lundi 27 février 2017

François Fillon, le « fumier du diable » et le parti de l’argent (billet invité)

François Fillon, le « fumier du diable » et le parti de l'argent (billet invité)

«Nous n'aurions accompli qu'une infime partie de notre tâche si la République française de demain se trouvait comme la IIIe République sous la dépendance étroite des puissances d'argent»
Albert Camus[i]

Billet invité de l'œil de Brutus



Le général de Gaulle confessait qu'il n'aimait pas ceux de son parti car ceux-ci aimaient trop l'argent. Il n'aurait sans nul doute guère apprécié François Fillon. Il n'aurait bien sûr pas goûté toutes ces petites combines népotistes – légales ou pas, en soi peu importe – au bénéfice de son épouse et de ses enfants[ii]. Ni ces petits trafics de breloques – eux aussi légaux – pour les copains[iii]. Ni ces conférences rémunérées tenues dans des puissances étrangères[iv].

Le général de Gaulle payait en son compte propre tous ses émoluments privés à l'Elysée, au point d'y faire poser un compteur électrique séparé pour ses appartements privés. Aurait-il imaginé que quelqu'un se prétendant de lui fasse passer aux frais de l'Etat l'agrandissement de son appartement de premier ministre de 78 m² à 309 m² et cache sous le tapis les rémunérations de 49 de ses collaborateurs[v] ? Que ce même prétendant multiplie les déplacements privés dans les jets de la République[vi] ? Pire encore : aurait-il pu imaginer un premier ministre prétendument gaulliste fêter son réveillon à titre privé dans une résidence gracieusement mise à disposition par un autocrate étranger[vii] ?

Mais tout cela n'est finalement que tristement banal au sein d'une oligarchie politique en fin de cycle et qui ne semble plus conserver qu'un seul repère : celui de l'argent, ce « fumier du diable ». M. Fillon n'est donc qu'un politicien ordinaire de ces années 2000, qui ne vit que par, pour et avec les petites combines politiciennes. Il se dit promoteur de l'esprit d'entreprise mais n'y a jamais mis les pieds puisqu'il se lança en politique dès l'âge de 22 ans en tant qu'assistant parlementaire. Il défend la « valeur travail » (doux contre-sens[viii] !) mais n'a fait que vivre des prébendes de la politique. Ajoutons que M. Fillon fut séguiniste lorsqu'il fallut trouver un étrier où poser le pied pour se lancer en politique (ce qui l'amena à se prononcer alors contre le traité de Maastricht), puis balladurien pour pouvoir rentrer au gouvernement, puis chiraquien pour y rester et enfin sarkozyste pour occuper Matignon (ce qui l'amena à faire adopter en catimini le traité de Lisbonne que les Français avaient pourtant rejeté). En devenant filloniste dans le cadre de cette campagne présidentielle, M. Fillon a enfin jeté le masque : il roule pour lui et pour lui seul, peu importe les renoncements et les virages à 180°. Se servir et non pas servir. Il n'est donc en fait qu'une triste copie de son ancien maître, Nicolas Sarkozy, avec lequel il partage la même passion : celle de l'argent.  

M. Fillon voulait se construire une figure morale de chrétien austère. Il n'est qu'un petit coq de basse-cour, les deux pattes plantées dans le « fumier du diable ».

Tout cela, donc, ne distingue guère M. Fillon de l'immense majorité du personnel politicien qui s'est accaparé les prébendes et les petits plaçous depuis plus de trente ans et a lentement mais surement transformé la Ve République en oligarchie. Tout cela aurait pu être presque pardonnable. S'il ne s'était agi dans le même temps de mettre les Français à la diète la plus sévère en détruisant leurs services publics et leur système de santé[ix]. Et encore plus, s'il ne s'était agi de construire un programme politique toute en accointances avec les puissances d'argent, dont son ami, M. de Castries, n'est qu'un des représentants parmi d'autres[x]. Car, encore une fois, ce n'est que de cela qu'il s'agit : de simples affaires d'argent.

Ce qui nous ramène encore une fois au général de Gaulle qui au crépuscule de sa vie confiait à André Malraux que « les Français ont toujours eu du mal à se débrouiller entre leur désir des privilèges et leur goût de l'égalité ! Mais au milieu de tout ce joli monde, mon seul adversaire, celui de la France, n'a aucunement cessé d'être l'argent ».[xi] François Fillon a, sans doute depuis longtemps, choisi son camp. Et ce n'est pas celui du général de Gaulle. Ce n'est pas celui de la France. C'est celui du parti de l'argent.




[i] cité par Dominique Jamet, De la Libération à Sarkozy, l'éternel retour, Marianne, 29/08/12.
[iii] François Fillon et les légions d'honneur bien placées, Laurence Dequay, Marianne, 08-févr-17.
[iv] Lire Renaud Lecadre , Luc Peillon et Pauline Moullot, Fillon et ses amis, la vie en colloques, Libération, 16/02/2017.
[v] Cf. Hervé Liffran, "Le confidentiel dépense de Fillon", Le Canard Enchaîné n°4623, 3 juin 2009. Recension sur politique.net : http://www.politique.net/2009060301-appartement-de-francois-fillon.htm
[vi] Lire Matthieu Le Crom , Les dépenses scandaleuses de l'austère couple Fillon, Le Vent se lève, 24/012017.
[viii] Le travail en lui-même ne saurait représenter une « valeur » (sinon les esclaves seraient les plus valeureux des humains). L'effort ou plutôt le goût de l'effort peut, lui, représenter une valeur. Mais cela n'a rien à voir avec le travail qui représente surtout le contingentement matériel de l'être humain (l'homme est contraint de travailler pour assurer sa subsistance matérielle) et situe donc aux antipodes de l'élévation spirituelle et/ou intellectuelle, du dégagement des contingences matérielles qui distingue l'homme de l'animal.
Ironie de la chose, les ultralibéraux à la Fillon (ou à la Sarkozy) partage cette obsession (de façade) du travail  avec les … marxistes !
[x] Lire :
De qui François Fillon est-il le prête-nom ?, François Denord et Paul Lagneau-Ymonet, Le Monde diplomatique, février 2017 ;
[xi] Charles de Gaulle, cité par André  Malraux, Les chênes qu'on abat, Folio 1974, page 108

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