jeudi 19 janvier 2017

La déroute annoncée de François Fillon (2/2) (billet invité)

La déroute annoncée de François Fillon (2/2) (billet invité)

Billet invité de l'Oeil de Brutus




La bien-pensance médiatique – celle qui ne jure que par le duopole libéral-libertaire des « Républicains », du P « «S » et de leurs affidés – a tôt fait de présenter François Fillon comme un futur président de la République en puissance étant donné l'état de déliquescence plus qu'avancé de sa (pseudo) alternative (faussement) de gauche que représente le P « S », et ce quel que soit le candidat qui sortira des primaires de ce dernier.

François Fillon a effectivement réalisé une excellente campagne des primaires « de la droite et du centre » :
-         en attirant à lui la droite catholique traditionnelle clairement méprisée par Alain Juppé, plus que lassée par les tours de girouette de Nicolas Sarkozy, consciente des chances infiniment maigres de son propre candidat (Jean-Frédéric Poisson) et lassées d'être perpétuellement non représentée dans les appareils de partis ;
-        en se présentant comme la réelle et seule alternative crédible au centrisme bobo, relativiste et multiculturaliste d'Alain Juppé d'une part, aux outrances vides de réel contenu de Nicolas Sarkozy d'autre part (ce que n'est pas parvenu à réaliser Bruno Le Maire) ;
-        et surtout en ouvrant grand son programme aux intérêts du grand patronat, de la finance et des multinationales qui l'ont de ce fait abondamment subventionné et soutenu[i].
En rassemblant derrière lui une large base du socle électoral de la droite classique et tout en parvenant à taire – pendant la durée de la campagne[ii]– les contradictions de ce rassemblement (son programme économique très favorable au patronat sera très lourd pour les classes moyennes dont est pourtant très largement issu le milieu catholique traditionnel), François Fillon est parvenu à remporter haut la main ces primaires. Le bilan du quinquennat de François Hollande étant un boulet pour quiconque portera les couleurs PS, les habitués du bipartisme à la vue courte[iii]- et qui sont aussi, fort logiquement, des thuriféraires aveugles du principe des primaires – ont donc immédiatement discerné en François Fillon le futur chef de l'Etat. Pourtant le socle que qu'il a su mobiliser est extrêmement faible (voir également la premier partie de l'article). Si François Fillon devait, au jour J du 1er tour des présidentielles, se contenter des 1,9 millions d'électeurs qui ont porté leur choix sur lui au 1er tour des primaires (2,9 millions au 2nd tour), il ne réaliserait qu'environ ….  5,2% des voix (7,9% sur la base des électeurs du 2nd tour des primaires)[iv] !
Dans cette perspective, il lui est donc impératif d'élargir très grandement sa base électorale, sans pour autant perdre ce qu'il a conquis lors de ces primaires. Or, tant dans la forme (puisqu'il n'a cessé de scander qu'il était homme à se tenir à son programme) que dans le fond, son programme économique[v]lui interdit tout élargissement d'importance. François Fillon s'est d'ores et déjà mis à dos une très large majorité de la fonction publique (soit de l'ordre de 6 millions d'électeurs ...), non seulement parce que sa proposition est une aberration dans la situation économique que connaît notre pays (supprimer 500 000 emplois – dussent-ils être publics – alors que près de 6 millions de Français sont en souffrance sur le marché de l'emploi) mais aussi parce qu'une large part de cette fonction publique (hôpitaux, douanes, police, armées, enseignants) a déjà beaucoup souffert des réductions d'effectifs des deux précédents quinquennats[vi] et que les modalités de mise en œuvre sont demeurées très floues … si ce n'est en annonçant que les fonctionnaires restant devront travailler davantage alors même qu'une grande partie d'entre eux n'a en pratique jamais connu les 35 heures ! Conforme aux préconisations de l'Union européenne[vii], son projet de privatisation[viii] en masse de la sécurité sociale, tout aussi aberrant économiquement puisque le système de notre sécurité sociale est l'un des plus performants – sinon le plus performant –  de la planète en rapport coût-efficacité[ix], lui aliène d'emblée les classes populaires, la plus grande majorité des classes moyennes ainsi que, probablement, les personnes âgées, segment pourtant traditionnellement assez proche de la droite. L'ancien premier ministre et son équipe peuvent tenter de bien oiseux retournements sur ce sujet[x], il est plus que probable que le mal est fait et que cet électorat, le plus important numériquement et potentiellement le plus décisif[xi], lui a pour une grande part définitivement tourné le dos (et que ces retournements retourneront aussi une part de l'électorat qui a construit sa victoire aux primaires !). Rajoutons à tout cela que François Fillon peinera à regrouper derrière lui une frange grandissante (et sans doute majoritaire aujourd'hui) de Français plus que lassés par les travers de l'européisme bureaucrate et des politiques austéritaires qui y sont liées si l'ancien disciple de Philippe Séguin – mais qui en a totalement renié l'héritage en assumant ouvertement tous les « Munich sociaux » – continue à prôner les vertus de la souveraineté (ce qui s'entend bien) tout en demandant une intégration accrue dans la « gouvernance » de la zone euro (ce qui est totalement incompatible avec tout discours sur la souveraineté !). Enfin, les « Républicains » ne pouvant se permettre de tirer à contre-camps, le passif du quinquennat Sarkozy a été peu évoqué pendant la campagne des primaires. Nul doute que le premier ministre de tout ce piteux quinquennat ne pourra très longtemps s'exempter d'un devoir d'inventaire sur ces cinq années qui n'ont été guère glorieuse pour la France[xii].
C'est donc une longue et pénible campagne qui s'annonce pour François Fillon jusqu'aux jours d'avril 2017 et rien ne garantit son accession au 2nd tour des présidentielles. Celles-ci seront probablement, comme c'est de plus en plus le cas dans toutes les démocraties frappées par le discrédit de plus de trente années de néolibéralisme, d'une très grande indécision et l'on peut s'attendre à voir nos éditocrates sondagiers s'émouvoir qu'un candidat plébiscité aux primaires se fasse piteusement disqualifié quelques mois plus tard au cours d'une élection pour le coup bien plus démocratique que ne le sont ces primaires.





[ii]Ces contradictions se retrouvant dans les programmes d'à peu près tous les candidats de la primaire.
[iii]Ce bipartisme n'a paru comme une évidence sous la Ve République que pour les élections de 1974, 2007 et 2012. Toutes les autres se sont jouées au moins à trois candidats en mesure de franchir le premier tour.
[iv]Sur la base des 36,6 millions de suffrages exprimés au 1er tour des présidentielles de 2012.
[vi]La RGPP, révision générale des politiques publiques, initiée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy qui consistait – entre autres – à ne pas remplacer arbitrairement un poste de fonctionnaire sur deux lors des départs à la retraire, poursuivie, dans une à peine moindre mesure par la MAP, modernisation de l'action publique, par M. Hollande.
[vii]Quand l'Europe veut s'attaquer à la Sécurité Sociale, Laurent Herblay, Gaulliste libre, 23-oct-12.
[viii]Privatisation que François Fillon avait déjà, plus ou moins discrètement, largement initiée lors de son passage à Matignon :
Coût de la santé : le mensonge par omission du gouvernement, Laetitia Clavreul, Le Monde, 13-oct-10.
[ix]Une autre histoire de la Sécurité sociale, Bernard Friot & Christine Jakse, Le Monde diplomatique, dec-15.
Sécurité Sociale: le risque de la privatisation, Elie Arié, Le Monde, 20-sept-10.
Santé : c'est la privatisation qui coûte cher,                   Noam Ambrourousi, Marianne, 12-déc-14.
Rajoutons que le programme de privatisation de François Fillon fera la part belle aux lobbies de la santé … ceux-là même qui plombent notre système de santé :
[xi]Les mesures-chocs de François Fillon rejetées par les Français, Jean-Christophe Chanut, La Tribune, 09-déc-16.
[xii]Lire :
Réponse au tract bilan de Nicolas Sarkozy, l'œil de Brutus, 24/01/2012.

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