dimanche 13 mars 2016

Le mouvement illusoire de Bernie Sanders, par Chris Hedges

Le mouvement illusoire de Bernie Sanders, par Chris Hedges

Allez un article avec une vision différente pour changer

Source : Le Partage, Chris Edges, 22-02-2016

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chris_hedgesArticle original publié en anglais sur le site de truthdig.com, le 14 février 2016.
Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur américain. Récipiendaire d'un prix Pulitzer, Chris Hedges fut correspondant de guerre pour le New York Times pendant 15 ans. Reconnu pour ses articles d'analyse sociale et politique de la situation américaine, ses écrits paraissent maintenant dans la presse indépendante, dont Harper's, The New York Review of Books, Mother Jones et The Nation. Il a également enseigné aux universités Columbia et Princeton. Il est éditorialiste du lundi pour le site Truthdig.com.


Bernie Sanders, qui s'est attiré la sympathie de nombreux jeunes universitaires blancs, dans sa candidature à la présidence, prétend créer un mouvement et promet une révolution politique. Cette rhétorique n'est qu'une version mise à jour du « changement » promis en 2008 par la campagne de Barack Obama, et avant cela par la Coalition National Rainbow de Jesse Jackson. De telles campagnes électorales démocratiques, au mieux, élèvent la conscience politique. Mais elles n'engendrent ni mouvements ni révolutions. La campagne de Sanders ne sera pas différente.

Aucun mouvement ni aucune révolution politique ne se construiront au sein du parti démocrate. L'échec répété de la gauche états-unienne à comprendre la fourberie du jeu des élites politiques, fait d'elle une force politique stérile. L'histoire, après tout, devrait servir à quelque chose.

Les Démocrates, comme les Républicains, n'ont pas intérêt à mettre en place de véritables réformes. Ils sont liés au pouvoir corporatiste. Ils sont dans l'apparence, mais n'ont pas de substance. Ils parlent le langage de la démocratie, et même du réformisme libéral et du populisme, mais empêchent obstinément la réforme sur le financement des campagnes, et font la promotion d'un ensemble de politiques, dont les nouveaux accords commerciaux, qui dépossèdent affaiblissent les ouvriers. Ils truquent les élections, non seulement avec de l'argent, mais aussi avec des soit-disant superdélégués — plus de 700 délégués qui n'ont aucun compte à rendre, parmi plus de 4700 au congrès démocrate. Sanders a peut-être remporté 60% des voix au New Hampshire, mais il a fini avec moins de délégués d'état que Clinton. Un avant-goût de la campagne à venir.

Si la nomination de Sanders est rejetée — la machine Clinton et l'establishment du Parti Démocrate, ainsi que leurs maitres marionnettistes corporatistes, utiliseront les subterfuges les plus bas pour s'assurer qu'il perde — son soit-disant mouvement et sa révolution politique s'évanouiront. Sa base mobilisée, et c'était aussi le cas lors de la campagne d'Obama, sera fossilisée en listes de donateurs et de bénévoles. Le rideau tombera dans un tonnerre d'applaudissements, jusqu'au prochain carnaval électoral.

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Le Parti Démocrate est entièrement solidaire de l'état corporatiste. Cependant, Sanders, bien que critique vis-à-vis des honoraires de conférences exorbitants d'Hillary Clinton auprès de firmes comme Goldman Sachs, refuse de dénoncer le parti et les Clintons — comme Robert Scheer l'a souligné dans une colonne en Octobre — pour leur rôle de majordomes de Wall Street. C'est un mensonge par omission, ce qui cependant reste un mensonge, de la part de Sanders. Et c'est un mensonge qui rend le sénateur du Vermont complice du jeu de dupe orchestré par l'establishment du Parti Démocrate, et dont l'électorat états-unien est victime.

Les partisans de Sanders pensent-ils pouvoir disputer le pouvoir à l'establishment du Parti Démocrate, et ainsi le transformer ? Pensent-ils que les forces sur lesquelles repose le véritable pouvoir — le complexe militaro-industriel, Wall Street, les corporations, l'état sécuritaire et de surveillance — peuvent être renversées par la campagne de Bernie Sanders ? Pensent-ils que le Parti Démocrate autorisera que sa direction soit dirigée par des procédures démocratiques ? N'acceptent-ils pas le fait qu'avec la destruction des organisations syndicales, du mouvement anti-guerre, du mouvement pour les droits civiques, et du mouvement progressiste — une destruction souvent orchestrée par les organes de sécurité comme le FBI — ce parti ait viré à droite au point de n'être aujourd'hui qu'un remake de l'ancien Parti Républicain ?

Les élites utilisent l'argent, ainsi que le contrôle qu'ils ont sur les médias, les tribunaux et le corps législatif, leurs armées de lobbyistes et de « think tanks », pour invalider le vote. Nous avons subi, comme John Ralston Saul l'a écrit, un coup d'état corporatiste. Il ne reste aucune institution, au sein de la société civile, qui puisse être qualifiée de démocratique. Nous ne vivons pas dans une démocratie capitaliste. Nous vivons dans ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle un système de « totalitarisme inversé ».

En Europe, le Parti Démocrate états-unien serait un parti d'extrême droite. Le Parti Républicain serait un parti extémiste. Il n'y a pas de classe politique libérale — et encore moins de gauche ou progressiste — aux États-Unis. La croissance des groupes protofascistes ne prendra fin que lorsqu'un mouvement de gauche soutiendra une militance sans équivoque pour défendre les droits des ouvriers et entreprendre la destruction du pouvoir corporatiste. Tant que la gauche se soumet à un Parti Démocrate qui se targue de valeurs libérales tout en obéissant aux intérêts corporatistes, elle se détruira elle-même ainsi que les valeurs qu'elle prétend représenter. Elle attisera la rage justifiable du sous-prolétariat, et particulièrement du sous-prolétariat blanc, et renforcera les forces politiques les plus rétrogrades et racistes du pays. Le fascisme prospère non seulement grâce au désespoir, à la trahison et la colère, mais aussi au libéralisme en faillite.

Le système politique, comme nombre de supporters de Sanders vont le découvrir, est immunisé contre les réformes. La seule résistance efficace sera le fait d'actes massifs de désobéissance civile soutenue. Les Démocrates comme les Républicains ont l'intention de continuer l'assaut contre nos libertés civiles, l'expansion des guerres impérialistes, le pouponnage de Wall Street, la destruction de l'écosystème par l'industrie des combustibles fossiles et la paupérisation des ouvriers. Tant que les Démocrates et les Républicains restent au pouvoir, nous sommes condamnés.

La réponse de l'establishment démocrate contre toute insurrection interne, c'est de l'écraser, de la coopter et de réécrire les règles afin d'empêcher une nouvelle insurrection. Ce fut le cas en 1948 avec Henry Wallace, en 1972 avec George McGovern — deux politiciens qui, contrairement à Sanders, défièrent l'industrie militaire — et en 1984 et 1988 avec les insurrections menées par Jackson.

Corey Robin, du site web Salon, explique comment les Clintons ont pris le pouvoir à l'aide de cet agenda réactionnaire. Les Clintons, et l'establishment démocrate, écrit-il, ont rejeté l'agenda progressiste de la campagne de Jackson et ont usé de langage codé, particulièrement en ce qui concerne la loi et l'ordre, pour attirer les électeurs blancs racistes. Les Clintons et les mandarins du parti ont impitoyablement évincé ceux que Jackson avait mobilisés.

Les supporters de Sanders peuvent s'attendre à un accueil similaire. Qu'Hillary Clinton puisse mettre en place une campagne capable de faire oublier sa longue et sordide histoire politique est l'un des miracles de la propagande de masse moderne, et une preuve de l'efficacité de notre théâtre politique.

Sanders a dit que s'il n'était pas nominé, il soutiendrait le candidat du parti; il ne fera pas opposition. Si cela se produit, Sanders deviendra un obstacle contre le changement. Il récitera le mantra du « moins mauvais ». Il fera alors partie de la campagne de l'establishment démocrate visant à neutraliser la gauche.

Sanders est un démocrate en tout point, sauf en titre. Il fait partie du caucus démocrate. Il vote 98% du temps pour les Démocrates. Il soutient régulièrement les guerres impérialistes, l'arnaque corporatiste de l'Obamacare, la surveillance de masse et les budgets de défense colossaux. Il a fait campagne pour Bill Clinton lors de la course présidentielle de 1992, et lors de celle de 1996 — après que Clinton ait précipitament fait adopté l'ALENA (Accord de libre échange nord-américain), grandement étendu le système d'incarcération de masse et détruit les aides sociales — et pour John Kerry en 2004. Il a appelé à ce que Ralph Nader abandonne sa campagne présidentielle en 2004. Les Démocrates reconnaissent sa valeur. Ils récompensent Sanders pour son rôle de gardien du troupeau depuis déjà longtemps.

Kshama Sawant et moi-même avons demandé à Sanders, en privé, lors d'un évènement à New York où il faisait une apparition, la nuit précédant la marche pour le climat de 2014, pourquoi il ne se présentait pas en tant qu'indépendant à la présidence. « Je ne veux pas finir comme Ralph Nader », nous a-t-il répondu.

Sanders avait raison. La structure de pouvoir démocratique a passé un arrangement avec lui. Elle ne présente pas de candidat sérieux contre lui dans le Vermont pour son siège de sénateur. Sanders, en contrepartie de cet accord Faustien, constitue le principal obstacle à la création d'un troisième parti viable dans le Vermont. Si Sanders défiait le parti démocrate, il se verrait privé de sa séniorité au Sénat. Il perdrait sa présidence de commissions. Le parti machine le transformerait, à l'instar de Nader, en paria. Il l'expulserait hors de l'establishment politique. Sanders a probablement considéré sa réponse comme un arrangement pratique vis-à-vis d'une réalité politique. Mais il a aussi admis sa lâcheté. Nader a payé le prix fort pour son courage et son honnêteté, mais il n'était pas un raté.

Sanders, selon moi, sait parfaitement que la gauche est brisée et désorganisée. Les deux partis ont créé d'innombrables obstacles à la naissance de partis tiers, en commençant par les évincer des débats, puis en défiant leurs listes électorales, pour les empêcher de participer aux votes. Le parti Vert est mutilé de l'intérieur par des dissensions et des dysfonctions endémiques. Dans de nombreux états, il est représenté majoritairement par une population blanche vieillissante, prisonnière de cette nostalgie narcissique autoréférentielle des années 1960.

Pour voir la vidéo : Bernés par Bernie (Stimulator – février 2016) 

J'ai discuté, il y a trois ans, au maigre rassemblement d'état du parti Vert dans le New Jersey. Je me suis senti comme un personnage du roman de Mario Varga Llosa « La Vraie Vie d'Alejandro Mayta ». Dans ce roman, Mata, un idéaliste naïf, subit les humiliations des petites sectes belligérantes non pertinentes de la gauche péruvienne. Il en est réduit à organiser des réunions dans un garage avec sept révolutionnaires autoproclamés qui composent le RWP(T) — le parti des travailleurs révolutionnaires (trotstkiste) — un groupe dissident du parti marginal des Travailleurs Révolutionnaires. « Empilés contre les murs », écrit Llosa, « il y avait des piles de « Voix du Peuple » et de prospectus, de manifestes et de déclarations incitant à la grève ou la condamnant, qu'ils n'avaient jamais trouvé le temps de distribuer ».

Je suis pour une révolution, un mot que Sanders aime marteler, mais je suis pour une révolution véritablement socialiste, qui détruise l'establishment corporatiste, y compris le parti Démocrate. Je suis pour une révolution qui exige le retour de la régulation par les lois, et pas juste pour Wall Street, mais pour ceux qui mènent des guerres préventives, qui ordonnent l'assassinat de citoyens états-uniens, qui permettent à l'armée d'établir un contrôle domestique et de détenir indéfiniment des citoyens sans aucune forme de procès, et qui favorisent la surveillance totale des citoyens par le gouvernement. Je suis pour une révolution qui place l'armée, ainsi que l'appareil de sécurité et de surveillance, y compris la CIA, le FBI, le département de sécurité intérieure et la police, sous le contrôle strict de la société civile, et qui réduise drastiquement leurs budgets et pouvoirs. Je suis pour une révolution qui abandonne l'expansion impérialiste, en particulier au Moyen-Orient, et qui rende impossible le profit par la guerre. Je suis pour une révolution qui nationalise les banques, l'industrie de l'armement, les compagnies et services d'énergie, qui brise les monopoles, détruise l'industrie des combustibles fossiles, finance les arts et la radiodiffusion publique, fournisse le plein emploi et l'éducation gratuite, y compris universitaire, annule toutes les dettes étudiantes, bloque les saisies bancaires et les saisies de maisons, garantisse la gratuité et l'universalité des soins publics et un revenu minimum pour ceux qui ne peuvent travailler, en particulier les parents seuls, les handicapés et les personnes âgées. La moitié du pays, après tout, vit maintenant dans la pauvreté. Aucun de nous n'est libre.

La lutte sera longue et désespérée. Elle exigera une confrontation ouverte. La classe des milliardaires et les oligarques corporatistes ne peuvent être domptés. Ils doivent être renversés. Ils seront renversés dans les rues, pas dans une salle des congrès. Les salles de congrès, c'est là où la gauche va mourir.

Chris Hedges


Traduction: Nicolas Casaux

Édition & Révision: Maria Grandy, Héléna Delaunay

Source : Le Partage, Chris Edges, 22-02-2016

Comment la Turquie exporte le pétrole de Daech dans le monde : la preuve scientifique

Comment la Turquie exporte le pétrole de Daech dans le monde : la preuve scientifique

13Source : Zero Hedge, le 28/11/2015

Au cours de ces quelques dernières quatre semaines, les médias ont prêté une attention particulière au commerce lucratif de pétrole brut “volé” de l’État islamique.

Le 16 novembre, dans un effort largement couvert par les médias, les avions de guerre américains ont détruit 116 camions citernes de Daech en Syrie. 45 minutes avant, des tracts avait été lâchés pour conseiller aux chauffeurs (dont Washington était totalement sûr qu’ils n’étaient pas eux-mêmes membres de Daech) de “sortir de leurs camions et de s’échapper.”

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Ce qu’il y a de bizarre quant à ces frappes américaines est que le Pentagone ait mis presque quatorze mois à réaliser que la façon la plus efficace de paralyser le commerce de pétrole de Daech est de bombarder… le pétrole.

Avant novembre, la “stratégie” américaine tournait autour de bombardements de l’infrastructure pétrolière du groupe. Il s’avère que cette stratégie était, au mieux, d’une efficacité médiocre et il n’est pas certain qu’un effort d’information ait été fait auprès de la Maison-Blanche, du Congrès ou du public sur l’inefficacité des frappes. Il y a deux explications possibles aux raisons pour lesquelles Centcom a tenté de faire croire à une campagne plus réussie qu’elle ne l’était en réalité, I) le directeur des services secrets nationaux, James Clapper, a joué les Dick Cheney et fait pression sur le major-général Steven Grove pour qu’il fournisse des rapports triomphaux, ou II) le Pentagone et la CIA étaient satisfaits de bombardements inefficaces parce que les officiels des renseignements voulaient préserver les revenus pétroliers de Daech pour que le groupe puisse continuer à opérer comme élément déstabilisant majeur vis-à-vis du régime d’Assad.

En fin de compte, la Russie a crié à la triche au vu de la facilité avec laquelle Daech transportait son pétrole illégal et, quand il est devenu clair que Moscou était prêt à frapper les convois de pétrole du groupe, les É-U n’ont pratiquement pas eu d’autre choix que de se raccrocher à la locomotive. Les avions de guerre de Washington ont détruit 280 camions citernes supplémentaires plus tôt cette semaine. La Russie affirme avoir pulvérisé plus de 1000 véhicules de transport en novembre.

Bien sûr, la question la plus intéressante, sur les rentrées pétrolières de plus de 400 millions de dollars annuels de Daech, est : où ce pétrole finit-il et qui en facilite les livraisons ? Dans une tentative de commencer à répondre à ces questions, nous avons écrit :

Le rôle de la Turquie dans l’aide à la vente du pétrole de Daech a été débattu depuis quelque temps. Extrait de “L’OTAN est en train d’héberger l’État Islamique : pourquoi la meilleure des guerres de la France contre Daech est une mauvaise blague, et une insulte aux victimes des attaques de Paris,” par Nafeez Ahmed :

“La Turquie a joué un rôle-clé dans l’aide au nerf de la guerre de l’expansion de Daech : les ventes de pétrole sur le marché noir. Des sources politiques et du renseignement haut placées en Turquie et en Irak confirment que les autorités turques ont activement soutenu les ventes de pétrole de Daech à travers le pays. L’été dernier, Mehmet Ali Ediboglu, un député du premier parti d’opposition, le Parti républicain du peuple, a estimé les ventes de pétrole de Daech à environ 800 millions de dollars – et c’était il y a plus d’un an. Aujourd’hui, ceci implique que la Turquie a facilité la vente de plus d’un milliard de dollars de pétrole de Daech sur le marché noir.”

Voici ce que l’ex-parlementaire Ali Ediboglu a dit l’année dernière :

“Les 800 millions de dollars dont l’ÉI a disposé dans les régions qu’il occupait cette année (les champs pétroliers de Rumeilan dans le nord de la Syrie – et plus récemment à Mossoul) proviennent de la vente en Turquie. Ils ont installé des oléoducs depuis des villages proches de la frontière turque à Hatay. Des conduites similaires existent aussi dans les régions (frontalières turques) de Kilis, Urfa et Gaziantep. Ils transfèrent le pétrole en Turquie et le convertissent en argent liquide. Ils retirent le pétrole des raffineries à un coût nul. Ils utilisent des moyens ultra simples, ils raffinent le pétrole dans des zones proches de la frontière turque et le vendent ensuite via la Turquie. Tout celà à hauteur de 800 millions de dollars.

Plus tôt ce mois-ci, Ediboglou déclara aux médias russes que “L’ÉI détient la clé de ces ventes et en commun avec un certain groupe de personnes, notamment de ceux qui sont proches de Barzani et quelques hommes d’affaires turcs, ils s’occupent de vendre ce pétrole” (“Barzani” est une référence à Massoud Barzani, le président de la région kurde d’Irak).

Mais alors que les liens entre la Turquie et le commerce pétrolier de l’ÉI sont restés cachés au vu et au su de tous pendant quasiment deux ans, les médias occidentaux ignorent largement la question (ou du moins son importance et le degré de complicité du gouvernement Erdogan) car, après tout, la Turquie est membre de l’OTAN.

Malheureusement pour Ankara, la décision d’Erdogan de descendre un SU-24 russe à proximité de la frontière syrienne mardi a déclenché la colère de Vladimir Poutine, et l’a décidé à dévoiler la combine de la Turquie avec l’ÉI aux yeux du monde. Voici ce que Poutine a dit hier après une rencontre à Moscou avec le président français François Hollande :

“Des véhicules, transportant du pétrole, formaient une colonne qui s’étendait au-delà de l’horizon. Les vues ressemblent à un oléoduc vivant, s’étendant depuis les zones de Syrie contrôlées par les rebelles jusqu’en Turquie. Nuit et jour, ils roulent vers la Turquie. Les camions partent là-bas chargés et reviennent à vide. Nous parlons d’un approvisionnement en pétrole à échelle commerciale depuis les territoires syriens occupés par les terroristes. C’est depuis ces zones (que vient le pétrole) et non d’aucune autre. Et nous pouvons voir depuis le ciel, où se rendent ces véhicules.”

“Nous considérons que le pouvoir politique au sommet de la Turquie ne peut ignorer quoi que ce soit au sujet (de ce commerce de pétrole illégal) ou bien c’est très difficile à imaginer,” poursuit Poutine, qui ajoute “si le pouvoir politique au sommet n’en sait rien, ils devraient se renseigner.”

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Poutine est de toute évidence ironique. Il est fortement convaincu que le gouvernement d’Erdogan est lourdement compromis dans le transport et la vente du pétrole par l’ÉI. Juste après l’incident du Su-24, Poutine déclara la chose suivante à propos d’Ankara :

  • POUTINE : DU PÉTROLE DE L’ÉTAT ISLAMIQUE EST EXPÉDIÉ EN TURQUIE
  • POUTINE DIT QUE L’ÉTAT ISLAMIQUE OBTIENT DE L’ARGENT LIQUIDE POUR LA VENTE DE PÉTROLE A LA TURQUIE

Comme contribution à notre effort pour repérer et informer sur le commerce de pétrole par l’ÉI, nous présentons des extraits d’une étude de Georges Kiourktsoglou, professeur invité à l’Université de Greenwich à Londres et du Dr Alec D Coutroubis, professeur à l’Université de Greenwich à Londres. L’article intitulé “La porte d’entrée de l’ÉI sur les marchés mondiaux de pétrole brut” examine les courbes d’enlèvement  depuis le port de Ceyhan en vue de déterminer si le pétrole brut de l’ÉI est expédié depuis le sud-est de la Turquie.

*  *  *

De “La porte d’entrée de l’ÉI sur les marchés mondiaux de pétrole brut

Les commerciaux/intermédiaires responsables du transport et de la vente de l’or noir affrètent des convois comprenant jusqu’à trente camions vers les sites d’extraction du produit. Ils concluent leurs accords avec l’ÉI sur le site, encouragés par les rabais aux acheteurs et les facilités de paiement. De la sorte, le brut quitte les puits de l’ÉI rapidement et traverse les zones de Syrie tenues par les insurgés, l’Irak et la Turquie.

Dès lors que les raids aériens des É-U et ses alliés ne visent pas les camions de peur de provoquer des réactions de la part des populations locales, les opérations de transport se déroulent efficacement, le plus souvent en plein jour. Les acheteurs attirés par les profits élevés sont actifs en Syrie (même dans les territoires tenus par le gouvernement), en Irak et dans le sud-est de la Turquie.

Le parcours d’approvisionnement comprend les localités suivantes: Sanliura, Urfa, Hakkari, Siirt, Batman, Osmaniya, Gaziantep, Sirnak, Adana, Kahramarmaras, Adiyaman et Mardin. Ces différentes filières commerciales se terminent à Adana, domicile du principal port d’expédition pour les pétroliers du port de Ceyhan.

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Ceyhan est une ville au sud-est de la Turquie, peuplée de 110 000 habitants dont 105 000 vivent dans la principale zone urbaine. C’est la deuxième ville de la province d’Adana par sa population, après la capitale Adana qui compte 1 700 000 habitants. Elle est traversée par la rivière Ceyhan et se trouve à 43 km à l’est d’Adana. Ceyhan est le point de convergence des oléoducs et gazoducs du Moyen-Orient, et d’Asie Centrale et de Russie (d’après la municipalité de Ceyhan 2015).

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Le port de Ceyhan est l’hôte d’un terminal pétrolier maritime situé sur la partie méditerranéenne de la Turquie qui est en fonctionnement depuis 2006. Il reçoit des hydrocarbures qui sont ensuite chargés dans des tankers qui transportent les marchandises aux marchés mondiaux.

De plus, le port est pourvu d’une jetée à cargos et d’un terminal pétrolier, chacun de 23,2 m de profondeur qui peuvent charger des tankers de plus de 500 pieds de long (Ports.com 2015). La capacité d’exportation annuelle du terminal s’élève à 50 millions de tonnes de pétrole. Le terminal est géré par Botas International Limited (BIL), une entreprise d’état turque qui gère également le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan sur le territoire turc.

Les quantités de pétrole brut qui sont exportées au terminal de Ceyhan dépassent le volume d’un million de barils par jour. En prenant la mesure de ce contexte et étant donné que l’ÉI n’a jamais été capable d’échanger plus de 45 000 barils par jour (voir Section 2 : “Le montant du commerce de pétrole de l’ÉI”), il devient évident que la détection de quantités similaires de pétrole de contrebande ne peut avoir lieu en utilisant une méthode de comparaison comptable des stocks. Cependant les auteurs de ce papier pensent qu’il existe un autre indicateur documentaire, bien plus sensible aux quantités de pétrole de contrebande très bon marché. Ce sont les tarifs d’affrètement pour les tankers chargeant à Ceyhan.

Le Baltic Exchange (2015 a) piste les tarifs d’affrètement sur les routes de transport maritime du pétrole brut. Pour rendre son service plus efficace et facilement compréhensible, il utilise le système des Indices “Baltic Dirty Tanker” (Baltic Exchange 2015 b). Un de ces indices fut le BDTI TD 11, 80 000 à travers la Méditerranée depuis Banias en Syrie (entre Tartous et Lataquié sur la côte Syrienne) jusqu’à Lavéra en France (Étang de Berre) – Voir la Carte VI. La route 11 a été interrompue en septembre 2011, en raison de la guerre civile en Syrie et rapidement par la suite il a été remplacé par le BDTI TD 19 (TD19-TCE_Calculation 2015), avec exactement les mêmes spécifications que le BDTI TD 11, à l’exception que le port de chargement était Ceyhan au lieu de Banias.

Depuis juillet 2014 jusqu’à février 2015, la courbe de TD 19 comprend trois pics inhabituels qui ne correspondent pas aux tendances généralement observées par les autres routes maritimes commerciales du Moyen-Orient (voir graphique IV) :

  1. Le premier pic se développe du 10 au 21 juillet 2014, s’étendant sur environ 10 jours. Il coïncide avec la chute du plus grand champ de Syrie, Al Omar, aux mains d’ISIS (Reuters 2014) ;
  2. Le second pic a lieu de la fin d’octobre à la fin de novembre 2014, sur environ un mois. Il arrive en même temps que des combats acharnés entre les fondamentalistes et l’armée syrienne pour le contrôle des gisements gaziers de Jhar et Mhar, ainsi que ceux de la société Hayyan gaz dans l’est de la province d’Homs (International Business Times 2014; Albawada News 214) ;
  3. Le troisième pic s’étend de la fin janvier jusqu’au 10 février 2015, sur environ 10 jours. Il arrive simultanément à une campagne intense d’attaques aériennes menée par les États-Unis martelant les bastions d’ISIS dans et autour de la ville de Hawija à l’est de Kirkuk riche en pétrole (Rudaw 2015) ;

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Les auteurs de cet article voudraient préciser tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’une preuve irréfutable. La démonstration est insuffisante. Mais même si les volumes de brut d’ISIS ont trouvé accès, au-delà de tout doute raisonnable, aux marchés de pétrole brut internationaux via le terminal Ceyhan, ce fait n’indiquerait pas de façon concluante la collusion entre les autorités turques et le réseau fantôme de contrebandiers, sans parler des agents secrets d’ISIS.

Cependant, ayant clarifié une question si sensible politiquement, les auteurs croient qu’il y a de fortes présomptions pour qu’une chaîne d’approvisionnement illicite expédie le brut d’ISIS à partir de Ceyhan. La recherche principale indique un réseau fantôme extrêmement actif de contrebandiers et de commerçants de pétrole brut (voir section 2.1, page 3), qui transporte le brut d’ISIS vers le sud-est de la Turquie à partir du nord-est de la Syrie et du nord-ouest de l’Irak. Compte tenu de l’existence de la route E 90, le transport correspondant du pétrole ne pose pas de défis géographiques et topologiques insurmontables.

Une manifestation supplémentaire du lien invisible entre Ceyhan et ISIS est devenue évidente par l’étude simultanée des tarifs de charter de navire-citerne du port et la chronologie des engagements militaires des terroristes (voir la section 3.4 à cette page). Il semble que quand l’État Islamique se bat aux alentours d’une zone accueillant des actifs pétroliers, les 13 exportations de Ceyhan explosent promptement. Ceci est peut-être dû à une augmentation supplémentaire de la contrebande du pétrole afin de produire immédiatement des fonds supplémentaires, absolument nécessaires à l’approvisionnement en munitions et en équipement militaire. Malheureusement, dans ce cas aussi, les auteurs ne peuvent pas être catégoriques.

*  *  *

Non, on ne peut être catégorique et franchement, si les auteurs avaient revendiqué avoir découvert une preuve indiscutable, nous aurions été immédiatement sceptiques. Ce qu’ils ont fait cependant, c’est identifier une anomalie statistique et développer une théorie plausible pour l’expliquer.

La chose clé à noter est que c’est un terminal d’État et il semble certain que les tarifs d’affrètement présentent des pics en liaison avec des évènements pétroliers impliquant l’État Islamique. En effet, le fait que les auteurs mentionnent la collusion entre des autorités turques et des agents secrets d’ISIS (même s’ils font cela afin de protéger leurs conclusions) indique que les chercheurs pensent qu’un tel partenariat est possible.

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Pour finir, notez que Ceyhan est à moins de deux heures de voiture de la base aérienne de Incirlik à partir de laquelle les É-U pilotent leur sorties anti-ISIS. En d’autres termes, le pétrole d’ISIS est expédié vers le monde juste aux pieds de la base opérationnelle préférée de Washington pour le Moyen-Orient.

Maintenant que nous pouvons ajouter ce qui ressemble à une preuve quantitative que le pétrole d’ISIS est expédié de Turquie à l’énorme preuve qualitative fournie par des ex-législateurs turcs, des journalistes d’investigation, et le gouvernement russe (pour ne citer que quelques sources), nous pouvons maintenant passer à l’examen d’une question finale : où le brut qui aide à financer le califat de Bakr al-Baghdadi arrive-t-il en fin de compte ? Plus sur cela pendant le week-end.

Source : Zero Hedge, le 28/11/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.