Comment la Turquie exporte le pétrole de Daech dans le monde : la preuve scientifique
13Source : Zero Hedge, le 28/11/2015 Au cours de ces quelques dernières quatre semaines, les médias ont prêté une attention particulière au commerce lucratif de pétrole brut “volé” de l’État islamique. Le 16 novembre, dans un effort largement couvert par les médias, les avions de guerre américains ont détruit 116 camions citernes de Daech en Syrie. 45 minutes avant, des tracts avait été lâchés pour conseiller aux chauffeurs (dont Washington était totalement sûr qu’ils n’étaient pas eux-mêmes membres de Daech) de “sortir de leurs camions et de s’échapper.” Ce qu’il y a de bizarre quant à ces frappes américaines est que le Pentagone ait mis presque quatorze mois à réaliser que la façon la plus efficace de paralyser le commerce de pétrole de Daech est de bombarder… le pétrole. Avant novembre, la “stratégie” américaine tournait autour de bombardements de l’infrastructure pétrolière du groupe. Il s’avère que cette stratégie était, au mieux, d’une efficacité médiocre et il n’est pas certain qu’un effort d’information ait été fait auprès de la Maison-Blanche, du Congrès ou du public sur l’inefficacité des frappes. Il y a deux explications possibles aux raisons pour lesquelles Centcom a tenté de faire croire à une campagne plus réussie qu’elle ne l’était en réalité, I) le directeur des services secrets nationaux, James Clapper, a joué les Dick Cheney et fait pression sur le major-général Steven Grove pour qu’il fournisse des rapports triomphaux, ou II) le Pentagone et la CIA étaient satisfaits de bombardements inefficaces parce que les officiels des renseignements voulaient préserver les revenus pétroliers de Daech pour que le groupe puisse continuer à opérer comme élément déstabilisant majeur vis-à-vis du régime d’Assad. En fin de compte, la Russie a crié à la triche au vu de la facilité avec laquelle Daech transportait son pétrole illégal et, quand il est devenu clair que Moscou était prêt à frapper les convois de pétrole du groupe, les É-U n’ont pratiquement pas eu d’autre choix que de se raccrocher à la locomotive. Les avions de guerre de Washington ont détruit 280 camions citernes supplémentaires plus tôt cette semaine. La Russie affirme avoir pulvérisé plus de 1000 véhicules de transport en novembre. Bien sûr, la question la plus intéressante, sur les rentrées pétrolières de plus de 400 millions de dollars annuels de Daech, est : où ce pétrole finit-il et qui en facilite les livraisons ? Dans une tentative de commencer à répondre à ces questions, nous avons écrit :
Le rôle de la Turquie dans l’aide à la vente du pétrole de Daech a été débattu depuis quelque temps. Extrait de “L’OTAN est en train d’héberger l’État Islamique : pourquoi la meilleure des guerres de la France contre Daech est une mauvaise blague, et une insulte aux victimes des attaques de Paris,” par Nafeez Ahmed : “La Turquie a joué un rôle-clé dans l’aide au nerf de la guerre de l’expansion de Daech : les ventes de pétrole sur le marché noir. Des sources politiques et du renseignement haut placées en Turquie et en Irak confirment que les autorités turques ont activement soutenu les ventes de pétrole de Daech à travers le pays. L’été dernier, Mehmet Ali Ediboglu, un député du premier parti d’opposition, le Parti républicain du peuple, a estimé les ventes de pétrole de Daech à environ 800 millions de dollars – et c’était il y a plus d’un an. Aujourd’hui, ceci implique que la Turquie a facilité la vente de plus d’un milliard de dollars de pétrole de Daech sur le marché noir.” Voici ce que l’ex-parlementaire Ali Ediboglu a dit l’année dernière : “Les 800 millions de dollars dont l’ÉI a disposé dans les régions qu’il occupait cette année (les champs pétroliers de Rumeilan dans le nord de la Syrie – et plus récemment à Mossoul) proviennent de la vente en Turquie. Ils ont installé des oléoducs depuis des villages proches de la frontière turque à Hatay. Des conduites similaires existent aussi dans les régions (frontalières turques) de Kilis, Urfa et Gaziantep. Ils transfèrent le pétrole en Turquie et le convertissent en argent liquide. Ils retirent le pétrole des raffineries à un coût nul. Ils utilisent des moyens ultra simples, ils raffinent le pétrole dans des zones proches de la frontière turque et le vendent ensuite via la Turquie. Tout celà à hauteur de 800 millions de dollars.” Plus tôt ce mois-ci, Ediboglou déclara aux médias russes que “L’ÉI détient la clé de ces ventes et en commun avec un certain groupe de personnes, notamment de ceux qui sont proches de Barzani et quelques hommes d’affaires turcs, ils s’occupent de vendre ce pétrole” (“Barzani” est une référence à Massoud Barzani, le président de la région kurde d’Irak). Mais alors que les liens entre la Turquie et le commerce pétrolier de l’ÉI sont restés cachés au vu et au su de tous pendant quasiment deux ans, les médias occidentaux ignorent largement la question (ou du moins son importance et le degré de complicité du gouvernement Erdogan) car, après tout, la Turquie est membre de l’OTAN. Malheureusement pour Ankara, la décision d’Erdogan de descendre un SU-24 russe à proximité de la frontière syrienne mardi a déclenché la colère de Vladimir Poutine, et l’a décidé à dévoiler la combine de la Turquie avec l’ÉI aux yeux du monde. Voici ce que Poutine a dit hier après une rencontre à Moscou avec le président français François Hollande : “Des véhicules, transportant du pétrole, formaient une colonne qui s’étendait au-delà de l’horizon. Les vues ressemblent à un oléoduc vivant, s’étendant depuis les zones de Syrie contrôlées par les rebelles jusqu’en Turquie. Nuit et jour, ils roulent vers la Turquie. Les camions partent là-bas chargés et reviennent à vide. Nous parlons d’un approvisionnement en pétrole à échelle commerciale depuis les territoires syriens occupés par les terroristes. C’est depuis ces zones (que vient le pétrole) et non d’aucune autre. Et nous pouvons voir depuis le ciel, où se rendent ces véhicules.” “Nous considérons que le pouvoir politique au sommet de la Turquie ne peut ignorer quoi que ce soit au sujet (de ce commerce de pétrole illégal) ou bien c’est très difficile à imaginer,” poursuit Poutine, qui ajoute “si le pouvoir politique au sommet n’en sait rien, ils devraient se renseigner.” Poutine est de toute évidence ironique. Il est fortement convaincu que le gouvernement d’Erdogan est lourdement compromis dans le transport et la vente du pétrole par l’ÉI. Juste après l’incident du Su-24, Poutine déclara la chose suivante à propos d’Ankara :
Comme contribution à notre effort pour repérer et informer sur le commerce de pétrole par l’ÉI, nous présentons des extraits d’une étude de Georges Kiourktsoglou, professeur invité à l’Université de Greenwich à Londres et du Dr Alec D Coutroubis, professeur à l’Université de Greenwich à Londres. L’article intitulé “La porte d’entrée de l’ÉI sur les marchés mondiaux de pétrole brut” examine les courbes d’enlèvement depuis le port de Ceyhan en vue de déterminer si le pétrole brut de l’ÉI est expédié depuis le sud-est de la Turquie. * * * De “La porte d’entrée de l’ÉI sur les marchés mondiaux de pétrole brut” Les commerciaux/intermédiaires responsables du transport et de la vente de l’or noir affrètent des convois comprenant jusqu’à trente camions vers les sites d’extraction du produit. Ils concluent leurs accords avec l’ÉI sur le site, encouragés par les rabais aux acheteurs et les facilités de paiement. De la sorte, le brut quitte les puits de l’ÉI rapidement et traverse les zones de Syrie tenues par les insurgés, l’Irak et la Turquie. Dès lors que les raids aériens des É-U et ses alliés ne visent pas les camions de peur de provoquer des réactions de la part des populations locales, les opérations de transport se déroulent efficacement, le plus souvent en plein jour. Les acheteurs attirés par les profits élevés sont actifs en Syrie (même dans les territoires tenus par le gouvernement), en Irak et dans le sud-est de la Turquie. Le parcours d’approvisionnement comprend les localités suivantes: Sanliura, Urfa, Hakkari, Siirt, Batman, Osmaniya, Gaziantep, Sirnak, Adana, Kahramarmaras, Adiyaman et Mardin. Ces différentes filières commerciales se terminent à Adana, domicile du principal port d’expédition pour les pétroliers du port de Ceyhan. Ceyhan est une ville au sud-est de la Turquie, peuplée de 110 000 habitants dont 105 000 vivent dans la principale zone urbaine. C’est la deuxième ville de la province d’Adana par sa population, après la capitale Adana qui compte 1 700 000 habitants. Elle est traversée par la rivière Ceyhan et se trouve à 43 km à l’est d’Adana. Ceyhan est le point de convergence des oléoducs et gazoducs du Moyen-Orient, et d’Asie Centrale et de Russie (d’après la municipalité de Ceyhan 2015). Le port de Ceyhan est l’hôte d’un terminal pétrolier maritime situé sur la partie méditerranéenne de la Turquie qui est en fonctionnement depuis 2006. Il reçoit des hydrocarbures qui sont ensuite chargés dans des tankers qui transportent les marchandises aux marchés mondiaux. De plus, le port est pourvu d’une jetée à cargos et d’un terminal pétrolier, chacun de 23,2 m de profondeur qui peuvent charger des tankers de plus de 500 pieds de long (Ports.com 2015). La capacité d’exportation annuelle du terminal s’élève à 50 millions de tonnes de pétrole. Le terminal est géré par Botas International Limited (BIL), une entreprise d’état turque qui gère également le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan sur le territoire turc. Les quantités de pétrole brut qui sont exportées au terminal de Ceyhan dépassent le volume d’un million de barils par jour. En prenant la mesure de ce contexte et étant donné que l’ÉI n’a jamais été capable d’échanger plus de 45 000 barils par jour (voir Section 2 : “Le montant du commerce de pétrole de l’ÉI”), il devient évident que la détection de quantités similaires de pétrole de contrebande ne peut avoir lieu en utilisant une méthode de comparaison comptable des stocks. Cependant les auteurs de ce papier pensent qu’il existe un autre indicateur documentaire, bien plus sensible aux quantités de pétrole de contrebande très bon marché. Ce sont les tarifs d’affrètement pour les tankers chargeant à Ceyhan. Le Baltic Exchange (2015 a) piste les tarifs d’affrètement sur les routes de transport maritime du pétrole brut. Pour rendre son service plus efficace et facilement compréhensible, il utilise le système des Indices “Baltic Dirty Tanker” (Baltic Exchange 2015 b). Un de ces indices fut le BDTI TD 11, 80 000 à travers la Méditerranée depuis Banias en Syrie (entre Tartous et Lataquié sur la côte Syrienne) jusqu’à Lavéra en France (Étang de Berre) – Voir la Carte VI. La route 11 a été interrompue en septembre 2011, en raison de la guerre civile en Syrie et rapidement par la suite il a été remplacé par le BDTI TD 19 (TD19-TCE_Calculation 2015), avec exactement les mêmes spécifications que le BDTI TD 11, à l’exception que le port de chargement était Ceyhan au lieu de Banias. Depuis juillet 2014 jusqu’à février 2015, la courbe de TD 19 comprend trois pics inhabituels qui ne correspondent pas aux tendances généralement observées par les autres routes maritimes commerciales du Moyen-Orient (voir graphique IV) :
Les auteurs de cet article voudraient préciser tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’une preuve irréfutable. La démonstration est insuffisante. Mais même si les volumes de brut d’ISIS ont trouvé accès, au-delà de tout doute raisonnable, aux marchés de pétrole brut internationaux via le terminal Ceyhan, ce fait n’indiquerait pas de façon concluante la collusion entre les autorités turques et le réseau fantôme de contrebandiers, sans parler des agents secrets d’ISIS. Cependant, ayant clarifié une question si sensible politiquement, les auteurs croient qu’il y a de fortes présomptions pour qu’une chaîne d’approvisionnement illicite expédie le brut d’ISIS à partir de Ceyhan. La recherche principale indique un réseau fantôme extrêmement actif de contrebandiers et de commerçants de pétrole brut (voir section 2.1, page 3), qui transporte le brut d’ISIS vers le sud-est de la Turquie à partir du nord-est de la Syrie et du nord-ouest de l’Irak. Compte tenu de l’existence de la route E 90, le transport correspondant du pétrole ne pose pas de défis géographiques et topologiques insurmontables. Une manifestation supplémentaire du lien invisible entre Ceyhan et ISIS est devenue évidente par l’étude simultanée des tarifs de charter de navire-citerne du port et la chronologie des engagements militaires des terroristes (voir la section 3.4 à cette page). Il semble que quand l’État Islamique se bat aux alentours d’une zone accueillant des actifs pétroliers, les 13 exportations de Ceyhan explosent promptement. Ceci est peut-être dû à une augmentation supplémentaire de la contrebande du pétrole afin de produire immédiatement des fonds supplémentaires, absolument nécessaires à l’approvisionnement en munitions et en équipement militaire. Malheureusement, dans ce cas aussi, les auteurs ne peuvent pas être catégoriques. * * * Non, on ne peut être catégorique et franchement, si les auteurs avaient revendiqué avoir découvert une preuve indiscutable, nous aurions été immédiatement sceptiques. Ce qu’ils ont fait cependant, c’est identifier une anomalie statistique et développer une théorie plausible pour l’expliquer. La chose clé à noter est que c’est un terminal d’État et il semble certain que les tarifs d’affrètement présentent des pics en liaison avec des évènements pétroliers impliquant l’État Islamique. En effet, le fait que les auteurs mentionnent la collusion entre des autorités turques et des agents secrets d’ISIS (même s’ils font cela afin de protéger leurs conclusions) indique que les chercheurs pensent qu’un tel partenariat est possible. Pour finir, notez que Ceyhan est à moins de deux heures de voiture de la base aérienne de Incirlik à partir de laquelle les É-U pilotent leur sorties anti-ISIS. En d’autres termes, le pétrole d’ISIS est expédié vers le monde juste aux pieds de la base opérationnelle préférée de Washington pour le Moyen-Orient. Maintenant que nous pouvons ajouter ce qui ressemble à une preuve quantitative que le pétrole d’ISIS est expédié de Turquie à l’énorme preuve qualitative fournie par des ex-législateurs turcs, des journalistes d’investigation, et le gouvernement russe (pour ne citer que quelques sources), nous pouvons maintenant passer à l’examen d’une question finale : où le brut qui aide à financer le califat de Bakr al-Baghdadi arrive-t-il en fin de compte ? Plus sur cela pendant le week-end. Source : Zero Hedge, le 28/11/2015 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source. |
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