samedi 9 avril 2016

Washington fait dérailler la désertion fiscale de Pfizer

Washington fait dérailler la désertion fiscale de Pfizer




Un petit carton jaune pour la désertion fiscale des multinationales

Bien sûr, il ne faut pas se réjouir trop tôt. Le papier du Figaro rappelle en effet que les candidats à l'élection présidentielle semblent s'accorder pour réduire le taux d'imposition sur les bénéfices pour les entreprises, à 35% aujourd'hui, parmi les plus élevés au monde. Même les démocrates proposent de le descendre à 28%, quand les Républicains parlent d'une baisse à 20%. Néanmoins, il faut quand même se réjouir de voir un Etat se rebeller contre la désertion fiscale des grandes entreprises et utiliser tous les moyens afin de mettre en échec les plans de Pfizer, qui souhaitait fusionner avec Allergan pour déplacer son siège social sous les cieux fiscaux parasitaires de l'Irlande, et ainsi économiser un milliard de dollars. Pour y arriver, le Trésor a modifié les règles du jeu d'une manière contestée par Wall Street.


Malheureusement, cet épisode n'est pour l'instant qu'anecdotique. En effet, la direction de Pfizer a trouvé du soutien auprès de Nestlé, qui se déclare « préoccupé » et de groupes de pression pour qui « cette approche est malvenue. Elle pourrait dissuader des entreprises qui opèrent dans le monde entier de s'implanter aux Etats-Unis et porter tort à la compétitivité du pays ». L'entreprise pourrait saisir les tribunaux, même si cela ne changera pas le fait que la fusion a avorté. Et malheureusement, nos dirigeants réagissent d'une manière effarante en promettant des baisses d'impôt sur les bénéfices des sociétés. Ainsi, on voit bien que dans ce monde, le rapport de force est bien favorable aux multinationales et aux actionnaires, qui font un chantage fiscal à la désertion, dont seule une variante sort affaiblie ici.

Néanmoins, l'interêt de cet épisode est de montrer que quand on veut, on peut. Les Etats n'ont pas à subir les demandes effarantes des multinationales. Il est parfaitement possible de faire dérailler leurs plans, une leçon malheureusement oubliée en France pour Alstom. Mais comme trop souvent, si l'impôt sur les sociétés finit par baisser, les multinationales sortiront gagnantes...

Revue de presse du 09/04/2016

Revue de presse du 09/04/2016

Avec cette semaine notamment pas mal d’OTAN et pas trop de Panama qui est partout, du nucléaire dangereux et cher (surprise !), mais pas autant que le réchauffement. Bonne lecture.

Nous ne revendiquons rien, par Frédéric Lordon

Nous ne revendiquons rien, par Frédéric Lordon

Source : Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon, 29-03-2016

Source : Convergence des luttes

Source : Convergence des luttes

Au point où nous en sommes, il faut être épais pour ne pas voir qu'il en va dans les mouvements sociaux actuels de bien plus qu'une loi et ses barèmes d'indemnités. Mais l'épaisseur, en tout cas en ce sens, c'est bien ce qui manque le moins à ceux qui nous gouvernent et à leurs commentateurs embarqués. Aussi tout ce petit monde continue-t-il de s'agiter comme un théâtre d'ombres, et à jouer une comédie chaque jour plus absurde, les uns affairés à peser au trébuchet leurs concessions cosmétiques, les autres leurs gains dérisoires, les troisièmes à faire l'éloge du raisonnable ou à préparer gravement « la primaire ». Et tous se demandent quelle est la meilleure couleur pour repeindre la clôture du jardinet qu'ils continuent d'entretenir sur les flancs du volcan déjà secoué de grondements.

Par un paradoxe caractéristique des époques finissantes, ce sont les seigneurs du moment qui accélèrent eux-mêmes le processus de la décomposition, dont on reconnaît les étapes aux seuils de corruption du langage enfoncés l'un après l'autre. On a pour habitude en cette matière de faire d'Orwell une référence. Mais Orwell était un petit joueur qui manquait d'imagination. Soyons juste : il n'était pas complètement sans talent, il a d'ailleurs fallu attendre un moment pour que son clou lui soit rivé. Enfin c'est fait. Et c'est Bruno Le Roux, président du groupe « socialiste » à l'Assemblée, qui s'est chargé de lui enseigner à quels sommets on peut emmener le prodige du renversement des mots : « il faut que le CDI ne soit pas une prison pour le chef d'entreprise (1». Il faut admettre qu'on peine à faire le tour d'un trait de génie pareil et qu'il faut être bien accroché pour ne pas céder complètement au vertige. Ceux qui s'en souviennent penseront également à cet extrait des Nouveaux chiens de garde (2) où Bénédicte Tassart (RTL), croyant vitupérer les séquestrations de patrons, s'exclamait qu'il « est inadmissible de retenir des personnes contre leur volonté dans des bureaux », manifestement sans se rendre compte qu'elle livrait par-là même un point de vue éditorial aiguisé sur le rapport salarial (sans doute limité au secteur tertiaire mais aisément généralisable). La malheureuse cependant était tout à fait innocente. Les évocations carcérales de Bruno Le Roux sont bien mieux pesées. Tellement bien d'ailleurs qu'elles donnent considérablement à penser — quoique peut-être hors de ses intentions de départ.

Il se pourrait en effet que tout ce qui se passe en ce moment se joue précisément autour de la connexion, puissamment mise en évidence par Bruno Le Roux, du contrat salarial et de la prison. Qui se trouve enfermé vraiment, c'est bien sûr là le point de controverse résiduel, auquel par bonheur ne s'arrêtent pas trop longtemps tous ceux qui, bombes de peinture à la main, réélaborent pour leur propre compte, et de manière assez vigoureuse, la grande intuition rouquinienne.

Loi travail : des étudiants s'expriment sur la « jeunesse » du mouvement Source : lundi.am

Loi travail : des étudiants s'expriment sur la « jeunesse » du mouvement
Source : lundi.am

À franchement parler, le travail ne nous intéresse pas Source : lundi.am

À franchement parler, le travail ne nous intéresse pas
Source : lundi.am

Et pas seulement celle-là. Car c'est décidément un gouvernement qui ne manque pas de philosophes et s'y entend dans l'art de donner à penser. On se souvient d'Emmanuel Macron méditant sur les fins dernières et qui suggérait qu'« il faut des jeunes qui aient envie de devenir milliardaires ». Passer à l'article indéfini pour lui faire dire qu'il faudrait que « les jeunes aient envie de devenir milliardaires » serait-il faire violence à une pensée que, visiblement, seule la crainte de réactions arriérées retient de la conséquence ? De l'un à l'autre en tout cas — de Le Roux à Macron — et quoique par des voies différentes, c'est bien une idée générale de l'existence qui nous est proposée.

Il y a là une invitation et il faut y être sensible. Prenons donc les choses au niveau même de généralité où elles nous sont soumises — le seul moyen de leur apporter une réponse adéquate. Disons avec honnêteté que celle-ci a pris du temps à murir. Il est vrai que tant la brutalité de l'assaut néolibéral que l'effondrement de l'« alternative communiste » n'étaient pas propices à reprendre rapidement ses esprits. Cependant trois décennies d'expérimentation soutenue en vraie grandeur ne pouvaient pas ne pas produire quelques aperceptions. Le travail du réel fait son chemin, et il le fait d'autant mieux que se développent les lieux de mise en commun (au tout premier chef le site #OnVautMieuxQueCa), où les gens découvrent que ce qu'ils vivaient chacun par devers soi est en fait très largement partagé.

Et puis, mais il faut en savoir gré à ce gouvernement dont les stimulations à penser n'ont jamais cessé, ladite « loi travail » vient là, comme une sorte d'apothéose, qui aide considérablement à ce que s'opèrent les dernières clarifications. L'idée de la vie que ces personnes nous offrent nous apparaît maintenant avec une grande netteté. C'est pourquoi, désormais en toute connaissance de cause, et y ayant bien réfléchi, nous pouvons leur répondre que non. Soulignons-le à l'usage des mal-entendants, qui se sont toujours comptés en grand nombre du côté du manche : c'est de cela qu'il est question aujourd'hui. Pas de CDD télescopiques, de comptes rechargeables, ou de barèmes à mollette : de cela, une idée de l'existence.

On peut convaincre avec des principes, on le peut encore mieux avec des images. Pour qui n'aurait pas encore les idées bien fixées quant au type de monde que la philosophie gouvernementale désire pour nous — en tous les sens de l'expression : à notre place et pour nous l'imposer —, il suffirait de regarder une ou deux choses dont le pouvoir d'éloquence posera un rude défi à la pédagogie ministérielle. Il y a bien sûr, mais tout le monde les a vues, ces images d'une controverse entre trois policiers et un lycéen parisien surarmé, celles également d'un retour des CRS sur les bancs de la faculté de Tolbiac, qui font entendre une résonance particulière des propos de François Hollande en 2012 — « Je veux redonner espoir aux nouvelles générations » — ou bien plus récemment de Najat Vallaud-Belkacem (24 mars 2016) — « Education : ce que nous faisons pour la jeunesse ». A moins qu'il ne s'agisse en fait de leur note tout à fait juste.

Petit collage aimablement proposé par le compte Twitter @vivelefeu de Sébastien Fontenelle.

Petit collage aimablement proposé par le compte Twitter @vivelefeu de Sébastien Fontenelle.

La réalité de l'ordre social se trouve pourtant autrement mieux figurée dans deux vidéos dont la première, de pur témoignage, a été faite par Fakir et laisse Henri (son nom n'est pas donné) raconter comment, employé d'un sous-traitant, il s'est trouvé dénoncé par Renault où il intervenait pour avoir, depuis sa messagerie personnelle, fait la promotion du film Merci patron ! auprès des syndicats du Technocentre… Dénoncé et puis, il va sans dire, interdit d'accès au site… et maintenant en procédure de licenciement auprès de son propre employeur. Plus confondante encore, cette scène filmée au bureau de Poste d'Asnières, lors d'une réunion syndicale à laquelle des étudiants sont venus participer pour informer de leur mobilisation… tous se retrouvant face à des policiers armés de flashball, semble-t-il appelés par la direction, et que seule la cohésion du groupe, emmené par une grande gueule de Sud PTT, armée de ce qu'il reste de droits syndicaux, permet de refouler.

Et c'est peut-être celle-là la scène canonique, celle qui dit tout : la hantise du pouvoir — la réunion des étudiants et des salariés ; la surveillance en dernière instance policière du salariat rétif, c'est-à-dire la fusion de l'Etat et du capital, paradoxalement — ou à plus forte raison — quand il s'agit du capital public ; l'alternative radicale de la soumission ou de la lutte collective. Il est bien certain qu'avec de pareils spectacles la clarté de l'entendement reçoit un puissant renfort de l'imagination. Une fameuse poussée des affects aussi. Et voici ce que cette belle propulsion nous permet de leur dire : comprenez bien que nous ne revendiquons rien. Entendez qu'après quelques décennies à faire, vous et vos semblables, la démonstration de vos talents et de votre hauteur de vue, l'idée de négocier quoi que ce soit avec vous nous apparaît absolument sans objet. C'est que « revendiquer » n'a de sens que dans un certain cadre qu'on reconnaît par-là implicitement comme légitime, et tautologiquement comme hors du champ de la revendication elle-même — puisqu'il en est le cadre… Or, vient fatalement un moment où, à force de combats dérisoires pour des miettes, et même en l'occurrence pour simplement résister à la diminution des miettes, l'impensé du cadre revient à la pensée. Non plus comme objet de « revendication » mais comme objet de renversement.

Certes, nous le savons, pour continuer d'entretenir l'illusion, vous pouvez compter sur le syndicalisme du bouton d'or, celui qui voit des « ambitions de progrès (3» au fond des plus notoires régressions, et dont la science héraldique a maintenant établi aussi bien les armoiries — « de serpillière sur balais de pont croisés » — que l'éternelle devise : « Affalé toujours déjà ». Contre un certain syndicalisme couché, ce qui naît en ce moment serait plutôt de l'ordre du mouvement debout. Comme on sait, le mouvement, entendu en ce sens, commence par le rassemblement. Des gens ont opiné que simplement manifester une fois de plus sur des trajets convenus, c'est-à-dire « revendiquer », ne serait plus suffisant. En conséquence de quoi, ils ne rentreront pas chez eux et se retrouveront quelque part pour commencer quelque chose de tout autre. Nuit Debout (4), est le nom de cette initiative, et son exposé des motifs, décalqué à même le message du film Merci patron ! dit assez son nouveau rapport au « cadre » : « leur faire peur »… Nous rassembler, ne pas rentrer, ne pas revendiquer : concentré d'inquiétante étrangeté en effet pour les administrateurs de cadre.

Et c'est vrai que, même si nous ne connaissons pas encore bien notre force, ce qui ne fait peut-être que commencer ici a tout du cauchemar pour l'Etat, qui voit ses grand-peurs s'aligner dans une conjoncture astrale du pire : la hantise de la convergence, l'abandon « en face » de la revendication, son remplacement par des affirmations.

Il se pourrait en effet que nous soyons sur le point de vivre un de ces moments bénis de l'histoire ou des groupes ordinairement séparés redécouvrent ce qu'ils ont de profondément en commun, ce commun massif institué par le capitalisme même : la condition salariale. Salariés maltraités d'aujourd'hui, lycéens et étudiants, maltraités de demain, précarisés de toutes sortes, mais aussi toutes les autres victimes indirectes de la logique générale du capital : objecteurs aux projets d'aménagement absurdes, mal-logés, sans-papiers corvéables à merci, etc.

Mais que peut faire un ministre, ou son directeur de cabinet, de tous ces gens qui en ont soupé de revendiquer ? Rien, absolument rien, ils le savent d'ailleurs, et c'est bien ce qui leur fait peur. C'est que, quand ils abandonnent le registre infantile de la revendication, les gens retrouvent aussitôt le goût du déploiement affirmatif — effroi de l'Etat qui s'est réservé le monopole de l'affirmation. Pour son malheur, la loi El Khomri aura peut-être été l'abus de trop, celui qui fait passer un point de scandale et produit dans l'esprit des gens un remaniement complet de la vision des choses, des places et des rôles. Nous n'avons aucune intention de nous battre pour des codicilles : nous voulons affirmer de nouvelles formes de l'activité et de la politique (5).

Il faut entendre le poignant appel de Michel Wieviorka à « sauver la gauche de gouvernement (6» pour mesurer le degré d'inclusion des desservants intellectuels du « cadre », et par suite leur incompréhension radicale, fussent-ils sociologues, de ce qui se passe dans la société. Dans une tentative de redéfinition performative des catégories politiques qui dit tout de la glissade à droite de ce personnel d'accompagnement (à la suite de leurs maîtres auxquels il s'agit de toujours bien coller), Wieviorka fait désormais représenter « la gauche de la gauche » par… Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ! Manière d'indiquer où se situent à ses yeux les bords du monde fini — car par définition, à gauche de la gauche de la gauche… il n'y a plus rien. Ou plutôt si : il y a les fous. « La gauche folle », c'est l'expression préférée de tous les éberlués de gauche passés à droite qui n'en reviennent pas qu'on puisse ne pas se rendre à la simple raison qui donne à choisir entre « la gauche libérale-martiale de Manuel Valls » (sic), « la gauche sociale-libérale d'Emmanuel Macron », et donc « la gauche de la gauche, de Benoît Hamon à Arnaud Montebourg ». Et qui s'efforcent sans cesse, repliés dans leur peau de chagrin, de ramener toujours plus près d'eux le commencement du domaine de la folie. Alors il faut le dire à Wieviorka et à tous ses semblables, Olivennes (7), Joffrin, etc. : c'est vrai, nous sommes complètement fous. Et nous arrivons.

Frédéric Lordon

Source : Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon, 29-03-2016

TTIP : Selon un document rendu public, les multinationales et les États-Unis vont avoir une grande influence dans les traités commerciaux de l’UE par Paul Gallagher

TTIP : Selon un document rendu public, les multinationales et les États-Unis vont avoir une grande influence dans les traités commerciaux de l'UE par Paul Gallagher

Source : Independent, le 17/03/2016

Exclusif : Le document obtenu par un groupe militant montre que la législation va se trouver sous influence avant même d’arriver au Parlement européen

Paul Gallagher | jeudi 17 mars 2016

TTIP-AFP-Getty

Les militants manifestent devant le Parlement européen contre le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’industrie) entre l’Union européenne et les États-Unis | AFP/Getty

La Commission européenne sera obligée de consulter l’administration des É-U avant d’adopter de nouvelles propositions de lois, Selon un point d’une série controversée de négociations commerciales poursuivies, pour la plupart, dans le secret.

Le groupe militant l’Observatoire de l’Europe industrielle (CEO) et le quotidien britannique, The Independent, ont obtenu et rendu public un document qui fait partie des négociations du Partenariat transatlantique de commerce et d’industrie (TTIP). Il y est révélé que la Commission européenne, instance non élue, va avoir l’autorité pour décider dans quels secteurs il faudra coopérer avec les États-Unis, mettant ainsi sur la touche les États membres de l’UE et le Parlement européen.

Le principal objectif du TTIP est d’harmoniser les règles transatlantiques dans un ensemble de domaines, y compris la sécurité des produits de consommation, les produits alimentaires, les services financiers et bancaires.

Qu’est-ce que le TTIP ?

Le document rendu public concerne le volet des pourparlers sur la coopération réglementaire. Cette partie du traité aura, selon l’Union européenne, pour conséquence de réduire la bureaucratie, tout en respectant tout de même certaines règles. Il y a là, suivant l’analyse du CEO, tout un labyrinthe de procédures capables de museler toutes les propositions de l’UE qui pourraient porter préjudice aux intérêts des États-Unis.

Pour l’Observatoire, ce document révèle aussi à quel point les grandes sociétés et les groupes industriels seront capables d’influencer le développement de la coopération réglementaire en faisant ce qu’on y appelle une « importante proposition » qui sera mise à l’ordre du jour de la Commission et des instances américaines.

Les plans dévoilés par ce document donneront aux autorités réglementaires étatsuniennes « un rôle contestable » dans la législation de Bruxelles et affaibliront le Parlement européen, fait valoir l’Observatoire.

Selon Kenneth Haar, chercheur au CEO, «L’Union européenne et les États-Unis ont résolu de placer les grandes entreprises au cœur de la prise de décision, ce qui constitue une menace directe pour les principes démocratiques. Ce document montre à quel point la coopération réglementaire va favoriser l’influence des grandes entreprises – et celle des États-Unis – sur la législation avant même qu’une loi n’ait été proposée aux parlements. »

Nick Dearden, directeur du groupe militant Global Justice Now (la Justice Mondiale, c’est Maintenant), affirme : « Cette fuite confirme nos craintes à propos du TTIP. Il s’agit là de donner aux grandes entreprises davantage de pouvoir sur un large ensemble de lois et de règlements. En fait, les lobbies industriels, c’est de notoriété publique, veulent écrire les lois avec les gouvernements et, avec ce traité, ils approchent de leur but. Ce n’est pas là un élément accessoire ou une petite partie du TTIP, c’en est un élément absolument central. »

Pour M. Dearden, il est tout à fait “terrifiant” que les États-Unis aient le pouvoir de remettre en question et d’amender les réglementations européennes avant que des politiques européens – élus – n’aient eu une chance d’en débattre.

Se référant au référendum sur l’UE, qui va avoir lieu très bientôt, il affirme : « Nous parlons, en ce moment, dans notre pays de souveraineté, et il est difficile d’imaginer une plus sérieuse menace à notre souveraineté que ce traité commercial. »

Selon le CEO, une intensification de la coopération réglementaire entre l’Union européenne et les États-Unis a déjà mené à des problèmes de santé publique : ainsi l’Union européenne s’est-elle abstenue de réguler l’emploi des perturbateurs hormonaux et a-t-elle permis la controverse récente sur le renouvellement du pesticide de Monsanto, le glyphosate.

Toujours selon l’Observatoire, dans ces deux dossiers, la Commission a prêté une oreille très attentive aux instances étatsuniennes et aux grandes entreprises en dépit des risques pour la santé publique que constituent ces substances chimiques.

Un porte-parole de la Commission européenne a déclaré : « Ces accusations ne reposent sur rien et ne se retrouvent pas dans la proposition de l’Union européenne pour la simplification des règles pour les exportateurs de l’Union européenne. Le texte sur la coopération règlementaire ne tardera pas à être publié pour que chacun se rende compte que cette prétendue analyse est complètement fausse, qu’elle présente une vue tendancieuse du travail de la Commission européenne et ignore la réalité des textes de l’Union européenne. Ce sont les autorités en charge de la réglementation, non les négociateurs commerciaux, qui vont continuer à prendre les initiatives en matière de coopération réglementaire, à la fois dans l’Union européenne et aux États-Unis.

Explicatif : Le TTIP

Le Partenariat transatlantique de commerce et d’industrie est un projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis, qui vise à promouvoir le commerce et une croissance économique multilatérale.

Selon l’Union européenne, le but du TTIP est d’aider les peuples et les entreprises en ouvrant les États-Unis aux entreprises, en aidant à réduire la bureaucratie que doivent affronter les firmes quand elles exportent et en établissant de nouvelles règles pour rendre les exportations, les importations et les investissements à l’étranger plus faciles et plus équitables.

Pour les militants anti-TTIP, le traité va augmenter le pouvoir des multinationales aux dépens de la démocratie et de l’intérêt  général.

Que ces pourparlers aient, pour la plupart, eu lieu dans le secret et que les fuites dans les médias aient été le seul moyen d’informer le public de ce qui se passe constitue l’un des grands problèmes de ces négociations.

La Commission européenne affirme que le Partenariat transatlantique de commerce et d’industrie pourrait relancer l’économie européenne, avec 120 milliards d’euros à la clé, l’économie étatsunienne avec 90 milliards et le reste du monde avec 100 milliards. À ce traité s’opposent les syndicats, les associations caritatives, les ONG et les écologistes, surtout en Europe. Les critiques ont déjà dit au quotidien The Independent que le TTIP aurait des impacts négatifs comprenant “la réduction des barrières réglementaires au commerce pour les grandes entreprises, des mesures pour la sécurité alimentaire et environnementale, des réglementations dans le domaine bancaire et les pouvoirs souverains des États,” ou même serait tout simplement “une attaque contre les sociétés européennes et étatsuniennes par le biais de multinationales.”

Selon la Commission européenne, une fois qu’un texte aura été définitivement approuvé, ce sera aux États membres et aux députés européens de décider de son entrée en vigueur.

Le document fuité met en lumière le sérieux danger que court la démocratie

Par Kenneth Haar, chercheur au CEO

La prétendue « coopération réglementaire » dans les actuels pourparlers sur le TTIP Union européenne/États-Unis cherche à harmoniser la législation des deux côtés de l’Atlantique. Ce volet des négociations vise à raser les barrières réglementaires déjà en place et à empêcher l’apparition de nouvelles.

Des procédures longues, dont la validation par les entreprises des répercussions économiques possibles, sont ainsi envisagées dans les nouvelles réglementations. De telles mesures ont déjà été utilisées de manière informelle pour affaiblir l’ambition de l’Union européenne dans la supervision du secteur financier dans les années précédant l’effondrement de 2008, pour offrir un laissez-passer aux entreprises des États-Unis sur la protection des données personnelles, et pour retarder ou édulcorer les propositions de l’Union européenne sur l’expérimentation animale et les émissions dans l’aviation.

Plus récemment, dans le cas des perturbateurs endocriniens toxiques, nous avons vu la Commission européenne s’aligner de près aux autorités des États-Unis et aux grandes entreprises en refusant de prendre des mesures pour restreindre l’usage de ces substances, malgré les menaces sur la santé bien documentées qui se posent aux citoyens de l’UE.

Consacrer de telles procédures dans la législation sous le TTIP mènera à l’intensification des attaques contre les lois qui protègent la santé, les droits des travailleurs et les normes environnementales.

Ce document fuité des négociations confirme les craintes que la Commission soit obligée de consulter les autorités des États-Unis avant d’adopter de nouvelles propositions législatives, alors que les États membres sont mis sur la touche. La fuite nous offre aussi un aperçu de la proposition de labyrinthe bureaucratique d’évaluations d’impact, dialogues, consultations et audits qui pourraient lier toute proposition qui irait contre les intérêts des entreprises américaines.

Au final, les grandes entreprises pourront influer sur les réglementations par ces propositions à un degré tel qu’il est une sérieuse menace à la démocratie telle qu’on la connaît.

Source : Independent, le 17/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Un rapport américain sur le TTIP est “sans appel”: “Les Européens n'ont pas grand-chose à gagner”

Source : RTL, 22-12-2015

L'eurodéputé PS Marc Tarabella

L'eurodéputé PS Marc Tarabella a pu consulter le rapport d'évaluation des gains des projets de TTIP sur la table, émis par le ministère de l'agriculture américain. Selon lui, ses “conclusions sont sans appel : d'une part, le secteur agricole Européen serait le grand perdant de cet échange, d'autre part les européens pourraient même subir des effets négatifs en cas d'accord. De l'aveu même des américains, les Européens n'ont pas grand-chose à y gagner. Au vu de ces résultats, je demande l'arrêt pur et simple des négociations avec les États-Unis. Je ne veux pas voir mener à l'abattoir l'agriculture européenne et dans son sillage la subsistance alimentaire européenne”, tempête le député européen, en charge de l'agriculture et de la Protection des consommateurs au Parlement européen, dans un communiqué émis ce mardi.

Il ajoute que “le volet agricole ne peut être la variable d'ajustement des autres chapitres de la négociation TTIP. Ce serait se moquer des agriculteurs et des consommateurs européens.”

Les gains financiers pour les USA seraient incroyablement plus grands que pour les Européens

Dans ce communiqué, on apprend que plusieurs scénarii sont envisagés par les Américains. Deux leur sont extrêmement favorables. Il s'agit premièrement de l'abolition des droits de douane, qui rapporterait 5,5 milliards de dollars aux Etats-Unis là où l'Union européenne ne gagnerait que 800 millions. Le second serait cette même abolition à laquelle on ajouterait la suppression des mesures non tarifaires. Là, les USA gagneraient 10 milliards de dollars tandis que l'Union européenne seulement 2 milliards.

Cette disproportion entre les gains potentiels au niveau agriculture de la signature d'un tel accord transatlantique –qualifiée de “déséquilibre astronomique” par Marc Tarabella- aurait de lourdes conséquences pour notre agriculture. En effet, cette nouvelle concurrence ferait plonger les prix pour les producteurs européens, selon le député.

Les Américains qui ont réalisé l'enquête l'avouent eux-mêmes: “les Européens n'ont pas grand-chose à gagner” en signant un tel accord.

Si les citoyens européens préfèrent la qualité, les USA n’auraient rien à y gagner

Ils ont également évalué leurs gains dans d'autres scénarii. Celui qui leur serait le moins profitable ? “Dans le texte, on peut également lire que le scénario qui leur serait néfaste serait celui de citoyens faisant de la qualité et des questions sanitaires une priorité”, détaille encore M. Tarabella. Les autorités US expliquent qu'alors les consommateurs se tourneraient vers la production locale. Dans un tel cas, les Américains conviennent que le TTIP n'aurait aucun intérêt. “On imagine volontiers toute la détermination outre Atlantique d'éviter un tel scénario catastrophe pour les entreprises US”, estime l'eurodéputé.

“Ce rapport vient conforter une position déjà défendue au Parlement européen : il faut cesser les négociations TTIP avec les États-Unis afin que ne soient sacrifiés ni l'agriculture européenne ni le citoyen européen !”, conclut M. Tarabella.

Source : RTL, 22-12-2015