parlementaires, corollaire de la séparation des pouvoirs. Pour l'exécutif, prétendre contrôler l'utilisation des dotations d'un parlementaire au moyen d'une procédure pénale enfreint donc ce principe. »[1]
Une telle argumentation prolonge, en la radicalisant l'opinion précédemment exprimée par un certain nombre d'autres professeurs de droit. D'un côté, on aurait « donné aux juges le pouvoir de faire ou défaire une carrière politique, au mépris du principe de séparation des pouvoirs » et il existerait en outre une distinction à faire entre « le temps de la justice » et « le temps de la politique » pour interdire l'interférence de la justice dans le fonctionnement de la démocratie et donc dans les élections[2] . D'un autre côté, la recherche par la justice de l'effectivité de la collaboration de Mme Fillon constituerait une atteinte à « l'indépendance de l'exercice du mandat parlementaire »[3]. On toucherait ici, bien que cela ne soit pas dit, à l'immunité conférée aux parlementaires par l'article 26 de la Constitution.
L'appel des professeurs et avocats va bien au-delà de ces simples arguments en utilisant l'expression de « coup d'Etat » qui ne devrait pas, pourtant, être utilisée sans précaution. Malgré la véhémence des propos et la référence aux grands principes, aucun des arguments avancés par ceux qui entendent défendre principalement les principes constitutionnels et accessoirement M. Fillon (à moins que ce soit l'inverse…), n'est véritablement convaincant.
C'est d'abord une bien curieuse conception de la séparation des pouvoirs qui interdirait à la justice de s'intéresser au comportement d'hommes politiques au seul motif qu'ils seraient des parlementaires. Si l'on reprenait cet argument, cela reviendrait à admettre qu'il y aurait une souveraineté parlementaire qui rendrait les assemblées totalement irresponsables, et à l'abri de l'immixtion des juges. Mais le principe de séparation des pouvoirs ne crée pas trois domaines étanches les uns par rapport aux autres. Les meilleurs constitutionnalistes ont bien compris qu'il s'agissait moins d'une séparation des fonctions que d'une collaboration des pouvoirs. De ce point de vue, les professeurs de droit en question semblent oublier la finalité fondamentale d'un tel principe : « Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » (Esprit des Lois, livre XI, chap. IV). Or, selon la conception de la séparation des pouvoirs proposée par les signataires de l'Appel, le pouvoir n'arrête pas le pouvoir : il est invité à le laisser passer. On se permettra de rappeler à ces derniers l'existence du très sage principe formulé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme : « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Encore une fois, on ne voit pas pourquoi un parlementaire, fût-il candidat à l'élection présidentielle, échapperait à une telle disposition. On ne comprendrait pas pourquoi les parlementaires auraient le droit d'allouer discrétionnairement à leurs collaborateurs les dotations parlementaires dont ils bénéficient, sans que personne n'ait le droit de vérifier l'usage qu'ils font de cet argent.
En outre, si l'argument de l'indépendance de l'exercice du mandat parlementaire est plus sérieux, il ne tient pas davantage. Cette indépendance est fixée et complètement déterminée par les immunités dont jouissent les parlementaires en vertu de l'article 26 de la Constitution. Ces immunités ne posent nullement un principe général d'indépendance des parlementaires à l'égard de la justice. Elles constituent au contraire des exceptions au principe selon lequel les parlementaires sont soumis au droit commun et les exceptions s'interprètent strictement, l'invocation de la séparation des pouvoirs ne pouvant justifier aucune interprétation extensive. La première de ces exceptions fait obstacle à tout engagement de responsabilité pénale ou civile du fait des « opinions et votes » émis par un parlementaire « dans l'exercice de ses fonctions » (art. 26, al.1). A l'évidence elle n'est pas applicable à l'espèce Fillon.
La seconde exception prend la forme d'une inviolabilité qui protège les membres du Parlement contre « toute arrestation ou (…) toute autre mesure privative ou restrictive de liberté » dans la mesure où de telles mesures ne pourraient être prises qu'avec l'autorisation du bureau de l'Assemblée (art. 26 al.2). François Fillon ne fait l'objet d'aucune mesure de ce type et le fait que son bureau a été l'objet, dans les locaux de l'Assemblée nationale, d'une perquisition judiciaire – qui plus est autorisée par le président de cette Chambre — ne constitue pas davantage une telle mesure de privation ou de restriction de la liberté. Rien n'a d'ailleurs interdit à la police d'aller effectuer une perquisition dans les locaux de l'Elysée à l'occasion de l'affaire dite des « sondages ». Un dernier argument a été invoqué : l'existence de précédents jurisprudentiels[4] desquels il ressort que les juges judiciaires ont déjà eu l'occasion, par exemple d'examiner la licéité du licenciement d'une assistante parlementaire qui avait dénoncé l'emploi fictif de la fille du parlementaire pour lequel elle travaillait, la Cour de cassation ayant protégé ici la liberté d'expression de la salariée licenciée (Cass. Soc., 29 déc. 2010, n° 09-41543). On reste donc pour le moins perplexe face à l'invocation d'un principe particulièrement imprécis, la séparation des pouvoirs, qui n'a reçu aucune définition prétorienne véritable, qui n'est pas davantage précisé par les défenseurs de la cause de François Fillon, et que l'on voudrait faire jouer pour subvertir les dispositions claires et précises de l'article 26.
Dans cette affaire Fillon, il convient de ne pas inverser les responsabilités et il ne suffit pas davantage d'imaginer des complots. Les faits sont d'une désarmante simplicité : un candidat à l'élection présidentielle élu brillamment aux primaires de la droite sur une ligne dure et moralisatrice, réclamant aux Français de grands sacrifices, est ensuite, l'objet de révélations journalistiques qui, si elles sont avérées, tendraient à montrer que ses actes sont en contradiction avec les principes qu'il proclame. Il a pratiqué le népotisme, comme tant d'autres certes, mais les circonstances ont changé depuis l'époque, par exemple, de François Mitterrand. L'opinion publique ne tolère plus ce qu'elle tolérait auparavant. « La corruption de la République », que dénonçait Yves Mény dans un ouvrage qui n'a hélas rien perdu de son actualité, est devenue insupportable aux citoyens qui n'ont, en ce moment, ni privilèges, ni vie facile.
Ainsi, à en croire les faits rapportés par la presse, M. Fillon n'a pas commis seulement une « erreur », mais bien une « faute » morale. L'argument selon lequel ces comportements n'auraient rien d'illégal, n'est pas non plus suffisant. En effet, les électeurs conservent le droit de ne pas voter pour un candidat dont ils réprouvent la conduite, même si celle-ci ne constitue pas – ce qui reste d'ailleurs encore à démontrer – une faute pénale : cela s'appelle la responsabilité politique. Prétendre le contraire serait admettre que les hommes publics ont le droit de faire certaines choses, mais qu'il est interdit de dire qu'ils les font.
Reste alors ouverte la question de savoir si le vainqueur des primaires de la droite et du centre subira ou non, politiquement, voire pénalement, les conséquences de son comportement. Mais il est, en revanche, certain que l'argument de la séparation des pouvoirs, invoqué pour la défense de François Fillon, ne saurait en aucune manière emporter la conviction.
Denis Baranger, Olivier Beaud, Jean-Marie Denquin, Olivier Jouanjan, Patrick Wachsmann (professeurs de droit public)
[1] Italiques dans le texte cité par le site Atlantico. http://www.atlantico.fr/decryptage/francois-fillon-appel-juristes-contre-coup-etat-institutionnel-geoffroy-vries-philippe-fontana-andre-decocq-2967969.html#x0ff29Pfz8sYHXMa.99
[2] Bertrand Mathieu et Hervé Bonard, Le Figaro du 1er fév. 2017.
[3] Pierre Avril et Jean Gicquel, Le Figaro du 9 fév. 2017.
[4] N. Molfessis, Le Monde du 16 fév. 2017.
Source : JusPoliticum
IV. Vision de M° Eolas
Pour en finir avec la séparation des pouvoirs
Dans ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Fillon, une étrange argumentation juridique a fait son apparition qui, au-delà du fond de l'affaire, sur laquelle je me garderai bien de me prononcer, du moins avant d'avoir reçu une solide provision sur honoraires, me laisse pour le moins pantois.
Rappelons brièvement les faits : des révélations successives par la presse ont mis au jour le fait que le candidat LR à la présidence de la République a longtemps salarié son épouse grâce à l'enveloppe attribuée à chaque député pour pouvoir salarier des assistants parlementaires, que ce soit à l'assemblée pour le travail parlementaire proprement dit ou dans la circonscription pour assurer une présence permanente de l'élu. Ce qui en soit est critiquable mais, en l'état des textes, légal. Là où le bat blesse, c'est qu'il semble n'y avoir eu aucune contrepartie réelle à un salaire largement au-dessus des montants habituels, les explications fournies par l'intéressés ou ses soutiens (dans le sens où la corde soutient le pendu) étant embrouillées, contradictoires, et parfois accablantes.
Le parquet national financier a donc ouvert une enquête préliminaire sur ces faits, qui est encore en cours au moment où j'écris ces lignes.
Et c'est dans ces circonstances qu'une tribune de juristes courroucés a été publiée sur Atlantico (oui, je sais, Atlantico…), prétendant opposer des arguments juridiques à l'existence même de ces poursuites (promesse rarement tenue vous allez voir). D'ailleurs, les soutiens plus ou moins affichés à François Fillon se sont tous bien gardés de reprendre à leur compte ces arguments, se contentant de dire "Si autant de juristes le disent, ça ne peut pas être inexact". Etant moi-même juriste, je suis flatté de l'image d'infaillibilité qu'ils souhaitent ainsi conférer à ma discipline, mais je crains que cette prémisse ne soit fausse. Les juristes se trompent, parfois volontairement, car c'est leur devoir de se tromper pour qu'une contradiction ait lieu. Mais jamais la signature du plus éminent des juristes n'a été la garantie de la véracité irréfutable de ce qu'il avance. Écartons donc l'argument d'autorité, qui est haïssable par principe, et inadmissible en droit.
Voyons donc en quoi consiste cette démonstration.
D'emblée, les auteurs, craignant sans doute le reproche de la modération, qualifient cette affaire de "Coup d'État institutionnel". Rien que ça. Un coup d'Etat consiste à renverser par la force les institutions d'un régime afin d'y substituer un pouvoir provisoire non prévu par les textes en vigueur. N'en déplaise à ces augustes jurisconsultes, M. Fillon n'est que candidat déclaré, accessoirement député de Paris, mandat qu'il a exercé avec parcimonie, et s'en prendre à lui en cette qualité de candidat, fût-ce illégalement, ne saurait s'apparenter à un coup d'Etat, puisqu'on ne saurait renverser un simple impétrant. Néanmoins, ce texte dit que ce terme "définit parfaitement" les "manœuvres" employées pour l'empêcher de concourir à l'élection. Ce n'est pas une métaphore ni une hyperbole : c'est une "définition parfaite". Voilà qui commence mal.
Passons sur les passages complotistes des deux paragraphes suivants, car oui, c'est un complot, et le coupable est désigné : c'est François Hollande, qui fait cela pour que son "héritier" Benoît Hamon soit élu. Visiblement, ces juristes connaissent aussi mal la loi que les mœurs du parti socialiste, car imaginer un complot de Hollande pour porter Hamon au pouvoir, pour qui sait l'état des relations des deux hommes, prête à sourire. Voici les arguments de droit :
1 – On imputerait à François Fillon des faits qui ne tombent pas sous le coup de la loi pénale car le délit de détournement de fond public ne pourrait être juridiquement constitué.
Tout d'abord, si j'en crois le communiqué du parquet national financier, l'enquête porte sur des faits qualifiés de détournements de fonds publics, abus de biens sociaux et recels de ces délits, or la tribune de ces juristes passe sous silence ces dernières qualifications.
Sur le détournement de fonds publics, les auteurs rappellent que ce délit ne peut être reproché qu'à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l'un de ses subordonnés, ce qui selon eux n'inclurait pas les parlementaires.
Cette affirmation mériterait d'être étayée, ce qu'elle n'est pas. Et pour tout dire, elle est douteuse.
[…]Lire la suite sur le blog de M° Eolas
V. Traitement du Débat par un journaliste du Monde
Je trouve intéressant de voir comment le journaliste du Monde Franck Johannès a traité tout ceci sur son blog lemonde.fr.
Il a fait 4 billets.
Affaire Fillon. Quelques doutes sur « le coup d'Etat institutionnel » – 1. Les signataires
C’est simple : le premier billet ne parle pas de Droit, mais des signataires. Et c’est un festival de sous-entendus :
Bref, ce seraient des réacs (très étonnant pour des profs à Assas…). En quoi cela disqualifierait-il leurs analyses ? Mystère…
“Contrefacteur” en titre avant son nom sans raison, pour un jeu de mots à deux balles, c’est magique…
“Ah aha ah , je te tiens avec la fille Fillon il y a 15 ans !”
Ok, un honnête, mais à cause de la Légion d’honneur (“on la voit bien, ça va ?”), il ne peut l’être j’imagine.
Des “gros réacs” avec de accusations au doigt mouillé…
Le 2e billet parle de la réplique à l’article dans Atlantico :
Affaire Fillon. Quelques doutes sur « le coup d'Etat institutionnel » – 2. La contre-offensive des juristes
Florilège, mais cliquez sur le lien précédent pour tout lire :
Comparez l’effet visuel des “méchants pro-Fillon pro-Atlantico” – bouhhhh
avec ce deuxième billet :
Sachant que les “juristes” ici sont aussi juristes que les précédents…
AUCUNE enquête sur eux, pas la peine, “leur autorité ne discute guère” – comme celle du Monde.
Pourtant, si j’appliquait les mêmes méthodes que M. Johannes :
Denis Baranger a été nommé membre du groupe de travail sur l’avenir des Institutions à l’Assemblée Nationale présidé par Claude Bartolone ;
Olivier Beaud a été selon Le Monde “l’une des figures de l’opposition au projet de réforme du statut des universitaires” en 2009 ;
Jean-Marie Denquin a par exemple conclu le colloque “Des droits fondamentaux à l'obsession sécuritaire”, ou sont intervenus Olivier Beaud et Patrick Wachsmann :
Olivier Jouanjan est un ami d’Olivier Beaud, cité dans l’article du Monde…
Patrick Wachsmann pétitionne avec Olivier Beaud (tiens, tiens…) et écrit avec lui.
Le 3e billet est mythique :
Affaire Fillon. Interlude extra-juridique – 3. De l'art de la broderie chez les bonnes épouses
C’est juste un billet hallucinant, où il se moque simplement du discours réac de Serge Guinchard lors du mariage de sa fille :
Sans qu’on sache le niveau de “second degré” de celui-ci, M. Johannès n’ayant apparemment pas pris la peine de le contacter pour avoir sa vision sur tout ceci…
Affaire Fillon. Quelques doutes sur « le coup d'Etat institutionnel » – 4. Les arguments de droit
Enfin, le dernier billet contient enfin des considérations juridiques plus intéressantes.
Il cite souvent le juriste Dominique Rousseau, engagé politiquement (oh, c’est celui dont on a parlé, et qui juge qu’une trêve judiciaire serait “dangereuse”):
Bref, merci à Franck Johannès pour ce bel exemple débordant de déontologie :
VI. Épilogue
Je me garderai bien d’être trop affirmatif sur ce sujet complexe et sans précédent, cela va faire une belle jurisprudence.
Je penche quand même plutôt dans le sens d’Auberger, pour une raison simple : je vois mal où sont véritablement les victimes directes (ce qui compliquera le jugement) – si les faits d’emplois fictifs étaient avérés :
- pour l’Assemblée : la personne qui crée l’emploi fictif est le député, et la principale victime reste quand même le même député, vu comme une TPE.
- pour la Revue des deux mondes : la personne qui crée l’emploi fictif lèse l’actionnaire, mais c’est la même personne ici…
Bref, c’est quand même bien compliqué. Attendons donc les jugements…
URL: http://www.les-crises.fr/debat-juridique-sur-laffaire-fillon-et-articles-dun-journaliste-du-monde/
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